Chapitre 6
La porte de sa chambre claque vivement dans son dos, et il entend la clef tourner dans la serrure.
Perclus de douleurs, Jisung ne bouge pas, étendu à même le sol, trouvant refuge dans la chaleur du parquet de chêne sous lui. Son corps lui paraît si lourd qu'il craint ne plus pouvoir se mouvoir, alors il reste ainsi pendant un moment, dans le silence rassurant, le regard vide et embué de larmes tourné vers la fenêtre. Le crépuscule semble joli ce soir... Il le devine au travers de ses mèches sombres qui lui tombent devant les yeux.
C'est la première fois qu'il reçoit une telle correction. Est-il allé trop loin ? Il ne demandait pas grand-chose... Une petite voix résonne dans son esprit, lui disant que ce ne sera probablement pas la dernière maintenant que la nourrice est partie et que son Père va chercher à faire de lui un homme malléable. Les yeux vairons du jeune homme se baissent sur le bras qu'il a tendu au devant de lui. Les marques de la canne, rouge vif, vont bientôt tourner au violet. Est-il indemne ? Il n'ose pas bouger de peur de sentir ses os se briser au moindre mouvement. Lentement, il ferme sa main, ses doigts se plient sans douleurs notables. Son bras doit être intact... Alors il tente de plier son coude, et le geste lui arrache une grimace, mais cela semble supportable. Avec effort, Jisung prend sur lui et petit à petit, il finit par se redresser en position assise, non sans grimacer en sentant encore chaque impact de la canne sur sa peau qui tire vivement.
Son corps entier le brûle, chaque muscle atteint par la maudite canne de bois fort le lui fait comprendre en le faisant geindre, mais déterminé, le noiraud réussit à se lever. Il ne peut rester au sol, anéanti. Il doit se montrer fort. Il l'est après tout, même si son corps entier se met à trembler maintenant qu'il est debout. Le contre coup est violent, et Jisung enserre ses épaules, bras croisés sur son torse pour tenter de calmer ce choc qui le prend dans son entièreté. Jamais il n'a ressenti ça auparavant, jamais on ne lui a infligé une telle punition, et il est bien conscient que cela l'a atteint plus qu'il ne l'aurait cru.
Les paupières closes, le jeune homme prend un moment à tenter de calmer tout son être qui crie son mal et sa peur, avant de rouvrir les yeux et de grimacer au mouvement pour aller se laisser tomber dans son lit. Il n'y a que là qu'il puisse aller après tout. Et dans le confort de l'édredon sur lequel il a pris place, Jisung se laisse aller à ses pleurs et à ses sanglots. En seulement quelques heures, il a l'impression que sa vie paisible a viré au cauchemar, qu'il va se réveiller et que tout ne sera que mauvais rêve... L'un des oreillers dans ses bras, il le serre contre lui, fort, en un grand besoin d'être rassuré. Il aimerait que Minho soit là, qu'il le protège et lui susurre des mots réconfortants comme il sait le faire. Il aimerait sentir la chaleur de ses bras l'envelopper et se sentir en sécurité. Il a besoin de son ami.
***
En tailleur sur le lit, le soleil à peine levé, Jisung a le regard rivé sur la porte. Va-t-elle s'ouvrir comme à l'accoutumée s'il vient à abaisser la clanche ? Machinalement il porte une main à sa tignasse mais le geste lui tire une grimace de douleur. Avec appréhension, il dénoue le nœud fermant le hanbok qu'il n'a pas retiré de la veille et se débarrasse de la chemise de fine étoffe qu'il porte au dessous. Torse nu, il contemple avec horreur les traces violacées qui viennent zébrer son épiderme caramel. Ses bras, ses épaules, ses flancs, sûrement son dos... Autant de marques que de violents coups reçus. Malgré lui, il sent des larmes de colère embuer ses yeux, il les chasse d'un mouvement rageur et se lève. La jambe qui se dérobe soudain à la vive douleur qui lui envahit la cuisse lui fait alors comprendre qu'il n'y a pas que son buste qui a souffert. Reprenant son équilibre, il boitille jusqu'à la porte et abaisse le sujet de son interrogation. Mais le lourd panneau de bois ne daigne pas bouger. Il est bel et bien cloîtré dans sa propre chambre. Pour combien de temps ? Il n'a rien avalé depuis la veille au matin, et son ventre commence à le lui faire savoir. Il porte des coups à la porte, espérant se rappeler aux pensées de quelques domestiques passant par là, voire de son père.
