Chapitre 8


Écroulé dans ses bras croisés sur la table, Jisung, à travers les mèches sombres qui lui tombent devant les yeux, observe son précepteur avec circonspection. Dire qu'il lui parle chinois serait plutôt juste étant donné que c'est bien le cas, mais il n'y comprend absolument rien. Et tout borné qu'il est, il ne compte pas y mettre du sien, pas même un peu. Son regard quitte son professeur pour se perdre sur les carreaux de la fenêtre. La liberté a l'air si proche, mais elle est pourtant si loin ! Il aimerait ne pas être né ici, pas de ce Père sans cœur, sauf pour son argent..

Qu'il s'ennuie ! Minho n'est pas disponible et aller jusque chez Binnie et Channie est proscrit, c'est trop loin. Par les temps qui courent, s'il peut rester le plus longtemps non loin de chez lui, c'est mieux s'il souhaite éviter toute nouvelle correction, celle de la veille ayant été particulièrement douloureuse et marquante. C'est peut-être une petite tête brûlée, mais il y a des limites au masochisme tout de même. Il lui tarde être dans quinze jours ! Son paternel parti, il aura tout loisir de vivre comme bon lui semble. A l'idée, le jeune sourit, avant qu'une vive douleur lui vrille le sommet de la tête.

- AÏEUH !

Frottant son crâne, Jisung lance un regard absolument offusqué à son précepteur qui le tance pour ne pas être concentré.

- Mais je n'ai pas envie de savoir parler chinois, ça ne m'intéresse pas, et je ne compte pas me marier comme ça. Les chinois nous envahissent, je ne vais pas trahir notre pays pour être en sûreté ou je sais pas quoi, j'ai pas envie... Puis je veux me marier avec qui je voudrai, pas je sais pas qui... Vous croyez aux âmes sœurs vous ?

- Les âmes sœurs ? C'est une simple fable, restez lucide jeune homme.

- Un ami m'en a parlé, sa famille y croit, alors pourquoi ça n'existerait pas ?

- Quand bien même ça existerait, il y aurait une chance infime pour que vous la croisiez dans votre vie.

- Ca reste une chance malgré tout...

- Quasi nulle...

- Mais pas entièrement nulle donc.

Le professeur soupire en roulant les yeux en direction du plafond avant de fermer les yeux et de se pincer l'arrête du nez dans une vaine tentative de calmer un peu ses nerfs qui commencent à chauffer doucement. Ce jeune va le rendre fou, à n'en pas douter. Le bruit d'une chaise glissant lourdement sur le parquet lui fait rouvrir les paupières et le jeune a disparu.

- Monsieur Ha...

Trop tard, il voit la silhouette svelte du jeune homme s'effacer en boitillant dans l'encadrement de la porte. Ce petit con lui aura tout fait. Et vu les marques qu'il a vu ce jour, il va s'abstenir, pour une fois, de prévenir son employeur, ce serait dommage de ne pas pouvoir faire cours dans les jours à venir tout de même...

Ce qui ne manque pas arriver. Oh non parce que Jisung ne s'est pas retrouvé en capacité d'y assister, mais bien parce qu'il a décidé de se cacher dès que l'occasion s'en présentait. Lorsque Minho a vu ses ruts se finir, il est venu à la demeure pour retrouver son ami, et ils ont recommencé à faire les quatre cents coups ensemble, ravis de se retrouver tous les quatre. S'ils ont vu les marques qui se dessinent sur la peau couleur de miel du plus jeune, personne n'a souhaité faire de remarques, se doutant bien de ce qu'il se passe. Inutile de remuer le couteau dans la plaie, et de ravir le sourire éclatant de leur rayon de soleil. Sourire sincère qui plus est, parce que malgré son Père, Jisung est du genre à voir la vie du bon côté et à s'émerveiller de tout ce qui peut passer devant son regard.

- J'vous jure, ces grottes sont énormes !

- Non vraiment j'veux pas y aller...

- Quoi Ji' ? T'as peur ?

- Binnie, je... Oui ! Ça doit être tout noir, tout serré et... Non vraiment... J'aime bien voir le ciel... C'est bien le ciel... Et y a de l'air quoi...

- Elles sont pas loin, t'es sûr ? Y a de l'air dedans aussi hein...

- Binnie, on ira une autre fois, t'en fais pas, on peut aller se baigner au lac à la place, avant que l'automne arrive pour de bon.

- Min', fait déjà frisquet quand même hein...

- Petite nature !

