chapitre 1 - t2
Le bateau tangue doucement sous leurs pieds, bercé par la houle régulière de la mer. Derrière eux, la Corée est maintenant loin, perdue dans la brume matinale, comme un rêve dont on s'éveille lentement. Il ne reste plus que l'infini de l'eau, et devant eux, la promesse d'une nouvelle terre. Demain ils seront au Japon.
Jisung est assis contre le bastingage, les genoux repliés contre sa poitrine. Ses yeux fixent l'horizon sans réellement le voir, il est perdu dans ses pensées. Depuis qu'ils ont mis les pieds sur ce bateau, il n'a presque pas parlé. Tout lui semble irréel. Tian est mort. Ce cauchemar est terminé. Définitivement terminé. Pourtant, au fond, une part de lui n'ose pas encore y croire.
À ses côtés, Minho bouge légèrement, laissant échapper une respiration sifflante. Jisung tourne aussitôt la tête.
— Ça va ?
Sa voix est basse mais on y sent l'inquiétude qui l'étreint. L'alpha hoche la tête, mais son visage crispé trahit la douleur. Son épaule gauche est bandée. L'oméga se redresse légèrement pour tendre une main hésitante vers lui. Le châtain l'observe du coin de l'œil sans rien dire, puis baisse doucement la tête, lui donnant silencieusement la permission d'approcher. Jisung effleure le pansement du bout des doigts, sent la chaleur de la peau de Minho sous la sienne. La bande est légèrement teintée de pourpre. La lame de Tian ne l'a pas épargné. Ni son épaule, ni ses mains. Heureusement, Seungmin a su soigner la blessure avant leur départ mais il va encore falloir du temps avant que la plaie ne cicatrise complètement. En attendant, l'oméga use du cataplasme que leur a confié le médecin, en quantité suffisante pour le temps de la traversée.
— C'est pas si terrible...
Minho détourne le regard en murmurant, mais Jisung plisse les lèvres, pas convaincu.
— T'as toujours été mauvais menteur.
Sa voix est basse quand il lui répond et un mince sourire étire les lèvres de l'aîné.
— Et toi, toujours aussi inquiet.
Le noiraud baisse les yeux sur le bandage, puis soupire et laisse retomber sa main sur ses propres genoux après avoir arrangé le vêtement.
— Comment tu veux que je sois autrement ? T'as failli mourir, Minho.
— Mais je suis là, non ?
Le jeune ne répond pas tout de suite. Le vent marin soulève quelques mèches brunes sur son front, et il frissonne légèrement sous l'air frais. L'alpha hésite avant de glisser sa main valide vers la sienne, entrelaçant leurs doigts doucement.
Jisung sourit légèrement au contact. Plus le temps passe et plus il devient aisé de supporter le toucher. En particuliers celui de son amoureux. Cette chaleur... Elle est si douce. Si précieuse et protectrice. Elle ne lui fait pas peur. Il la recherche d'ailleurs, lorsqu'il n'est pas à ses côtés.
Minho ne fait aucun mouvement brusque, lui laisse l'espace de décider s'il désire s'éloigner. Pourtant, Jisung ne retire pas sa main. Il la serre même un peu plus fort et vient porter les doigts eux aussi bandés, à ses lèvres pour un baiser délicat.
— J'ai cru que je te perdais. J'ai cru que je devenais fou.
Au murmure du noiraud, l'alpha baisse les yeux vers lui et son regard s'adoucit.
— Je suis là. Je serai toujours là.
Un silence s'étire entre eux, seulement troublé par le bruissement des vagues contre la coque du bateau. Le soleil commence à monter lentement dans le ciel, teignant l'eau d'une lueur dorée. Ce n'est pas un silence gênant. Loin s'en faut. C'est un moment apaisant et doux, augurant une journée paisible. C'est Jisung qui le rompt, faisant part de la question qui lui trotte dans la tête à longueur de temps depuis qu'ils sont montés à bord.
— Tu crois qu'on sera bien, là-bas ?
Le châtain hausse un sourcil.
— Au Japon ?
Le jeune hoche la tête.
— J'ai l'impression qu'on ne sait rien de ce qui nous attend.
Minho réfléchit un instant avant de répondre, un sourire léger sur les lèvres.
— On ne savait pas non plus ce qui nous attendait avant. Et on s'en est sortis.
Jisung a un sourire mince et hoche doucement la tête, faisant danser ses cheveux coupés devant son visage.
— C'est vrai...
Minho resserre doucement son étreinte autour de sa main.
— Tant qu'on est ensemble, on trouvera un moyen.
Le noiraud le regarde longuement, lisant dans ses yeux cette certitude tranquille qui ne l'a jamais quitté. Un poids semble se décrocher de sa poitrine. Pour la première fois depuis longtemps, il se sent en sécurité.
