Je passai la nuit à apprendre tout ce qu'il fallait savoir sur les différentes affaires qui entouraient celle de Patrick Neetud.

Je comprenais pourquoi Beahan avait fait le lien entre ces cinq affaires. Les cinq adolescents avaient tué quelqu'un. Les manières étaient différentes, ils n'habitaient pas dans les mêmes villes, ils ne se connaissaient pas et pourtant, les cas étaient similaires.

Patrick Neetud avait poussé Jessica Danders devant un train. Il était le tout premier cas que Beahan avait trouvé. Il s'était suicidé après avoir parlé de ce « il » qui menaçait sa famille.

Amber Malice était la seconde à avoir commis un meurtre. Celui du jeune TJ Flynn qui n'avait que huit ans et de qui elle était la babysitter. Elle l'avait empoisonné avec les somnifères de sa mère. Elle s'était déjà suicidée de la même manière qu'elle avait tué sa jeune victime. Dans sa main, la police avait trouvé un mot disant qu'elle n'avait pas eu le choix, que c'était le seul moyen de protéger sa famille.

Le troisième cas était celui d'Amélia Waters. Elle était la première à s'être terrée dans le mutisme. Elle avait été arrêtée quelques minutes après avoir percuté Jeffrey Cox en voiture. Elle n'avait pas résisté mais n'avait pas prononcé un mot depuis.

L'ante-pénultième cas était celui de Prenell Rucker. À la sortie du lycée, il avait poignardé seize fois son harceleur, Jimmy Banks, en criant « quitte à devoir tuer quelqu'un, autant que ça soit toi ! ». Depuis, il n'avait plus pipé mot.

Le dernier cas était le plus tragique. Durant la nuit, Emelie Galen avait tué son frère aîné à coups de marteau dans sa chambre. Ses cris avaient réveillé leurs parents qui l'avaient découverte en train de hurler « meurs, sale monstre ! » et autres horreurs en lui défonçant le crâne. Elle avait été enfermée dans un hôpital psychiatrique. Elle ne cessait de hurler que ce n'était pas son frère mais le « monstre qu'elle avait laissé entrer sans le faire exprès. » Personne n'avait jamais réussi à savoir de quoi elle parlait exactement.

Si tous ces cas étaient réellement reliés comme le pensait Beahan, le dernier, au-delà d'être terrible, était le plus révélateur. Emelie avait parlé de monstre. Elle n'avait pas parlé d'un « il » abstrait mais bel et bien d'un monstre qu'elle aurait laissé entrer. De mon point de vue, soit c'était le délire d'une gamine trop impressionnable, soit ça avait un lien avec quelque chose qui relevait d'un champ d'expertise tout autre.

Était-ce possible qu'elle ait appelé quelque chose des profondeurs à la surface ? J'en doutais. Toutefois, il y avait quelque chose. J'en étais certain. Tout comme Beahan, je sentais qu'il y avait plus à ces affaires que des adolescents qui, soudain, devenaient des meurtriers. Je n'osais imaginer que l'influence de l'Enfer... de cet endroit puisse percer les protections posées par les archanges. Pourtant, Emelie avait parlé de monstre. Et je ne pouvais le sortir de mon esprit.

Je passai toute la nuit à fouiller les notes de Beahan dans l'espoir de remarquer qu'il n'avait pas vu, un lien qu'il n'avait pas fait. Malheureusement pour moi, il savait ce qu'il faisait. Il était toujours très complet dans ses recherches. Sûrement plus que je n'aurais jamais su l'être seul de mon côté.

Il fallait que j'en sache plus sur Declan Beahan. Il n'y avait qu'un seul moyen pour moi d'en apprendre un maximum en un minimum de temps. Sa sorcière de meilleure amie. Je sortis les sceaux de protection que j'avais dans la poche et jouai avec tout en réfléchissant. Je n'étais censé m'en servir que si je devais absolument m'absenter pour un briefing aux Cieux ou pour poursuivre un potentiel danger. Ces sceaux empêcheraient quiconque d'approcher mon protégé mais, aussi, il entrerait sous la surveillance des réservistes. Ce qui, évidemment, serait su d'Ariel et je me ferais taper sur les doigts.

