Chapitre 23
Tian se tient droit dans le petit bureau du marchand. Il arpente la pièce, détaillant chaque petit objet qui peut se trouver posé ci et là au coin d'étagères branlantes, touche parfois, avant de s'essuyer les doigts dans un coin du beau veston qu'il a revêtu malgré la chaleur estivale. L'intendant de la famille est avec lui, prêt à noter ce qui doit l'être, ou à faire simple acte de présence.
— Et donc vous l'avez trouvé à Hahoe...
Le fameux marchand, ou l'homme qui enlève des oméga afin d'en tirer bon prix en les revendant au plus offrant, hoche vigoureusement la tête. Il se tient debout, le menton relevé, les bras croisés sur un torse bombé, désireux de se montrer confiant et sûr de lui devant cet Alpha qu'il a fait chercher.
— Je suis sûr que c'est lui. Il a cet œil étrange qui est décrit sur l'annonce. Un de mes hommes l'a reconnu, il avait vu les affiches ici la dernière fois qu'on est venu et quand on est rentré j'ai demandé à ce qu'on aille vous trouver aussitôt.
— Hmm... Le chinois détaille son vis à vis de bas en haut avant de se poser devant lui, en appui sur la canne d'ornement qu'il tient.
— Et il était seul ?
— Oui monsieur. Il était dans la rue.
Le bonhomme a la parole sûre, et Tian le croit donc volontiers. Toutefois, il ne doute pas que cet autre Alpha qui lui a enlevé son jouet devait probablement ne pas être loin. Après un petit instant, il s'approche du marchand et sourit en coin.
— Et pourriez vous me rappeler quand vous l'avez... « cueilli » sur votre route ?
Ne s'attendant pas à ce que le grand type s'approche plus qu'il ne le faudrait, le patron perd un peu de sa superbe et décroise les bras avant de s'agiter un peu sur ses pieds. Ses yeux se perdent un instant dans ses réflexions, et il marmonne en agitant une main,
— Euh, peut-être, dix, quinze jours, je sais plus bien. On a fait un détour par la côte avant de revenir ici d'Est en Ouest.
— Hmm hmm... Alors...
Tian se détourne du type, et s'approche d'un mur où est accrochée une carte du pays. Carte qui a vécu une bien longue vie si l'on en juge par les petits trous qui la percent à plusieurs endroits, sûrement ceux qui indiquaient une destination prévue. Et le papier jauni et corné ne sont pas moins témoins de l'âge de ce plan. En espérant qu'il soit encore à jour... Un doigt fin levé, il se tapote légèrement le bout du nez, pensif.
— Combien de temps pour faire le chemin de Hahoe à Séoul, si on ne fait pas de détour... ? Trois ? Quatre jours ?
— Cinq. Si les chevaux sont assez frais et la carriole pas trop chargée, Monsieur, répond le marchand, sûr de lui. Après tout, il a déjà arpenté suffisamment le territoire pour le connaître comme sa poche.
— Cinq... Alors tu es ici... Sourit Tian en imaginant Minho dans les parages à la recherche de celui qu'il convoite tant.
— Pardon ?
— Que comptez vous faire des oméga que vous avez ramené ?
Le grand homme se détourne brusquement de la contemplation de la carte et revient au patron qui s'était avachi et se redresse aussitôt le chinois revenu à lui. Ce dernier fait jouer ses doigts sur le bureau devant le bonhomme à l'air austère.
— On en a trouvé que deux, et dedans, y a l'votre. Mais on devait faire une vente aux enchères avec les plus anciens qu'on a ramené l'autre fois.
Tian sourit de plus belle, et c'est un air conspirateur qui prend place sur son visage.
***
Un mouchoir posé sur son nez délicat, Tian tente de se protéger de toutes ces effluves oméga qui lui parviennent. Il pourrait presque se sentir étourdi de tant de parfums, tant de phéromones, mais il souhaite continuer à faire bonne figure et se retient de grimacer. Surtout que cet entassement humain dans cette énorme grange, sous une telle chaleur, n'a rien de très sain et il n'a guère envie de suffoquer à d'autres vilaines odeurs empestant l'air.
— Eh bien vous n'en manquez pas.
Le marchand conduit le chinois dans le bâtiment où sont enfermés les oméga qu'ils ont enlevé. Enfin... Qu'ils ont ramassé sur les chemins. C'est une espèce rare et en tant que tel, il serait dommage de se priver d'une telle manne qui se tient presque à disposition. Ces petites bêtes ont besoin de maîtres et il s'engage à leur en trouver. C'est qu'il a bon cœur. Il présente ses marchandises avec les bras étendus, comme s'il faisait découvrir son royaume à son hôte. Puis c'est un petit geste de la main qui répond.
— Oh la récolte n'a pas été aussi fleurissante que les autres fois. C'est par période. Mais on essaye de les prendre pas trop jeunes non plus, faut le temps qu'ils mûrissent un peu. Si vous voyez c'que j'veux dire. D'ailleurs si vous en voyez qui vous intéresse, dites moi et j'vous les mets de côté.