Il baisse la tête et ferme les yeux, laissant son front reposer contre l'épaule valide de son lié. Celui-ci ne bouge pas, acceptant ce contact comme un trésor fragile, posant sa tempe sur la tête de son oméga, en un câlin léger. Ils restent ainsi, immobiles, bercés par le roulis du bateau, laissant le passé s'éloigner avec la terre qui a déjà disparu loin derrière eux.
L'oméga se redresse, victime d'une illumination soudaine.
— Un hanok. Avec un beau jardin !
L'alpha hausse un sourcil quand il se retourne pour observer le jeune.
— Un jardin ?
Jisung semble emporté par ce qu'il imagine, et qu'il dessine dans son esprit à mesure qu'il l'énonce. Ses yeux aux pupilles différentes pétillent.
— Oui ! Avec des cerisiers ! De beaux cerisiers. Et des gylcines !
Longévité, amour durable. Minho a toujours aimé le fait que son oméga soit porté sur le symbolisme des choses même mineures. Toutefois, il part à rire de bon cœur.
— GLYcine ! Idiot !
— Oui ça !
Un petit coup est tout de même porté à l'alpha qui fait mine de souffrir le martyr d'un coup.
— AH ! Pardon Minho ! J'ai oublié ! Ça va ?? Ça va ??
La panique est présente dans le comportement du jeune qui s'est d'ores et déjà redressé et qui se retrouve à genoux devant son compagnon, cherchant comment soulager sa douleur. L'éclat de rire qui lui répond le fait bouder, d'un coup.
— T'es vraiment pas drôle.
— Mais tu verrais ta tête ! Alors qu'est-ce que tu veux d'autre dans ta belle maison ?
Ji se calme alors et se réinstalle tranquillement.
— La mer. Une immense ouverture pour voir la mer.
— La mer ?
L'oméga hoche doucement la tête, perdant un peu de son sourire.
— La mer. J'aime bien la mer. C'est paisible. Et... Elle me donne l'impression qu'on peut toujours partir, si jamais...
Il ne termine pas, mais l'alpha le comprend. Si jamais quelqu'un tente encore de les séparer. S'ils doivent fuir à nouveau. Ses doigts bandés retrouvent ceux de son compagnon et il serre délicatement en un geste de réconfort.
— Alors, on aura la mer. Et un lit immense aussi !
Un ricanement en réponse.
— Un lit... Immense ?
— Bien sûr ! Parce qu'il est hors de question que je dorme loin de toi !
Jisung rit de nouveau.
— Et une belle cuisine. Et je te préviens, ce n'est pas toi qui fera à manger.
Il le pousse légèrement, faussement vexé.
— Hé !
— Mais tu cuisines mal !
Minho l'avoue volontiers avec un sourire taquin.
— C'est pas vrai !
— Hin hin ! C'est totalement vrai.
L'oméga croise les bras et plisse les yeux.
— Très bien. Alors je me charge du jardin. Et je t'interdis de dire que mes plantes meurent trop vite.
Le plus vieux étouffe un rire.
— Marché conclu.
Un silence paisible retombe de nouveau entre eux. Encore une fois, c'est le noiraud qui le brise au bout d'un moment, d'une voix plus douce.
— Tu crois qu'on sera heureux ?
Minho lui prend la main et la porte à ses lèvres, embrassant doucement ses doigts.
— On l'est déjà un peu, non ?
Jisung ne répond pas tout de suite, mais son cœur se serre en réalisant que oui, malgré tout ce qu'ils ont traversé, malgré les blessures et les peurs, il se sent... en sécurité.
— Oui. On l'est.
La réponse fait sourire le plus vieux qui embrasse la tempe de son compagnon.
***
— Minho, viens ici que je soigne tes plaies avant qu'on aille se coucher !
Ce dernier ne proteste pas et le laisse l'aider à retirer ses vêtements et la bande qui s'enroule autour de lui. La lueur tamisée de la lampe tempête fait briller la peau nue de l'alpha, mettant en relief les muscles fins de son torse, et la plaie à soigner. Jisung passe une main légère sur son épaule blessée, puis s'accroupit pour tremper un linge dans un bol d'eau propre.
— Ça risque de piquer.
— Je survivrai.
Ils murmurent, comme si parler plus fort risquait de briser cette atmosphère chaleureuse qui les entoure. L'oméga esquisse un sourire et commence à nettoyer délicatement la blessure. Le châtain ne bronche pas, le regard porté sur l'air si concentré de son compagnon. Chaque geste du noiraud est précis, empreint d'une infinie tendresse. L'aîné ne peut s'empêcher de plaisanter un peu.
— T'es bien plus doux que le médecin.
Cela fait glousser le jeune qui répond aussitôt.
— Lui, il te soigne pas parce qu'il t'aime.
Minho a un léger sursaut, surpris.
Ses gestes se figent tandis que Jisung semble réaliser ce qu'il vient de dire et il détourne vivement le regard, les joues rosies. Le châtain le fixe un instant, puis tend sa main valide pour l'attirer doucement à lui.
— Redis-le.