Il allait falloir que je trouve une autre solution. Je ne pouvais pas foirer ma toute première mission. Ariel m'avait déjà dans le collimateur alors je préférais éviter de pousser ma chance. Je n'avais pas jamais été un bon élève. J'étais celui qui dormait au fond de la classe, répondait aux professeurs et ne faisaient jamais ses devoirs. La discipline si stricte des Cieux n'avaient pas encore su me briser. Je n'étais pas fait pour devenir un parfait petit robot comme tous ces autres anges. Ils avaient oublié ce que c'était que d'être humain. Tous ces millénaires à vivre parmi leur nouvelle race avait effacé toute réelle connaissance des mortels.

Les anges gardiens avaient beau travailler au contact des humains, les limites s'étaient creusées avec les années. Au fil des siècles passés à veiller sur des êtres qui ne cessaient de répéter les mêmes schémas, c'était devenu un travail à la chaîne plus que la vocation que l'on nous vendait lorsqu'on nous annonçait dans quel groupe nous allions être répartis.

Je n'étais pas à ma place dans les Cieux. Je le savais très bien. Plus d'une fois m'avait-on répété que si j'avais passé les Portes du Paradis, c'était parce que c'était là qu'était ma place et que j'avais une mission à remplir.

Évidemment, je préférais être un ange qu'un dé... monstre. Ou pire, atterrir entre les deux, dans le limbo, et errer pour l'éternité. Malgré tout, je demeurais dubitatif. Je continuais d'attendre le jour où ils se rendraient compte qu'ils s'étaient trompés et me vireraient des Cieux.

Pour l'instant, j'avais un job à faire et c'était... bon, d'accord, je n'en avais pas la moindre idée. Je ne savais pas ce qui clochait avec Beahan. Il avait de très mauvaises habitudes mais, au-delà de ça, rien ne me sautait aux yeux. Il était juste totalement accro à son travail.

J'étais persuadé que tout venait de cette sorcière. Elle avait admis avoir fait appel aux anges pour protéger son meilleur ami. Quand jugerait-elle que j'avais rempli mon devoir ? Quand il aurait raccroché ? Quand cette enquête serait terminée ? Allais-je devoir patienter et babysitter Beahan jusqu'à ce qu'il remette l'affaire dans les mains de la police ?

Cette perspective me désespérait. Je n'avais aucune patience. Ses recherches pouvaient durer pendant des jours voire des mois. Il avait cinq cas à décortiquer dans les moindres détails. D'accord, cette affaire avait l'air assez tordue pour être intéressante mais je ne pouvais pas passer mon temps à regarder par-dessus son épaule.

J'étais totalement inutile. Globalement, c'était ça. Je n'étais là que pour rassurer une fichue sorcière qui se faisait du mouron pour l'un de ses amis. Se pouvait-il que Ariel ait su depuis le début de quoi il en retournait et que c'était pour cela que ce dossier si fin et misérable avait atterri devant moi ? Ça ne m'aurait pas étonné. Il avait appris à me connaître, après tout.

Ariel n'attendait qu'une chose : se débarrasser de moi. Il avait la même idée que moi. Je n'étais pas fait pour devenir un gardien. Combien de fois m'avait-il menacé de m'envoyer m'occuper des cupidons si je sortais du rang ? Dommage pour lui, les archanges avaient fait leur choix et, selon eux, ma place était parmi les gardiens.

J'étais curieux à propos des archanges. Nous ne les croisions jamais. Ils donnaient leurs ordres et les anges les plus hauts placés les mettaient en place. La seule chose que l'on apprenait était qu'ils étaient le lien entre Dieu (si on y croit parce que j'ai toujours été athée et je le serais jusqu'à ce que je Le rencontre) et les hauts gradés. Nanael ne nous avait même pas appris leurs noms ! Évidemment, à peu près tout le monde connaissait Michael, Gabriel, Raphael. Toutefois, il y avait plus d'archanges que ces trois-là. Il me semblait que Nanael avait laissé glissé qu'il y en avait sept. Comme par hasard.

Il y avait nombre de choses que je ne comprenais pas dans les Cieux. Nanael n'avait pas abordé le sujet du pourquoi nous, entre toutes les âmes du Paradis, avions été choisis pour devenir des anges. Je pouvais accepter l'idée que les anges soient très secrets mais il y avait des limites. Je ne savais rien de ma nouvelle espèce ! Le pire était qu'ils s'attendaient à ce que je suive bêtement leurs ordres sans chercher à réfléchir une seule seconde. Et la plupart des autres gardiens le faisait.