- Hé, ouvrez moi !
Mais après un instant, il doit bien se faire une raison, personne ne semble décidé à venir le laisser sortir. Une moue au visage, il rejoint alors son armoire afin de se changer rapidement, et cacher par la même les stigmates de la punition de la veille. C'est lorsqu'il termine de nouer sa ceinture que du bruit se fait entendre et que la porte s'ouvre sur le valet de son paternel.
- Oh merci !
- Jeune maître, attendez, ce n'est pas pour... Votre Père vous attend pour le petit déjeuner.
Jisung regarde le valet, atterré.
- Dites lui que j'ai à faire dehors. Je rentrerai tard.
- Non, vous ne pouvez pas... !
- Bien sûr que oui !
D'ailleurs il n'attend pas, et s'engouffre dans le couloir qui dessert sa chambre, il se hâte malgré sa cuisse blessée, le valet sur les talons.
- Jeune Maître revenez !
- Non !
- Vous ne pouvez pas... !
La porte d'entrée est juste devant lui, Jisung entrevoit alors la liberté et les bras de Minho qui vont le consoler. Mais alors qu'il passe devant la porte de la salle à manger, il percute violemment son Père, sorti de la pièce après avoir entendu les voix dans les marches.
- Ouch !
- Jisung. Ravi de te voir si pressé de venir me rejoindre.
Monsieur Han saisit alors son rejeton par le col, et l'incite plus ou moins vivement à se détourner de son but premier pour aller rejoindre une chaise autour de la tablée. L'homme en fait de même, et ne lâche pas son héritier des yeux. Les deux mains posées sur le pommeau de sa canne en bois sombre, son regard affûté met son fils mal à l'aise et ce dernier baisse les yeux, soudain perdu dans la contemplation de ses mains, qu'il a posé sur ses cuisses.
- Eh bien, la leçon rentre il semblerait. On paraît moins énervé ce jour.
Ça, c'est uniquement une façade. Au fond de lui Jisung est dans un état de nerfs assez indescriptible. Il ne supporte pas l'injustice, et pourtant il la ressent si fort dans ce qui lui arrive...
Il se mord la langue, désireux de ne pas commettre de nouvel impair.
- Père... Je vous présente mes excuses.
Monsieur Han hoche la tête, paraissant satisfait de la tournure des évènements. Toutefois Jisung n'a pas terminé.
- Je n'aurai pas dû vous mettre mal à l'aise devant ces inconnus. J'aurai dû attendre. J'ai été blessé de ne pas pouvoir dire au revoir à Nana... Et... Et je ne veux vraiment pas me marier. Savez vous qu'il existe une légende qui parle d'âmes sœurs ? Et si je trouvais la mienne ? Vous n'avez jamais voulu trouver la votre ?
Si le père ne dit rien sur le coup, il finit par éclater de rire. Un rire franc, mais qui vire rapidement en un ton moqueur et mauvais.
- Oh quelle naïveté ! Crois-tu à tous ces contes de bonne femme que ta nourrice t'a mis dans le crâne ? Crois-tu vraiment que c'est ça la vie ?
- Mais...
- Tu épouseras qui j'aurai trouvé pour toi. Nous avons encore le temps, tu apprendras à être un homme d'ici là. Puis quand tu te présenteras, nous pourrons organiser les noces. Les familles chinoises de ton rang sont assez nombreuses pour que nous trouvions qui saura mater un énergumène dans ton genre.
Jisung se renfrogne rapidement, la tête rentrée dans ses épaules comme s'il voulait se protéger de cet homme à qui il doit la vie. Si seulement il avait pu tâcher le drap la nuit de sa conception, ainsi il ne serait pas là, à l'heure actuelle, à tenter de se battre pour vivre la vie qu'il aimerait choisir par lui même.
