Bonus 3 : revisite chapitre 44


Le temps semble se figer.

L'acier brille sous la lueur des flammes, et Jisung n'a pas le réflexe de bouger. Ses muscles sont tendus, prêts à rompre. Tout ce qu'il voit, c'est Tian. Son mari. Son geôlier. Son bourreau. Son regard est tordu d'une fureur glaciale, une détermination froide et implacable gravée sur ses traits, et l'oméga sent la terreur l'étreindre. Deux ans. Deux ans à tenter de l'oublier et de guérir les blessures, mais toutes les plaies à peine cicatrisées se rouvrent en un simple regard. Et pourtant malgré sa peur, et la soumission que son instinct lui impose, il sent la haine l'envahir. Il va mourir ainsi, sans même pouvoir bouger un peu, sans chercher à éviter le coup.

Le noiraud a à peine le temps d'inspirer qu'une silhouette fuse devant lui. De longs cheveux châtains dansant dans le mouvement.

Un choc brutal.

Minho.

L'acier trouve la chair dans un bruit immonde. L'alpha, interposé entre eux deux, a stoppé la lame au prix de son propre corps. La pointe de l'arme s'enfonce dans son épaule, déchirant le tissu et la peau, arrachant un grognement rauque au châtain. Mais il ne flanche pas. Son regard, flamboyant, se rive à celui de Tian. Il agrippe la lame pour l'empêcher d'aller plus loin, ses doigts tremblants et ensanglantés se refermant sur le métal malgré la douleur.

Tian souffle entre ses dents, sa prise se raffermit sur le manche de son arme. Mais Minho ne cède pas. Les dents serrées, il toise le chinois avec dégoût, une haine infinie sillonnant ses veines.

— Tu ne le toucheras pas.

Sa voix tremble, toutefois il est déterminé. Jisung assiste à la scène mais il a bien du mal à croire que c'est réel. Sa main se serre sur le manche de l'épée droite qu'il a ramassé plus tôt. Minho... Minho est blessé... Tian a blessé Minho, son Minho, son amour, il a... Il ne réfléchit plus, et c'est un coup d'estoc qui est porté à son époux, libérant par là son amant de la lame du chinois. Sa fente est défaite d'un coup d'épée, l'acier crissant horriblement contre l'acier. Déséquilibré par la force de la parade, le noiraud ne voit pas arriver le revers de Tian qui le heurte violemment à la joue. Sonné, il titube sous le coup, manquant choir dans l'étang. Il se rattrape, malhabile, mais la vue de son alpha, un genou à terre à tenir son épaule endolorie, le visage blême ne fait que renforcer son désir d'achever cet homme.

Son attention est détournée un instant lorsque les bruits du tumulte se rapprochent, lorsque des cris retentissent, le son de courses effrénées sur les graviers, le bruit de l'eau qui se voit troublée par les hommes qui y plongent, les corps qui y tombent. Des coups de feu retentissent, forts et brefs mais ils résonnent dans les oreilles de l'oméga qui perd pied.

Il comprend enfin. Il comprend ce qu'il n'arrivait pas à concevoir il y a quelques instants encore, dans la cour du palais, lorsqu'il voyait les soldats et les "justes" s'en prendre aux conseillers. Il comprend et il ne fait pas exception. Il veut voir cet homme mort. Il veut lui faire payer tout ce qu'il lui a fait. Lui faire payer le prix fort pour sa rédemption.

Une rage noire s'éveille en lui. Les cris et le chaos autour de lui s'estompent, et il voit clairement. Il a été un pion, un jouet entre les mains de Tian. Il se souvient des nuits passées à pleurer, à se demander s'il serait un jour libre. La douleur de la trahison, la honte de la faiblesse, tout cela s'amplifie, et il ne peut plus l'ignorer.

Tian, ce monstre, doit payer. Jisung veut le voir mort, voir son arrogance se transformer en terreur. Il veut lui faire payer tout ce qu'il lui a fait, tout ce qu'il a volé. Lui faire payer le prix fort pour sa rédemption, pour toutes les souffrances qu'il a endurées. La haine bouillonne en lui, une force qu'il n'a jamais connue.

