Chapitre 29
Le cœur battant, Jisung laisse passer les invités après avoir ouvert le chemin, puis la porte de la petite pièce. Toute l'attitude revêche qu'il avait adoptée en allant les trouver dans l'entrée s'est envolée, et à présent, il n'en mène pas large. Cet endroit lui rappelle de trop vilains souvenirs. Il n'ose pas regarder à l'intérieur, et suivre les deux hommes lui demande de puiser dans des ressources insoupçonnées. Il ferme la porte derrière lui, non sans chercher à vérifier qu'ils ne sont pas suivis ou espionnés. La voie semble libre.
Le regard fixé sur le tapis épais dont il connaît la texture – qu'il ressent encore sur sa joue –, il peine à lever les yeux. Tendu, il s'y force toutefois, et ses prunelles glissent de Hyunjin à Yongbok, qui lui sourit chaleureusement en venant le serrer contre lui. Le parfum de son ami lui fait presque tourner la tête. Cela lui paraît une éternité depuis la dernière fois qu'il a reçu une étreinte aussi sincère. Toutefois, au lieu de se détendre, Jisung sent tous ses muscles se contracter. Il a oublié comment faire confiance. Il a oublié ce qu'est le toucher, la tendresse.
— Jisung, je suis tellement content de te voir !
— Yongbok, s'il te plaît...
Hyunjin lui fait un signe en direction de la porte, et après un nouveau large sourire, l'ancien captif se hâte de sortir, sous le regard médusé de Jisung, qui ne comprend pas et qui ne souhaite pas du tout se retrouver en tête à tête avec un alpha dans cette pièce.
— Mais...
— Ne t'en fais pas... Jisung ?
Ce dernier se tourne vers l'alpha inconnu, les sourcils froncés et sur ses gardes. Il recule d'un pas, se trouvant soudain trop proche. Bien trop proche. L'homme affiche un sourire, tentant de le rassurer, les deux mains levées devant lui comme pour lui prouver qu'il ne lui veut aucun mal.
— Qui êtes-vous ?
— Un ami de Minho.
À ces mots, le cœur de l'oméga s'emballe et il sent ses yeux se remplir de larmes. Un ami de Minho. C'est un ami de Minho. Pourquoi mentirait-il ? Après tout ce temps, ils viennent enfin le sortir de là ? Soudain, le soulagement l'envahit au point qu'il vacille presque, ses épaules s'affaissent l'espace d'une seconde, mais le poids invisible revient presque aussitôt. Lourd, oppressant. Ses larmes viennent mouiller ses joues, et c'est avec une main tremblante qu'il les chasse. Ses doutes prennent le pas sur son désir d'évasion. Et s'ils étaient retrouvés ? Il n'a pas oublié les affiches avec la tête de Minho dessinée dessus. Et Tian... Qu'est-ce qu'il ferait s'il venait à se sauver ?
— Vous venez... me chercher... ? Vous... venez me sortir de là ?
La voix tremblante de l'oméga fait grimacer l'alpha, qui passe une main dépitée sur son visage. Pourtant, il s'était attendu à cette réaction somme toute normale. Mais y songer n'est pas aussi cruel que d'y assister. Il doit se hâter pourtant, alors il se rapproche de Jisung, et ses mains viennent saisir délicatement ses bras après une hésitation palpable. Le noiraud a un fort mouvement de recul et se tend comme un arc, ce qui ne fait pas pour autant lâcher l'alpha. Ce dernier baisse alors les yeux, fermant un court instant ses paupières, et le soupir qu'il pousse semble douloureux. Mais c'est un air décidé qu'il affiche lorsqu'il se redresse, malgré son regard qui l'implore presque.
— Jisung, nous avons besoin de toi.
— De... moi ? Mais...
Besoin de lui ? Pourquoi ? Il n'est qu'un oméga brisé, un jouet qu'on a jeté dans l'ombre d'une cage dorée. Et pourtant, ces mots résonnent en lui, à la fois terrifiants et porteurs d'une étrange lueur d'espoir. Sans lui laisser plus de temps pour assimiler ses paroles, l'alpha poursuit :
— Écoute... Nous enquêtons sur Tian Shennong. Et... Rhaa.
Il s'en veut clairement de demander ce sacrifice au compagnon de Minho, mais il n'y a guère le choix. Il se rappelle alors la colère noire qui a pris son ami lorsqu'ils en ont parlé, et le fait qu'il a manqué recevoir plusieurs objets et quelques poings lorsqu'il a tenté de le convaincre du bien-fondé de cette idée... qui n'est qu'à moitié stupide. Une nouvelle fois, il passe la main sur son visage, visiblement tiraillé par ses sentiments.
