Souvenirs

-Le rendez-vous avec le responsable éditorial doit être annulé...

-Tu me croiras jamais, elle a carrément jeté ce minable...

-Le chien a bousillé le sofa...

-La voiture que j'ai déposé vendredi ! Oui, le cabriolet orange ! Comment ça elle n'est plus là ?!

-Non, ce n'est pas ce que je voulais dire, t'es un mec bien, c'est seulement que t'as toujours l'air de...

Du bruit. Toujours du bruit. Du bruit inutile et rien que ça. Je n'avais que neuf ans à l'époque. J'étais encore en primaire. Les gens déferlaient dans la rue en masse en contre-sens. Ou bien était-ce moi qui était à contre-sens. J'étais la petite dans un monde d'adultes et d'adolescents qui déferlaient droit sur moi. Je sentais mes épaules se cogner contre les attaches-caisses et les genoux ou les cuisses. Ils parlaient tous en un tumulte incessant, en un capharnaüm incontrôlé. Je marchais la tête baissée, plantée dans mon écharpe à carreaux qui retenais mes boucles et me grattais le visage. Pour éviter de me les prendre dans le visage, c'était la seule solution. D'autres enfants sortant d'école me poussaient en courant à travers la foule. A présent je recevais des poings et des cartables dans le dos. Je me faisais bousculer sur des inconnus et par des inconnus.

-Eh !

-Attention !

-Bon sang, mon café ! Vous ne pouvez pas faire attention, sales gosses !

Je me faisais rejeter en arrière puis repousser en avant. Et le capharnaüm repris de nouveau, indifférent et insouciant.

-Non, c'est toi qui raccroche la première, mon ...

-J'arrive pas à y croire, mon portefeuille !

-Dites aux chauffeurs que je serais là dans une demi-heure.

-Bien sûr que je t'ai acheté tes raviolis, mais tu ne t'occupe que de ça, même pas une pensée pour moi...

-Vous savez quoi, on va remplacer le model n° 287 par le croquis n°87E de la table C...

Je me pris tout de même trois porte-documents et une bousculade qui manquèrent de me faire tomber à la renverse.

-Ma maman m'a dit que tu pouvais rester dormir chez toi, pour la fête de Karla !

-Oui, elle a invité toute la classe, ça va être Super ! On va pouvoir choisir les poupées qu'on emmènera !

-Et si on met du rose ou...

Je tournais la tête dans mon écharpe, la tête toujours basse pour regarder les deux filles de ma classe bavasser elles aussi insouciantes. Leur voix me parvenaient plus clairement que celles des autres, plus haut perchés et plus intéressant.

-Shhhht, Anaïs, y a Alex qui nous écoute !

Je retournais immédiatement la tête et fixais obstinément le sol devant moi en continuant à me faire pousser.

-Alex ? Tu veux dire l'insociable ? Ah, ouais c'est vrai, c'est la seule à ne pas avoir été invitée. La pauvre.

-Ah bon ? Je crois que Karla me l'avait dit. Elle a peur qu'elle ne fasse fuir les autres.

-Tais-toi, elle nous écoute.

-Changeons de trottoir !

-Regarde, des cupcakes ! Je veux celui en forme de cœur, t'as de l'argent ?

Je bifurquais sur la gauche où déjà d'autres personnes attendaient que le feu passe au vert pour passer sur le passage piéton. J'avais beau faire, je n'étais pas vexée, ni même irritée ou triste. Je restais stoïque et la tête plongée dans mon écharpe. Le feu passa au vert et j'attendis que les gens ne passent en trombe sur les bandes blanches avant de m'y risquer. Je comptais dans ma tête à l'envers. A partir de 6... 5.. 4... 3... 2... 1... et je rouvris les yeux vers les bandes et uniquement les bandes. Je traversais seule dans la rue et posa les pieds sur le trottoir suivant au moment même où le feu interdisait à d'autres personnes de mettre le pied sur le bitume de la route. Je rejoignis le lieu de travail de ma mère en marchant tête baissée comme à l'habitude, en essayant de me concentrer sur les paroles des gens autour de moi. Mais aucun son ne me parvenait. Je levais momentanément la tête et remarquais que personne ne me poussait ou ne me frappait. Il n'y avait pour ainsi dire, personne. Je continuais donc à marcher en regardant devant moi pour la première fois depuis longtemps. Je regardais partout, les bars et les cafés où attendaient d'être consommer des beignets et des boissons. Des vélos étaient échoués sur les lampadaires ou sur le sol. Les voitures formaient de longues queues multicolores dans la rue. Un billet de 20 volait dans les airs.