Il se redresse, la colère nourrissant chaque fibre de son être. L'épée brille d'un éclat sinistre alors qu'il la pointe vers Tian, Ses yeux à demi cachés par sa tignasse folle, sa voix, maintenant forte et assurée, résonne au milieu du tumulte.

— Tu m'as tout pris, Tian. Ma dignité, ma paix... L'enfant...

Il déglutit, sa haine, la souffrance déchirant chaque mot.

— Il n'aurait jamais dû être de toi... Jamais...

L'homme le regarde, et un sourire naît sur son visage, qui se transforme rapidement en rire amer et moqueur.

— Tu parles comme si tu avais eu le choix. Comme si moi aussi, j'avais eu le choix... Je n'ai jamais voulu ce mariage. Nous sommes deux dans l'histoire. Sauf que moi j'ai accepté.

Jisung ne lui laisse pas le temps d'aller plus loin. D'un cri rauque, il fond sur Tian, son épée s'abattant avec une violence déchaînée. L'acier crisse, tranche l'air dans un sifflement mortel. Tian pare de justesse, le choc lui arrachant un grondement tandis qu'il recule d'un pas sous l'impact. Mais il contre-attaque immédiatement, fendant droit sur le noiraud, le forçant à esquiver.

Le combat devient brutal, sans grâce, une danse de rage et de haine. L'oméga frappe encore, encore, ses coups frénétiques guidés par sa colère et sa douleur. Tian, plus méthodique, se défend, analyse ses ouvertures, et lorsqu'une faille se présente, il l'exploite. Son genou heurte brutalement l'abdomen de Jisung, lui coupant le souffle. Profitant de sa faiblesse, il l'attrape sans ménagement, l'attirant contre lui. Tian en profite pour lui susurrer quelques mots à l'oreille, un murmure empoisonné, avant qu'il claque des dents comme pour signifier à l'oméga qu'il aurait pu le croquer.

— Au moins, tu étais docile dans un lit.

Le dégoût éclate dans le regard du noiraud, une nausée violente s'élevant en lui. La proximité lui arrache un frisson de rage et d'horreur, et il réagit immédiatement, un poing rageur s'écrasant contre la tempe de Tian. Le chinois recule sous l'impact, surpris, et Jisung en profite pour se libérer de son étreinte, sa lame s'élevant à nouveau, prête à lui faire payer chaque mot, chaque humiliation.

Minho qui suit la scène avec dépit, et fait signe aux révoltés qui s'approchent de s'emparer de l'alpha chinois qui résiste. Mais il doit calmer son oméga. Il doit le faire revenir à lui alors qu'il semble aveuglé de colère.

— Jisung...

Ce dernier n'écoute pas, il n'entend rien. Tout son être est concentré sur Tian, désireux de lui faire payer.

— Jisung, arrête!

Son bras valide s'élève tandis qu'il se remet difficilement sur pieds. Les insurgés arrivent et se saisissent du conseiller tandis que lui-même vient se saisir de son amant, qui n'apprécie pas le geste. Il se débat, tente de faire lâcher Minho, mais ce dernier tient bon

— Laisse moi! Je dois...!

— Tu dois quoi Jisung??

— Il doit payer! Il doit payer ce qu'il m'a fait!

Alors Minho oublie la blessure à son épaule et sa main se lève, tremblante et faible, mais il se saisit du menton du noiraud pour le forcer à le regarder, qu'il le voit, qu'il revienne à lui.

— Il payera! Mais de façon juste! Tu ne peux pas le tuer, tu ne veux pas vraiment te salir les mains comme ça! C'est pas toi ça, Jisung!

S'il s'est calmé l'espace d'un instant, le temps de croiser le regard chagriné de son alpha, L'oméga se débat de nouveau et d'un coup de main, rejette celle de Minho sans penser à sa blessure et se recule vivement, non sans voir que Tian s'est fait maîtriser par les mutins.

— Tu n'as aucune idée de ce que j'ai vécu! Tu n'en sais rien!

— Alors explique moi! Dis le! DIS LE!

Les lèvres du noiraud s'ouvrent et se ferment, mais aucun son n'en sort. Tenant son épée, il porte malgré tout les mains à ses cheveux en désordre. Tout s'emmêle, tout tourne dans sa tête. Minho ne bouge pas, il attend. Il attend que Jisung lâche ce qu'il a sur le cœur, qu'il explose, qu'il lui crache enfin sa douleur. Les insurgés retiennent Tian, mais ce n'est plus lui qui occupe toute la vision de l'oméga. C'est Minho. Minho qui le regarde, qui attend, qui veut comprendre.

