Chapitre 28
Le rire de Minho est de ceux qui enchantent les oreilles de celui qui l'entend. Chaud et contagieux. Il exprime toute la joie du monde et son sourire est si éclatant qu'il saurait faire de l'ombre au soleil. Depuis qu'ils se sont trouvés dans ce jardin à l'orée des bois, Jisung admire ce sourire. Et il ne rate pas une occasion pour pouvoir entendre ce rire si clair retentir.
Allongé sur cette moquette épaisse, les yeux clos, Jisung sourit tristement en y songeant. Il donnerait tout ce qu'il a à cette heure, pour entendre de nouveau ce son tant aimé. Voir ce sourire si précieux, et ces yeux de chat qui l'observent comme s'il était le trésor le plus sacré du Monde.
Recroquevillé sur lui même, le corps en souffrance, il resserre sa position, portant son poignet à son nez. Derrière le parfum de musc blanc, presque effacé à cette heure, le jeune homme cherche à retrouver cette note provenant de celui qu'il aime. Cette senteur si légère qui s'est mêlée à la sienne lorsqu'ils se sont unis. Lorsque leurs âmes se sont imprégnées l'une de l'autre. Mais une larme coule doucement au long de sa tempe, jusqu'à tomber au sol, lorsqu'il se rend compte que tout ce qu'il sent, c'est la fragrance poivrée de Tian. Ce parfum entêtant, lourd et oppressant, qui s'accroche à sa peau et tente d'effacer Minho.
Sa main retombe sans retenue, chaque muscle de son corps s'abandonne à une lassitude infinie. Il pourrait mourir maintenant. Peut-être que s'il laisse son esprit s'évader suffisamment longtemps, il ne se réveillera pas. Ce serait facile. Il n'aurait pas à endurer la douleur qui broie son être à chaque souffle. Il n'aurait pas à ressentir cette culpabilité déchirante au regard de Minho, à imaginer ce sourire s'éteindre à cause de lui. Il ne supporterait pas de voir ces yeux qui le considéraient comme un trésor devenir le miroir d'une peine qu'il aurait causée. Et ce serait fini. Plus besoin de subir ce regard qu'il imagine déjà lourd de sous-entendus du Chinois. Ce regard glacial, pesant, calculateur, prêt à briser ce qu'il reste de son âme.
Combien de temps reste-il allongé là, ignorant l'humidité qui s'immisce, le faisant frissonner. Le froid mordant s'infiltre sous sa peau, rendant chaque respiration plus difficile. Lentement, il soulève ses paupières gonflées par les larmes. Le silence est pesant, seulement brisé par le souffle qui s'échappe doucement de sa bouche entrouverte. La nuit est tombée dans la petite pièce. Il y fait sombre, et c'est à peine s'il arrive à y voir quelque chose. Les ombres qui règnent semblent prendre plaisir à se gorger de sa peine, et dansent autour de lui en une ronde macabre, jouant avec chaque relief du boudoir. En grimaçant, Jisung finit par s'arracher du sol. Lentement, il se redresse et s'assoit, essayant de fermer son esprit à ces pensées qui l'assaillent. Ses mains tremblantes prennent appui au sol pour qu'il réussisse à se mettre debout. Ses jambes vacillent sous son poids mais il en fait fi et distraitement, l'oméga ajuste ses vêtements débraillés. Tentant tant bien que mal d'ignorer la douleur qui irradie au plus profond de son corps, et cette traînée humide qui roule le long de sa jambe, Jisung avance doucement jusqu'à la porte, qu'il referme soigneusement derrière lui.
Un bruit de pas se fait entendre dans le couloir, et il redresse le nez tout en essuyant son visage trempé à l'aide de ses manches. Le majordome de Tian approche, et Jisung laisse ses cheveux cacher une partie de son visage alors qu'il entame la remontée du corridor pour aller retrouver la chambre qui lui a été donnée. Il a besoin d'aller se pelotonner dans un cocon. De se rouler en boule dans un nid confortable et accueillant. Mais il semble que ce ne sera pas possible dans l'immédiat, à son grand dam.
— Maître Jisung, Maître Tian vous attend pour le souper.
