Chapitre 20

La tête appuyée contre les barreaux qui le tiennent prisonnier dans cette carriole affreuse, Jisung a le regard perdu sur l'immensité bleue qui s'étend devant lui. Il n'a jamais vu la mer avant, il avait imaginé la voir un jour en compagnie de ses amis, de Minho, au détour d'une escapade loin de chez eux, et pourtant elle s'étale là en s'agitant doucement sous le vent léger de ce mois d'août. Le bruit régulier du ressac s'échouant sur le banc de sable a quelque chose de reposant. Presque hypnotisant. Mais il est seul... Ses amis ne sont pas là... Minho n'est pas là...

- Tu crois qu'il y a quoi derrière ?

La voix grave de Yongbok s'élève doucement, et enfin le noiraud montre un signe qu'il est encore en vie, en haussant une épaule. Son corps lui paraît si lourd en appui contre ces barres de métal qu'il a l'impression de ne plus savoir bouger. Il est frigorifié malgré le soleil encore haut qui devrait lui brûler la peau. Machinalement, il serre un peu plus ses vêtements autour de lui, et essaye de rester mentalement présent aux côtés de l'oméga qui partage son sort.

- Des terres... Le Japon...

Au moins ces heures avec son précepteur lui servent un minimum... Yongbok grimace alors et vient s'asseoir auprès de Jisung en se laissant tomber lourdement.

- On est bien lotis entre eux et les Chinois... Aaaaaah je suis en train de griller... Je suis sûr que bientôt on va sentir le cochon rôti... Au moins ça nous donnerait l'impression d'avoir un repas ahah, ahah... ah...

Le rire ridicule qu'il a commencé à pousser s'éteint aussi vite qu'il est venu. Il n'a pas envie de rire non plus. Redressant la tête et tendant le cou, le jeune homme cherche du regard celui qui est censé les surveiller et il fronce ses sourcils délicats en voyant ce dernier se prélasser sous un arbre en attendant le retour de ses compères.

- Eh ! On peut avoir à manger ? Et de l'eau au moins ? Tu nous laisses rôtir en plein soleil pendant que toi t'es à l'ombre, et tu nous files même pas à boire...

Le bonhomme, le fameux Yeongbin se contente d'un mouvement de jambe pour signifier qu'il envoie balader le prisonnier qui râle un peu trop.

- On va perdre de la valeur si on arrive en mauvaise santé, tu veux ton argent ou tu veux des oméga morts sur les bras ??

Un soupir, il a touché un point sensible. L'homme se redresse en râlant et revient aux pieds de la carriole pour attraper l'un des seaux préparés pour se désaltérer. Il ne leur offre qu'un godet d'eau qu'ils doivent se partager, ça suffira le temps que les autres reviennent. Toutefois si Yongbok avale une bonne partie d'un coup, Jisung n'en fait pas cas, ce qui fait baisser quelque peu les épaules de son compagnon de galère.

- Il faut que tu boives, tu veux que ton alpha te retrouve non ? Faut que tu sois en vie pour ça... Et c'est pas en ne buvant rien tout en étant en plein cagnard que tu vas réussir à survivre le temps de le retrouver...

Jisung tourna finalement son visage vers le jeune qui lui tend le récipient et se décide à s'en saisir pour se tremper les lèvres. Une goutte en appelant une autre, il se rend compte à quel point il est assoiffé et combien ses lèvres sont sèches avant qu'il avale le contenu restant d'une traite. Ce n'est clairement pas suffisant pour satisfaire la soif ressentie, mais après cinq jours de voyage, il sait qu'il n'obtiendra rien de plus avant un moment.

Yongbok hoche la tête, satisfait, et repasse le godet à Yeongbin qui le jette dans le seau, éclaboussant un peu autour de lui.

- Eh, on va où ?

- Séoul.

- Et on arrive quand ?

- J'sais pas.

- J'y connais pas grand-chose, mais Séoul c'est pas très à l'Est pourtant...

- On fait un détour.

- J'avais pas remarqué dis donc...

- Tu devrais la fermer, Oméga.

- Sinon quoi ? J'suis déjà en cage et vous allez sûrement me vendre à je sais pas qui. C'est déjà pas mal comme punition juste pour être quelque chose sur laquelle on n'a aucune emprise. J'peux sortir ?

- AHAHA ! Et pourquoi ??

- J'ai envie d'pisser, tu veux que j'te vise ? De là où j'suis ce sera pas très dur.