Et alors, ça éclate, dans un rire nerveux et empli d'ironie.

— Tu veux savoir?! Tu veux que je te dise?! Il m'a pris ma vie! Il m'a arraché tout ce que j'étais, il m'a brisé, il m'a souillé, il m'a...

Il hurle. Jisung hurle, sa voix brisée par des sanglots qu'il ne contrôle plus. Son doigt pointe le chinois agenouillé. Sa respiration est haletante, il tremble de rage et de douleur mêlées.

— Je l'ai porté! Cet enfant, je l'ai porté, et il est mort! Parce qu'il n'était pas de toi! Parce que mon corps a refusé de lui donner la vie! Et lui, lui il revenait, encore et encore, et je devais survivre, je devais faire semblant...

Il serre les poings si fort que ses ongles s'enfoncent dans sa paume. Ses yeux sont noyés de larmes qu'il refuse de laisser couler. Il désigne Minho de la pointe de son épée, accusateur soudain, avant de s'approcher de lui et de le pousser violemment, encore et encore.

— Et toi tu étais où?! Tu étais où quand j'avais besoin de toi?! Quand il m'a forcé contre cette putain d'armoire?! Quand il venait prendre ce qui te revenait pendant ces foutues chaleurs?? Quand je devais avaler ces décoctions immonde pour ne pas avoir d'enfants?! Pour aller à l'encontre même de la nature! J'étais là et je t'appelais de tous mes vœux ! T'étais où?! Quand j'avais envie de crever !?

Minho encaisse chaque mot comme une lame s'enfonçant dans sa chair, serre les dents quand la douleur à son épaule le fait presque tourner de l'œil. Il voudrait parler, il voudrait dire qu'il aurait tout donné pour être là, qu'il aurait tout détruit pour le sauver plus tôt. Mais ce n'est pas le moment. Jisung doit hurler, il doit vider son cœur du poison qu'il porte depuis trop longtemps. Et lui doit subir, entendre tous ces mots. La culpabilité l'accable, et il ne sait même pas comment se faire pardonner. Il se refuse ce pardon, ne l'attend pas et ne le demandera jamais. C'est chose impossible, pas après que son inaction ait valu la destruction de son âme sœur, même si cette retenue s'est faite pour une cause qui paraissait juste sur le coup... Qui paraît désormais si dérisoire devant la blessure béante qui a pris la place du cœur de l'oméga.

— Alors ne me parle pas de justice, Minho! Ne me parle pas de ce qui est juste ou non! Rien ne l'a été pour moi! Rien! J'ai été vendu! On m'a mis dans une cage! Enchaîné! Acheté! Violé! Baisé!

Et il s'effondre. Pas physiquement, mais tout en lui s'écroule. Ses épaules s'affaissent, sa poigne sur l'épée se relâche, son regard se perd quelque part entre colère et détresse.

Le châtain s'approche, lentement, prudemment, comme on approche un animal blessé. Il tend sa main intacte, son regard est si doux, si navré, il souffre la douleur de Jisung, il la ressent au plus profond de son être, amplifiée par ce lien qui les unit. Il ressent tout, et il pourrait mourir pour ne plus que ça l'atteigne.

— Je suis là maintenant... Il ne te fera plus rien, jamais.

Mais Jisung secoue la tête, recule d'un pas et souffle quelques mots douloureux.

— Trop tard... C'est trop tard, Minho...

Et pourtant, ce dernier voit dans ses yeux que ce n'est pas une certitude. C'est une peur. Une peur que tout soit irrémédiable. Une peur de ne plus jamais pouvoir être réparé. L'alpha n'a cependant pas le temps de rassurer le noiraud, la voix de Tian s'élève, fielleuse, pleine de morgue et d'ironie.

— C'est si mignon...