— Qu... quoi ?
— Nous... Hm. Nous aurions besoin de ton aide.
— Mon aide ? À moi ?
— Pour l'espionner. Nous avons besoin de quelqu'un qui soit proche de lui, afin de connaître ses habitudes, ses activités, tout ce qui peut l'occuper.
Les mots de l'alpha semblent s'étirer dans l'air, lourds et accablants. Le regard de Jisung se perd un instant sur le tapis sous ses pieds, comme s'il cherchait un appui. Il ne trouve pourtant qu'un souvenir : Tian, penché sur lui, ses mains serrant ses poignets si fort qu'il en a encore la marque dans son esprit.
Son sursaut le fait brusquement reculer lorsque la porte s'ouvre vivement. Il s'apprête à balbutier des excuses pour être encore entré dans cette pièce sans permission, mais il réalise rapidement qu'il s'agit de Yongbok. Ce dernier l'observe, surpris de le voir presque terrorisé, mais il ne fait aucune remarque, préférant lui offrir un sourire solaire avant de s'écarter de l'entrée.
— On t'a ramené une surprise.
Une surprise ?
Minho... L'alpha apparaît dans l'encadrement de la porte, ses yeux rivés sur lui. Le temps semble suspendu un instant. Jisung, déconcerté, se perd dans ce regard tant aimé, et son compagnon franchit rapidement la distance qui les sépare pour l'enlacer chaleureusement. Si l'oméga esquisse un geste pour le serrer contre lui, tout son corps se raidit. Il se retient, trop conscient de ses fautes... Trop conscient de ce qu'il s'est passé, qui a creusé un fossé énorme entre eux deux.
Le nez dans son cou, le parfum d'immortelle de Minho lui arrache presque un sanglot, mais il parvient à se contenir. Ce parfum... Il lui a tant manqué. La chaleur de ses bras lui a tant manqué. Minho lui a tant manqué.
— Jisung, je suis désolé. Je suis tellement désolé de ne pas avoir pu venir avant. Je m'en veux, pardonne-moi...
Le corps de Jisung tremble, échappant à tout contrôle. Ses larmes inondent ses joues, sa gorge se serre au point de l'empêcher de parler. Il voudrait le serrer contre lui, s'enivrer de ce parfum apaisant, mais il n'en a pas le droit. À contrecœur, il se détache de Minho, incapable de croiser son regard. Ses yeux cherchent un point d'ancrage, mais tout ici lui rappelle ce que Tian lui a fait. Son regard s'arrête un instant sur l'armoire en bois laqué, dont il connaît la froideur de la surface.
— Jisung...
Il n'écoute pas. Il ne peut pas écouter Minho, pas ici. La main de Hyunjin vient doucement saisir son poignet, le faisant sursauter à nouveau. Instinctivement, il retire son bras et le serre contre lui. La voix de l'alpha est douce, presque désolée.
— On a besoin de toi, Jisung. Est-ce que tu peux nous aider ? La Corée a besoin de toi... Les omégas capturés aussi.
— Hyunjin, on en a déjà parlé, et c'est hors de question. Il vient avec nous.
Le regard de Jisung passe de l'un à l'autre, incertain. Les deux hommes s'invectivent, mais c'est Yongbok qui finit par capter son attention. Il s'approche, glisse un bras autour de ses épaules et murmure d'une voix basse et grave :
— Fais ce que toi tu veux, que ce soit oui ou non. C'est à toi, et à toi seul, de décider. Mais sache qu'on s'inquiète tous pour toi. La demande de Hyunjin, elle n'a pas été faite de gaieté de cœur. Ils se sont même presque battus à ce sujet, il y a quelques jours.
Jisung hoche doucement la tête. Il est tiraillé entre son envie de s'échapper de cet endroit et son incapacité à faire face au regard de Minho, qu'il redoute tant. Ce regard qui pourrait le haïr, le mépriser. Ou pire, être empli de dégoût. Comment pourrait-il survivre à cela ? Et s'ils se faisaient attraper, que deviendrait Minho ?
— Je... Je vais le faire.
Sa voix est tremblante et trop basse. Les deux hommes, toujours en train de se disputer, ne l'entendent pas. Il reprend, un peu plus fort :
— Je vais le faire.
