Chapitre 55
Ce fut soudain et brutal. Inattendu. Nous ne nous étions pas préparés à ça. Ce fut Megan qui prévint Declan par téléphone. Il n'avait dit à personne qu'il lui avait demandé de surveiller les événement qui survenaient en Estonie. Heureusement qu'il l'avait fait car, sans cela, nous n'aurions jamais su que le toute la zone autour des portes était ravagée par des tempêtes et des tornades.
Le peuple estonien ne comprenait pas comment c'était possible. Jusque là, l'automne avait été calme et doux. Les températures n'avaient pas été basses et les précipitations minimes. Aucun météorologue ne comprenait d'où venaient ces soudaines tempêtes.
Nous, nous savions. Ces désastres n'avaient rien de naturel. Ils venaient des démons. D'après Ava, leur énergie perturbait la météo. Plus ils étaient puissants ou nombreux, plus leur environnement était affecté.
Cette nouvelle signifiait une chose : nous allions devoir accélérer les choses. Le voyage jusqu'en Estonie fut organisé rapidement. En quelques heures, les bagages étaient faits, les billets d'avion réservés, la voiture chargée. Ava prit le volant et Declan se cala dans le siège passager. Meriel et moi nous entassâmes à l'arrière, faisant de notre mieux pour ne pas trop froisser nos ailes. C'était vraiment très étroit.
Il nous fallut un peu plus d'une heure pour atteindre l'aéroport régional de Texarkana. C'était un aéroport plutôt petit. Il n'avait rien de particulier. Les bâtiments étaient pâles et sans relief, la tour ressemblait à un petit robot qui regardait le parking.
Si l'extérieur ne payait pas de mine, l'intérieur était beaucoup mieux. Moderne et lumineux, avec des murs d'accent bleu marine. De vastes baies vitrées ouvraient sur le tarmac où attendait notre avion. Le soleil de soirée teintait l'espace d'attente d'une lueur orange.
Il fallut patienter une heure avant de pouvoir monter dans l'appareil. Je n'étais pas enthousiaste. J'aurais préféré faire le voyage en passant par les Cieux mais il fallait protéger les humains. Je n'avais pas osé demander à Meriel de faire le trajet en avion sans moi. Declan était ma charge et je devais le protéger, c'était mon travail. Ma responsabilité. Malgré tout, j'avais juste envie de tout envoyer bouler pour pouvoir faire le voyage d'une manière moins angoissante.
- C'est vraiment parce que je sais que tu ne manges pas que je ne m'inquiète pas de te voir aussi vert, se moqua Ava.
- Je vais bien.
- Mon seul regret est de ne pas pouvoir l'immortaliser, railla Meriel. Le courageux Rahel, vert et tremblant de terreur à l'idée de monter dans un avion. Il ne tremble pas devant des escadrons de démons mais devant un engin volant parfaitement sécurisé, on dirait qu'il va s'évanouir !
J'étendis mon aile pour le frapper avec. Je perdis quelques plumes.
- Depuis quand tu perds autant de plumes ?
- Ça doit être le stress. Je ne sais pas. Je n'ai pas l'impression d'en perdre beaucoup.
- Tu n'es pas censé en perdre du tout. Que tu sois stressé ou non, tu ne devrais pas perdre la moindre plume.
Je le regardai, cherchant à savoir s'il blaguait. Je n'avais pas été perturbé à l'idée de perdre une plume de temps en temps. Les oiseaux perdaient des plumes régulièrement. C'était un processus normal. Du moins, je le croyais jusque là. Visiblement, les ailes des anges ne fonctionnaient pas comme celles des oiseaux.
- Ce n'est pas important, finis-je par dire. Pour l'instant, ce qui compte, c'est de se préparer mentalement pour ce qui va arriver. On aura le temps de songer au reste plus tard.
Ava n'osa pas se mêler de la conversation et Meriel hésita. Il finit par soupirer et acquiescer. Nous utilisâmes notre temps d'attente pour accorder notre plan d'origine aux nouvelles circonstances. Il fallait s'adapter, nous n'avions pas le choix. Meriel avait réussi à contacter Daphiel pour qu'elle prévienne Maliel, Hasdiel et Raziel. Si tout se passait bien, ils nous retrouveraient sur place.
Je priais pour que tout se passe bien.
Je priais aussi tout le long du voyage dans chaque avion. Après un long voyage de dix-huit heures, quatre avions, trois interminables escales, nous étions arrivés en Estonie. Nous n'étions pas encore arrivés là où nous devions aller, malheureusement. Nous dûmes prendre le bus pendant trois longues heures. Le seul moment relativement appréciable fut la traversée jusqu'à l'île.
Lorsque nous débarquâmes du car sur le sol de l'île, je regardai autour de moi en respirant l'air frais et humide. L'endroit était... différent de ce qu'on trouvait en Amérique. Très rustique, petit. Ava trouva ça adorable, évidemment. Personnellement, je ne savais pas quoi en penser.