Le chinois est à genoux, les mains liées dans son dos et maintenu en place par quelques hommes. Le noiraud tressaille. Cette voix, il l'a trop entendue. Elle est gravée dans sa chair, dans son âme. Il voudrait ne plus jamais l'entendre, et pourtant elle le poursuit, même maintenant, même alors que Tian est vaincu, réduit à rien. Et il continue d'un ton venimeux

— Regarde-toi... . Tu te tiens là, devant moi, l'épée à la main, à trembler comme un enfant perdu. Et tu penses vraiment être libre?

Il ricane, un rire amer de nouveau, cruel, qui résonne comme un coup de fouet.

— Tu es à moi, Jisung. Tu l'as toujours été.

L'oméga frissonne, son souffle s'accélère, sa poigne se resserre sur la garde de son épée. Tian incline légèrement la tête vers Minho, un sourire malsain déformant ses lèvres.

— Tu crois que lui, là, pourra réparer ce que j'ai détruit? Tu crois qu'il t'aimera encore quand il réalisera que je t'ai laissé des marques qu'il ne pourra jamais effacer?

L'oméga vacille. Il gronde, la voix tremblante. Pourquoi se laisse-t-il atteindre par ces paroles? Il le sait pourtant qu'il ne devrait pas, il le sait, il l'a suffisamment appris.

— Ferme-la...

Mais Tian n'en a pas fini. Il se redresse autant que ses liens le lui permettent, sa posture aussi arrogante que si la victoire lui appartenait encore. Il penche légèrement la tête, son regard s'assombrit.

— Tu m'as haï, n'est-ce pas? Chaque nuit, chaque instant... Mais moi, je n'ai pas été si malheureux que ça. Pas avec toi sous moi...

Le silence s'abat.

Lourd.

Étouffant.

Puis, soudain, tout explose.

Un cri de rage, un coup d'épée. Jisung fond sur Tian, son cœur en tempête, la fureur le dévorant tout entier. Minho réagit au quart de tour. Il se précipite, son bras blessé oubliant la douleur, et sa main valide attrape celle de l'oméga juste avant que la lame ne puisse frapper.

— Non!

Le noiraud lutte, il se débat comme un forcené, chaque muscle tendu dans un effort désespéré pour briser cette étreinte. Ses yeux sont fous de rage, brûlant d'une haine qui consume tout sur son passage.Il hurle, sa voix brisée, écorchée vive.

— Lâche-moi! LÂCHE-MOI!

Mais Minho ne cède pas. Il serre, il retient, et dans son regard, il n'y a pas de colère, juste une infinie douleur.

— Tu ne veux pas faire ça, Jisung...

— Si! Je veux le voir CREVER! Je veux...!

Sa voix se brise, son souffle se bloque dans sa gorge. Tout tourne. Tout implose. Il sent ses jambes céder, il s'effondre presque, mais le châtain le rattrape, le maintenant contre lui. Jisung murmure, la rage laissant place à quelque chose d'encore plus terrible, plus douloureux, une tristesse insondable qui le noie.

— Il m'a tout pris... Il m'a pris ma vie, ma dignité... Il a pris mon enfant, Minho...

Ce dernier sent son cœur éclater dans sa poitrine. Il ferme les yeux une fraction de seconde, essayant de contenir le frisson d'horreur qui le traverse.

— Il n'aurait jamais dû exister... Jamais...

Le noiraud sanglote contre lui, la voix brisée. Minho le serre plus fort, caressant doucement ses cheveux en bataille, sentant les tremblements parcourir ce corps si meurtri. La voix tremblante d'émotions, l'alpha souffle des mots réconfortants au creux du cou de son oméga. Il n'est pas seul, Jisung ne sera plus jamais livré à lui-même.

— Je sais... Je sais, mon amour...

Derrière eux, Tian rit. Un rire rauque, moqueur, triomphant malgré sa position d'homme à terre.

— Regarde-toi, Jisung... Un vrai spectacle... Un petit oiseau brisé qui pleure dans les bras de son chevalier servant...

Minho relève lentement la tête, et cette fois, son regard est sombre, menaçant, dénué de toute pitié.

— Faites-le taire...

Tian n'a pas le temps d'ajouter un mot avant qu'un poing ne s'écrase contre sa mâchoire, le réduisant enfin au silence. L'alpha vacille sous le coup, du sang perlant sur sa lèvre fendue. Il grince des dents, mais même à genoux, même entravé, il refuse de plier. Son regard se fait plus froid, plus incisif, et il sourit malgré tout, ce sourire plein de morgue et de défi qui a toujours eu le don d'attiser la haine.