L'oméga s'est figé dans son mouvement, et il ne se tourne qu'à demi pour répondre à l'invitation. Sa voix est faible et tremblante, malgré qu'il tente de se montrer assuré.
— Je n'ai pas faim...
— Maître Tian m'a dit que vous diriez probablement ça. Mais il insiste aussi pour vous avoir à sa table.
Il pourrait refuser. Il pourrait l'envoyer balader en allant s'enfermer dans sa chambre. Mais la leçon d'aujourd'hui a été suffisamment rude pour le dissuader d'essayer de faire montre de plus d'entêtement. Alors Jisung hoche doucement la tête, les mâchoires serrées à s'en faire mal, ravalant le peu de dignité qu'il possède encore.
— Voulez vous de l'aide pour aller jusqu'à la salle à manger, Maître Jisung ?
Ce dernier, surpris, finit par lever le museau en direction du valet. Il n'a jamais fait preuve d'une quelconque sympathie à son égard, aussi l'entendre lui proposer son aide est étrange.
— Non... Non... Je... Je vais m'y rendre seul... Vous pouvez aller lui dire que j'arrive...
Le regard du domestique, qui s'en va donc, l'intrigue. Est-ce de la compassion qu'il y a lu ? Une once d'hésitation ? A moins qu'il ne s'agisse de pitié... Ou de mépris tout simplement. Du mépris, oui... Il arrive... Avec lenteur et précautions, mais il finit par y arriver. La vue de cette grande silhouette qui se découpe dans la perspective de la pièce lui arrache une bordée de frissons qui remontent tout au long de son échine, et il sent ses yeux le brûler de larmes contenues. Le nez bas, Jisung parvient tout de même jusqu'à la place qui lui a été attribuée et s'assoit avec une défiance hors norme, non sans se mordre la lèvre inférieure pour retenir un geignement piteux.
Tian, lui, paraît apprécier grandement le repas qui lui a été servi. Et cette fois, le même a été servi à l'oméga qui s'en trouve encore une fois surpris, même si l'appétit n'est pas présent. Son cœur bat tellement fort qu'il a l'impression qu'il va sortir de sa poitrine. Il n'y a que ces battements qu'il entend résonner dans la pièce. Jisung a beau essayer de respirer profondément, il n'arrive pas à calmer ces pulsations qui s'emballent. Sa vue commence à se brouiller et il tente de faire bonne figure afin d'éviter une possible réprimande qui ne ferait que l'achever. Chaque mouvement, même les plus infimes, effectués par l'alpha le font se tendre, chaque muscle prêt à agir contre tout geste fait à son encontre. L'oméga ne pense pas à manger. Ses mains se crispent sur ses genoux, sous la table. Il n'y a bien que le bruit des baguettes de Tian et le tic tac alangui d'une horloge qui viennent troubler le silence pesant qui les entoure. Il est incapable de regarder le chinois. L'idée même de poser les yeux sur lui le fait trembler.
— Demain nous t'enlèverons cette chaîne. Elle ne sera plus utile maintenant. Je pense que tu as compris la leçon.
La voix de Tian est chantante. A croire qu'il ne s'est rien passé. Il l'aurait imaginé tranchante et coléreuse. Mais le détachement qu'il y trouve le perturbe. Doit-il répondre ? Chaque mot lui paraît potentiellement source de nouvelles souffrances, d'une nouvelle humiliation et invitation au désastre. Il n'en est pas capable aussi se contente-t-il de hocher la tête de manière quasi imperceptible.
— Un médecin viendra faire le point aussi. On ne fait pas de descendant si l'on n'est pas en santé.
Descendants... Le mot le fait déglutir plus fort qu'il l'aurait souhaité, trahissant l'impact qu'il a sur lui. Un coup sourd et implacable qui vient lui transpercer la poitrine. Il ne peut pas y penser. Pas dans l'état dans lequel il se trouve. Mais il va lui falloir se faire une raison. Le voilà enchaîné à sa fonction la plus primaire. Sa condition physiologique. Un oméga uniquement destiné à offrir son corps pour enfanter les élites de demain. Pas un homme. Pas un humain vivant par et pour lui même. Non... Un simple objet dépourvu d'âme, un outil froidement utile. Cette vérité le frappe, comme une lame que l'on enfonce délicatement et méthodiquement dans ses chairs. Il n'est rien...