- Les chinois enlèvent des Omégas non loin. Ils les mettaient menottés dans une carriole dans la forêt derrière les ruines.
Si sur le coup monsieur Han fronce les sourcils, il élude rapidement.
- Quand bien même ce serait vrai, ce n'est pas notre problème.
- Mais Père, le pays est en danger, et même ici nous ne sommes plus en sûreté !
- Assez ! Ne te mêle pas politique, tu n'y connais rien. Apprend plutôt à parler cette langue, cela ne pourra que te servir dans ta future vie.
Assez, c'est bien le mot. Repoussant l'assiette qu'il n'a nullement touché, Jisung se hâte de se lever et sans jeter un regard de plus à son géniteur, il claudique jusqu'à la porte qu'il ouvre d'un geste coléreux et prend la direction du bois. Il doit voir Minho, il a besoin de lui.
Le chemin dans la forêt lui paraît plus long que de coutume, sans doutes à cause de cette vilaine douleur qui lui irradie dans la cuisse à chaque pas qu'il fait, mais il ne s'arrête pas pour autant, désireux d'atteindre le hanok prestement. Lorsqu'il le voit non loin au sortir du bois, le gamin pousse un profond soupir soulagé et prend maintenant davantage le temps, tout en essayant de masquer son boitement. Pénétrant la cour, il vient jusqu'au shoji de la pièce dédiée à Minho et frappe doucement à l'une des baguettes de bois, tout en coulissant délicatement le panneau.
- Minho ? Tu es là ?
Minho sursaute lorsqu'il comprend que Jisung souhaite entrer le voir. La fièvre l'a pris au courant de la nuit et depuis il a bien compris que ses ruts s'étaient enfin enclenchés. Curieusement, il se sent embarrassé alors que son cadet se trouve à deux pas. Ce n'est pas un état dans lequel il pense judicieux de se voir.
- Jisung ! Oui mais... N'entre pas. S'il te plaît. Ce n'est pas... Reste derrière le panneau si tu veux.
Oui voilà, derrière le panneau il y aura bien moins de risques et moins d'embarras. De ce fait soulagé, Minho se laisse retomber sur son futon, les bras en croix, en proie à une chaleur atroce.
- Ça va Minho ? Tu es bizarre...
Le noiraud s'est donc exécuté, cruellement déçu, lui qui souhaitait voir son ami et se faire bercer avec tendresse afin de se consoler de ses déboires, il semblerait que ce ne soit pas pour ce jour.
En tailleur, le dos appuyé contre l'une des baguettes qui composent le panneau, le plus jeune contemple alors la cour, le puits et les divers arbres qui commencent à perdre doucement leurs feuilles.
- J'ai déclenché mes ruts Jisung. C'est mieux si tu ne me vois pas comme ça.
- Oh... Tu as besoin de quelque chose ?
C'est un ricanement qui répond, et Jisung pique alors un fard monstrueux.
- Ah oui, non, non oublie, tu veux, hm, tu veux de l'eau ? Du soju ?
- Je ne crois pas que du soju soit indiqué.
Levant le regard au ciel, en pleine réflexion, Ji acquiesce alors.
- C'est pas faux.
- Et toi ? Comment tu vas ?
Le fait d'avoir Jisung si proche de lui est une véritable torture, mais un soulagement également. Il aime sa présence, ses discussions, son humour, quand Jisung est auprès de lui, tout va mieux.
- Ça... Va...
- Jisung... Je sais quand tu mens. Même à travers un panneau.
- Nana est partie avant que je sois rentré hier. Et mon Père a rencontré une famille en vue du mariage... Lui qui disait qu'il allait seulement commencer à prospecter... Il faut croire qu'il avait déjà commencé depuis un moment...
La nouvelle enserre la gorge de Minho qui vient passer une main dépitée sur son visage.
- Tu n'as pas essayé de lui parler ?
Un soupir profond lui répond.
- Si... Mais je me suis enfui de la maison pour venir te voir. Il n'en démord pas. J'avais besoin d'un câlin.
- Je ne peux pas te le donner maintenant Jisung...
- Tu es sûr ?
- Malheureusement oui....
