Chapitre 12

Rachel a quitté la maison il y a une heure, après que l'on ait joué à la Wii et que je l'aie éclatée pour trois générations. Elle est très mauvaise perdante donc c'était à mes risques et périls, mais j'ai juste dû lui acheter des croissants à la boulangerie (boulot ingrat). Je parcours les réseaux sociaux, allongé sur mon lit. Je ne m'étais jamais posé la question, la réponse me semblait trop évidente, mais après l'avoir vu au bal... Je vais sur chaque plateforme et tape le nom de celui qui occupe mon esprit malgré lui, comme malgré moi, dans la barre de recherche. Je ne trouve rien, sauf sur le dernier. Il y a un compte dont le nom colle avec le sien et je tape sur le profil. Il n'y a pas beaucoup de photos, mais la plupart datent de presque cinq ans.


J'hésite, puis me décide finalement à les regarder. Il devait avoir à peu près 12 ou 13 ans si l'on calcule (plutôt 13 étant donné que les réseaux sociaux ne sont pas autorisés avant cet âge-là). Le premier cliché me surprend. Il s'agit du blond, à ses débuts sur cette plateforme, assis dans l'herbe. Il a des cheveux longs jusqu'en bas de la nuque et ceux du haut sont attachés. Il porte un jean bleu foncé et un large T-shirt blanc à manches courtes. Il sourit de toutes ses dents et regarde droit l'objectif, comme s'il me regardait et essayait de sonder mon âme. J'en regarde plusieurs encore. Sur la plupart, il est souriant et les dates sont régulières. Ça devait être sa vie avant d'arriver ici.


Plus j'avance dans les photos, plus les dates sont récentes et moins elles sont régulières. J'en vois quelques unes avec Lucie, où leur ressemblance est bien plus flagrante que la veille. Je remarque que son sourire se fait moins grand et ses vêtements moins révélateurs. La dernière image date de cet été, peu avant son déménagement. Il est assis sur un banc, de profil et regarde droit devant lui, un mince sourire au lèvres. Il porte le fameux sweat noir qu'il ne lâche jamais et des vêtements sombres. Il avait déjà cette manie de serrer le bout de ses manches entre ses poings.


J'ai l'impression d'entrer dans une partie de sa vie qu'y m'est inconnue, puis je réalise que toute sa vie m'est inconnue. Et je me surprends à avoir envie d'en savoir plus. Ma curiosité est éveillée et je vais devoir faire attention à ne pas la laisser déborder.


La dernière semaine de vacances passe. Mes grands parents qui n'avaient pas pu venir nous voir pour Noël étaient présent les derniers jours. Comme à chaque fois qu'on les voit, ils s'assurent que l'on va bien, que l'on a pas de problèmes et que l'on ne manque de rien. Ça fait cinq ans qu'ils sont dans cette veine là, on ne les voyait pas souvent avant. J'ai aussi bouclé mes devoirs le plus vite possible sans pour autant les bâcler, j'ai pas envie que mes bulletins soient poukraves, je pourrais pas aller dans l'école que je veux après le bac sinon. Le moment où j'essaie m'endormir en étant réticent à retourner au lycée le lendemain se présente donc très rapidement. Je n'ai pas eu le temps de méditer sur le verdict de Rachel à propos de ma sexualité et je n'ai absolument pas envie de me plonger là-dedans. C'est sur cette pensée que le sommeil me prend enfin.


Le lendemain, le réveil est dur, mais, d'habitude, je n'ai pas "peur" d'y aller. Là, j'ai peur que la face d'ange n'ait parlé de quoi que ce soit à quelqu'un, j'ai peur du coup de pute que je pourrais recevoir à cause de la semaine dernière, j'ai peur que mon comportement soit différent de d'habitude et que l'on remarque quoi que ce soit. Je fais bien plus attention à ma tenue que d'habitude, pour ne pas avoir l'air bizarre. Une fois au lycée, je me dirige assez stressé vers mon casier en priant, pour la première fois, de passer inaperçu et qu'il n'y ait rien de mauvais dans le petit lieu de rangement. Lorsque j'ouvre la porte, il n'y a pourtant rien du tout. Une main se pose brutalement sur mon épaule et je sursaute, lâchant au passage tous les cahiers que j'avais dans les mains. Je tourne la tête, ce n'est que Steve. En train de se foutre de ma gueule.

- Wow, Ethan, t'es stressé ou quoi ?

- Pas du tout, je réponds en ramassant mes affaires.

- Je te crois paaas du tout, mais j'ai la flemme de creuser alors stresse tout seul si ça t'amuse.

- Comment va Tiffany ?

- Je l'ai quittée ce matin.


Et bim. 5€ pour moi.

- Ah, dommage.

- Tu l'avais vraiment fait ou pas ?

- De quoi ?

- Aller embrasser Angel.


Je m'étouffe avec ma salive.

- Mais le dis pas tout fort ! Et pour te répondre, oui, je ne me désiste jamais.

- T'étais quand même pas franchement pour.