— Ça ira. Je veux juste voir celui qui m'appartient.
La démarche est paisible, lente. Tian observe les oméga cloîtrés dans des cages, certains plus vaillants que d'autres. Parfois, il croise un regard plein de ressentiments et cela le fait sourire davantage. Il sait où la plupart se retrouveront lorsqu'ils auront accompli la mission de vie qu'est la leur. Après tout, leur vie n'est-elle pas dédiée au plaisir des alpha ?
— Vont-ils tous rester sur Séoul ? Ou bien votre vente attire du monde de différentes contrées ?
— Oh Monsieur, nous invitons des personnalités d'un peu partout, et après vient ici qui veut. Y en a même qui viennent juste par curiosité pour voir à quoi ça ressemble. Vous saviez qu'y a des gens qui ont jamais vu d'oméga ??
Tian rit poliment et secoue négativement la tête, l'air absolument désolé pour ces gens ignorants.
— Je suis persuadé que beaucoup se cachent et qu'il y en a plus qu'on le croit.
— Oh ça j'en suis pas sûr Monsieur. Les oméga sont beaucoup moins nombreux que les Alpha et les bêta, c'est un fait établi.
Le marchant hésite un instant. Une question lui brûle les lèvres et il crève de la poser même si cela ne le concerne nullement. Puis après tout, il n'est pas à une question déplacée prêt, depuis quand s'embarrasse-t-il de bonnes manières ?
— Monsieur, pourquoi vous vous êtes marié avec un oméga ? Alors qu'il aurait juste pour vous appartenir comme ça... ?
Le rire qu'il obtient en réponse le fait s'interroger sur le bien fondé de son interrogation, mais finalement, le chinois répond volontiers.
— J'aurai juste pu le garder comme on garde un petit chien, mais en l'épousant je fais parti de sa famille et suis donc amené à pouvoir rencontrer des gens que je n'aurai pas eu la chance de voir si cela n'avait pas été le cas.
Il ne s'étale pas plus. Il n'a pas confiance en le bonhomme qui le mène, comme en quiconque d'ailleurs, et dire qu'il a épousé cet oméga pour pouvoir avoir un pied au gouvernement coréen par le biais de Monsieur Han, serait tout de même osé.
— Son Père va être ravi de savoir que vous l'avez retrouvé en tous cas.
Palier sa maigre réponse par un petit remerciement détourné peut être une solution. En tous cas, le marchand s'en trouve ravi, et très peu après, il s'arrête devant l'une des cages et en cogne les barreaux.
— T'as de la visite.
***
La tête appuyée contre ses genoux remontés à son thorax, les mains ballantes alourdies par les fers à ses poignets, à travers sa sombre tignasse dans laquelle il s'est occupé à tresser quelques mèches, Jisung observe avec attention une petite araignée tissant sa toile au coin opposé de sa toute petite prison. Il n'aime pas les araignées. Il n'aime pas les insectes en général. Ces petites choses avec plein de pattes sont bien trop rapides à son goût et l'idée même que ces bêtes l'approchent lui hérisse le poil. Mais celle-ci reste un peu éloignée alors il a décidé de lui laisser un peu de place. Il peut bien faire cela après tout...
Il n'a aucune idée du temps qui passe. Il n'a pas non plus vu Yongbok depuis qu'ils sont arrivés ici. Le jeune a même tenté d'ouvrir la serrure, malheureusement c'est un bien piètre voleur et elle lui a résisté. Cela lui a aussi valu un vilain coup de bâton cinglant sur les doigts quand le gardien des lieux s'est rendu compte de ce qu'il essayait de faire. Ses voisins de cellule ont bien tenté de discuter mais il n'en a absolument pas envie. Tout ce qu'il tente de faire, c'est se réchauffer. Malgré les températures beaucoup trop chaudes, il ne comprend pas ce froid qui lui envahit le corps et contre lequel il ne peut rien.
Il a soif.
Il a faim.
Il se sent si crasseux que c'en est malaisant.
Sa peau le démange et il se retient de se gratter au sang. Il donnerait cher pour pouvoir se laver de tous ces jours de chemins arpentés, de cette poussière, de la sueur due au soleil malgré son être gelé, et nettoyer toutes ces écorchures dues aux fers qu'ils ne lui retirent pas.
L'oméga ne lève même pas le museau lorsque des voix se font entendre. Il n'écoute pas, perdu dans ses songes, son imagination allant se perdre auprès de Minho, loin d'ici, dans leur petite masure simple du village qu'ils ont adopté. Toutefois lorsque quelque chose frappe contre les barreaux de sa petite cellule, il bouge afin d'observer l'homme qui lui a causé. De la visite hein ? Son esprit s'illumine soudain et il réalise que peut-être Minho l'a retrouvé, alors aussitôt il se redresse et... Déchante rapidement.
