Chapitre 54
Hasdiel s'était installée sur la banquette de la cuisine, prenant ma place. Elle semblait s'attendre à ce que Meriel vienne s'asseoir à côté d'elle. Il resta debout, appuyé contre le plan de travail où je tentais de tenir dans un équilibre rendu précaire à cause de mes ailes.
Raziel nous fit face, le visage fermé. Ses yeux enflammés ne nous lâchèrent pas.
- Alors ? Quel est le verdict ? Ai-je l'unanimité du jury ?
J'échangeai un regard avec Meriel. Je pus lire dans son regard le « je te l'avais bien dit ». Je levai les yeux au ciel. Je ne savais pas lequel était le pire : la confiance profonde de Raziel ou la fierté cynique de Meriel.
- Non, répondit froidement mon coéquipier. Loin de là. Nous aurions préféré suivre notre plan d'origine mais c'est plus aisé et moins fatiguant d'accepter que vous vous chargiez des démons supérieurs.
Je pus lire l'outrage sur le visage de Raziel. Meriel avait tapé juste là où il fallait. Il n'avait rien dit ouvertement et pourtant, il avait dit tout ce qu'il fallait. Et le nouvel archange n'était pas ravi du tout. S'il avait pu, il aurait définitivement arraché la tête de Meriel. Si ce dernier s'en rendit compte, il n'en laissa rien paraître.
- Nous avons donc conclu, reprit-il posément, que votre proposition d'aide est acceptée. Cela nous permettra de nous concentrer sur le plus important : la protection des deux humains.
Si sa peau n'avait pas eu la couleur du charbon, Raziel aurait sûrement été violet de fureur tant il luttait contre lui-même. L'image qui s'inscrivit dans mon esprit faillit me faire éclater de rire. Je pinçai les lèvres pour me retenir.
- Avons-nous un accord ?
- Je suppose, grinça l'archange. La sorcière a-t-elle découvert un moyen de fermer les portes ?
- Oui. Nous n'avons plus qu'à planifier le trajet jusqu'en Estonie.
- Très bien. Dans ce cas, je vous retrouverai là-bas.
Il n'attendit pas de réponse et disparut. Je m'étouffai sur un rire. Meriel me donna un coup dans les côtes. Un léger sourire étirait ses lèvres et ses yeux étincelaient.
- Qu'y-a-t-il de si drôle ? maugréa Hasdiel.
- Tu ne pourrais pas comprendre, se contenta de répondre Meriel. D'ailleurs, nous devons parler.
- Pourquoi ?
Il garda le silence mais lui fit signe de le suivre. Elle bondit sur ses pieds et lui emboîta le pas comme un chiot surexcité. Le regard qu'elle me jeta en pensant retenait une étincelle de victoire qui me fit de la peine pour elle. Elle s'imaginait quelque chose de positif, quelque chose qui approfondirait leur relation. Quelque chose qui me prouverait qu'il la préférait à moi. Au lieu de ça, il allait lui dire qu'elle n'avait aucune chance. J'espérais que ça change son attitude. Je n'avais rien contre elle si ce n'était que je supportais de moins en moins sa jalousie mal placée et ses attaques puériles.
Je rejoignis Daphiel et Maliel autour de la table. Elles m'offrirent un doux sourire.
- Ils sont en train de parler de son attitude, n'est-ce pas ? demanda Maliel.
J'acquiesçai. La blonde soupira.
- Il était temps. Toute son attention doit être sur notre mission. Si sa jalousie peut la faire agir comme une enfant malgré son ancienneté, je n'ose imaginer ce qu'elle pourrait faire en dépit de la présence des démons.
- N'empêche, je n'aurais jamais cru que vous finiriez si proches, tous les deux, glissa Maliel avec un sourire complice et suggestif. Vous vous détestiez !
- Je ne dirais pas qu'on se détestait. Plutôt qu'on avait du mal à se supporter.
- Qu'est-ce qui a changé ?
- On a appris à se reconnaître. On n'a pas vraiment eu le choix puisqu'il était mes yeux et mes oreilles aux Cieux.
- Il doit vraiment croire en toi pour t'aider ainsi. Ou alors, je l'ai vraiment mal jugé.
- Pourquoi dis-tu ça ? intervint Maliel, étonnée.
- Parce que les gens comme Meriel, avec un tel instinct de survie, ne suivront quelqu'un que s'ils sont certains d'être dans le camp vainqueur. Ils sont trop lâches pour prendre la tête d'un mouvement ou pour suivre leurs idéaux mais ils savent où aller pour survivre le plus longtemps possible.
