Chapitre 51
Notre bonne humeur retomba lorsque nous pénétrâmes dans la maison d'Ava. Hasdiel était restée pour veiller sur les deux humains. Elle haussa un sourcil en nous voyant entrer.
- Tout va bien ? questionna-t-elle.
- Oui, répondit simplement Meriel.
Je ne cherchai pas à extrapoler et me laissai tomber dans le canapé que Beahan avait libéré. Je sondai la maison à la recherche de son énergie si particulière. Je la trouvai à l'étage, dans la chambre d'amis.
- Il est monté se reposer, me dit froidement Hasdiel. Il avait mal à la tête.
Sa façon de prononcer l'enochien n'avait rien de poétique. Même Ava la rêveuse serait d'accord. Elle sifflait les syllabes comme si elle avait une bobine de fil sur la langue et toute la rancœur du monde. C'était très désagréable. De la même manière que le serait un serpent sifflant à mon oreille.
- Tu devrais faire pareil, jeta Meriel, la voix traînante. Tes explosions ont dû t'épuiser.
- Ses explosions ? releva Hasdiel.
- Je suppose que tu as entendu le tonnerre.
- Quel rapport ?
Il roula des yeux.
- D'après toi ? Ai-je une tête à parler météorologie de façon foncièrement aléatoire ?
- Tu veux dire que c'est lui qui a déclenché le tonnerre ?
S'il avait crié « alléluia », ça n'eut pas été différent. Hasdiel se renfrogna. Je m'amusais énormément.
- Ça en plus de m'envoyer voler à dix mètres et en haut d'un arbre.
- C'est impossible. Ce n'est qu'un ange ! Comme nous !
- Je pense savoir quand je me retrouve épinglé à un arbre et quand je rêve, Hasdiel. Or, je peux t'assurer que j'étais bien éveillé.
Je m'étalai sur le sofa et m'enroulai dans mes ailes pour pouvoir continuer à les observer se chamailler, la tête sur mes bras. La fatigue ne mit pas longtemps à venir peser sur mes paupières.
- Je n'ai pas dit que tu mentais. J'ai dit que c'était impossible que ça vienne de lui.
- Pourtant, il n'y avait que lui et moi. Je doute que les écureuils entrent dans l'équation.
- Arrête de me prendre pour un idiot, Meriel. Tu vois très bien où je veux en venir. Ce n'est pas parce qu'il peut tenir une arme des Cieux qu'il peut faire des trucs impossibles pour des anges comme nous.
Meriel referma son livre et s'orienta vers son amie. Il avait cet air qui avait l'art de me mettre les nerfs en boule. Un mélange de condescendance, d'agacement et de lassitude. C'était bien plus drôle lorsqu'il l'adressait à quelqu'un d'autre. Encore plus lorsque ce quelqu'un était Hasdiel.
- Que tu vois cela comme impossible n'a aucune importance. C'est ce qui est arrivé. Point. Crois-le si tu le veux. J'ai mieux à faire que discuter avec toi de ce qui est possible ou non.
Hasdiel se racla la gorge d'une manière si masculine qu'elle parut vulgaire avec ce nouveau corps de femme.
- Très bien, se résigna-t-elle. Admettons qu'il en soit capable, qu'est-ce que ça signifie ?
- Je n'en sais rien. Ce n'est pas quelque chose que j'imaginais possible jusqu'à ce qu'il me propulse en plein dans un chêne.
- Je vais faire des recherches là-dessus, alors, soupira-t-elle. De toute façon, il est plus que temps que je remonte.
Elle obtint à peine un hochement de tête de Meriel et parut abattue. Se pouvait-il qu'elle craque sur Meriel ? Qu'elle veuille son intérêt ? Ça me paraissait abasourdissant mais je n'étais plus à une surprise près. Je pouvais admettre que Hasdiel ait des sentiments pour Meriel après avoir déclenché deux coups de tonnerre sans même essayer. Visiblement, tout était devenu possible.
Elle quitta la maison en coup de vent.
- Bon débarras, marmonnai-je.
Meriel pouffa.
- Tu ne l'apprécies pas.
- Qui apprécierait quelqu'un qui nous traite comme un cafard ?
- C'est vrai qu'il n'est pas très agréable avec toi. Pourtant, nous sommes d'accord pour dire que je suis le plus imbuvable des deux.
J'émis un son entre le rire et l'éternuement.
- Tu l'admets donc enfin !
- Ai-je jamais nié ?
Je me redressai sur mes coudes, les sourcils froncés. Maintenant qu'il m'y faisait songer, je réalisais qu'il n'avait jamais contesté être insupportable. Il l'avait toujours assumé.
- Tu vas te vexer si je te dis que tu deviens supportable ?
- Tant que tu ne te mets pas à m'aduler, je pense pouvoir endurer le fait que tu me trouves supportable.
J'éclatai de rire et il ne tarda pas à me rejoindre. Il n'y avait que lui pour dire des choses avec un tel sérieux. Je préférais quand il sortait du moule qu'il s'était formé et qu'il riait de cette rivalité qui m'apparaissait désormais lointaine. Nulle et non-avenue.
