Chapitre 12

Le temps est lugubre, à l'aune de son existence actuelle.

Jisung est assis sur le fauteuil de sa chambre qu'il a décalé proche de la fenêtre.

L'esprit vide de toutes pensées, il se contente de regarder la pluie tomber au dehors. Voilà deux jours qu'il pleut dru sans discontinuer. Deux jours qu'il n'a pas vu Minho, deux jours qu'il est prisonnier de sa chambre et qu'il n'en sort que pour les repas en compagnie de cette famille dont il ne veut pas.

Le dénommé Tian lui paraît si imbu de sa personne qu'il en est malade, quasi sûr que la vie à ses côtés sera pire encore que celle menée ici même chez son père. Oh il ne compte pas lui faciliter l'existence, pour sûr, et il se décide même à être particulièrement insolent et infernal. Le sombre écureuil tourne le regard en direction de la porte lorsqu'il entend la clé tourner dans la serrure. Il n'est pourtant pas l'heure du souper... Fronçant quelque peu les sourcils, le jeune homme reprend sa contemplation des jardins sous l'eau, trouvant le tableau bien plus intéressant que tout ce qui pourrait arriver ici.

- Monsieur, l'héritier Lee est auprès de votre Père, vous êtes demandé à son bureau.

Cela a le don de le tirer de sa contemplation et il se redresse, délaissant la couverture dans laquelle il s'était enroulé et il se précipite dans le couloir, hâtant le pas, pressé de voir Minho. Il sait bien pourquoi il est venu, mais il sait aussi que c'est peine perdue, et rien qu'à l'idée son ventre se tord.

Jisung ne prend pas la peine de frapper pour entrer dans la pièce et se fige seulement à l'entrée lorsqu'il voit son ami planté devant lui, et la famille Shennong confortablement installée dans les sièges qui occupent la pièce.

Tian le fixe du regard lorsqu'il entre, mais le noiraud n'y fait nullement attention, de même pour son géniteur qui le fusille du regard, tous ses sens étant tournés vers son alpha, le sien, le vrai, le seul. D'ailleurs il ne salue même pas le maitre de maison, et s'en vient juste prendre la main de Minho dans la sienne, offrant un sourire doux en réponse à celui que lui fait le plus vieux en guise de salut, à moins que ce ne soient là des encouragements à tenir bon ?
Les doigts de Minho s'entremêlent aux siens, et resserrent leurs prises pour essayer de transmettre un minimum de confiance et de réconfort, et Jisung sent ce parfum qui l'enchante et dans lequel il pourrait se rouler toute une vie.

- Tu vas bien ?

Au murmure de son vis à vis, le jeune homme hoche la tête.

Oui il va bien, il est enfermé mais physiquement, il va bien.

C'est avec une admiration sans bornes que le petit noiraud regarde alors son aîné prendre la parole, droit et fier, sûr de lui, alors qu'il se plie en deux en signe de respect profond – même s'il n'y croit pas un instant -

- Monsieur Han, moi, Lee Minho, fils de Lee Yeongbin, possédant les filatures de Daegu et de Yeongcheon, demande la main de votre Oméga, Han Jisung, lui et moi ayant été découverts âmes sœurs.

Un rire fuse, bref mais puissant, venant de leur droite. Jisung, contrarié et écœuré de ce comportement odieux de l'alpha chinois lance un regard noir à Tian qui semble s'amuser comme un petit fou, accompagné volontiers de ses parents qui sourient largement. Mais le rire tonitruant de son propre Père le fige alors, et il sent son cœur se serrer violemment. Il ne fallait pas s'attendre à autre chose. Son premier réflexe est de rentrer la tête dans les épaules comme pour se cacher et fuir la réalité. Mais la chaleur de la main qui serre la sienne lui fait recouvrer ses esprits et il se redresse pour observer son géniteur hilare. Ce rire paraît pourtant si mauvais... Et le rictus qui prend place lorsqu'il répond lui fait froid dans le dos.

- Eh bien, vous n'avez pas froid aux yeux jeune Lee. Toutefois la place est déjà prise et tout est déjà prêt. Celui que vous revendiquez épousera ce jeune homme ci présent, dit-il en désignant Tian, et ce dans quatre semaines. Vous êtes néanmoins cordialement convié à la cérémonie et aux festivités bien sûr. Il serait bête de rater le marquage de mon cher et tendre enfant.