Jisung, lui, tremble toujours. Son souffle est court, son corps tendu, sa main crispée sur le tissu des vêtements de Minho. Tout est allé trop vite, trop fort, trop loin. Son cœur cogne, sa poitrine se soulève dans un effort désespéré pour reprendre son souffle.

Il a mal. Tellement mal.

Il lève des yeux brillants vers Tian, et malgré sa souffrance, malgré la fatigue, il se relève lentement, repoussant la main que l'alpha a posée sur son bras pour le retenir. Il avance d'un pas, puis deux, jusqu'à ce que ses pieds touchent presque ceux de son bourreau.

— Regarde-moi.

Sa voix est basse, tremblante mais ferme. Tian lève lentement les yeux vers lui, et Jisung ne sait pas ce qu'il espérait voir dans ce regard. Du regret ? De la peur ? Rien de tout cela n'est là. Juste cette arrogance insupportable, cette indifférence cruelle qui lui donne envie de hurler.

— Tu crois que tu as gagné ? ricane Tian, le sang sur sa langue l'empêchant de bien articuler.

Jisung serre les poings. Il le hait. Il le hait à en crever.

— J'ai peut-être perdu... mais toi aussi.

Tian penche la tête, amusé malgré tout. Tout en parlant, il rit doucement.

— Ah oui ? Parce que je suis à terre ? Parce que je vais mourir ? Ce n'est pas une perte, Jisung. C'est une libération. Tu crois que j'avais envie de ça ? De toi ? De ce mariage ridicule qui m'a enfermé ?

Le noiraud tremble.

— Tu mens...

— Oh, vraiment ?

Le conseiller se redresse un peu, aussi droit qu'il le peut malgré les liens qui lui entravent les poignets.

— Je voulais une autre femme. Une femme qui aurait su être à sa place auprès de moi, qui aurait su comprendre, accepter... À qui j'aurais donné un vrai héritier. Pas un enfant conçu dans la contrainte... et mort dans le néant. Une femme que j'aimais vraiment et que j'ai dû abandonner pour toi.

Le noiraud s'étouffe presque. Un grondement furieux monte en lui, incontrôlable. Il lève le bras, prêt à frapper, mais une main ferme retient la sienne.

Minho.

Il secoue la tête.

— Ne fais pas ça. Il ne mérite pas une seule seconde de plus de ton énergie.

L'oméga vacille, son regard s'accrochant à celui de son amant.

Minho a raison. Il le sait. Mais comment... comment pourrait-il juste... tourner la page ?

— Il mérite de souffrir...

— Il souffre déjà.

Jisung rouvre lentement les yeux, et il le voit enfin.

Tian n'est qu'une ombre d'homme. Plus de pouvoir, plus d'armée, plus de statut. Rien. Seulement un homme à genoux, attendant son destin.

Ce dernier arrive alors sous forme d'un coup de feu qui résonne aux oreilles des présents. L'oméga sursaute, Minho le fait se pencher en même temps que lui lorsque le coup retentit. Lorsqu'ils se redressent, ils se figent. Le regard vide, Tian tangue alors qu'une tâche carmine s'étale sur le tissu qui recouvre sa poitrine. Son corps désormais vide d'âme tombe face contre terre sans qu'il ait pu ajouter un dernier mot.

Jisung ne réalise pas immédiatement. Il relève le nez pour chercher le responsable, l'homme, un mutin, semble satisfait de lui, les salue d'un geste et repart déjà à la recherche d'autres conseillers à abattre. Le noiraud secoue la tête et se précipite sur le corps de Tian, inerte.

— Non... Non... Non non non.... NON!

On le lui a pris. On lui a pris sa vengeance, on lui a pris ce pour quoi il se battait depuis des années, on lui a volé ce qu'il a imaginé durant tant de temps... Il le retourne et le secoue, l'agite et tente de le réveiller comme s'il ne faisait que dormir.

— Debout ! Réveille toi ! C'était... C'était censé être moi... Pas comme ça... Non... Il devait souffrir! Il devait payer!