- Ne t'en fais pas, va ! Tu sais encore être agaçant. Mais tu perds la main.
Il me jeta un regard faussement outragé qui me fit rire. Il retourna à son livre sans se départir de son sourire et je me recalai dans le sofa.
- Pourquoi est-ce qu'elle me déteste ? Je ne me souviens pas lui avoir fait quoi que ce soit.
- Tu n'as rien fait. Hasdiel est... particulier dans ses relations. Il fait partie de ces gens qui ne parviennent pas à gérer plusieurs personnes en même temps. Il a des amis mais il ne peut pas les voir autrement que seul à seul. Sans quoi, il en choisit un, celui ou celle dont il est la plus proche, et fait la misère aux autres. J'ai vécu ce qu'il te fait lorsque j'ai commencé à devenir ami avec lui. J'ai accepté le fait qu'il ne parvienne pas à faire la part des choses entre plusieurs personnes et qu'il soit possessif. C'est sa personnalité et même si je ne comprends pas, je l'ai accepté. Je n'ai pas eu le choix puisqu'il a été l'un de mes mentors.
J'opinai vaguement de la tête. Je voyais où il voulait en venir. Je ne comprenais pas plus que lui ce genre de personne. Je préférais rassembler les gens plutôt que de former une barrière. Au moins savais-je que ce n'était pas de ma faute si Hasdiel était détestable.
La chaleur dégagée par le cocon de mes ailes me berça jusqu'à ce que je m'endorme enfin.
***********
Je me réveillai dans une position différente de celle dans laquelle je me souvenais m'être endormi. Je me redressai en fronçant les sourcils. Comment avais-je atterri dans la chambre d'amis ?
Je trouvai Meriel assis de l'autre côté du lit, son livre dans les mains.
- C'est moi qui t'aie amené ici, dit-il sans se détourner de la page qu'il lisait. Tu ne cessais de t'agiter dans tous les sens et de faire claquer le tonnerre. Tu mettais les sorcières très mal à l'aise et tu as réveillé ta charge. J'ignore ce qui t'a agité cette nuit mais ça ne devait pas être joli à voir.
- Je ne me souviens pas. J'ai plutôt bien dormi, pour tout dire.
- Je suppose puisque tu ne t'es pas rendu compte que je te transportais dans une autre pièce. Tu es sacrément lourd.
Je lui jetai un regard noir qu'il ignora entièrement.
- Toujours est-il que j'ai eu des nouvelles de Daphiel pendant que tu dormais. Elle a aperçu des démons dans l'endroit qu'elle explorait. Elle a aperçu un camp de fortune. Elle pense qu'ils sont stationnés là pour protéger la porte. Maliel va étudier l'endroit de plus près dès qu'elle l'aura atteint.
- Il ne nous reste plus qu'à attendre qu'Ava ait réussi à trouver un sort pour refermer les portes, bâillai-je. Je doute que ça prenne encore longtemps.
- Elle ne me donne pas l'impression d'être plus près d'avoir trouvé un sort qu'elle ne l'était au début de cette monstrueuse débâcle.
- On verra mais je pense qu'elle tient quelque chose. Je le sens.
Meriel émit un son vague en guise de réponse. Je remontai dans le lit, m'asseyant à côté de mon coéquipier, tout en faisant de mon mieux pour que mes ailes ne gênent pas les siennes. Je renonçai et m'installai en tailleur, laissant mes ailes pendre à côté du lit, et observai mon vis-à-vis lire avec une concentration inaltérable.
Je ne pouvais m'empêcher de me demander quelle attitude il aurait face à la bataille. Je lui faisais confiance et j'avais foi en lui. Je savais qu'il était plus courageux qu'il ne le croyait. J'avais envie de croire qu'il serait à mes côtés durant la bataille.
Mais j'avais un doute. Personne d'autre que moi ne croyait en lui. Ils le voyaient tous comme un lâche, le genre à fuir au premier pétard, la queue entre les jambes. Avais-je tort ? Je ne pensais pas. Malgré tout, j'avais besoin de l'entendre me dire qu'il serait là. Qu'il s'engage de lui-même sans que je n'ai à le forcer.
- Tu seras là ?
La question résonna dans la chambre. Un silence la suivit. Les yeux de Meriel se figèrent sur la page qu'il lisait. Ses doigts se crispèrent légèrement.
- Durant l'affrontement, tu seras là ? insistai-je.
- Est-ce important ? souffla-t-il après un moment d'hésitation.
- Oui. Oui, ça l'est.
Il ferma son livre et posa ses mains dessus. Il ferma les yeux.
- Tu sais que je suis un déserteur, énonça-t-il lentement. Je suis un espion, pas un soldat. Tu n'as pas peur que je t'abandonne quand ça deviendra trop dangereux à mon goût ?
- Non.