Le silence tombe soudainement. Minho le regarde, horrifié, tandis qu'Hyunjin incline légèrement la tête, acceptant sa décision.
— Non, Jisung, tu ne peux pas... Non. Tu ne peux pas faire ça. Viens avec nous, on trouvera un moyen... Je ne peux pas te laisser ici, je refuse !
Minho revient précipitamment près de lui. Ses doigts cherchent à s'entremêler avec ceux de Jisung, mais ce dernier détourne les yeux, incapable de soutenir son regard intense. Minho tente de capter son attention malgré tout, mais Jisung secoue doucement la tête.
— Je ne peux pas partir d'ici, murmure-t-il. C'est trop dangereux pour toi, Minho... S'il t'arrivait quelque chose à cause de moi, je ne le supporterais pas...
— Jisung, il ne m'arrivera rien. On ne nous trouvera pas, ni ton père, ni ce Chinois. Je t'en prie, laisse-moi t'aider...
Mais l'oméga secoue la tête en signe de négation. Il sait parfaitement ce que cela signifie de rester ici encore un certain temps. Il sait quels risques il prend. Mais se sacrifier pour une telle cause, c'est beau, non ? Se sacrifier pour échapper à la vision d'un Minho écœuré par l'oméga qui a été souillé... C'est une bonne raison, non ? Hyunjin ne s'approche pas, mais il décide de poursuivre la conversation comme si Minho n'était pas là.
— Est-ce que tu reçois des visites ? Est-ce que tu peux sortir ?
Jisung baisse un peu plus le museau, rentrant la tête dans les épaules, et secoue doucement la tête à nouveau, ses cheveux fous se balançant au gré de ses mouvements.
— Je ne peux pas sortir... Et je n'ai pas de visite, en dehors du médecin qui vient une fois par semaine...
— Un médecin ?
Un coup d'œil fugace est lancé à son alpha, et Jisung le voit froncer les sourcils, ce qui ne lui plaît guère. L'oméga se concentre donc sur Hyunjin, évitant soigneusement de penser à l'armoire contre laquelle il s'est appuyé.
— Il vient voir si je suis en bonne santé et...
Non, il ne peut se résoudre à évoquer les chaleurs qu'on cherche à lui faire avoir à l'aide de potions toutes plus écœurantes les unes que les autres. Sans succès pour l'heure. Il ne termine donc pas sa phrase et se contente de hausser les épaules.
— Qui est ce médecin ?
— Un médecin chinois... Liú Zhòngyún...
Hyunjin paraît réfléchir un instant, puis hoche la tête avec un sourire. Toutefois, il s'approche de Yongbok et désigne la porte avant de saisir le bras de Minho. Son air est compréhensif et désolé, mais il doit mettre un terme à leurs retrouvailles.
— Il faut que nous partions. Nous ne pouvons pas nous éterniser trop longtemps, sans quoi ça va devenir louche. Jisung, tu auras de nos nouvelles sous peu, tout te sera expliqué, d'accord ? Fais-nous confiance. Et si tout va bien, nous pourrons te sortir d'ici et tu pourras vivre en toute sécurité auprès de Minho, pour une longue vie. Je te le promets.
Les mots de cet ami providentiel font luire quelques larmes au coin des yeux du noiraud. Vivre en paix auprès de celui qu'il aime, sans être traqués ou en danger... Ce serait digne d'un rêve. Ces derniers temps ont été tellement cruels avec lui qu'il a bien du mal à imaginer cela possible. L'alpha, qui fait toujours face à son oméga, hoche la tête avec dépit. Il est bien conscient qu'il ne peut pas rester plus longtemps, mais il ne peut décidément pas abandonner Jisung à son sort ici. D'un doigt, il lui relève le menton et, malgré une légère résistance, l'oméga finit par se laisser faire. Toutefois, il évite toujours de le regarder.
— Jisung, je t'en prie, viens avec moi. Tu n'es pas obligé de rester là. Tu ne dois rien à personne.
Jisung plonge son regard dans celui de Minho et, malgré les larmes qui floutent sa vision, il l'attire à lui pour l'embrasser. Ce n'est qu'un effleurement au départ, mais le goût amer de ses propres pleurs envahit ses lèvres, rappel cruel de ce qu'il retient en lui. Sa lèvre tremblante hésite à aller plus loin, comme si ce baiser pouvait briser la fragile carapace qu'il tente de maintenir. Il y met un terme, et ils se retrouvent front à front, Jisung caressant le visage de son aimé du bout des doigts.
