Chapitre 53
Cassiel avait donc déchu. Le remplaçant qu'il avait choisi était assis en face de nous, ses ailes tournant lentement, deux chats enflammés enlaçant son corps élancé et délié. Il possédait la même peau brune que son prédécesseur, les mêmes yeux de feu, le même visage dépourvu de traits et pourtant, il était impossible de les confondre. Tout en étant similaires, il y avait une petite différence, si infime qu'elle n'était pas visible mais que mon cerveau la reconnaissait pour ce qu'elle était.
- Comme vous devez l'avoir deviné, l'Archange Cassiel n'est plus. Ses actions l'ont rattrapé. J'ai été choisi pour le remplacer. Il ne m'a rien caché de ce qu'il se passe sur Terre. Je suis prêt à vous apporter mon aide sur tous les points de votre entreprise. Toutefois, j'ai beaucoup de travail aux Cieux et les prières n'ont toujours pas été restaurées. J'ignore si vous le savez mais la situation sur Terre se dégrade chaque jour un peu plus donc il serait préférable d'agir au plus tôt.
Nous le savions. Les informations humaines ne faisaient plus état que des guerres, des vols, des meurtres, des disparitions... Dans le monde entier, la tension était palpable. Les humains étaient lents à réagir. Ils commençaient à sentir qu'il se passait quelque chose qu'ils ne parvenaient pas à comprendre. Toutefois, ils n'avaient pas encore compris que ce qu'il se passait les dépassait. Que ça allait au-delà d'un pouvoir corrompu.
- Les autres pensent qu'il suffit de rétablir les prières pour que la situation redevienne normale. Qu'il ne s'agit que d'un apprenti sorcier qui a joué avec des énergies qu'il ne maîtrise pas. Sauf que nous savons que ce n'est pas le cas. Malheureusement, personne là-haut n'est décidé à nous écouter puisque Michael et Gabriel s'entêtent à nier. Tant qu'ils n'auront pas cesser de faire l'autruche, nous devrons nous débrouiller de notre côté.
Il parlait comme s'il faisait partie de notre groupe. Il n'avait aucun doute sur le fait que nous allions l'intégrer et partager nos plans avec lui. Sauf que nous n'en avions pas discuté. Nous ne savions si vous pouvions lui faire confiance. Après tout, Cassiel avait déchu et il l'avait choisi pour le remplacer. Il allait devoir faire ses preuves, archange ou pas.
- Qui vous a dit que nous allions travailler ensemble ? lançai-je. On ne vous connaît pas. La seule chose qu'on sait de vous, c'est que vous avez été choisi par Cassiel et je pense que l'on peut s'accorder sur le fait que ce n'est pas une bonne chose.
- Vous avez besoin de moi. Aucun d'entre vous ne survivra sans mon aide et celle de mes alliés. Votre liste est peut-être longue mais elle ne comporte aucun élément de réel pouvoir. Vous pourrez faire face aux démons inférieurs mais dès qu'un démon plus puissant entrera dans la bataille, il vous exterminera tous sans effort.
Un silence suivit sa tirade. Nous savions qu'il n'avait pas tort. Nous étions plus forts qu'il ne le disait mais pas au point de gagner, pour sûr. Notre unique but était de permettre à Ava de fermer la porte. Une fois que ça serait fait, je sortirais Declan et Ava de là et les cacherais jusqu'à ce qu'ils puissent reprendre leur vie en tout sécurité.
- Je pense que vous nous sous-estimez, énonça Meriel, sa voix plus traînante qu'elle ne l'avait jamais été. Nous ne vous faisons pas confiance. C'est un fait. Vous êtes certes un archange mais, pour nous, ça ne change rien. Les archanges sont plutôt décevants, lorsque l'on travaille avec eux.
Les yeux de Raziel s'enflammèrent. Ses ailes commencèrent à tourner de plus en plus vite. L'art de vendre sa colère. Les Trônes avaient moins de contrôle que je ne l'aurais cru. Pour les gardiens de la justice céleste, ils n'étaient pas très calmes ou posés. Ils me faisaient penser aux Puissances. Toujours à s'énerver à la moindre remarque.
- Vous ne savez pas de quoi vous parlez, rétorqua sèchement Raziel. Vous n'avez pas la moindre idée de ce qui a pu sortir de ce gouffre.
- Au contraire, je pense que nous sommes au courant, sifflai-je. Balban, Agramon, Pytho... Entre autres. Après ça, je doute d'être aussi ignare que vous ne le dites. Et n'oubliez pas que j'ai été dans l'antre des démons. J'ai rencontré le traître. Croyez-moi quand je vous dis qu'on est au courant des horreurs qui sont sorties.