Il se tourna vers moi, surpris par mon manque d'hésitation. Ses yeux turquoise étaient plus larges qu'ils ne l'avaient jamais été. Il devenait drôlement mignon avec un tel air abasourdi.
- Tu es plus brave que tu ne le crois, poursuivis-je. Tu étais là au Texas. Tu ne t'es pas enfui. Tu es devenu mes yeux et mes oreilles aux Cieux. Tu as volé ce dossier dans le bureau d'Ariel. Tu es bien moins lâche que tu le crois.
- Je n'ai servi à rien au Texas. J'ai uniquement empêché les démons de former des groupes trop importants pour que vous puissiez vous en débarrasser. Quant au reste, c'est du travail basique d'espionnage. Ce que je sais faire.
Je secouai la tête. Il fronça les sourcils.
- Tu n'as pas servi à rien au Texas et tu n'es pas qu'un espion. Arrête de te limiter. Tu es aussi brave que moi si ce n'est plus. Seulement, tu l'exprimes différemment. La bravoure, ce n'est pas foncer dans le tas comme un gros bourrin. La bravoure, c'est avoir les jambes en coton en avançant vers ce qui nous fait peur. C'est avoir envie de fuir de l'autre côté mais continuer quand même. Ça, c'est être brave.
Il baissa la tête sans répondre. J'étendis une jambe pour taper la sienne et récupérer son attention.
- Tu n'es pas un lâche. Tu as peur. Ce n'est pas la même chose. Moi aussi, je suis terrifié. L'idée d'embarquer les deux humains et de partir m'enterrer dans un trou en Alaska me plaît beaucoup.
Il soupira longuement et je pus deviner le poids qui l'écrasait. Le pire était qu'il se l'infligeait lui-même. Quoi qu'il se soit passé durant sa vie humaine, ça ne devait être beau à voir.
- Qu'on t'offrirait un aller simple que tu n'irais pas. Tu n'es pas comme ça. Tu es le genre à te battre pour la veuve et l'orphelin, pas à laisser les autres gérer les problèmes. Tu es le modèle type du héro.
- Tu me surestimes ! ris-je. Si je le pouvais, je regarderais les autres faire. Sauf que personne ne fait rien. Tout le monde discute de ce qu'il faut faire ou attend qu'on leur dise quoi faire mais personne n'agit. Alors je le fais. J'agis. Je mets la main à la patte pour un monde meilleur.
- Tu es d'un optimisme écœurant et étonnamment fascinant. Tu te bats pour une race qui adore s'autodétruire. Je n'en vois pas l'intérêt. Ils ont été libérés des démons et ils s'amusent à les appeler. Pourquoi se battre pour une race aussi idiote ?
- Les humains sont bourrés de défauts, Meriel. Tu le sais aussi bien que moi. On en a été, après tout. Ce n'est pas pour autant qu'il faut les laisser souffrir et mourir. Il y a du bon en eux. Il faut simplement le leur rappeler et leur redonner espoir. Et puis, si tu es là, à m'aider, c'est que tu dois bien y croire aussi, non ? Sinon, tu ne t'en mêlerais pas.
- J'ai toujours été le genre de personne à suivre les puissants, les gagnants, ceux qui finissent au-dessus du lot. Je me suis servi d'eux comme d'un parapluie pour m'abriter des retombées des conflits. Être du côté de ceux qui gagnent, c'est rester en vie. Alors je fais ce qu'il faut, que je crois en leurs idées ou non. Heureusement, jusque là, je n'ai pas eu à suivre quelqu'un dont les idées étaient une aberration. Ils ont toujours tous été plutôt censés.
Je l'observai. Il ne me regardait pas et c'était le seul signe dont j'avais besoin pour savoir que j'avais bien compris.
Pour lui, j'étais celui qui gagnerait. Il n'était pas derrière les Cieux mais derrière moi. J'étais devenu une entité dissociée des autres anges. Et il croyait en moi. Il avouait ne pas être entièrement d'accord mais il n'était pas contre non plus. Il tentait simplement de garder la face en refusant de dire ouvertement qu'il n'était pas en désaccord total avec ma vision des choses.
- Donc tu seras là ? questionnai-je simplement en réponse.
Il leva les yeux vers les miens. Il y avait une certitude nouvelle dans son regard. Une assurance profonde, une foi inattendue.
- Oui.
C'était tout ce dont j'avais besoin.
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NdlA : J'adore les moments Meriel/Rahel, pas vous ?
PS : J'ai eu une idée cette semaine et je me demandais si ça vous intéresserait. J'ai pensé créer un livre "La Chanson de la Semaine" ou quelque chose du genre et poster tous les dimanches la chanson que j'ai le plus écouté durant la semaine et o vous pourriez commenter vos chansons. La musique est très importante pour moi alors échanger avec mes petits lecteurs favoris sur ce sujet me plarait bien. Ca vous tenterait ?
PS2 : Le défi pour débloquer la couverture du tome 2 arrive ! Je n'ai pas oublié ! Il faut juste que j'arrive à me décider sur ce que je vais faire !
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