C'est alors que Léna et Mary passent devant nous. La première nous salue et la seconde m'adresse un faible sourire, sans même s'arrêter.

- Heureusement que tu l'as quittée, je la hais.

- Je vois ça, se moque-t-il.


La sonnerie retentit avant que je ne puisse répliquer. La face d'ange n'apparaît pas sur mon trajet jusqu'au cours de maths. Je me surprends à le chercher du regard, moi qui devrait plutôt l'éviter. Les deux premières heures passent très lentement et, à la pause, je me précipite dehors. J'en peux plus de cette salle. Je marche rapidement dans le couloir et descend les escaliers le plus vite possible. Les gens que je croise me fixent, peu habitué à ce que j'aie un tel comportement. Leur regard est pesant. Et s'ils savaient ? Et s'ils me jugeaient ? Je parcours un couloir et pousse une porte au hasard avant d'entrer dans la pièce. Je referme derrière moi, et donne un coup de poing au mur.

- Merde !

- Oh, mais c'est pas vrai ! Même enfermé dans une remise, tu viens m'emmerder ?


Je tourne la tête et croise le regard du responsable de mon état. Non, mais c'est pas possible ! On est dans une petite pièce avec quelques balais et des seaux. De nouveau avec son sweat, il est assis par terre, son portable dans une main et ses écouteurs dans l'autre.

- Et, par pitié, achète toi une conduite qui rentre dans les normes sociales.

- Qu'est-ce que tu fous là ?

- Je voulais pas voir ta sale tronche donc je me suis installé ici, mais tu reviens à chaque fois comme un chien !

- Qui tu traites de chien ?!

- Tu vois quelqu'un d'autre ici ? souffle-t-il énervé, avant de regarder son écran.


Mon corps agit à ma place, je m'abaisse à son niveau et lui retire l'objet des mains avant de le regarder droit dans les yeux.

- Rends moi ça !

- Tu m'insultes pas. J'avais pas envie de voir ta tête non plus, je voulais avoir la paix.

- Oooh, fatigué des gens qui t'admirent pour l'image fausse que tu renvoies ? répond-t-il en m'arrachant l'objet des mains.

- Non ! C'est comme si leurs regards me transperçaient ! C'est comme s'ils savaient et qu'ils me détestaient ! Ça me fait peur et j'arrive pas à me calmer !


Je me relève brusquement et part m'asseoir tout au fond de la pièce. Je tiens ma tête dans mes mains et ferme les yeux. Je ne veux pas être proche de l'autre, mais je ne veux pas sortir non plus. Cette journée m'épuise tellement et il me reste 6h avant de rentrer chez moi. Je sens son regard pesant à lui aussi posé sur moi. Ça fait des années que je ne me suis pas senti comme ça. Seul mais entouré, démuni et au bord d'exploser. Ce connard a réveillé un truc que j'ai mis des mois à endormir. Une main se pose sur mon épaule. Je m'apprête à engueuler Steve, mais me rappelle qu'il n'est pas là. Une seconde main se pose sur mon autre épaule.

- Ethan.


Oh, non.

- Ethan, regarde moi.


Je ne bouge pas.

- Je fais l'effort de t'aider alors que j'ai envie de me barrer alors coopère, s'il te plaît.


Je ne bouge toujours pas. Il soupire lourdement et retire ses mains de mes épaules. Je m'attends à ce qu'il s'en aille, mais ces mêmes mains viennent lentement se poser sur les miennes et les tirer doucement.

- Allez, regarde moi. Même me voir te fera te sentir mieux que de rester avec tes pensées pas bien ordonnées, de ce que j'ai compris.


Il pose finalement mes mains au sol et relève ma tête, me faisant ainsi croiser son regard. Je dois avoir un air pitoyable. Même ma mère ne m'a jamais vu dans ces moments-là. Elle devait déjà gérer les siens. Je sens ses doigts sur mes tempes, et ce contact me déconnecte de mon esprit divaguant. Mes yeux sont ancrés dans le bleu des siens.

- Voilà. Maintenant tu te concentres sur moi. Si ça peut t'aider, pense aux crasses que tu voudrais me faire, je m'en fous.


Mes pensées s'axent sur lui, ce qu'il m'a fait, ce que je lui ai fait, le bal, mais je ne trouve pas de crasse à vouloir lui faire.

- C'est bon ? Normalement, tu devrais te sentir un peu mieux.


Je ne réponds pas. Je le prends par les épaules et le repousse lentement. À ma surprise, il se met à crier.

- Lâche moi tout de suite !


Il repousse violemment mes mains et se tient les épaules en grimaçant. Pour une fois, je ne comprends pas ce que j'ai fait de mal. Il a froid ? Non, je pense pas. Je lui ai fait mal ? Mais j'ai rien fait ! Je le fixe dans l'espoir de recevoir une explication à cette réaction. Il se rend compte de mon interrogation et secoue la tête.

- Ça y est ? T'es calmé ?

- Oui, mais-

- Tant mieux alors.


Il se lève et retourne s'asseoir là où il était. Je n'y comprends rien à ce mec !

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