Tout est volé. La colère qui l'avait porté jusqu'ici, cette rage qu'il a alimentée avec chaque souvenir de souffrance, est devenue un cri silencieux dans sa poitrine.

Minho, conscient de la tempête émotionnelle qui se déchaîne en Jisung, tente de le rejoindre, de lui faire comprendre que ce n'est pas la façon dont cela devait se terminer. Mais les mots s'évanouissent sur ses lèvres. Le noiraud l'ignore, sa vision se brouillant alors qu'il se relève et tourne le dos au corps sans vie de Tian, les doigts enserrant ses propres cheveux.

— Jisung...

L'alpha porte une main délicate à la joue de son lié. Le regard de ce dernier, voilé de larmes contenues se plante dans celui brillant de Minho.

— C'est fini... C'est terminé.

Il n'a pas l'air de comprendre. Ses yeux vairons se déportent sur les lèvres du châtain, qui répète en se rapprochant, en saisissant et en offrant une étreinte au noiraud.

— Tu es libre, Jisung. Libre. Et tu as les mains propres. Tu n'as tué personne. Tu es... C'est fini.

— Fini... C'est... C'est fini.

Jisung affiche un sourire nerveux, qui s'éteint aussitôt qu'il point. Il est perdu. Les mots de Minho résonnent dans l'esprit de l'oméga comme un écho lointain, leur signification se dérobant devant la marée de confusion qui l'emporte. Libéré ? Qu'est-ce que cela signifie vraiment alors que tout ce qu'il a désiré, tout ce qu'il a espéré, a été arraché de ses mains ? La douleur s'enroule autour de lui, l'étouffant peu à peu.

Il se tourne vers Minho, cherchant des réponses dans ses yeux, mais il ne trouve que de la compassion, une compréhension qui le déstabilise encore plus. Le noiraud se sent comme un naufragé perdu en mer, sans boussole, sans terre en vue. Il a passé tant de temps à se concentrer sur la vengeance qu'il a oublié comment vivre autrement. Son murmure tourne dans sa bouche, entre ses lèvres, comme pour goûter le mot, mais le goût est amer.

— Libéré... Mais à quel prix ?

Minho, inquiet, le serre un peu plus dans ses bras, le réconfortant par cette étreinte silencieuse. Les larmes commencent à couler sur les joues de l'oméga, mélancoliques et douloureuses. L'alpha murmure, sa voix douce comme un baume sur une plaie ouverte.

— Tu n'as pas besoin de ce poids, Jisung, Regarde ce qu'il a fait de toi, regarde ce qu'il t'a volé. Tu as le droit d'être libre de cette douleur.

Mais les souvenirs affluent : les nuits sans sommeil, la colère qui le consumait, les rêves de vengeance qui s'évanouissent comme des mirages. Est-ce qu'il peut vraiment être libre? Comment vivre dans un monde où la douleur est une part intégrante de son existence? Jisung secoue la tête, cherchant à repousser ces pensées.

— Il devait payer... Je ne peux pas simplement laisser ça derrière moi...

— Tu n'as pas à porter ce fardeau, Jisung. Ce n'est pas ta faute. Tu es là, tu es vivant, et tu as encore l'avenir devant toi. Je suis là, et je ne te laisserai pas tomber.

Les mots de Minho sont fermes, mais doux, à la fois apaisants et déterminés, frappent le noiraud comme une bouffée d'air frais après une longue suffocation. Peut-être, juste peut-être, il peut commencer à envisager la possibilité d'un nouveau départ. Mais alors qu'il regarde Tian, maintenant étendu au sol, il se rend compte que la route vers la guérison sera longue et difficile. Il souffle, la douleur de la perte et de la trahison se mêlant à un désir de renouveau.

— C'est si dur... Je ne sais pas comment avancer sans lui...

L'alpha, dégageant une tendresse infinie, replace une mèche de cheveux derrière l'oreille de Jisung. C'est avec une détermination tranquille qu'il répond à son amoureux.

— Un pas à la fois. Je serai à tes côtés. Ensemble, nous pouvons surmonter ça. Tu es plus fort que tu ne le crois. Je serai là... Juste là. Je ne t'abandonnerai jamais.