Une petite lueur, fragile mais tenace, fait toutefois son apparition au cœur de toute cette obscurité qui occupe son esprit. Une pensée, un peu dérisoire mais qui parvient à s'accrocher à son désarroi. Il n'a plus eu ses chaleurs depuis un moment maintenant. Peut-être qu'étant séparé de Minho, il ne les aura pas ? Le plan de Tian tomberait en morceau et de descendants il n'y aurait pas. Cette idée, aussi ténue soit-elle, se faufile petit à petit et vient lui apporter un semblant d'espoir. Chétif et malingre, mais bien présent. Cet espoir qui lui donnerait l'illusion de contrôler encore un peu ce corps que l'alpha s'est approprié, et qui l'empêcherait de ne devenir qu'un instrument de l'ambition de Tian et de sa famille.
***
Enroulé dans les couvertures de son lit, sa belle queue sombre s'enroulant autour de son corps meurtri, Jisung ouvre doucement les paupières en se resserrant dans son cocon rassurant. La chambre est bercée d'une lumière douce, de lourds rideaux cachant en partie le jour qui semble déjà bien levé. Personne n'est venu le réveiller. Encore engourdi de sommeil, l'oméga ressent une chaleur naître au creux de son ventre. Une chaleur diffuse et douce, rassurante et réconfortante qui l'enveloppe comme pour lui offrir un halo de protection, plein d'amour et de tendresse. Minho... C'est Minho... Leur lien n'est pas brisé, il est toujours vivant, et ils se ressentent l'un l'autre. Attendri, Jisung vient enserrer son vêtement de ses doigts tremblant, tentant tant bien que mal de faire refluer les larmes de détresse qui essayent de le submerger.
Minho pense à lui. Minho lui fait ressentir tout son amour pour lui. Comme il lui manque... Comme il aimerait être à ses côtés à cette heure. Le sort n'a pas voulu qu'ils vivent heureux, mais il ne peut s'empêcher de se remettre en tête qu'il doit le retrouver quoi qu'il arrive. Il est son premier objectif. Il est son but, son tout. Et la voix tremblante, Jisung exprime toute sa désolation, tout son malheur, conscient que plus jamais l'alpha ne le regardera comme il le regardait il y a encore quelques semaines.
— Je suis tellement désolé Minho... Tellement désolé... Excuse moi...
***
Les jours se transforment rapidement en semaines.
Le temps file, emportant avec lui toute nouvelle de Minho.
La chaîne qui pendait à son poignet a disparu depuis longtemps, et ses plaies ont guéri. Pourtant, l'absence de ces marques physiques n'allège pas le poids qui écrase sa poitrine. Chaque semaine, le médecin vient examiner sa santé. Toujours la même routine, toujours les mêmes questions sur des chaleurs qui ne viennent pas, pour son plus grand soulagement. Ces visites froides et mécaniques ne font qu'accentuer son isolement.
La journée, Jisung occupe chaque instant. Il se force à ne pas penser. Penser, c'est risquer de perdre pied, et il ne peut se le permettre. Ses nuits, toutefois, sont assiégées par des cauchemars intenses. Minho y apparaît parfois, enchaîné, blessé, ou pire encore, d'autres encore lui rappellent à quel point il peut être faible face aux assauts de Tian. À chaque réveil, il reste allongé, paralysé par une terreur sourde qu'il chasse en se répétant une vérité fragile : il doit tenir. Fuir n'est plus une option. Il en va de la sécurité de son alpha, de leur survie à tous les deux.
L'automne a pris le pas sur l'été, et avec lui, le froid s'est infiltré partout. Jisung ne compte plus les jours, mais il les ressent dans son corps : chaque matin, il espère. Chaque bruit, chaque voix fait naître en lui l'espoir de voir Minho apparaître au détour d'une porte.
En vain.