En un siècle, j'avais compris que, aux Cieux, chacun avait sa caste et chaque caste était supposé agir d'une certaine manière. Nous nous mélangions rarement aux autres castes. À mon humble avis, c'était pour mieux nous contrôler. Et qu'on ne vienne pas me dire que personne ne penserait comme moi à ma place.

Je quittai le bureau au lever du soleil, étonné que Beahan ne soit pas encore levé. Je me retrouvai planté au bout de son lit à attendre qu'il se décide à se réveiller. J'avais l'avantage de ne pas avoir besoin de beaucoup dormir. Ça m'arrivait (c'était l'une des raisons pour lesquelles j'étais autorisé à utiliser les sceaux) mais une fois toutes les deux semaines. Et encore. C'était mon rythme lorsque j'étais dans les Cieux et que j'étais actif. Ici, le temps avait beau être plus rapide, je ne fichais rien de mes journées. Dormir n'allait pas être un problème.

Toutefois, c'était une excuse dont je pourrais me servir pour quitter Beahan durant la nuit si jamais je me résignais à tenter le coup auprès de la sorcière. Je n'étais pas certain d'en avoir réellement besoin mais si je ne trouvais pas le réel de ma présence ici, il faudrait bien que j'agisse.

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Les jours passèrent lentement. L'enquête avançait, je ne pouvais le nier. Beahan avait appris nombre de choses et commençait à relier les morceaux.

A Season In Hell était le nom d'un site Internet sur tout ce qui concernait les dém... MONSTRES, leur habitat, leurs habitudes et la façon de les appeler. Toutefois, le site avait rapidement dépassé l'idée de se contenter de parler démonologie. Il touchait à tout ce qui approchait le paranormal tout en restant du mauvais côté de la barrière.

Il y avait plus à ce site qu'il n'y paraissait. Sans que je sache réellement comment, Beahan avait réussi à atteindre un recoin dissimulé du site. Se faisant, il avait découvert la véritable raison de tout le trafic qu'il y avait. Le contenu direct n'y était pour rien. C'était le challenge qui intéressait les visiteurs.

Le site avait créé un challenge stupide dans le style de tous les autres qui avaient pu exister sur Internet. Ils avaient commencé à donner du fil à retordre à aux anges gardiens qui étaient de garde à ce moment-là. Ramener des gamins à la raison alors qu'ils avaient été embrigadés dans les défis les plus idiots et dangereux par leurs amis ? Peu de chance. L'influence du groupe était plus forte que tout pour ces ados. Ils n'étaient plus sensibles à la présence angélique à leurs côtés. Ils ne voyaient plus que la reconnaissance sociale qu'ils pouvaient acquérir au travers de tous ces réseaux sur Internet.

Se pouvait-il que Patrick, Amélia et les autres aient participé à ce challenge ? Ça expliquerait beaucoup de choses.

De ce que j'avais lu, il y avait plusieurs étapes à ce défi. Il s'étalait sur plusieurs mois. Le but était de se filmer en train de réaliser un maximum de rituels paranormaux. Celui ou celle qui réussirait à tous les faire aurait droit à un prix surprise qui « dépasserait tout ce que vous pouvez imaginer ».

Il y avait des milliers de vidéos postées sur la partie du site dédiée au challenge. Beahan avait trouvé, après près deux jours à fouiller non stop, les vidéos de la jeune Emelie Galen et celles de Prenell Rucker. Les autres n'étaient plus accessibles mais les posts étaient encore en ligne. Tous les cinq avaient participé à ce défi.

Mais aucun n'avait fait le même rituel. Prenell était celui qui en avait fait le plus et, pourtant, il n'avait aucun rituel en commun avec les autres. Je n'aurais pas cru qu'il y avait autant de façons d'invoquer les monstres pour se faire peur. Il étaitpeu probable qu'ils aient fonctionné. Soyons francs, j'étais peut-être un ange avec les ailes et tout le toutim mais inscrire son nom sur une feuille et y apposer une goutte de sang n'allait pas invoquer ne serait-ce que le fantôme vengeur d'un écureuil. Même après avoir frappé vingt-deux fois sur la porte d'entrée. Non, aucun démon n'allait sortir du placard pour crier « boo ». J'en savais assez pour savoir ça.