La chair de poule saisit Jisung, rien qu'à l'idée. Il n'avait pas envisagé cela et l'idée le répugne à un point innommable.

- C'est Minho avec qui je souhaite faire ma vie. Pas un alpha qui m'est inconnu...

- Jisung, tu peux retourner dans ta chambre. Nous t'appellerons pour le dîner.

- Non ! Je ne suis pas un prisonnier, ou un esclave à qui on peut donner des ordres !

Monsieur Han se lève alors brusquement et claque un livre épais sur le bureau, où l'ouvrage reposait jusque lors. Et sa voix fait frémir le noiraud bien malgré lui, au point qu'il lâche la main de Minho, prêt à se reculer pour s'enfuir et échapper à ce qui ne peut qu'arriver.

- Tu n'as rien à dire ! Un Oméga se doit de savoir où est sa place ! Et elle n'est pas placée beaucoup plus haut que les esclaves dont tu parles !

- Monsieur,

Tian s'est levé et se ploie avant de prendre la parole.

- Permettez moi de le ramener.

- Faites.

Minho, lui, met quelques instants à comprendre ce qu'il se passe et finit par se placer en bouclier dos à son oméga. Menaçant du regard le grand jeune homme qui tente une approche, il finit pas se tourner vers le père afin de s'adresser à lui.

- Vous n'avez donc aucune notion des âmes sœurs ? Ne savez vous pas ce que ça représente ?

- Les âmes sœurs ne sont que fables de bonnes femmes pour endormir les enfants qui ne veulent rien écouter. Des foutaises qui n'ont rien à faire dans la vraie vie. Réveillez vous Monsieur Lee. Le temps des fadaises et des contes est dépassé, vous êtes un homme maintenant. Du moins je le pensais. Vous pouvez disposer maintenant. Nous avons un héritier à corriger.

Trop concentré sur l'échange entre son Père et Minho, Jisung a oublié Tian, l'espace d'un instant. Il se rappelle à son bon souvenir lorsque ce dernier lui saisit le poignet pour l'attirer à lui et l'éloigner de son aîné.

- Eh !

Jisung est un oméga, certes, mais il est têtu et absolument pas obéissant, pire encore si c'est pour le séparer de celui avec qui il se sent en osmose. Penser qu'il ne se débattrait pas est bien présomptueux, et ce dernier s'agite alors violemment pour tenter de faire lâcher prise à cet alpha bien trop grand. Alpha qui s'amuse de voir cette petite chose être si virulente.

- Lâchez moi ! Je reste avec Minho ! Vous n'avez pas à me toucher ! Restez à votre place !

- Ji...

Minho ne l'avait pas remarqué non plus, mais en entendant le noiraud hausser le ton, il comprend rapidement la situation et se décide à intervenir en repoussant cet envahisseur se pensant tout permis.

- Vous avez déjà pris nombre de terres ici, n'allez pas en plus prendre nos oméga !

Minho est alpha, mais il n'a pas une taille démesurée, il est d'ailleurs à peine plus haut que Jisung, toutefois il est bien bâti, ne se démonte pas et est bien décidé à faire front. Mais c'est sans compter les domestiques que Monsieur Han fait intervenir pour le retenir. Tian en profite et saisit le noiraud par la taille, ce dernier ne touche même plus le sol alors qu'il se débat toujours, et Minho est malgré lui, escorté jusqu'à l'entrée pour être sorti sans ménagement, les mains des deux jeunes hommes se détachant lentement sans qu'ils puissent y faire quoi que ce soit.

- Minhooooo !! Minho !

- Ça va aller Ji', on fera en sorte que ça aille, d'accord, ça ira !

Et Jisung se contente de hocher la tête, arrêtant brièvement de donner des coups pour tenter de se libérer. Ça ira. Minho le dit alors ça ira forcément... N'est-ce pas ?

Ses épaules soudain voûtées démontrent qu'il n'y croit pas forcément.

Il n'a pas l'impression que cela va aller.