Raziel parut se calmer. En tout cas, ses ailes ralentirent. Ses yeux me harponnèrent et je dus lutter pour ne pas me cacher derrière Meriel. La main de ce dernier se crispa sur mon bras. Ça me rassura plus que ça n'aurait dû.
- Il n'en demeure pas moins que, sans mon aide, vous échouerez. Et vous risquerez de faire tuer notre seule chance de fermer complètement cette porte. Vous avez besoin de moi et de mes alliés.
J'avais envie de lui rétorquer qu'il se trompait, que nous pouvions parfaitement nous en sortir sans lui. Sauf qu'il était le nouvel archange. Il avait les capacités pour faire face aux démons qu'aucun d'entre nous ne pourrait affronter.
Au demeurant, nous ne pouvions pas céder aussi facilement. Il était trop confiant. Il semblait croire que, simplement parce qu'il était le nouvel archange des Trônes, il savait mieux que tout le monde ce qu'il fallait faire et qu'il avait la confiance de tout le monde. Il valait mieux le ramener à la réalité au plus tôt.
- On ne vous connaît pas et on ne vous fait pas confiance, dis-je finalement. Deux faits très simples à comprendre. Il y a trop de traîtres aux Cieux pour que nous fassions entrer n'importe qui dans la confidence. Ce n'est pas parce que vous êtes le remplaçant de Cassiel que ça change quoi que ce soit.
- Il n'en reste pas moins que vous avez besoin de moi. Vous le savez aussi bien que moi. Reste à savoir si vous êtes prêts à prendre le risque d'accepter mon aide pour garder la sorcière en vie.
Tous les regards se tournèrent vers moi. Mes ailes se crispèrent dans mon dos. Ils étaient tous tellement indécis qu'ils me refilaient la décision, saisissant cette excuse pour s'en laver les mains. Une vague de colère supplanta la frustration qui menaçait de me submerger.
Meriel se pencha sur moi.
- Tu as dit être prêt à accepter l'aide de Cassiel pour protéger tes charges, murmura-t-il. Es-tu prêt à faire de même avec Raziel ?
Son souffle me brûlait l'oreille. Il avait parlé si bas et si près de moi que personne ne devait l'avoir entendu.
Je n'avais pas de réponse à sa question. Oui, j'avais accepté l'idée de travailler avec Cassiel mais je connaissais Cassiel. Je savais de quoi il était capable, ses motivations, sa façon de faire. Je ne connaissais pas Raziel. Avant aujourd'hui, je ne l'avais jamais rencontré. Je ne savais pas jusqu'à quelles extrémités il était capable d'aller, quelles étaient ses priorités. Je supposais qu'elles étaient les mêmes que Cassiel mais ce n'était qu'une supposition. Il pouvait être capable de pire.
J'inspirai profondément pour me pencher sur Meriel. Je doutais d'avoir jamais été aussi près de quelqu'un de toute mon existence. C'était troublant de me tenir si près de lui que je pouvais compter tous les petits cheveux qui marquaient ses tempes.
Il sentait le jasmin. Je n'avais réalisé qu'il sentait le jasmin. Pourquoi est-ce que ça me perturbait tant qu'il sente le jasmin ?
Je fermai les yeux et tentai de me recentrer sur ce que je voulais dire. Raziel. Ma décision. Ou, plutôt, mon manque de décision.
- Je ne le connais pas, murmurai-je. Je ne sais pas de quoi il est capable.
Meriel se tourna vers moi. Son nez heurta le mien. Je cillai bêtement avant de reculer mon visage. Il demeura impassible si ce n'était pour l'hilarité dans son regard. Si j'avais pu, j'aurais rougi. Par chance, je n'avais jamais rougi de ma vie et ce n'était pas lui qui allait réussir à changer ça.
Sa main agrippa mon bras.
- Donnez-nous un moment.
Il s'extirpa de la banquette en me tirant derrière lui. Je ne savais pas à quel moment sa main avait glissé jusqu'à la mienne. En tout cas, l'un de nous deux avait les paumes excessivement moites.
Je sentis le pied d'Hasdiel se glisser devant ma jambe pour me faire trébucher. Je cherchai à peine à me rattraper. Je m'étalai entre les ailes de Meriel qui arrêta ma chute imminente. Il ne dit rien et continua son chemin.
Il s'assit sur une chaise sur la terrasse à l'arrière de la maison. L'air sentait la pluie fraîche qui venait de cesser de tomber et ce parfum particulier de terre, d'herbe et de boisé. J'avais toujours adoré ce moment juste après la pluie où tous les parfums les plus naturels étaient amplifiés. C'était aussi apaisant qu'un chœur d'anges.