C'est un souffle, mais le noiraud l'entend bien et secoue la tête.
— Tais-toi...
— Redis-le.
— Non...
L'alpha sourit et glisse un doigt sous son menton pour le forcer à le regarder.
— Jisung.
Le jeune finit par céder.
— ...Je t'aime.
Minho sent son cœur manquer un battement. Il sait. Il l'a toujours su. Mais l'entendre, après tout ce qu'ils ont traversé, c'est autre chose. Alors il répond d'un murmure.
— Moi aussi. Je t'aime Han Jisung.
Avec tendresse, il capture les lèvres de l'oméga pour un baiser plein de douceur, lent. Le noiraud frissonne. Son compagnon l'embrasse comme s'il avait tout le temps du monde, comme s'il voulait graver chaque seconde en lui. Et le jeune lui répond avec la même douceur, laissent leurs souffles se mélanger. Le châtain l'attire contre lui, l'allongeant doucement sur la couchette. Il ne veut pas brusquer son cadet. Il sait combien ce genre de contact peut lui être difficile parfois, après ce que Tian lui a fait. Mais il a envie de l'initier cette fois. Il a besoin de le proposer, de libérer un peu son oméga des premiers pas qu'il lui laisse faire d'habitude. Et il murmure.
— Si tu veux qu'on arrête, dis-le-moi.
Jisung secoue la tête.
— Je veux...
Il s'accroche à lui, il laisse Minho l'embrasser encore. Ils prennent leur temps. L'alpha l'effleure avec une infinie patience, laissant le noiraud guider leur rythme, répondre à chaque geste à son propre tempo.
Ce n'est pas un besoin fiévreux, ni un acte précipité. C'est une renaissance. Un moyen de réapprendre à se toucher, à s'aimer sans crainte. Il sait que cela risque de prendre des années pour que tout redevienne naturel et pleinement vécu.
Lorsqu'ils s'endorment, ils sont blottis l'un contre l'autre. Le plus jeune a la tête nichée contre le cou de son compagnon, bercé par la chaleur rassurante de son corps.
Demain, ils arrivent au Japon.
Demain, ils commencent leur nouvelle vie.
***
Le roulis du bateau semble plus doux que d'habitude, comme si la mer elle-même voulait leur offrir une nuit paisible après tout ce qu'ils ont traversé. Jisung ouvre lentement les yeux, encore bercé par la chaleur de Minho contre lui. Il sent le poids d'un bras passé autour de sa taille et esquisse un sourire en voyant le plus vieux toujours endormi, la respiration calme, les traits détendus comme il ne les a plus vus depuis bien longtemps.
Pourtant, son épaule doit le faire souffrir. L'oméga remonte doucement les couvertures pour s'assurer que son compagnon est bien au chaud, et effleure du bout des doigts la peau nue autour du bandage. L'alpha gémit légèrement dans son sommeil mais ne se réveille pas.
Un grondement sourd attire son attention. Le moteur du navire change de rythme, et à travers le hublot, l'aube peint le ciel de teintes orangées. Jisung retient son souffle.
Ils sont arrivés.
Un frisson lui parcoure l'échine. C'est réel. Ce matin marque le début de leur nouvelle vie.
Il reste un instant immobile, laissant l'émotion monter en lui. Puis il se redresse doucement, se penchant au-dessus de Minho pour caresser ses cheveux. Dans un murmure, il cherche à le réveiller.
— Minho...
L'alpha gémit légèrement avant de froncer les sourcils et de papillonner des paupières. Ses yeux noirs, encore embrumés de sommeil, se posent sur lui.
— Hm ?
Jisung hésite, puis esquisse un sourire.
— On est arrivés.
Le châtain cligne des yeux, assimilant l'information, puis se redresse légèrement en grimaçant à cause de son épaule.
— Déjà ?
L'oméga hoche la tête.
— Viens voir.
Il se lève et tend une main à son compagnon, l'aidant à quitter la couchette avec précaution. Toujours à moitié endormi, ce dernier le suit jusqu'au hublot. Une fine brume flotte encore au-dessus de l'eau. Mais au loin, se dessine une silhouette : les côtes japonaises, les premières maisons portuaires, les montagnes en arrière-plan.
L'ainé reste silencieux un moment, puis laisse échapper un souffle.
— C'est beau...
Le noiraud tourne la tête vers lui avec un sourire.
— C'est chez nous, maintenant.
Minho baisse les yeux vers lui, capturant son regard avec une douceur infinie, et répète les mots qu'il a prononcé.
— Chez nous.
Ils restent là un instant, à contempler l'horizon, à savourer cet instant suspendu entre l'ancien monde qu'ils laissent derrière eux et l'avenir encore incertain qui s'ouvre devant eux.
Un coup résonne contre la porte de leur cabine.
— On arrive bientôt, leur annonce une voix à travers le bois.
Jisung et Minho échangent un regard avant de se préparer à sortir, se hâtant en riant, excités à l'idée de découvrir leur nouvelle vie.
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