- Il n'est pas aussi lâche que tu le crois.
Daphiel eut un sourire amusé.
- Je pense que tu confonds son instinct de survie pour de la bravoure. Tout ce qu'il fait, il le fait pour s'en sortir avec un maximum d'honneur. Rien d'autre. Tu ne dois pas t'imaginer qu'il s'agit d'autre chose. Parce que ce n'est pas le cas.
- Tu n'en sais rien, rétorquai-je. De nous deux, je suis celui qui a vécu sous le même toit que lui pendant plusieurs semaines. Je suis celui qui travaille avec lui. Pas toi. Alors je pense pouvoir affirmer que je le connais mieux que toi.
- Je t'aurais prévenu.
Maliel semblait mal à l'aise, n'osant apporter son opinion au débat. Je ne cherchai pas à lui donner l'occasion de le faire. Je n'avais pas envie d'entendre ce qu'elle avait à dire. Elle était toujours d'accord avec son amie.
Je connaissais Meriel. Mieux qu'elles. Et j'étais sûr que Meriel n'était pas aussi misérable qu'elles le pensaient. Elles ne voyaient que ce qu'il leur montrait. Comme je l'avais fait au début. Contrairement à elles, j'avais appris à voir au-delà.
Je quittai la cuisine pour aller jeter un œil dans le salon où Ava et ses amis vérifiaient qu'ils avaient tout ce qu'il fallait pour le sort qu'ils avaient créé. Declan se tenait dans un coin de la pièce, à moitié endormi. Il devait avoir tenté de suivre ce qui se disait et échoué. Il releva la tête lorsque j'entrai dans la pièce. Les sorciers m'ignorèrent après un rapide coup d'œil. Je me perchai sur l'accoudoir du fauteuil de mon protégé.
Ava avait une liste devant elle qu'elle cochait au fur et à mesure que les éléments étaient présents. Tout ce qu'elle citait me paraissait si commun que je ne voyais pas comment ça pourrait refermer la porte. Quel pouvoir pouvaient avoir des bougies ? En quoi leur couleur était-elle si importante ? Et de l'encens ? En quoi ça pouvoir être utile ?
Je ne comprenais rien à cette magie qu'elle pratiquait. Absolument rien. Pour moi, ça n'avait aucun sens. J'avais vécu à une époque où les herbes étaient connues pour avoir des effets sur le corps. Je pouvais imaginer qu'elles aient un effet surnaturel. Par contre, pour le reste... J'avais des doutes. Je ne voyais pas comment ça pourrait fonctionner.
Je n'avais plus qu'à prier. Parce qu'elle était notre seule chance de vaincre. Elle était l'héritière des pouvoirs de Crowley. Si elle avait besoin de bâtons d'encens et de pierres pour réussir à manier ses pouvoirs, on ferait avec. Même si je doutais que ça serve réellement à quoi que ce soit.
Des éclats de voix résonnèrent dans la pièce adjacente, attirant l'attention de tous les sorciers. Ava repoussa les mèches lavande qui vinrent la gêner lorsqu'elle leva les yeux vers moi.
- Qu'est-ce qui se passe ? Il y a un problème ?
- Non. Juste un malentendu.
Elle ne parut pas entièrement convaincue mais hocha la tête et retourna à sa liste.
Depuis qu'elle invitait ses amis à venir dans la maison, j'étais mal à l'aise en leur présence. Je n'étais pas sûr de la raison. Personne à part moi ne semblait avoir la même réaction à cet amas de sorcellerie. Ce devait venir de moi.
L'angoisse de l'affrontement commençait à se faire sentir et ça me rendait très anxieux. L'atmosphère dans la maison était tendue mais ça ne ressemblait à rien de ce qui se passait dans ma tête. J'étais au bord de la panique. Je ne cessais de penser à ce qui se passerait si nous échouions. Si notre plan était déjoué, si les démons étaient trop forts pour nous, si je n'étais pas à la hauteur...
Nous avions repassé notre plan en vue plusieurs fois pour pouvoir anticiper toutes ses failles mais ça ne me suffisait pas. J'avais besoin d'assurances. Avoir l'aide de Raziel, d'un archange, ne me rassurait pas.
J'aurais voulu que l'Archange Michael se joigne à nous. Saint Michel qui avait déjà vaincu le démon. Il était le seul qui ait jamais fait face et vaincu Lucifer. Il pouvait se battre contre n'importe quel démon qui était sorti de l'Enfer. J'aurais aimé qu'il soit là plutôt que Raziel. Au moins, j'étais certain des capacités de Michael.