Jisung ne dit rien, mais il observe son compagnon en écoutant l'échange. Une chose est certaine, ce jeune homme paraît d'une délicatesse hors norme, mais il a une langue sacrément pendue et n'a pas peur d'aller au front pour avoir ce qu'il veut. Cinq jours qu'ils sont enfermés là dedans, cela peut paraître peu, mais c'est aussi interminable et ils ont pu échanger suffisamment pour que le noiraud commence à apprécier ce jeune.

Ses paroles ont de nouveau fait mouche, Yeongbin ouvre la cage dans laquelle ils se trouvent et laisse Yongbok descendre, non sans sceller ses poignets dans de lourdes chaînes avant. Il ne faudrait pas qu'il s'échappe. Le mécanisme est rôdé. Nul doute, ils ne sont pas les premiers à subir ce sort, et ne seront probablement pas les derniers. D'ailleurs, s'ils font à ce point un détour, c'est sûrement pour « ramasser » d'autres Oméga. Ce serait tout de même une bien maigre pêche que de n'en ramener que deux. Ne pourrait-il pas profiter de ce moment de battement durant lequel on leur passe ces horribles menottes pour s'évader ? L'idée fait son chemin... Un coup bien placé au moment où le gardien veut fermer les chaînes et le temps que celui ci se remette, il aurait le temps de se sauver et d'échapper à leurs recherches... Cela lui permettrait de ne pas être tiré au bout de la chaîne comme un chien que l'on promène...

Revenant de 'la balade ', leur gardien lui propose d'y aller à son tour, ce que Yongbok encourage en remontant sur la charrette qui grince sous les mouvements. Jisung a l'impression qu'il n'arrivera pas à se lever. Son corps le lui refuse, mais son compagnon lui saisit le bras pour l'aider à se mettre debout et l'aide à se diriger vers la grille refermée le temps qu'il y arrive. Yeongbin n'est malheureusement pas stupide. Il suffirait d'une seconde d'inattention pour que leurs marchandises se fassent la malle.

Jisung se laisse alors lier les poignets, le regard plongé dans celui de leur garde, un muscle de sa mâchoire tressautant faute de trop serrer les dents. Il compte l'air de rien, le temps qu'il faut pour lui enserrer les mains, et finit par baisser le regard pour observer la position de leur geôlier et pour imaginer la solution la plus pratique pour le mettre mal. Suffisamment en tous cas pour lui laisser une petite marge de manœuvre. Cela risque d'être critique... Avec un léger soupir de dépit, il se laisse mener jusqu'à un coin plus reculé pour lui permettre de se soulager, chose qu'il fait, non sans lancer quelques regards derrière lui pour voir si Yeongbin reste concentré ou pas...

Si au départ il ne semble pas le lâcher du regard, quand Jisung se retourne une dernière fois l'homme à le visage détourné, occupé à regarder il ne sait quoi un peu plus loin. Il tient toujours la chaîne qui le retient, mais... Le cœur du noiraud s'emballe, il ne peut pas manquer cette chance, il doit agir et vite avant que le garde reporte son attention de nouveau sur lui. Saisissant le bout de la chaîne qui tient ses liens, il tire brusquement des deux mains, et de toutes ses forces. Il n'y croyait qu'à moitié et pourtant il faut croire que la chance est avec lui et veut le voir libre.

Leur gardien ne s'attendait certainement pas à ce que la chaîne lui échappe des mains, et quand il réalise, Jisung a déjà entamé une course folle, et s'il y a bien quelque chose dans laquelle il excelle, c'est courir. Il n'a peut-être pas été nourri à sa faim, le soleil a peut-être tapé fort et il est sans aucun doute déshydraté, mais il court pour sa vie, pour sa liberté, pour retrouver Minho, les chaînes traînant derrière lui dans un bruit infernal, le ralentissant de par leur poids et il n'est pas aisé de courir avec les mains entravées mais il n'en fait pas cas.

Jisung n'a aucune idée du chemin à prendre, il lui faut se cacher avant tout, et maintenant qu'il a atteint des rues du village où ils ont stationné, son regard ne cesse de chercher une issue possible à son problème, il n'a pas encore cherché à regarder derrière lui pour voir si Yeongbin le suit, il ne veut pas, il ne veut pas du tout voir qu'il n'est pas prêt de s'échapper. Il ignore aussi les gens qui le regardent avec de grands yeux sidérés, ignore ceux qu'il bouscule sans le vouloir et qui s'insurgent...

- OOUUUF !