Le noiraud relève ses genoux contre son buste et enserre son torse de ses bras afin de se retrouver mieux contentionné et apaiser un peu ses tourments. Minho non loin, c'est comme si c'était lui qui lui offrait une étreinte non ? Doit-il lui parler de ce qui a suivi ses mots hier soir ? Du fait qu'il se retrouve marqué de coups de canne ? Non... Cela ne fera qu'inquiéter son aîné qui ne passera pas ces quelques prochains jours de manière paisible.
- Je veux pas y retourner...
- Reste ici ?
- Mais s'il envoie son valet me chercher... Il sait très bien où je dois être...
Des bruits de pas se font entendre dans la pièce derrière lui, et Jisung entend le panneau coulisser doucement. Minho s'assoit contre le montant de la pièce, passe une main dans ses cheveux trempés de sueur et détaille Jisung qui l'observe en retour.
- On s'en fout. Tu es notre hôte et c'est tout.
L'hésitation marque les traits du jeune, qui souhaite réellement passer son temps ici, à l'abri et libre de tout. Mais est-ce vraiment raisonnable ? Avec la correction prise hier, c'est un coup à ce que ce soit redoublé s'il n'écoute pas et n'en fait qu'à sa tête.
- Je veux pas qu'on nous sépare. Et si je reste ici... On le sera...
La mâchoire de Minho se serre tandis qu'il baisse les yeux. Il sait ce que le paternel de Jisung pense d'eux. Cela n'a jamais été un secret. Et être séparé de son ami, c'est au dessus de ses forces. Il avance alors un bras afin de saisir celui de Jisung, dans un geste qui se veut réconfortant, à défaut d'une étreinte, mais le sursaut qui lui parvient en réponse le fige, tandis qu'il se demande ce qu'il a fait, n'a-t-il pas senti sa force ?
La douleur s'est faite vive, même si le geste de Minho était doux. Un hoquet et un sursaut le libèrent de la main qui lui a à peine touché le bras, et Jisung le remet contre lui en se serrant, la tête cachée dans ses épaules relevées. Il frotte doucement son membre douloureux, comme honteux de faire subir ce rejet à son ami.
- Qu'est-ce que tu as ? Jisung ?
- Rien.
- Arrête, je t'ai à peine touché, je ne vais pas te dévorer.
- On n'en sait rien.
- Tu es sérieux ?
- Tu es en période de ruts, tu es imprévisible.
- C'est moi, Minho. Je sais encore me contrôler.
Ce dernier se saisit vivement du poignet de Jisung et attire son bras à lui, faisant basculer le gamin du même coup, mais la manche qui se relève lui laisse loisir de voir les marques qui strient le membre du noiraud.
- C'est lui qui t'a fait ça ?
- Lâche moi !
Jisung arrache son bras de la poigne de son ami, et un peu péniblement, se relève, non sans boitiller à l'appui sur sa jambe abîmée.
- C'est rien du tout. J'aurai pas dû lui faire honte devant ses invités c'est tout.
Minho fronce les sourcils, plein d'incompréhension, et la vision colérique de son ami arrache une plainte au petit noiraud qui commence alors à reculer.
- Je te laisse. Viens me chercher quand tu seras libéré de tes ruts... ? On ira faire de nouvelles bêtises. Il y a de quoi faire. Et tu pourras me faire un câlin à ce moment là. Ça va aller tu sais.
Dubitatif, Minho se contente de hocher la tête, peu désireux de se disputer avec Jisung. Toutefois l'air avec lequel il le regarde lui signifie bien qu'il ne pardonnera pas le mal qui lui sera fait.
- Prend soin de toi, fais attention s'il te plait Ji...
- Oui. Toujours, tu sais bien.
- Toujours... Je viens d'ici trois jours. Tiens toi à l'abri d'ici là. Pas d'imprudence. Je t'en prie.
- Fais moi confiance. Je sais ce que je dois faire.
Même s'il n'en mène pas large, Jisung est vraiment désireux de montrer que son ami peut lui faire confiance et que ce n'est pas grand-chose, ce qui lui arrive. Il ponctue ses quelques mots d'un clin d'œil et d'un sourire confiant, puis à contre-cœur, et soupirant profondément, il reprend le chemin jusqu'à chez lui.
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