Le noiraud cligne des yeux, et pour la première fois, une lueur d'espoir perce à travers la brume de désespoir. Peut-être qu'il n'est pas trop tard pour se reconstruire. Peut-être qu'il peut encore trouver la paix, même si cela signifie se libérer de la haine qui l'a si longtemps consumée.

— Minho !

L'alpha se tourne vivement vers la voix qui l'interpelle. Hyunjin accourt dans leur direction, les vêtements en lambeaux, maculés de suie et de sang séché. Son souffle est court, son visage couvert de traces de suie et de terre. Yongbok le suit de près, trébuchant presque dans sa précipitation.

À peine arrivé, ce dernier se jette sur Jisung, l'inspectant fébrilement de la tête aux pieds, ses mains sales tremblant sous l'urgence.

— Ça va ? Tu n'as rien ?

Jisung cligne des yeux, comme s'il sortait d'une torpeur. Il hoche la tête.

— Non, ça va. Et toi ?

— Presque rien... Ça va.

Mais déjà, le regard de Yongbok se détourne, et il se fige. Son souffle se coupe en apercevant Minho.

Le noiraud suit son regard et, soudain, réalise. La tunique de son alpha est poisseuse de sang, déchirée au niveau de l'épaule. Un instant, son cœur se serre. Comment ne s'en est-il pas rendu compte plus tôt ? Son propre esprit embué par la rage et le chaos, obnubilé par sa soif de vengeance ? Une main tremblante se tend vers Minho, alors que son visage pâlit.

— Ton épaule...

Mais avant qu'il ne puisse dire quoi que ce soit de plus, le conseiller les attrape par le bras et les entraîne d'un mouvement brusque.

— On doit partir. Maintenant.

L'urgence dans sa voix les cloue sur place. Ses pupilles sombres vacillent vers l'horizon en feu, où des silhouettes s'agitent dans les volutes de fumée.

— Les troupes chinoises arrivent pour reprendre le palais.

Un frisson leur traverse l'échine.

— Les insurgés vont payer cher leur révolte.

Lui et ses érudits de même. Combien vont réussir à fuir ? Combien seront massacrés sous prétexte de traîtrise ?

La fumée s'épaissit, l'air devient irrespirable. Il faut courir.

Lorsqu'ils atteignent enfin la cour du palais, Jisung s'arrête net, frappé par le spectacle macabre qui s'étend devant eux. Des corps jonchent le sol, des silhouettes inertes baignant dans le sang, le regard figé vers un ciel chargé de fumée. Combien sont tombés ici ? Combien de vies fauchées en un instant ?

Un détail accroche son regard. Une présence familière au milieu du chaos. Son cœur rate un battement.

D'un geste instinctif, il se défait de l'emprise de Hyunjin et avance, hésitant, comme s'il doutait de ce qu'il vient d'apercevoir.

Les trois autres stoppent leur course, interloqués. Hyunjin implore alors, jetant des regards nerveux vers la sortie toute proche.

— Jisung, on n'a plus le temps, si les soldats nous attrapent...

Minho serre les dents. La voie est dégagée, l'évasion à portée de main, et pourtant ils sont cloués sur place, suspendus à l'instant. Il déglutit, conscient du danger qui les guette, mais incapable de forcer Jisung à avancer. Alors, sans un mot, il s'éloigne à son tour et le suit. Et lorsqu'il comprend enfin ce qu'a vu le noiraud, un frisson glacé lui traverse l'échine.

L'oméga, lui, reste immobile, insensible. Son regard glisse sur le corps étendu devant lui sans qu'aucune émotion ne traverse ses traits. Comme si ce visage lui était étranger. Comme si cet homme n'avait jamais été son père.

Il est là, gisant dans la poussière, les yeux grands ouverts vers le ciel en flammes, son corps souillé de sang. Celui qui l'a vendu comme une simple marchandise n'est plus. C'est à peine s'il sent le châtain lui prendre la main pour l'attirer à lui. Son regard peine à se détacher de cette famille désormais perdue. Hyunjin, lui, commence à rebrousser chemin lorsqu'il voit les troupes chinoises venir en direction du palais. La cour va bientôt être envahie et s'ils restent là c'est la mort assurée.

— Minho... Seo... Faut y aller maintenant...

— On doit y aller. Je ne veux pas te perdre maintenant.