La sensation que le pire est devant eux est écrasante, et c'est maintenant un poids mort dans les bras de son « fiancé » qui le mène à la chambre dans laquelle il est retenu contre son gré. Il y est jeté sans ménagement, et lorsqu'il tente de se relever du sol, où il a atterri violemment, il s'y retrouve vite le visage plaqué, Tian ayant saisit sa nuque pour le faire se baisser de nouveau. Une plainte lui échappe mais le type n'en fait pas cas.

- Crois moi que tu sauras m'obéir mon beau. Tu peux te rebeller, je n'en resterai pas moins ton maître.

De sa main libre, le « fiancé » passe une main délicate sur le dos de l'oméga en une caresse presque tendre. Et Jisung gémit son désespoir en tentant de se soustraire au toucher.

- Va au Diable pauvre crétin, je n'ai pas de maître et tu n'en seras pas un non plus.

- C'est ce que nous verrons...

Une pichenette fait alors résonner le collier de métal que l'oméga porte à son cou et les vibrations qui se répercutent le font frissonner.

- Quand tu seras marqué tu n'auras plus le choix, mon doux. Je t'ai payé assez cher pour que tu m'obéisses sans mot dire. Profites bien du temps qu'il te reste ici.

- Toi ou tes parents ? Foutu bâtard arrogant..

Sur ce, Tian se redresse en lâchant son promis, un sourire torve au visage, et s'en va non sans omettre de refermer la porte à double tour. Le son de la clé dans la serrure est de trop pour Jisung qui se relève pour essayer de forcer le panneau à s'ouvrir, mais il a beau abaisser la clanche, c'est peine perdue, et frapper sur le bois épais n'apporte rien sauf lui blesser les mains.

Il finit alors par se laisser glisser le long, dépité par la scène qu'il s'est passé, par les mots que ce type lui a confié, par le départ précipité de Minho, et... Non, il ne pleurera pas, il se l'interdit. D'un geste rageur, il essuie les larmes qui se sont échappées de ses yeux sans qu'il le veuille et se relève. Il sait pertinemment qu'il ne saura échapper à son Père et ce Tian a l'air de tenir à avoir son bien quoi qu'il en coûte alors il en ira de même. Et ce qu'il ne veut absolument pas, c'est mettre Minho en danger pour vouloir échapper à son destin...

Il est toutefois bien décidé à faire usage de son libre arbitre.

Jisung se place en tailleur le long du mur, souhaitant se trouver caché lorsque quelqu'un ouvrira la porte. Il compte bien leur fausser compagnie. En attendant que quelqu'un vienne, il reprend la contemplation silencieuse de la pluie tombant toujours aussi fort. C'est paisible, presque hypnotique, et le son délicat de l'eau lui permet de se vider l'esprit... Au point où il oublie presque son projet lorsque la clé tourne. D'un geste vif il se met debout et attend que le valet entre pour se faufiler discrètement derrière lui... Et de claquer la porte pour l'y enfermer à sa place.

- Tu veux me cloîtrer, tu vas y goûter toi aussi, crois moi.

Avisant le corridor pour être sûr de ne pas se faire prendre, le noiraud se hâte et descend les escaliers en courant, ne s'arrête pas et poursuit à même allure jusqu'à la porte. Rapidement il est au dehors, sous les trombes d'eau qui tombent du ciel, mais cela lui importe peu. Après un dernier regard à la demeure familiale qu'il va retrouver bien assez tôt, bien trop à son goût, il entame le trajet jusqu'à chez Minho. Cela ne peut pas se terminer sur une telle note, c'est hors de question.

Le chemin à travers bois est plus délicat qu'il ne l'aurait pensé, la pluie ayant rendu le terrain glissant et instable, mais avec mille précautions malgré sa hâte, il parvient enfin en vue du Hanok des parents de l'alpha. Le pas sûr, il s'y rend donc, ôtant de devant ses yeux les mèches sombres qui y tombent, la coiffure faite au matin ne ressemblant plus à grand-chose.

Minho, lui, a retrouvé son chez lui, absolument dépité et atterré quant au devenir de l'oméga. Il a consulté ses parents, se demandant ce qu'il aurait été bon de faire, mais rien... Absolument rien n'est envisageable, et cela, il ne l'accepte pas. Doit-il l'enlever ? Doivent-ils partir et vivre en cavale pour le reste de leurs jours ? Ses parents l'en ont dissuadé mais il ne peut laisser les choses se faire ainsi, c'est tout bonnement hors de question...

