" À Shion "


Shion,


Tu as certainement du reconnaitre mon écriture. Tu as du penser « C'est bien le style de Nezumi, ça. S'enfuir plus vite que le son et m'envoyer une lettre ». Une lettre, pourquoi, d'ailleurs? Pour quémander ton pardon? Car l'écrire me fait du bien? Quoiqu'il en soit, une motivation bien égoïste, n'est ce pas? Je ne te dirais pas quoi penser de moi, Shion. Je pense que la réaction la plus saine et normale que tu puisses avoir est une simple haine, profonde, à mon égard, mais je sais aussi que tu es loin d'être un individu commun. Je t'écris pour te dire enfin la raison de mon départ, si il en eut une. En un seul mot simple à comprendre, même pour un benêt comme toi: culpabilité. Sentiment fort que je ne saurais décrire avec mes mots froids, elle m'a assailli à de nombreuses reprises, quand j'étais à tes côtés. Lorsque je t'ai vu, brandissant une arme, le regard vide, dans le but de sauver ma vie, je me suis senti bien trop mal. Lorsque tu as tué quelqu'un en lui explosant la tête, quelque chose m'a traversé, bien plus violemment qu'une balle de revolver, quelque chose me hurlant que c'était de ma faute, que tu allais porter le fardeau qui pesait sur mes épaules depuis des années: celui d'être un assassin. Quand tu as failli attenter à tes jours, pointant l'arme vers toi-même, tout s'est effondré en moi, l'espace d'un instant. Oui, l'espace d'un instant, tout mon esprit, tout mon univers ne s'était résumé qu'à « Tu vas l'avoir tué ». Cette seule pensée me remplissant d'effroi, me paralysant de la tête au pied, me donnant la nausée même aujourd'hui. Absurde, n'est ce pas? J'ai tant de fois fais mine de te tuer, de t'étrangler, de t'égorger, et me voila m'apitoyant sur ton sort. Si tu n'avais pas été aussi bon, Shion, tu serais sûrement entrain de rire à t'en décrocher la mâchoire.


    Quoiqu'il en soit, alors que l'idée même de morale ne m'avait que brièvement effleurée, la voila qui me berçait, me percutait, me torturait, presque. Je ne me souviens pas de mes parents, si ils avaient été à mes côtés, je ne sais pas ce qu'ils m'auraient dit. M'auraient-ils trouvé malsain? M'auraient-ils aimé comme des parents aiment leurs enfants? Et moi, serais-je devenu quelqu'un à leur image, quelqu'un de différent de celui que je suis aujourd'hui? Tout ce que je sais, c'est que tout êtres humains qu'ils auraient pu être, ils m'auraient enseigné le principe de « morale » . Ils n'auraient jamais voulu que je sois quelqu'un capable de te blesser au point de rendre ton existence bien plus atroce que la mort, si insupportable que tu aurais souhaité t'en débarrasser sur le champs.     Non pas que tu sois entièrement innocent: tu m'as beaucoup prit, toi aussi. Avant de te connaitre - par là, je veux dire, de te connaitre vraiment - j'avais une façon de vivre bien moins douloureuse. Je partais du principe que tout ce qui importait étaient les apparences, la surface, ce que les autres voient de nous et ce qu'ils en pensent. Si tout le monde pensait que j'étais vil, pervers, manipulateur et froid, si tout le monde croyais en mon jeu d'acteur, le costume que je portais deviendrait ma chair. Si le masque que je portais était assez avenant, les autres se laisseraient séduire et ne chercheraient pas ma véritable nature.     Et toi? Toi, un imbécile de No.6 à qui je suis déjà assez embarrassé de devoir la vie, tu parvins à m'enlever mon déguisement, à ruiner ce jeu que j'avais répété tant de fois. C'est toute ma fierté de comédien qui en prend un sérieux coup, tu le sais? C'est ça. Pour faire court, tu m'as effrayé. Car tu étais No.6 dans toute sa force, car tu étais étrange, car tu m'as laissé à découvert, car tu ne cessais de me blesser par tes actes stupides, tes paroles irréfléchies. Et malgré tout, si comme on le dit, l'âme ne se révèle réellement qu'au moyen de l'art, tu dois être ma muse. Depuis que je te connais - réellement - je suis bien plus sincère en tant qu'acteur. C'est assez handicapant, crois-moi, quand à chaque fois que tu fais ce que tu aimes le plus au monde, la personne que tu essaie à tout prix d'oublier hante ton esprit. Je vis pour le théâtre et ainsi, je sais que le secret d'un bon jeu tient du savoir que tout est feint, que rien n'est vrai. Et pourtant... dès que je t'accorde une pensée sur scène, Ophélie et moi-même ne formons plus qu'une seule et même personne, à l'âme tourmentée; et toi, Shion, tu deviens mon Hamlet. Les paroles et les chants qui lui viennent, cette douleur qu'elle éprouve, ces larmes qu'elle verse, tout devient mien. Je ne comprends vraiment pas pourquoi. Si notre amour est destiné à être une tragédie, pourquoi suis-je si obsédé par toi? Malgré tout, ce serait un mensonge que de te dire que je suis parti par peur. On peut dire beaucoup de moi, je suis loin d'être un lâche... Même si, en revanche, j'ai tendance à être fier, je dois me l'avouer. Je tenais à te prouver à quel point mes baisers d'adieu sont meilleurs que les tiens. Je voulais savoir à quoi ressemblait ton étreinte quand tu ne me mentais pas. Comme le temps nous était compté je n'ai pas pu te dire mon ressenti: amer et délicieux.    Ne pleure pas. Je sais que tu es entrain de pleurer. Je sens tes larmes rouler sur ma peau rêche de papier, brouiller mes rides noires d'encre. Je sais que la seule preuve matérielle de mon existence que tu possèdes se trouve entre tes mains mais s'il te plait, sois courageux. Je suis parti pour ne jamais avoir à te perdre, pour ne jamais ressentir l'angoisse de te voir quitter ce monde, alors sois le gentil garçon que tu as toujours été: fais attention à toi, à ta mère et même à cet enfoiré d'Inukashi. Tout ce que je peux faire, c'est m'excuser d'être entré dans ta vie - ou peut être d'y être sorti. Tout ce que tu peux faire, c'est m'oublier et te trouver quelqu'un de bien, quelqu'un comme Safu pour veiller sur toi quand tu seras trop faible pour le faire. Je te laisse cette lettre sur ton bureau (tu sais, c'est dangereux de dormir la fenêtre ouverte quand on a des connaissances douteuses). C'est difficile pour moi de te voir dormir si paisiblement alors que j'ai tant envie de rester à tes côtés. Enfin, je ne suis pas ce qu'il te faut, je le sais, je l'ai toujours su, depuis qu'on est gosses et je le penserais certainement aussi sur mon lit de mort - même si j'aurais sûrement aussi le regret d'avoir passé si peu de temps à tes côtés.


À toi, Nezumi 


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