Je pénétrais dans le bâtiment richement entretenue où travaillait ma mère. En général, je parlais avec le portier avant d'entrer dans la porte roulante. A son emplacement, ce trouvais un trousseau de clef. Je le ramassais et le rangeas dans ma poche. Il avait dût le faire tomber. Je le lui rendrais quand je le reverrais. Ou je le donnerais à l'hôtesse. Je marchais dans le hall où mes pas résonnaient atrocement.
Là où les bancs étaient toujours occupés et les couloirs remplis, ne restaient que des feuilles volantes et des sacs à mains ou portes documents. Les mêmes qui me frappaient dans la rue.

Je m'avançais jusqu'à l'accueil pour m'y présenter comme tous les jours à quatre heure. Même si c'était inutile, et qu'elle ne cessait de me le répéter, je le faisais tous les jours, tout de même. Ce jour-là il n'y avait pas de queue de gens ronchons et de mauvaises humeurs. Je me mis sur la pointe des pieds pour que le haut de ma tête ne dépasse.

-Mademoiselle Chelsea ? Vous êtes là ? Je viens voir Mme Jeannette, 18e étage porte n° 3.

J'avais bien vu qu'il n'y avait personne, mais je préférais le faire. Maman m'avais déjà avertie des manières à avoir sur son lieu de travail. Mais j'étais toujours gentille avec Mlle Chelsea et Mr Thomas, le portier. Je disais bonjour aux femmes de ménages et j'évitais de marché là où elles avaient passés la serpillère. Je souriais aux personnes qui travaillaient avec maman et je posais des questions intéressantes aux autres, pour paraître polie et bien élevée.

-Mlle Chelsea ? ... Ce n'est pas grave, je vais y aller quand même. Bonne journée.

Je patientais devant la porte de l'ascenseur. Je chiffonnais un papier où un tas de nombres étaient associés à des noms. Les chiffres numériques en rouge décomptaient devant mes yeux. La porte s'ouvrit sur la cage d'ascenseur luxueuse tout en marbre avec un miroir impecablement nettoyé. J'attendis seule avec la musique en sourdine. Le maître d'ascenseur aussi avait disparut. Je sortis calmement de la cage et l'entendis se refermer. Je marchais jusqu'au bureau de ma mère et ouvris la porte. La pièce s'entait bon maman. Son parfum haute-couture qu'elle ne me laissait pas toucher même pour les grandes occasions, sa crème hydratante pour la peau que lui avait offert papa pour son anniversaire, l'odeur de ses vêtements et sa graisse pour les cheveux. Ça en faisait beaucoup pour une seule personne. Mais tout se mariait bien ensemble et me rappelais les nuits passés avec elle le soir.

-Maman, je suis revenue de l'école.

Silence. Je me l'imaginais me répondant « pas maintenant chérie, je suis occupé là ». Alors je me taisais et allais m'asseoir sur le fauteuil d'attente à côté des coussins parfaitement gonflés. Mais elle n'était pas là. Alors je me suis imaginée en train de me dire « bonjour, ma puce, ta journée c'est bien passée aujourd'hui ? » et je me suis mise à mentir à ma question silencieuse.

-Aujourd'hui, j'ai répondu à quelques questions que la maîtresse țà poser. Elle m'a donné deux étoiles de participation et je me suis fait deux nouvelles copines. Elles m'ont invités à prendre des cupcakes, mais je n'avais pas d'argent, alors elles m'ont on prise. C'était un en forme de cœur. Je l'ai donné à un monsieur sans maison dans la rue. Je suis sûr qu'il aura moins faim et qu'il était heureux...