Je me perchai sur la barrière et dépliai mes ailes pour les détendre.
- Il va falloir choisir, dit Meriel. Il n'a pas tort. Comme tu l'as dit, nous avons besoin d'anges plus puissants et un archange serait l'idéal.
- On ne le connaît pas, protestai-je. On ne sait pas de quoi il est capable. Avec Cassiel, on en avait une idée mais pas avec Raziel. Il peut être meilleur comme il peut être pire. Cassiel m'a fait tuer pour obtenir ce dont il avait besoin. Qui nous dit que Raziel n'est pas de la même trempe ? Qu'il ne fera pas pire pour atteindre son objectif ?
- Son besoin de validation.
- Quoi ?
Meriel bougea sa chaise pour me faire face et mieux placer ses ailes. Il croisa ses jambes et s'appuya dessus.
- Il veut que nous ayons besoin de lui. Il a besoin que nous ayons besoin de lui. Il vient d'avoir sa place et il veut la mériter. Prouver sa valeur. Et pouvoir aider à refermer la porte de l'Enfer, ça serait son avènement. Si on l'accepte, il tirera la couverture à lui, à n'en pas douter. Il cherchera à prendre le dessus sur tout le monde pour passer pour celui qui a tout fait.
- Il cherche l'adoration, la gloire.
- Pas seulement. Ce sont des ajouts non négligeables mais il veut surtout que l'on reconnaisse sa valeur. Et s'il prend la tête de l'opération, il obtiendra la gloire dont il a besoin pour que l'on cesse de douter de lui.
- Si ce n'est que ça, je suppose qu'il n'est pas trop dangereux. S'il veut les lauriers, il peut les avoir.
- Tu sous-estimes ce qu'une telle ambition peut amener. Pour obtenir la reconnaissance de ses pairs, il peut être capable de tout. Son but ne sera jamais de protéger les humains. Il ne voit que son intérêt. S'il voit une ouverture possible, il foncera dedans sans se soucier du reste. Si nous l'acceptons, il faudra rester sur nos gardes. Surtout toi. Tu es celui qui a été choisi par Cassiel pour l'aider. À n'en pas douter, s'il trouve que tu te mets sur son chemin, il n'hésitera pas à te faucher.
- Décidément... Tout le monde veut se débarrasser de moi.
Meriel fronça les sourcils.
- De quoi parles-tu ?
- Je parle d'Hasdiel. Si elle a l'occasion de me virer du paysage, elle n'hésitera pas.
Il soupira.
- Elle t'a fait trébucher, n'est-ce pas ?
- Oui. Elle agit comme une gamine. C'est assez fatiguant. Elle n'est plus objective. Elle préfère tenir avec toi dans l'espoir de rester dans tes bonnes grâces que de penser par elle-même.
- J'ignore pourquoi il réagit comme ça. Ça ne lui ressemble pas. D'ordinaire, elle est bien plus réfléchie et mature. Je ne pensais pas qu'elle agirait comme ça alors que nous sommes à deux doigts d'entrer en guerre. Je lui parlerai.
- J'espère parce que je ne tiens pas à avoir à la surveiller pour être sûr qu'elle ne va pas me fracasser le crâne dès que j'aurais le dos tourné.
- C'est tellement stupide d'avoir à s'occuper de ça dans un moment pareil. On ne devrait avoir à discuter que de Raziel, pas de Hasdiel. Veux-tu savoir le plus stupide ?
Je hochai la tête.
- Elle ne m'intéresse pas et ne pourra jamais m'intéresser.
- Qu'est-ce que tu veux dire ?
- Même en tant qu'homme, il ne m'a jamais intéressé. Je ne l'ai jamais vu que comme un ami. Maintenant qu'il a enfin changé de sexe, il a perdu toute chance. Je ne suis pas...
Ses paroles s'arrêtèrent net comme dans un élan de panique. Ses pupilles s'élargirent et il se raidit.
- Je suis gay.
Il prononça ces trois mots avec tant de mordant que je le perçus comme une attaque. Il me fit penser à ses minuscules petits chiens qui se mettent à aboyer férocement à la vue de la moindre chose qui les effraie.
Je pouvais comprendre sa réaction. De mon temps, ce n'était pas bien vu. Puisqu'il avait vécu avant moi encore, ça devait être pire. D'autant qu'il vivait à la cour d'un roi. Au moins, à mon époque, si l'on était bien né, avec de l'argent et des contacts, tout était possible si l'on se montrait discret. Du sien ? J'avais des doutes.
- Hasdiel le sait ? répondis-je simplement.