Le noiraud hoche la tête avant de se laisser entraîner, le pas hésitant. Autour d'eux, le tumulte de la bataille s'apaise pour laisser place à une menace plus redoutable encore. Le petit groupe mené par le conseiller avance à l'aveugle, ayant repris les dédales de couloirs, peinant à trouver une issue sûre, tandis que les quatre mille cinq cents soldats envoyés pour rétablir l'ordre envahissent le palais, prêts à écraser les derniers insurgés.

Des cris résonnent au loin. Le fracas des lames, les ordres aboyés en chinois, les supplications étouffées par le chaos.

Hyunjin les mène à travers les couloirs en ruines, évitant les patrouilles qui quadrillent déjà la cour. L'air est épais de cendres et de poussière, rendant chaque respiration plus douloureuse. Minho serre les dents, sa main plaquée sur son épaule blessée, mais il garde le rythme, refusant d'être un fardeau, malgré ses jambes qui commencent à se dérober sous lui.

Soudain, au détour d'un couloir, des voix retentissent. Trop tard.

Une patrouille de soldats chinois surgit à l'angle, leurs armures ternies par la suie. L'espace d'un instant, le silence s'étire, chacun évaluant la menace devant lui. Puis, tout explose en mouvement.

Hyunjin, rapide comme l'éclair, dégaine sa lame et frappe le premier, sa lame trouvant la gorge d'un ennemi avant qu'il ne puisse réagir. Yongbok, armé d'un poignard récupéré sur un cadavre, se jette sur un second, esquivant de justesse un coup d'épée qui manque de lui fendre le crâne.

Minho, malgré la douleur lancinante dans son épaule, intercepte une attaque avec son sabre, ses muscles tremblant sous l'effort. L'impact lui arrache un grognement, mais il tient bon, pivotant sur lui-même pour dévier le coup suivant.

Jisung, lui, bouge sans réfléchir. Son corps réagit avant son esprit. D'un geste fluide, il s'élance sans hésitation et vient ficher l'épée qu'il n'a pas lâché dans le flanc de son adversaire. Le sang jaillit, chaud contre ses doigts. Il n'a pas le temps d'y penser.

Le combat est bref, brutal. Les soldats s'effondrent un à un, mais déjà, d'autres bruits de pas approchent. Yongbok souffle, essuyant son visage maculé de sang et de suie, étalant cette dernière sur son nez constellé de tâches de rousseur.

— On ne peut pas continuer comme ça, ils sont trop nombreux !

Le conseiller scrute les environs, cherchant désespérément une échappatoire. Son regard s'arrête sur une galerie surélevée, reliant deux ailes du palais. Un souvenir lui revient : elle mène à une porte de service, donnant sur les jardins arrière.

— Par là !

Sans attendre, ils s'élancent. Le châtain peine à suivre, sa respiration hachée par la douleur, mais il ne ralentit pas. Jisung le soutient discrètement, posant une main ferme contre son dos pour l'aider à avancer. Ils atteignent la galerie de bois, mais à l'autre extrémité, deux soldats apparaissent, alertés par les bruits de lutte. L'un bande déjà son arc.

Un sifflement fend l'air.

Jisung n'a pas le temps de réfléchir. Il se jette sur son alpha et le plaque au mur derrière eux. Une flèche passe à rien d'eux, venant se ficher dans un pilier. Hyunjin, d'un geste précis et rapide, se lance en direction de l'archer. Son épée l'atteint directement en pleine poitrine. Le second soldat hésite une fraction de seconde de trop, assez pour que Yongbok bondisse sur lui et lui tranche la gorge sans même une hésitation.

Le chemin est libre.

Le cœur battant, après s'être assurés qu'ils sont tous entiers, ils franchissent la galerie et s'engouffrent dans l'ouverture menant aux jardins arrière. Devant eux, une mer d'ombre et d'herbes hautes, l'odeur du bois brûlé se mêlant à celle de la terre humide et des étangs.

Ils courent. Aussi vite que leurs jambes le leur permettent.

Le palais disparaît peu à peu derrière eux, avalé par les flammes et les cris.

Ils ne s'arrêtent pas. Ils ne peuvent pas s'arrêter.

Ils sont en vie.

Ils sont en vie et prient maintenant pour qu'il en soit de même pour leurs amis.

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