Chan observe les trois compères avec un large sourire tendre. Dans peu de temps il va devoir les quitter pour un certain temps alors il en profite. Oh ce ne sera pas bien dangereux étant donné que ce n'est qu'au cas où, alors il ne s'en fait pas. Ce qui l'ennuie c'est la distance qu'il y aura entre eux et l'ennui qu'il craint devoir subir. Voir Binnie agiter sa main devant lui et se boucher le nez avec l'autre lorsqu'il sent les phéromones nouvellement déclarées de Jisung qui se sont emballées à cause de la crainte, et ce dernier absolument offusqué à ces gestes de dégoûts exagérés le fait rire. Au moins ça ne semble pas écœurer Minho qui sourit lui aussi. D'un coup il claque ses mains entre elles,

- Allons au lac, au pire on ne s'y baigne pas, on fera les limaces là bas et c'est tout, on sera tranquilles.

Ce disant, les garçons se mettent en route et se chamaillent tout au long du chemin, se perdant en éclats de rire plus bruyants les uns que les autres. Arrivés au lac, Chan, le frileux, se dévoue pour tester la température de l'eau et à son violent frisson, chacun renonce à tenter de plonger, préférant se poser tranquillement sur la berge. Petit à petit les rires, les voix s'éteignent et les jeunes hommes contemplent la vue en silence. Jisung a trouvé refuge contre Minho, le dos au creux de son buste, les bras de son aîné enroulés autour de lui et le menton de ce dernier posé sur son épaule. Parfois il sent Minho humer le parfum qui émane de cette glande qu'ils ont tous dans la nuque et cela fait sourire le plus jeune, qui se trouve parfaitement bien là où il est.

- J'aime beaucoup ton odeur.

Les mots susurrés à son oreilles sont un ravissement pour Jisung, qui malgré lui, rougit en souriant largement et réprime un frisson qui ne demande qu'à remonter au long de son échine, avant de prendre une mine navrée en se tournant un peu vers son ami dans son dos.

- Pas très Alpha comme parfum hein ?

- Ca ne veut rien dire. Peut-être que ça va s'affirmer au moment où tu auras tes périodes.

- Hmm. Peut-être.

Jisung se tourne ensuite dans la direction que Minho lui indique discrètement du doigt. Binnie et Channie... Ils ont l'air de s'intéresser à quelque chose de précis que le plus âgé cache dans sa main.

- C'est quoi ? S'enquit le plus jeune.

Chan lève le museau et sourit alors en se rapprochant des deux collés l'un à l'autre.

- Le portrait de ma future femme ! Elle est magnifique, j'ai vraiment de la chance !

- Mais tu la connais même pas, comment tu peux savoir qu'elle sera bien ?

- Oh je sais pas, mais c'est pas le plus important de toutes façons.

- Barf, si tu le dis.

- Je vous la présenterai de toutes façons !

- Y a intérêt !

Minho sourit à tout ça, et se décalant légèrement observe son cadet, blottit dans son giron. Il lui paraît bien calme. Un sourcil se hausse en le trouvant quelque peu pâlot, et le plus veux porte une main fraîche au front qu'il trouve bien trop chaud.

- Ca va Jisung ?

- Hmm, je crois que je suis un peu fatigué.

- Et tu as l'air d'avoir de la fièvre, on devrait rentrer.

- Oui je pense...

Le poussant doucement afin d'amorcer le mouvement, Minho se met debout à sa suite et fait signe à Chan et Changbin. Ils se reverront au lendemain. Ces derniers les saluent en retour, et s'ils se posaient des questions quant au départ soudain de leurs deux amis, voir le plus jeune ayant l'air mal en point eu tôt fait de répondre à leurs interrogations.

Jisung se laisse guider, accroché au bras de son aîné qui le ramène chez lui. Il n'y a pas vraiment à se tromper sur ce qui arrive au noiraud, son parfum qui se déclare quelques jours avant, et qui embaume tout autour d'eux sans qu'il ait l'air de le contrôler, voire même de s'en rendre compte. En tous cas, lui le sait, et cela commence à devenir compliqué de prendre sur lui. Il doit lui expliquer cela dit, sait-on jamais.

- Jisung, tu vas te présenter.

- Hein ? Quoi ? Maintenant ? Mais... ?

- Jisung, tu ne seras pas Alpha... Je. Hmm. Je vais te conduire au plus près mais après je devrai partir, quand tu iras mieux, tu viendras me chercher. Surtout, bois beaucoup, et n'oublie pas de te nourrir. Tu vas être fatigué, ce sera normal. D'accord ?

-Pas A.. Non, non ! C'est pas possible ça !