— Je... Je ne peux pas, Minho...
Non, il ne peut pas le mettre ainsi en danger. Il n'a pas encore le courage de l'affronter. Il n'a pas les capacités pour survivre au désespoir qui l'envahira lorsqu'il lui dira la vérité. Alors il attendra ici, patiemment, en tentant de faire ce qu'il peut pour faire tomber l'alpha qui l'a marié. Il veut sa perte. Il veut participer à sa déchéance. Il veut qu'il paye.
— Minho, pardonne-moi d'insister, mais nous devons y aller...
Yongbok se détache de Hyunjin et se permet de serrer de nouveau Jisung contre lui, l'éloignant par là même de Minho.
— On reviendra, p'tite tête, je te le promets moi aussi.
L'écureuil hoche imperceptiblement la tête en reniflant, et son ami finit par ouvrir la porte pour s'en aller, invitant Minho à dire au revoir. Chose qu'il peine à faire, résolu à sortir son amant de là-dedans. Vivement, il attrape un des poignets de l'oméga, qui se tend. Le dernier à l'avoir saisi ainsi l'a brisé entièrement, et l'image de Tian s'impose, faisant reculer le noiraud, qui se tasse pour empêcher Minho d'avancer.
Dans l'incompréhension, Minho reporte son regard perdu sur son oméga et comprend qu'il sera inutile d'insister davantage. Il n'est pas prêt... Que lui a donc fait cet homme pour que son amour soit incapable de plonger ses yeux dans les siens, comme il le faisait souvent ? Ou pour qu'il soit prostré ainsi ? Le cœur de l'alpha bat rapidement, tellement que même sa respiration s'emballe. Mais il est bien conscient que faire une scène ici, même dirigée contre Tian, serait se donner en pâture au loup. Alors, avec douceur, il s'approche de Jisung et, avec une tendresse infinie, il le serre contre lui, se gorgeant de son parfum de musc blanc, cette fragrance fleurie qui lui manque tant.
— Je t'aime. Je t'aimerai toujours. Et je viendrai te chercher dès qu'on sera débarrassé de lui. Je ne t'oublie pas, jamais.
— Tu dois... t'en aller...
La gorge de Jisung est si serrée que les mots peinent à passer. Il aimerait tant répondre à son alpha, lui dire combien il l'aime aussi, combien il pense à lui à chaque minute passée ici... L'aîné fait un pas en arrière avant de repenser à quelque chose. Ouvrant un peu son hanbok, il en sort une chemise de lin très fine et la tend à Jisung.
— Je serai un peu avec toi comme ça.
Il ne peut s'empêcher de venir se repaître de l'odeur de Jisung en portant son nez dans son cou, qu'il embrasse avec légèreté, douceur et tendresse.
— Je reviens dès que possible, mon amour.
Le sourire que lui offre Jisung est léger mais présent, même s'il ne le regarde toujours pas. Le linge de son alpha porté à son cœur, il a le regard si voilé que c'est compliqué pour Minho de s'en aller. Toutefois, il leur faut rentrer. Tout en reculant, l'alpha tend une main, ses doigts pointés vers son oméga. Ce dernier esquisse un mouvement, comme pour le suivre, soudain désireux de fuir cet endroit, mais il se résigne. Il ne peut pas. Il n'y arrive pas. Alors lui aussi tend la main pour effleurer les doigts de son amoureux dans un geste léger.
Il se retrouve seul.
Seul avec lui-même, dans une pièce qu'il hait.
Jisung renifle avant de regarder autour de lui.
Mais tout ici lui rappelle la bataille qu'il a menée et perdue.
Alors, à petits pas lourds, il en sort, fermant bien la porte derrière lui.
Avec un effort conséquent, il s'arrache de la porte contre laquelle il s'est adossé et, avec un sanglot, il se hâte de rejoindre sa chambre.
Il est de nouveau seul.
Il avait l'occasion de s'en aller, l'occasion de s'échapper et de vivre avec Minho.
Il ne l'a pas saisie.
La seule façon de vivre la vie qu'il désire plus que tout, sans cette épée de Damoclès au-dessus de leurs têtes, est de se débarrasser de ce Chinois. Voire de son père aussi.
Cela prendra le temps qu'il faudra.
Il est prêt à sacrifier du temps pour son bonheur. Prêt à se sacrifier lui-même pour s'en trouver libéré.
___
Un jour c'est moi que vous allez vouloir buter XD
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