Je me levais et m'assis sur sa chaise roulante. Son ordinateur avait déjà enclenché son mode veille. Et le logo de l'entreprise c'était affiché sur l'écran. Une photo de moi à mes six ans était scotchée à celui-ci, et dans un cadre, une autre de mon père, elle et moi. Je ne souriais sur aucunes photos. Je détestais être prise en photo. Dans mes yeux, on peut voir alors, tout ce que je veux cacher. J'étais une hypocrite dans l'âme. Tout ce que je faisais pour plaire, n'avait que du faux. C'était sans doute pour cela qu'on me nommait « l'insociable ».

-Tu sais, je te mens. Depuis le début de l'année, je n'ai jamais ouvert la bouche. Je me tiens au fond de la classe et je n'ai pas d'amis. Enfin, j'ai des bonnes notes, mais la maitresse m'a indiquée qu'elle me mettra zéro en note de participation.

Le silence me répondit à sa place. Je relevais la tête et tournais dans son fauteuil en cuire sombre. Je prenais maintenant pleinement conscience de ma solitude. J'admirais les murs en verre, le plafond propre, les fauteuils, les meubles remplis de dossiers classés et rangés dans l'ordre... Mais personne. Je glissais du fauteuil avec peine, en posant d'abord le bout des pieds avant de me laisser glisser totalement. Ma petite taille n'avait rien de très pratique à l'époque. Je sortis de la pièce et rebroussais entièrement chemin. Une fois à l'extérieur, je marchais au beau milieux de la rue entre les voitures encore vrombissante. Le feu passa au rouge et s'en alla pour une minute ainsi. Je traversais en regardant partout autour de moi. Mes oreilles étaient assourdies par ce silence, et j'entendais encore les bavardages incessants d'inconnus près de moi, et par moment, leurs coups sur mon visage. Mais il n'y avait pourtant, véritablement pas âme qui vive en cet instant. Mis-à-part moi.

-Il y a quelqu'un ?

Mon cri ricocha sur les murs avant de disparaitre en un écho.

-Eh ! Il y a quelqu'un ?! Criais-je plus fort.

Cette fois ci, ma voix resta à mes oreilles plus comme paroles imaginaires. Je courais entre les voitures en cherchant quelqu'un - n'importe qui. Je m'arrêtais en face d'un café. Je remarquais que c'était le même café où les deux filles étaient allées quand elles avaient voulus m'éviter. Je me regardais dans la vitrine de la porte- l'expression neutre, les cheveux en coupe afro, quelques gouttes de sueurs sur mon front et les yeux grands ouverts- avant de pénétrer à l'intérieur. L'habitacle sentait le café, le sandwich et les produits de nettoyages chimique. Des lumières chaudes sortaient de la cuisine et des spots futuristes éclairaient la salle principale. Le tout avait une atmosphère qui me grisais et me terrifiais tout en me donnant un sentiment réconfortant. Je regardais dans la vitrine d'exposition et y aperçut les cupcakes en questions. Ils avaient l'air appétissants et étaient très beaux, éclairés par une lumière dorée.
Il était clair qu'il n'y avait personne. J'en étais maintenant certaine. Alors pourquoi me privé de libertés qui m'avaient toujours étés refusés ? Je passais derrière le comptoir et ouvris des deux mains la vitre coulissante qui protégeait les jolies confiseries. Je restais ainsi à les regarder avec froideur. Puis saisissais tout ceux portant un cœur couleur lapis-lazuli et les glissais dans un sac plastique. Et le posais à côté d'un sac à mains pivoine remplis et débordant de cercle rose coincés dans un plastique transparent. Je pris mon sac à dos et le fis basculer en avant pour y glisser tous les gâteaux que je désirais, puis, j'ouvris grand le frigidaire à vitre transparente et y choisis alors les boissons la boisson la plus sucrée dont j'avais envie.
Je partis du café le sac remplis de sucreries et un sac plastique remplie de cupcakes à la main. En sortant de la boutique je passais par le parc et balançais le sachet par-dessus le pont aux poissons, qui avaient tous disparus par ailleurs. Je partais cher moi à pied ce jour-là, la tête haute et en souriant pour la première fois depuis... longtemps.

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