Il est à l'abri, sous le patio de la cour, ruminant sur cette parfaite impasse dans laquelle ils se trouvent. La pluie ne s'arrête pas de tomber, à croire que le ciel pleure pour leur malheur... Les genoux relevés et les bras en appui dessus, son esprit vagabonde à la recherche de « la » solution. Il doit bien y en avoir une... Mais il ne peut poursuivre ses investigations, la porte de la propriété s'ouvre doucement, et l'alpha fronce les sourcils, se demandant bien qui peut venir ainsi... Il est plus que surpris en voyant Jisung, et se lève pour venir à son encontre sous la pluie battante.

- Oh mon dieu Jisung, rentre vite, tu es trempé jusqu'aux os, tu vas tomber malade !

Il se hâte de ramener son hôte sous le patio à l'abri des cordes qui tombent, et s'empresse de le défaire de son hanbok bon à essorer.

- Qu'est-ce qui t'a pris de venir jusque là par ce temps ? Comment es-tu sorti de chez toi ? Je croyais qu'ils t'avaient enfermé, j'étais en train de chercher une solution viable pour te sortir de là dedans.

- Minho...

- Je suis sûr qu'il y a quelque chose à faire, on peut pas vendre quelqu'un comme ça, c'est une honte, tu es un homme, tu as autant de valeurs qu'un ...

- Minho...

- ... autre, et c'est... Tu peux pas te marier, pas avec ce type, c'est pas possible, tu as senti son odeur ? Il est mauvais !

- MINHO !

Si Jisung angoisse, il semble que l'alpha ne soit pas dans de meilleures conditions. L'oméga a saisit les joues de son aîné afin que leurs regards se croisent et qu'ils puissent s'entendre, s'écouter et se concentrer. Ils sont ensembles, ils régleront les choses ensembles. Mais à cet instant, le noiraud a une requête. Une requête qui lui importe, quelque chose qu'il veut réclamer, comme un dernier au revoir. Et une fois qu'il se rend compte que le plus vieux a toute son attention, il se lance.

- Je sais que ce ne sera jamais pareil... Mais je ne veux pas de sa marque, à lui... Je veux la tienne. Juste la tienne. Alors marque moi, ailleurs. Partout, peu importe. Les poignets, l'aine... Et... Minho prend moi... Je ne veux pas lui offrir ce plaisir de me prendre ça... De TE prendre ça...

Aucune larme ne s'écoule sur les joues rondes de Jisung, mais sa voix tremble d'émotion alors qu'il énonce ses souhaits, ses désirs. L'heure est grave et le temps leur est compté. Il ne doute pas du fait que son Père sache où il est actuellement, et ce n'est qu'une question de temps avant qu'il ne soit récupéré et à partir de ce moment, il lui sera tout bonnement impossible de voir Minho.

Les doigts fins du sauvageon aux yeux étranges remontent dans les cheveux soyeux de l'alpha pour l'attirer à lui et cueillir ses lèvres dans un baiser posé. C'est doux et chaud, autant que rempli d'innocence.

- Jisung...

- Je t'en prie Minho, tu peux pas le laisser prendre tout ça de moi... C'est à toi que je veux l'offrir... Je veux qu'on s'imprègne encore, qu'on... J'aurai tellement aimé avoir ta marque à toi... Alors il y a d'autres endroits à marquer... S'il te plaît... S'il te plaît...

L'hésitation de l'ainé ne dure qu'une poignée de secondes. D'une main ferme, il finit par empoigner le bras de Jisung pour l'attirer dans son sillage jusqu'à la chambre qu'il occupe. Il coulisse le panneau pour leur donner davantage d'intimité et lui qui avait le regard rivé au sol durant ces moments, finit par le relever après un dernier instant de réflexion pour se plonger dans celui de l'oméga à qui il tend la main. Ce dernier n'hésite pas, et la saisit, puis efface la faible distance qui les sépare. Leurs lèvres se cherchent... Se frôlent... Et Minho se laisse aller à embrasser furieusement celui qui, il en est persuadé, lui est prédestiné.

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