Le choc brutal lui coupe le souffle qu'il a déjà court, et il se retrouve propulsé en avant se sentant choir sur quelqu'un. Ses deux mains soudain collées à lui, le noiraud cherche à reprendre une respiration un tant soit peu correcte avant de lever le museau. Il n'a pas prêté attention aux voix qui s'élevait autour de lui depuis un instant mais peut-être qu'il aurait dû. En voyant le sourire de celui qu'il a renversé au coin d'une venelle, son visage perd toutes ses couleurs, ses épaules s'affaissent et ses yeux s'arrondissent.

- Non...

Tandis que l'homme au sol se redresse en s'époussetant et en ricannant, Jisung est soulevé comme un rien et de nouveau son souffle se coupe quand il se fait placer sans ménagement sur une épaule. Il a tôt fait de se débattre et à chercher à s'enfuir de nouveau, n'ayant pas peur de porter de violents coups, mais l'alpha qui le tient est bien plus fort que lui...

- Comme ça on essaye de nous faire faux bond, Oméga ?

Jisung cesse de s'agiter. Il est dépité par son échec... Et il y a peu de chance qu'il puisse retenter avant un bon moment... Ses dents se serrent brusquement quand il sent la main du chef de cette petite bande qui lui flatte le séant comme on flatterait un cheval en lui tapotant le derrière. Du regard, il cherche un possible soutien, mais les habitants semblent n'en avoir que faire de sa situation même si certains se sont stoppés pour observer la scène.

- Alors mon beau, t'apprendras que c'est pas comme ça que ça fonctionne. T'as failli ruiner mes vêtements, pour un peu j'aurai dû te louer pour me rembourser... Fais donc attention si tu veux rester un minimum intact jusqu'à notre arrivée à Séoul...

Le chemin est reprit, dans l'autre sens cette fois. Retour à la carriole, et Jisung voit sa chance s'envoler tandis que les maisons s'éloignent lentement de lui, qui se retrouve balancé selon le pas de celui qui le tient. Il est rapidement jeté de nouveau dans la cage avec Yongbok qui vient tout de suite l'attraper et le serrer dans un geste protecteur.

- Laissez lui les chaînes. Attachez la aux barreaux. Il saura vite qu'il n'a pas intérêt à recommencer.

- Non, non !

Le noiraud s'est vite précipité sur les chaînes qui commencent à s'enrouler autour des barres qui les contiennent, et il tente d'empêcher de se retrouver réellement enchaîné, mais sans succès, forcément, on le repousse du bout d'un bâton.

- Mais laissez moi retrouver mon alpha !! Je veux mon alpha !! je veux Minho !!

- T'inquiètes on t'en trouveras un quand on sera à destination.

Le chef ne s'adresse déjà plus à lui mais à ses hommes.

- Aspergez les de l'eau qu'il reste, donnez leur à boire avant, et un peu de riz. Faudrait pas qu'ils nous crèvent dans les pattes avant qu'on puisse les vendre.

Jisung observe les hommes en contrebas de la charrette, et tire doucement sur la chaîne comme s'il allait pouvoir en reprendre le bout maintenant accroché.

- Laissez moi...

- Hé, 'personne', ça sert à rien tu sais...

Yongbok a posé les mains sur ses épaules tremblantes et le tire doucement en arrière.

- T'es courageux d'avoir essayé. T'as failli réussir. T'auras peut-être une autre chance, qui sait ?

Pas le temps de répondre qu'ils se retrouvent submergés par un seau d'eau plein qui leur est jeté dessus. Maintenant trempés, la chaleur n'atteint plus le moucheté qui se secoue avant de tordre ses vêtements.

- Pfff...

Jisung, lui, a remonter son col jusqu'à son menton et il se roule en boule, ne souhaitant plus voir personne, ni parler à quiconque. Pas qu'il n'aime pas son compagnon, mais le cœur n'y est pas. Yongbok apporte une caresse délicate sur la hanche de son nouvel ami, et tapote doucement en geste de réconfort.

- Ça ira... Ils peuvent pas tous être horribles... Ça ira... Oui...

Ça ira... Ou pas...

- Jisung... Je suis Jisung...

Au point où il en est, il peut donner son prénom à son compagnon d'infortune... La carriole commence à bringuebaler doucement, ils repartent pour une destination quelconque... Comment Minho pourrait le retrouver avec ces détours alors qu'il n'a probablement aucune idée de qui l'a enlevé ? De désespoir, il se resserre en boule, ne prenant même pas la peine de toucher au bol de riz qu'ils viennent de passer entre les barreaux pour les nourrir un minimum.




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Ça craint XD

Comment il va se sortir de ce bazar??

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