Le cœur lourd, il revient se laisser choir dans son coin, mais il tente de se montrer digne, hors de question de se recroqueviller comme il aimerait tant le faire. Non, Jisung ne veut surtout pas que ce chinois trop grand pense qu'il a peur de lui. Il ne lui parle pas pour autant, n'en voyant pas l'intérêt, mais il le dévisage longuement. S'il avait pu montrer les dents et grogner il l'aurait fait.
— Eh bien, eh bien. Un petit roquet en cage. Voilà qui est amusant. Tu sais enfin où est ta place il semblerait.
Le sourire goguenard de Tian lui fait serrer les mâchoires, mais il se retient de répondre encore. Son regard passe du chinois au type qui les a conduit ici, et finalement c'est à ce dernier qu'il s'adresse.
— Ce type n'est pas mon Alpha, quoi qu'il en dise.
Le bonhomme en question frappe distraitement son bâton au métal de la cage, et hoche la tête aux mots de Jisung.
— Ouais, paraît que t'es marié avec lui. Félicitations, tu vas pouvoir rentrer au bercail. Ravi d't'avoir sauvé d'ton ravisseur mon p'tit.
Pour ponctuer, le marchand agite son chapeau et offre un signe de tête à l'oméga qui grimace en déglutissant un peu trop fort. Tian s'accroupit alors devant la cage et sourit doucement à son fragile époux.
— Il semblerait que tu ais besoin de moi pour te sortir de là ? Je m'en ferai un plaisir, et tu m'en seras redevable. Mais cela dit... Tu vas y rester encore un peu. Tu as un petit travail à faire pour moi et pour ce charmant Monsieur qui t'a retrouvé. On ne peut tout de même pas laisser des vauriens en liberté, plus encore quand ils s'amusent à ravir au nez et à la barbe de tous, un jouet de qualité tel que toi. Je vais donc te laisser ici encore un peu. Mais n'ai crainte, dans quelques jours, tu seras de retour à la maison.
Jisung ne comprend pas vraiment les allusions de l'homme jusqu'à ce qu'il parle de son enlèvement. Il saisit alors. Ils veulent Minho. S'appuyant ses les barreaux dans son dos, le noiraud se relève alors et fait les quelques pas qui le sépare de l'ouverture des grilles en secouant la tête.
— Laissez le, il n'a rien... Il n'a rien fait...
Cependant Tian n'a pas l'air de cet avis et son sourire se fait faussement triste.
— Il t'a pourtant enlevé à moi pendant de longs mois, j'étais mort d'inquiétude pour mon oméga.
Et que dirait ton Père ? Il va être tellement heureux de savoir que tu es enfin libéré et de retour auprès de ta famille...
— Non, laissez le, s'il vous plaît... Il ne vous a rien fait, il ne mérite pas... Non ! Je...
— Tu ? Tian sourit en coin, prêtant l'oreille à ce que pourrait suggérer son petit oméga.
Ce dernier n'en mène pas large, mais puisqu'il le faut, il n'a pas grand choix. Cela lui arrache la langue, mais les mots sortent, la voix basse et décidée, le regard qu'il n'arrive pas à relever contemplant le sol.
— Je ferai tout ce que vous voudrez, mais ne touchez pas à Minho... S'il vous plaît...
Le chinois jubile de voir jusqu'où serait prêt à aller ce petit être si méprisable, mais il n'en montre pas grand-chose. Il se redresse et frappe au sol de sa canne avant de saluer Jisung avec un sourire carnassier.
— Je prends note. Mais quoi qu'il arrive tu feras ce que je voudrais. Tu es mon oméga et je suis ton maître. Donc le marché est nul. Je veux cet alpha en geôles. Et tu vas nous y aider, crois le bien, que tu le veuilles ou pas. Sur ce, à bientôt. Je reviens sous peu.
Les mots sont crus mais Jisung ne percute pas immédiatement. Il lui faut un petit temps et lorsque c'est enfin compris, il s'agite au son de ses fers, frappant les barreaux et secouant la cage dans l'espoir de l'ouvrir ou au moins espérer saisir Tian pour lui asséner tout ce qu'il ressent et qui l'enrage.
— Non ! S'il vous plaît ! Tu peux pas faire ça salopard d'alpha !
Un coup de bâton lui cingle les doigts, et Jisung se recule vivement pour échapper à davantage de remontrance. Le gardien. Ses doigts le brûlent et il se les frotte vivement en espérant atténuer la douleur qui irradie jusque dans ses mains. Il n'a même pas la possibilité de prévenir qui que ce soit... Et Minho est-il seulement ici ? Non, il ne peut pas être revenu, sa tête est affichée à tous les coins de rues, et avec son visage si digne d'une statue, il sera reconnaissable entre mille...
Ses doigts se perdent dans sa tignasse hirsute et il s'arracherait bien les cheveux.
- Bordel !!
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Ouuuuh Minho est dans de sales draps XD
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