L'hôtel où ils avaient réservé une chambre était l'un des plus atypiques que j'aie pu voir. Il semblait formé en deux parties peintes en rose pâle. Une petite maison plutôt banale et une tour carrée collée à son flanc gauche. En face, un parking, des arbres. Autour, des cabanes qui, en Amérique servaient de garage ou de grange mais qui, ici, semblaient être le modèle typique de demeure.
Rustique était le mot.
- Je me croirais bien revenu à mon époque, marmonna Meriel. Je ne suis pas fait pour des résidences de paysans.
Je lui donnai un coup en lui faisant signe de se taire. Nous suivîmes les humains dans leur chambre. Elle était si exiguë qu'il était impossible pour nous quatre d'y tenir. Meriel ne tarda pas à m'abandonner pour aller faire le tour du quartier pendant que Ava et Declan se reposaient. Je me retrouvai assis par terre à écouter leurs ronflements. Tous deux étaient si fatigués qu'ils se moquaient de l'endroit où ils dormaient du moments qu'ils avaient des lits.
J'avais du mal à croire que nous y étions. Nous étions en Estonie, à quelques kilomètres de notre destination. Dès qu'ils se réveilleraient, nous reprendrions la route jusqu'à la partie la plus sauvage de l'île où était dissimulée la porte menant vers l'Enfer.
Du peu que j'avais vu de l'Estonie, je ne comprenais pas comment c'était possible que ces humains soient si près d'une bouche démoniaque et ne pas en être affectés. Tout semblait si paisible, si proche de la nature que ça me paraissait hautement improbable que des démons aient une entrée sous terre à une distance relativement courte, si on prenait en compte la superficie de l'île.
Me retrouver seul ne m'aida pas à relativiser mes angoisses. Je commençais à paniquer. Toutes les fois où j'avais fait face à des démons, ils m'avaient pris par surprise. Je n'avais pas eu le temps de réfléchir. J'avais agi sur le moment.
Cette fois, ce n'était rien d'une surprise. Tout était planifié et j'avais l'étrange intuition qu'ils nous attendaient. Qu'ils se préparaient à notre arrivée. Ce n'était pas pour me rassurer. J'avais appris la liste de nos alliés par cœur. Ça ne serait pas suffisant. Même avec Raziel et ses collègues, ça ne serait pas suffisant. Ils savaient tout sur nous et nous ne savions rien sur eux. Nous n'étions même pas certains qu'ils soient encore sûrs que Declan soit celui avec les pouvoirs. Avec la chance que nous avions, ils savaient qu'Ava était la véritable héritière de Crowley.
Je secouai la tête. J'avais besoin de me détendre, de changer d'air, de m'occuper pour cesser de penser. Je fermai les yeux et tentai de faire taire mon esprit. Il fallait que je me repose. Que je contienne l'énergie qui me rongeait. Que je jongle entre toutes les émotions et les besoins contradictoires que j'avais en même temps.
Je sursautai lorsque la porte s'ouvrit. J'avais perdu la notion du temps en somnolant. Je dus paraître stupide à cligner des yeux en regardant Raziel pénétrer dans l'étroite chambre. C'était un miracle qu'il ne mette pas le feu à tout ce qu'il touchait. Je ne savais pas comment c'était possible. À moins que ses ailes ne soient encore dans un autre plan, un troisième en superposition du nôtre.
- Qu'est-ce que vous faîtes là ? bâillai-je.
- Je suis venu vous chercher. Nous n'avons plus le temps. Les démons sont en train d'attaquer les portes. Réveillez les humains et hâtons-nous si nous voulons conserver une chance.
Je bondis sur mes jambes, vacillai et allai secouer Ava. Elle protesta mais, en voyant mon visage au-dessus du sien, elle se redressa.
- Quoi ? coassa-t-elle.
- Debout. Vite. Les démons sont en train d'attaquer. Nous n'avons plus le temps.
La chambre se remplit d'activité en l'espace de quelques secondes. Nous quittâmes l'hôtel plus vite que nous y étions entrés. Je retrouvai Meriel dehors. Il avait l'air plus grave et résigné que jamais. Mon estomac se retourna.
- Vous deux, vous passez par les Cieux, ordonna Raziel. Rikbiel est en train de faire descendre tout le monde là où ils doivent être. J'emmène les humains.
Je ne cherchai pas à reprendre le contrôle et Meriel non plus. Il se contenta de m'entraîner avec lui vers l'escalier que Raziel devait avoir invoqué pour nous.
Retrouver la Salle des Descentes me fit une drôle de sensation. Rikbiel ne me donna pas le temps d'apprécier le moment, la lumière céleste. Il m'attrapa le bras et me projeta vers un escalier. Un différent de celui de Meriel puisque nous ne serions pas sur le même site. Il protégerait Ava tandis que je m'occuperais de mon protégé. Sur le seuil, nous échangeâmes un regard. Ni lui ni moi n'étions prêts à pour ça.
Tandis que je chutais vers la Terre, vers l'affrontement, je priai que la personne qui répondait à mes prières cesse de le faire. Finalement, j'aurais préféré continuer à m'angoisser.
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NdlA : Un petit interlude tout en angoisse ! Que pensez-vous qu'il va se passer ?
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