Je tressaillis lorsqu'une porte claqua. Je m'étais perdu dans mes pensées. Je n'étais pas le seul au vu de l'éboulement de bougies, de jarres et de bols en inox qui eut lieu. L'un des amis d'Ava lâcha un juron sonore.
Désœuvré, je quittai le salon. J'avais hâte de pouvoir sortir de cette maison et faire quelque chose. Ne serait-ce que changer d'environnement.
- Rahel ?
Je cillai, cherchant qui m'avait appelé. Je trouvai Maliel sur le seuil. Elle m'offrit un sourire quand je la rejoignis.
- Daphiel et moi retournons voir nos protégés. On continue de surveiller la porte et on reviendra vous dire ce qu'il s'y passe.
- D'accord. Pas de soucis. Soyez prudentes, toutes les deux.
- Toujours !
Elle me fit signe et rejoignitDaphiel sur l'escalier qui était apparu dans le hall. La lumière céleste les engloutit avant de disparaître. Je soupirai.
- Tu as l'air fatigué.
Je n'avais pas entendu Meriel approcher derrière moi. Il avait le front creusé, les yeux plissés, la mâchoire crispée. Sa discussion avec Hasdiel ne s'était pas bien passée, à n'en pas douter.
- Qu'a-t-elle dit ?
Je crus qu'il n'allait pas répondre tant son silence s'étendit.
- Qu'elle avait besoin de temps. Par bonheur, elle n'a pas pleuré. Je ne sais pas ce que j'aurais fait si elle s'était mise à pleurer.
Je pouffai. Il m'envoya un coup de coude dans les côtes et un regard noir.
- Ça n'a rien de drôle. C'est de ta faute si je me suis retrouvé dans l'obligation d'avoir cette désagréable conversation alors je te prierais de ne pas te moquer de moi.
- De ma faute ? En quoi c'est de ma faute si elle est tombée amoureuse de toi ?
- Elle s'est imaginé cet entre-deux où son attirance pour moi serait réciproque mais où tu serais un obstacle parce que tu ne voulais pas me laisser partir. Si j'ai bien compris ce qu'elle a essayé de m'expliquer.
J'éclatai de rire. Ce fut plus fort que moi. Je ne pus que me mettre à rire sans pouvoir m'arrêter. Où Hasdiel avait-elle été pécher une idée aussi délirante ? Dans quel univers parallèle vivait-elle où une telle chose serait possible ?
D'accord, Meriel était gay. Quant à moi, je ne savais pas ce que j'étais. Hétéro, homo, l'un des innombrables termes inventés par les mortels depuis ma mort pour désigner un type de sexualité... Je n'avais pas choisi de label. Je pouvais être n'importe lequel avec la bonne personne. Je n'avais pas besoin d'une case dans laquelle me ranger.
Il n'en demeurait pas moins que la notion même de Meriel et moi impliqués romantiquement était risible. Nous supporter était encore compliqué. Je ne savais pas si notre semblant d'amitié tiendrait encore une fois les portes scellées. Le connaissant, il allait disparaître de ma vie ou recommencer à se montrer imbuvable. C'était l'un ou l'autre. Ce que nous avions affronté n'allait rien changer, à ses yeux.
- Je sais que la simple mention d'une relation personnelle entre nous est risible mais je ne pensais pas qu'elle provoquerait une telle hilarité.
- Je t'en prie ! Je suis étonné que tu ne lui aies pas ri au nez quand elle a évoqué cette idée ! Je ne sais pas où elle a été chercher ça. Tous les autres pensent que tu travailles avec moi pour que je te serve de bouclier !
- Ils ne me connaissent pas comme Hasdiel. Ils ne voient pas au-delà de ce que je montre. Je commence à penser que c'est préférable. Au moins, ils ne projettent pas leurs sentiments personnels sur mes actions.
Je roulai des yeux.
- Je t'en prie. Ce n'est pas si grave. Elle va se faire une raison et vous oublierez tous les deux ce moment de malaise.
- J'espère que tu as raison.
Il secoua la tête et se mit face à moi.
- Nous avons plus important à penser. Allons revoir notre stratégie pour être certains que tout se déroulera sous les meilleures auspices.
Je ne rechignai pas à le suivre. Ça allait me distraire et, avec un peu d'espoir, me rassurer sur notre potentielle victoire.
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NdlA : Un petit interlude tout calme qui, j'espère, vous aura plu !
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