Nonobstant, si ce n'était pas un monstre, qu'est-ce qui les avait menés à cet acte ? Patrick Neetud n'était pas le genre de gamin impressionnable contrairement à Emelie Galen qui était encore une enfant. Sur les vidéos, Prenell Rucker semblait s'ennuyer à mourir. Alors qu'est-ce qui les avait fait disjoncter ?

La veille, sa sorcière de meilleure amie avait réussi à le convaincre que c'était le moment de tout apporter aux flics. J'étais entièrement d'accord. Il avait fait le lien entre les cinq cas. Que voulait-il faire de plus ? Résoudre l'affaire par lui-même ? Je doutais qu'il puisse. De mon temps, il aurait pu. Maintenant ? Plus vraiment.

Depuis qu'il était levé, il traînait des pieds. Il avait promit à Ava Machin-Chose mais son regret était violent. Il voulait continuer à enquêter. Je pouvais le comprendre. C'était lui qui avait fait tout le boulot et aucun crédit ne lui reviendrait. La police adorait voler le crédit des gens comme Declan Beahan.

- Declan ? héla la voix de la sorcière.

Visiblement, elle non plus ne prenait pas la peine de frapper avant d'entrer.

- Dans le bureau, répondit Beahan.

Il y avait une teinte de résignation dans sa voix. Il savait aussi bien que moi pourquoi elle était là. Pour une fois, je n'allais pas râler. Elle allait m'aider à le forcer à relâcher sa prise sur l'enquête en la cédant à la police et j'en aurais terminé avec cette première mission.

La sorcière entra dans le bureau et sourit.

- Declan, râla-t-elle. Pourquoi est-ce que ton dossier pour la police n'est pas prêt ?

Il eut l'intelligence de ne pas chercher d'excuses. Il détourna le visage et se concentra sur le rangement de papiers volants.

- Convaincs-le de passer la main aux flics, pestai-je.

Ses yeux bleus glissèrent brièvement sur moi. Elle ne pouvait pas faire savoir à son ami que j'étais là aussi était-elle bloquée et ça m'amusait beaucoup.

- Je suis sérieux. Je ne tiens pas à rester bloqué ici plus longtemps pour rien.

Cette fois, son regard était d'un gris d'acier lorsqu'il me poignarda. Je haussai les épaules. Ce n'était pas comme si j'avais été utile. Pas un seul instant n'avait-il confronté à danger autre qu'un évanouissement dû au manque de nourriture.

- Je vais le faire, soupira Beahan, vaincu. Je vais le faire, vraiment. C'est juste que... et s'ils ne poursuivent pas l'enquête ?

- Il faudra bien. D'après ce que tu m'as dit, tous les cinq étaient sur le même site et participaient au même challenge. Ils ne peuvent pas ignorer ce lien entre eux.

- Et s'ils le reconnaissent mais ne font rien contre ? Après tout, ce n'est qu'un jeu stupide. Il devrait y avoir plus de chances qu'ils mettent le feu à leur maison qu'ils sortent pour aller tuer quelqu'un ! Alors pourquoi ont-ils tué ces personnes ?

La sorcière le prit par les épaules et le regarda droit dans les yeux.

- Tes questions sont légitimes mais c'est à la police de trouver les réponses. Tu as fait ton travail. Que tu le veuilles ou non, tu n'es qu'un blogueur. Si tu veux avoir le crédit de cette découverte, écris un article sur ton blog. Mets les gens en garde contre ce challenge et voilà. Tu ne peux pas en faire plus.

- Je suis certain du contraire.

- Tu m'as promis, Declan. Tu m'as promis de donner la main à la police.

- D'accord, d'accord. C'est vraiment parce que tu as réussi à m'arracher cette promesse que je vais le faire.

- Si tu ne le fais pas, je le saurais. Alors méfie-toi.

Il roula des yeux et quitta le bureau, me laissant seul avec la sorcière. Elle avait un air sombre sur le visage.

- Ces rituels... ?

- Du flan, répondis-je. Sinon, tu penses bien que j'aurais déjà agi.

Elle hocha la tête, songeuse.

- J'espère que tu ne te trompes pas.

- Je ne me trompe pas. C'est terminé. Il va donner son dossier aux flics et je vais retourner d'où je viens.

Elle n'avait pas l'air convaincu. Et malgré moi, ça instilla un doute dans la jolie histoire que je m'étais écrite.

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NdlA : Alors ? Ce nouveau chapitre ? On en apprend un peu plus ! Qu'est-ce que vous en pensez ?