Pourtant, il ne perd pas espoir. La patience est une vertu est un mantra qu'il se répète sans cesse, et il s'accroche à cette pensée comme à une corde fragile suspendue au-dessus du vide. Chaque matin, au réveil, il ressent une chaleur douce et fugace, née au plus profond de lui. Il ne sait pas d'où elle vient, mais il y voit un signe, un rappel que Minho, malgré son absence, reste là, quelque part à penser à lui et à lui partager ses sentiments, si profonds que leur lien leur permet de les ressentir. Au fond de son cœur, Jisung puise dans cette sensation éphémère la force de survivre un jour de plus.
Ce jour, le jeune homme, contraint de ne jamais sortir de la demeure, s'est décidé pour martyriser une colonne qu'il trouve particulièrement ennuyeuse. Tian n'est pas là ces derniers jours, ainsi il n'a pas besoin de chercher à échapper à son regard, ou à sa présence, et il a appris à totalement ignorer les domestiques qui arpentent la maison en faisant leurs différents travaux. Il a précédemment mis à profit son talent de fouilleur, pour trouver de l'encre de chine et l'un de ces beaux pinceaux à calligraphie. Il est bien décidé à faire profiter à tout un chacun de ses talents artistiques pratiquement inexistants. Mais cela restera son œuvre, soit de l'art à l'état pur. Ou pas. Personne n'aura à y redire après tout, on le maintient ici prisonnier, c'est donc un peu chez lui, et il se permet enfin d'y mettre un peu sa patte.
Ce n'est que plus tard au court de la journée, que le majordome vient le voir, à priori à reculons et l'oméga compte bien l'accueillir comme il se doit.
— Cet air pincé vous sied à ravir... On ne dirait pas que vous venez jusqu'à moi à contre cœur...
— Maître Jisung, un conseiller du gouvernement attend d'être reçu.
— Et que voulez vous que ça me fasse, je ne suis pas l'autre Maitre.
Jisung ne compte pas s'arrêter de peindre, bien décidé à terminer son œuvre.
— Il semble assez pressé de rencontrer quelqu'un.
— Qu'il revienne.
— Je me dois d'insister...
Jisung tente de conserver un semblant de confiance en lui, celle qu'il ne possède plus vraiment depuis qu'il se trouve prisonnier de cette demeure, et avec un soupir tremblant, dépose son pinceau sans ménagement. Il n'a pas à faire bonne figure auprès de qui que ce soit, après tout, ce n'est pas à lui de s'occuper de tout cela et il ne doit rien à personne. Il va se débarrasser au plus vite de l'intrus et retourner à son office. Lorsqu'il le voit, l'oméga ne salue pas. Il n'a pas du envie de se montrer affable et cordiale. Il se contente de lever le nez pour toiser l'alpha qui se présente là. Contre toute attente, il se trouve déstabilisé. Il s'attendait à trouver l'un de ces hommes à l'égo démesurée et à l'aura écrasante, mais celui ci paraît... Gentil. Agréable. Et très beau. L'oméga fronce donc un peu les sourcils, peu désireux de s'étendre. Ce n'est qu'après coup qu'il aperçoit un autre homme à l'aura douce et délicate, aux traits d'une finesse incroyables et aux tâches de rousseur marquées. Ses sourcils se haussent sur son front et Jisung n'en mène pas large. Il est perturbé.
— Monsieur, je suis Jisung, l'époux de... l'oméga de... Il grimace, Bref... Que voulez vous ?
— Oh Monsieur Shennong n'est pas disponible mais j'aimerai lui faire passer quelques mots par votre biais. Je me presente, Hwang Hyunjin. Je travaille avec votre époux. Sauriez vous nous conduire dans un endroit discret afin que nous discutions?
Un endroit discret ? Parler avec lui ? Jisung ? L'oméga ? Cet être qui n'existe même pas vraiment ? Son regard passe de l'alpha inconnu à Yongbok qui lui sourit discrètement mais qui fait mine de rien, et fait le mouvement plusieurs fois. Alors intrigué, Jisung observe autour de lui avant de hocher doucement la tête et de prendre la tête afin de rejoindre... le petit bureau chaleureux où il n'a plus remis les pieds depuis un moment maintenant. Mais il n'a pas d'autre pièce à lui que sa chambre et il ne conçoit pas un entretien officiel dans cette pièce. Alors, bien que ce soit à contrecoeur, le petit bureau de la nommée Mei Lin fera l'affaire.
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Ca va toujours?^^
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