Chanty
Les noms défilaient sur le fond noir et la musique entamait ses premières notes. Ça faisait le troisième film qu'on regardait et j'avais encore l'acidité de la sauce bolognaise dans la bouche. De plus, Caleb avait les pieds froids, et n'arrêtait pas de les mettre sur mes jambes. Et lui en faire la remarque n'arrangeais pas les choses. Après avoir été sûr de voir toutes les scènes ratés et drôle coupés au montage, celui-ci se leva pour débrancher son ordinateur portable de la télévision en emportant une bonne partie de la couverture avec lui.
-C'est bon, j'ai gâché 4 heures de ma vie, et j'ai bousillé ma rétine pour la cinquantième fois.
Pendant qu'il l'éteignait, j'entraperçus l'image d'une fille sur le bureau. Je m'approchais de l'écran de l'ordinateur en emportant l'autre partie de la couverture. Au finale, tout le pan non utilisé de la couverture s'étalait sur le sol froid et nous donnait une cape épaisse sur le dos.
-Attend, c'est qui ?
-Elle ? C'est Chanty, ma petite amie.
-Toi t'as une petite amie ? Comment elle fait pour supporter un gros-malin, flegmatique et rabat-joie comme toi ?
-Je ne suis pas comme ça. Du moins pas avec tout le monde, rajouta-t-il en regardant l'écran avec plus d'insistance.
-Tu as d'autres photos d'elle ?
-Oui, je crois. Laisse-moi chercher une minute.
Il ouvrit de nombreux dossiers sur son bureau, ainsi que de nombreux sous-dossiers avant de trouver le bon. Il y avait bien là une trentaine de photos et une dizaine de vidéos de Chanty et de Caleb. Il fit d'abord défiler les images en me laissant la place pour que je puisse appuyer sur les flèches. Elle était vraiment jolie avec de longs cheveux bruns et d'immenses yeux gris, comme Caleb. Les photos devaient dater de l'automne dernier car de nombreuses feuilles séchée jonchait le sol et les arbres. Elle portait une écharpe raccommodé et souriais de toutes ses dents. Dans celles où elle était avec Caleb, elle lui entourait le cou des bras, l'embrassais et l'enlaçait. Caleb, lui ne souriait pas autant qu'elle. J'avais raison de dire qu'il était flegmatique, mais il souriait quand même. Ils avaient l'air vraiment heureux.
-Elle est vraiment jolie ! Je me demande vraiment comment elle fait pour te supporter tout le temps ?
-Ça ne fait qu'un an qu'on est ensembles. C'est une des raisons pour lesquels j'ai hâte de retourner dans ma réalité. Elle doit s'inquiétée
-Tes parents aussi doivent s'inquiétés, non ?
Il y eu un moment de silence pendant lequel j'attendais la réponse de Caleb. Celui-ci tira l'ordinateur à lui et cliqua, et glissant son doigt sur le pavé sans trop rien faire. La réponse ne vint pas et j'allais me lever quand il revint au dossier des photos et des vidéos de sa petite amie.
-Tu veux regarder les vidéos ?
J'acquiesçait en arrangeant la couverture sur mes épaules. En mouvement, Chanty était encore plus belle. Ses cheveux coincés dans son écharpe s'envolait par longues mèches dans le vent. Elle avait aussi un beau rire. Les vidéos étaient de mauvaises qualités et le souffle du vent crachotait dans les haut-parleurs. Elle était drôle aussi, et racontais des blagues dans ses vidéos en filmant elle-même tout en gardant Caleb par le cou.
-Alors, petite blague ! Commença-t-elle en en essayant d'être sérieuse.
-Non pas de blague, elles sont toute nulles et mes oreilles ne son pas préparés, répliqua Caleb d'un faux air sérieux lui aussi.
-Nan, nan, nan, je suis sûr que celui qui regarde cette vidéo veut l'entendre ma petite blague, hein, pas vrai ? dit-elle en se tournant vers l'objectif.
Elle tenait Caleb et le menait facilement en bourrique. Elle obtenait ce qu'elle voulait si aisément que sa en était drôle. D'ailleurs, je ne pus pas m'empêcher de lâcher un petit pouffement devant la tête exaspérer de Caleb. Il baissait et tournait la tête au-delà de l'objectif comme pour chercher de l'aide et riait quand Chanty revenait à lui.
-Alors, c'est Seule, Personne et Rien qui partent en bateau. Durant le voyage, Personne ne tombe à l'eau, donc Rien dit à Seule d'appeler les Secours. Lorsque les secours répondent enfin, il dit : « Allô ! Je suis Seule, j'appelle pour Rien et Personne n'est tombé à l'eau ! » ahahahah ! Et voilà ! Elle était drôle, non ?
-Non, elle était nulle, zéro à chié.
-Je suis certaine que tu as aimé ! Regarde, tu rigole, tu rigole ! Ahah, tu as tes joues qui rosissent ! Je sais bien qu'elle était drôle ma blague !