- Je ne lui ai pas dit aussi explicitement. Je pensais toutefois qu'elle avait compris. Il semblerait que je me sois trompé. Elle n'a visiblement pas compris le message sinon elle aurait compris que ça ne servait plus à rien d'agir ainsi.
- Tu devrais peut-être lui dire. Pour qu'elle accepte et passe à autre chose.
- Je suppose que je n'ai pas le choix. Il faut que nous ayons tous notre tête entièrement dans la guerre. Si elle se comporte avec toi de cette façon, elle ne pourra jamais être entièrement objective et nous en avons besoin.
Il baissa la tête. Il semblait nerveux.
- Je... Je ne l'avais jamais dit. À personne. Je n'avais jamais prononcé les mots.
Je ne sus quoi répondre. Ce n'était pas le genre de conversation que j'aurais imaginé pouvoir avoir avec Meriel. Ce n'était pas une conversation qu'il m'était jamais arrivé d'avoir avec quiconque, pour être entièrement honnête.
Il ne me laissa pas le temps de trouver mes mots. Il retrouva son masque rapidement et se referma. Ce fut comme de manquer une prise et de dévaler toute une falaise sans rien pouvoir faire pour se rattraper. J'ouvris la bouche mais c'était trop tard.
- Je parlerai à Hasdiel, reprit Meriel, à nouveau lui-même. Pour en revenir à notre sujet d'origine : que faisons-nous avec Raziel ?
Je cillai, perdu. Il m'observa, un sourcil haussé, exactement comme il avait l'habitude de le faire. Où était passé le Meriel qui venait d'entrouvrir la minuscule porte qu'il avait laissée dans l'un de ses nombreux murs ?
- Euh... Je... Je suppose qu'on n'a pas vraiment le choix.
- C'est ce que je me disais aussi. J'espère pour lui qu'il est aussi puissant qu'il le prétend.
Il se leva dans un mouvement rapide et souple. Ma main jaillit avant que mon esprit ne réalise mon geste. Je sentis Meriel se raidir. Il continua de regarder droit devant lui, en direction de la maison.
- Tu sais que je n'ai aucun problème avec ça, pas vrai ?
Les muscles de son bras se crispèrent.
- Je suis sérieux. Je m'en moque. Ça ne change rien.
Il se tourna lentement vers moi et me scruta en silence. Mal à l'aise, je le lâchai. Je détestais lorsqu'il me fixait comme si j'étais un rat de laboratoire dont il devait percer tous les secrets.
- Écoute, m'exclamai-je, de plus en plus embarrassé bien que je n'aie pas de concrète raison de l'être, je m'en moque totalement. Je sais que, de mon temps comme du tien, ce n'était pas génial d'être gay. Sauf que, à mes yeux, ce qui compte le plus, c'est le genre de personne que tu es, pas le sexe que tu préfères.
- Et quel genre de personne suis-je ?
- Il y a deux mois, je n'aurais eu qu'un mot pour te décrire.
Il eut un sourire désabusé mais amusé.
- Imbuvable ?
- Imbuvable, confirmai-je avec un rire.
- Et maintenant ? Suis-je toujours aussi imbuvable ?
- Assurément ! Mais tu n'en es pas moins quelqu'un de bien et c'est ce qui compte. J'ai compris que tu choisis d'apparaître comme un être cynique et agaçant pour te protéger. Sauf que, maintenant, je te connais et je sais quel genre de personne tu caches derrière tous ces murs. Et c'est le genre de personne avec qui je veux faire équipe. Quelqu'un à qui je fais confiance et à qui je sais que je pourrais confier mes protégés sans réfléchir. Je n'aurais jamais pu survivre jusqu'à aujourd'hui sans ton aide. Cet affrontement... Ça aurait été une véritable catastrophe si tu n'avais pas été là pour prendre les rênes. Si tu avais réellement été celui que tu prétends être depuis que je te connais, tu ne serais pas là. Tu serais parmi ceux qui tournent la tête et font l'autruche. Pour moi, c'est ça qui compte vraiment. Pas le reste.
Il demeura figé sur place, le visage inexpressif. Je n'arrivais pas à trouver le moindre indice sur ce qu'il pensait ou ressentait de ce que je venais de lui dire. Le connaissant, il risquait de se moquer de mon soudain épanchement. Aussi pris-je les devants.
- Bref, ce n'était pas le sujet, à l'origine. On devrait retourner à l'intérieur pour parler à Raziel.
Je descendis de la barrière. Il me retint lorsque je passai à côté de lui.
- Tu le penses sincèrement ?
- Je ne l'aurais pas dit si je ne le pensais pas.
Il opina de la tête, perplexe, et rentra en premier.
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NdlA : Un petit moment entre Meriel et Rahel ! Qu'est-ce que vous en pensez ?
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