Il n'écoute pas vraiment les conseils que lui prodigue son ami, bien trop soufflé et décontenancé par le fait qu'il ne serait pas du « bon » second sexe, non non, il doit être Alpha, pas Omega, c'est impensable !

- Je... Non, Père va me vendre si je... Non non, je dois avoir des ruts comme toi, comme Chan, pas...

Oh comme il aimerait se pelotonner et s'emmitouffler dans un milliard de couvertures et ne plus jamais en sorti... Putain ! Un nid, il songe à se planquer au fond d'un nid douillet et l'idée le fait paniquer.

- Je peux pas, je veux pas, Père, il...

- Ne t'en fais pas, il ne fera rien, pour l'instant en tous cas, souviens toi, il est bientôt parti, tu vas être tranquille un moment.

- Oui... Oui c'est vrai...

Jisung a de plus en plus de mal à avancer, la fièvre devient virulente, lui apportant cette désagréable sensation de chaurées et de sueurs froides dont il se passerait bien et une douleur vive le saisit, le pliant en deux quand Minho tente de le redresser pour le presser sur le chemin.

- On y est presque, Jisung, il faut que tu t'enfermes dans ta chambre, d'accord ? Et tu n'ouvres surtout pas au moindre Alpha, pour un Oméga, mettre le nez dehors en période de chaleurs c'est dangereux.

- Mais, et Père ?

- Même à lui tu n'ouvres pas, d'accord ? Même à moi.

- D'a... D'accord. Gnn !

- Ta maison est là, tu dois regagner ta chambre, demande à quelqu'un de t'apporter de quoi te nourrir, surtout n'oublie pas. Et ferme bien. C'est pour ta sécurité. Tu vas vite comprendre.

Qu'il devient compliqué de gérer la situation quand la senteur douce et poudrée du musc blanc vient envahir tout l'espace autour d'eux, ses propres phéromones répondent à l'agitation de Jisung et il doit réellement s'en aller sous peine de ne pas savoir se contrôler davantage.

Le petit brun est dépité, et il sent naître au creux de son ventre une envie irrépressible tout en ne sachant pas vraiment de quoi il s'agit. C'est douloureux, et cette sensation de vide et de manque intense qui le chagrine le font agripper d'autant plus à l'Alpha qui l'aide à rentrer. Tout en lui expliquant quelques notions, en lui prodiguant ses conseils, Minho tente de se défaire de la poigne de Jisung qui enserre son hanbok. Cela devient urgent, tant pour l'un que pour l'autre. Lui ne s'est présenté que récemment, et la chair est faible, il ne sait pas combien de temps il saura se retenir.

- Jisung il faut que tu me lâches, s'il te plaît, je ne veux pas te blesser.

- Oui, oui... Pa... Pardon. Je vais rentrer.

- Tu vas y arriver, ça va aller, je te le promets.

Jisung le lâche doucement, regrettant déjà son contact et se hâte de partir en direction de sa demeure, effectuant les premiers pas en marche arrière. Il n'a nullement envie de rentrer, c'est un crève-cœur de voir son aîné presque s'enfuir loin de lui. Pour un peu il se mettrait à le pourchasser, en suppliant qu'il ne l'abandonne pas, et il se prend à regretter de n'avoir posé aucune des questions qui le tracassait à son précepteur. Fiévreux au possible, il arrive toutefois à regagner ses pénates, non sans tituber et s'accrocher à ce qui passe à sa portée pour l'aider à supporter son propre poids qui se fait pesant. Il passe une main fébrile sur son front, et prend sur lui pour rassembler le courage nécessaire qui lui permettra de grimper à sa chambre dans laquelle il s'enferme prestement.

S'il souffle, ce n'est que pour un instant ridicule, la chaleur l'envahit et il se hâte de ôter les étoffes de lin qui le recouvrent, laissant son corps luisant de sueur à la merci de la fraîcheur de la chambre dont il ouvre la fenêtre. Il s'étoufferait presque avec son propre parfum s'il ne le faisait pas. Mais le besoin de se recroqueviller au milieu d'un nid douillet se fait sentir à nouveau. Il saute alors sur son grand lit, et rassemble édredons, couvertures, draps, coussins, vêtements afin de se confectionner un endroit confortable dans lequel il se roule en boule, ses bras tenant son ventre pour essayer vainement d'échapper aux crampes qui le prennent violemment. Il geint et s'agite, il donnerait n'importe quoi pour ne plus sentir ce vide si cruel, être comblé de toutes les manières imaginables, sans pour autant vraiment se résigner à l'idée de ce que cela peut signifier.