-Non, pas du tout ! Tu m'étrangle, Chanty !
-Aller, on fait un petit bisou pour la caméra, aller un petit bisou ! Et puis tu dis « Chanty est la fille la plus drôle du monde ».
-C'est hors de question.
-Aller, tu dis « Chanty est... »
-Chanty est la plus belle du monde ! T'es contente ? Je peut le dire encore plus fort, si tu veux. CHANTY EST LA PLUS BELLE ET LA PLUS FOLLE FILLE DU MONDE ! Ah oui, ET AUSSI LA PLUS DRÔLE ! Parfois.
-Ahah, et le bisou ? Tu as oublié le bisou !
Ils s'embrassèrent et la vidéo fit un arrêt sur image. Je riais toujours de la blague et des manières de Chanty. Pendant toutes ces années, je n'avais pu voir que les personnes qui apparaissaient et disparaissaient de ma réalité alternative. De cette fichue réalité alternative. Je n'avais jamais pu voire quelqu'un d'autre. Une seule fois j'avais rencontré de personnes n même temps. Lenny et Madison, je me souvenais de leurs noms. Je me souvenais de leurs noms à tous, sans exceptions. Marty, Emily, Sarah, Antoine, Dan, Alejandro, Maëlle... Je me souvenais d'eux tous ! de ma première semaine jusqu'à Gaël d'il y a une semaine. Jamais on ne m'avais parler d'un moyen d'immortaliser les gens aussi facilement, d'un moyen de les garder dans nos cœur et dans nos yeux aussi facilement.. Les vidéos n'étaient pas aussi faciles à faire quand j'ai disparut et j'aurais tout donné pour en avoir de ma mère. Et de mon père. Et de toutes les personnes que j'ai rencontrées jusque-là. Chanty ressemblais à ses petites filles qui me martyrisaient à l'école. Celles qui ne voulaient pas jouer avec moi pour je ne sais qu'elle raisons. Elle ressemblait à ces jolies petites filles qui me rejetaient alors que je ne demandais rien de plus que de devenir leurs amis. Elle ressemblait à ses deux petites filles, Anaïs et Shirley, qui parlaient de moi en pensant que je n'entendais pas et qui me traitaient d'insociable. Elle me rappelait le sentiment que j'avais eu en les entendant. Elle me faisait ressentir encore les portes documents qui me poussaient et les adultes qui me bousculaient. Elle me faisait entendre le capharnaüm incontrôlable de la foule et des voitures. Et elle me fait éprouver pour la énième fois, ce que j'ai ressentis lorsque tout s'est arrêté. Alors je rigolais. Et j'en voulais à Chanty.
-Alex ? Est-ce que ça va ?
-Oui, c'est juste que... Je crois que je vais aller me rafraîchir.
Je me levais et laissa la couverture glisser sur le sol. Caleb me suivit dans mon geste, mais je m'emparais de mon sac à dos et m'engageais dans les couloirs. J'étais déroutée et il fallait que je reprenne mes esprits. Chanty n'avait rien à voir dans ma condition et je n'avais aucune raison de lui en vouloir. Je ne la connaissais même pas ! Chanty n'avais rien à voir avec ses deux petites filles, et ses deux petites filles n'avaient rien à voir avec ma condition non plus. Avec tout ce remue-ménage dans ma tête, je ne me souvenais même pas comment faire pour retourner à la chambre. Ni où était la chambre. J'étais simplement coincée dans un couloir que je ne me souvenais pas avoir traversé avec Caleb le matin même.
J'étais pour ainsi dire, paumée.
-Alex. Quelque chose ne va pas.
Je ne l'avais pas entendu arriver. Et il m'avait fait sursauter. Surtout que me retrouver à croupie, la tête dans les mains, n'était pas l'habitude que j'avais donné à mon paraître devant Caleb. Même devant les quelques vingt heures qu'on se connaissait. Il avait dit ça d'un ton catégorique et assuré et était appuyé, les bras croisé sur le mur à côté de moi.
-Je me suis perdu, c'est tout. C'est ta faute si ta une maison aussi grande.
-La chambre de mes parents n'est pas loin si tu veux. Tu pourras te... Te rafraîchir là-bas.
-Oui, je veux bien, merci.
Il me mena dans les couloirs et je me concentrais pour garder mes yeux et mon esprit fixé sur son dos. Je pénétrais dans la chambre sans vraiment y prêter attention. Caleb me pointa la porte du doigt de sa tête toujours aussi placide. J'y pénétrais sans lui adressé un mot et claqua la porte derrière moi en la fermant à clef, puis je m'effondrais à terre. J'avais essayé de camoufler mes émotions- comme Caleb- comme j'avais toujours essayé de le faire avec moi-même ou avec les autres, mais j'avais échouée. J'avais laissé paraître mes sentiments. Quand j'étais petite, j'y arrivais mieux.
C'était plus facile quand j'étais petite.
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