Pourquoi est-il né Oméga ? Pourquoi n'a-t-il pas pu devenir fier Alpha comme on le lui a promis toute sa vie ? Le voilà destiné à être vendu comme une vulgaire marchandise à une famille étrangère dont il n'entend rien à la langue, pour satisfaire le désir de protection de son géniteur... Et sûrement un arrangement prolifique pour lui également, sans quoi il ne serait que bon à rien.

***

La première vague semble être derrière lui.

Jisung se sent mieux, et baigne à présent dans le bain qu'il a demandé aux domestiques de la demeure, qui vont également lui changement sa literie qu'il a involontairement souillé. Quelle misère... Il a les joues écarlate de gêne. S'il avait été Alpha, pour sûr ça ne se passerait pas de la sorte et il serait fier, non misérable à l'idée que l'on s'occupe de sa chambre ainsi.

Il a les mains qui cache son visage quand du bruit se fait entendre, et il relève le museau pour voir son Père sur le pas de la porte. Est-ce douloureux de se noyer ? Parce qu'à l'instant, il l'envisage plus que de raison. Noyé dans son bain, ce n'est pas une mort si terrible que ça, si ? Il se recroqueville sur lui même alors que son paternel approche. Être dans l'eau lui permet au moins de faire oublier cette odeur si poudrée qui prend au nez et qui donne envie d'éternuer lorsqu'elle est trop forte.

- Ainsi tu es Oméga...

Son Père a l'air mitigé. Jisung ne sait s'il est déçu ou au contraire ravi. Cela dit il n'a jamais trop été sûr de la lecture qu'il doit faire sur les émotions de cet Alpha à la senteur tabac. Cette odeur qu'il exècre de plus en plus à mesure que passe le temps.

- Soit.

Le jeune homme observe son géniteur, ne sachant quoi répondre ou quoi faire, la tête enfoncée entre ses épaules relevées. Il s'interroge en le voyant effectuer un geste en direction du valet dans son dos, et le noiraud redresse un peu la tête, curieux. Il voit le domestique tendre un cercle à son Père et hausse un sourcil quand ce dernier s'approche de lui.

- Un collier. Personne ne pourra te marquer. Je donnerai le code à celui que tu épouseras.

- Quoi ?!

Pour le coup, surpris et apeuré, Jisung se redresse pour de bon et essaye de s'échapper du baquet de cuivre dans lequel il baigne, mais son Père est plus rapide et a une voix contre laquelle le jeune ne peut lutter. Il se recroqueville de nouveau dans l'eau et ne bouge plus pendant que l'Alpha lui passe le collier de métal autour du cou. Un cadenas chinois, à code, vient fermer le tout et Jisung se sent soudain humilié. Non content de lui laisser de multiples zébrures partout, et des muscles endoloris, tannés par les coups de canne, le voilà qui lui fait comprendre qu'il ne vaut pas mieux qu'un chien pour qui l'on doit décider de tout... Le jeune homme passe ses doigts tremblants sur le métal froid qui lui enserre maintenant le cou, protégeant cette glande qui pourrait être marquée par qui bon lui semble, et serre le cadenas avant de le tirer.

- Au moins je suis maintenant sûr que tu n'iras pas voir je ne sais qui et que personne ne tentera de te détourner du chemin tracé pour toi.

Le nez bas, Jisung hoche doucement la tête alors que son père s'en retourne, le laissant seul avec lui même, et son reflet dans l'eau agitée de la baignoire. Il n'est qu'une misérable marchandise aux yeux de celui à qui il doit la vie... Une marchandise qui sera vendue au plus offrant, à ne pas en douter. A moins qu'il ne finisse en compagnie des Oméga qu'ils ont vu dans la forêt il y a quelques semaines...

La chaleur commence à revenir dans son corps, il la sent qui commence à lui envahir le ventre, et cette sensation de vide atroce qui lui fait serrer la gorge. Ravalant ses larmes, Jisung se lève et se sèche avant de retourner dans la sécurité de son nid. En ça, c'est peut-être pas si mal d'être Oméga... Au moins s'il se roule en boule au milieu de ce tas de couvertures épaisses et confortables, chaleureuses, il se sent en sécurité. Passant une main dans ses cheveux, il ébouriffe sa sombre et épaisse tignasse, dépité de ne rien pouvoir faire pour faire passer ces choses plus rapidement.

Il n'a plus qu'à subir jusqu'à ce que ça passe, malheureusement. Si seulement il pouvait avoir Minho auprès de lui...







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