Chapitre 5
L'intérieur avait le même aspect que l'extérieur avec des couleurs claires et des formes étranges qui laissaient bien savoir que le mobilier coûtait cher. Plutôt que d'acheter des choses aussi laides, pourquoi ne se débarrassait-il pas de son argent en agissant pour ceux qui en avaient besoin ? Rien qu'avec ce qu'il y avait dans son salon, il pouvait nourrir les sans-abris du Missouri.
Une femme entra, ses talons claquant sur le carrelage. Sa robe était si serrée que je pouvais deviner le dessin de son nombril. Comment faisait-elle pour respirer ? D'accord, pour sa petite quarantaine, elle était belle. Mais n'était-il pas préférable de savoir respirer pour en profiter ?
- Qui est-ce ? interrogea-t-elle son mari.
- Retourne t'occuper de tes affaires, fut la seule réponse de Charles Neetud.
Vexée, elle repartit d'où elle était venue mais je pouvais la sentir assez proche pour espionner.
- Dites-moi tout, ordonna le maître de la maison. L'affaire a été close il y a des mois de ça. Pourquoi vous vous y intéressez ?
- Une mère m'a contacté par mail pour m'exposer le cas de son fils et en me penchant sur cette affaire, j'ai pu la relier à d'autres cas qui lui ressemblent. Je ne peux pas affirmer qu'ils sont bel et bien connectés mais les ressemblances sont pour le moins troublantes.
- Qu'est-ce que vous voulez dire ?
- Dans tous les cas que j'ai pu relier au cas qui m'a été proposé, il s'agit d'adolescents qui commettent des actes horribles qui ne leur ressemblent pas et clament que quelqu'un les a y forcés. Votre fils serait le tout premier cas. Je cherche le détail qui me permettrait de relier tous ces cas pour pousser la police à rouvrir les affaires.
- Pourquoi vous faîtes ça ? Vous n'avez pas l'air d'un détective privé ni d'un consultant.
- Je suis blogueur, en fait. Je travaille sur des enquêtes non résolues autour de l'Arkansas.
- Vous êtes ce gamin qui a aidé à retrouver cette fillette disparue ? Charlotte ?
- Oui, c'est moi.
J'observai l'embarras qui jouait dans la façon qu'avait Beahan de se tenir mais qui n'apparaissait pas ailleurs. Il était doué pour dissimuler ses véritables sentiments derrière une barrière de confiance.
- Et qu'est-ce que vous voulez savoir ?
- Pouvez-vous me parler de Patrick ? Quel genre de personne était-il ? A-t-il changé avant... ce qu'il s'est passé ?
- Patrick a toujours été un gentil garçon. Oui, il était égoïste et vénal mais ça ne faisait pas de lui un mauvais garçon. Sa mère s'est bien occupé de lui pendant que je travaillais. Il n'était pas parfait mais nous n'avions pas de problèmes avec lui. Il s'en sortait à l'école. Ça allait. Honnêtement, ça allait. Je n'ai rien remarqué de différent chez lui si ce n'est qu'il était moins présent que d'habitude à la maison. Soit il était dehors, soit il était enfermé dans sa chambre.
- Il ne vous paraissait pas déprimé ou agressif ?
- Je ne passais pas beaucoup de temps à la maison. Sa mère pourrait mieux vous répondre que moi. Elle a déménagé à Aurora. Elle n'a pas supporté ce qui est arrivé à Patrick.
Je pus sentir combien ça le blessait. J'ignorais si c'était le cas, Beahan ne parut pas le remarquer. Toutefois, je commençais à me demander s'il ne remarquait pas plus de choses qu'il n'en laissait voir.
- Je ne vois pas quoi vous dire d'autre, continua Charles Neetud.
- Pourrais-je voir sa chambre ? Je pourrais peut-être y trouver quelque chose qui m'aiderait à faire le lien entre lui et les autres affaires.
- Je ne sais pas si...
- Je ne dérangerais rien. Je voudrais juste voir s'il n'y a pas un nom ou un contact qu'il aurait eu en commun avec les autres.
- C'est que nous avons vidé sa chambre. J'ai gardé plusieurs cartons de ses affaires au grenier. Je ne sais pas si ça sera utile.
- Ça le sera, assura posément Beahan. S'il y a une chance que je trouve la moindre information, il faut que j'essaie.
Charles Neetud hocha la tête et se leva avec un court « suivez-moi ».
Il nous fallut traverser plusieurs couloirs avant d'atteindre un escalier en colimaçon qui nous mena dans un grenier qui devait faire la surface de la maison. C'était immense. En dépit de la superficie, l'homme se dirigea droit vers une étagère pleine de cartons usés.
- Toute cette étagère contient ce qu'il y avait dans sa chambre. Il n'y a pas tout, évidemment. Si vous avez besoin de quoi que ce soit, il y a un interphone à l'entrée. N'hésitez pas à demander.
- D'accord. Je vous remercie.
Charles Neetud quitta le grenier. Je le regardai hésiter, regardant par-dessus son épaule plusieurs fois. Laisser un étranger avec les affaires de son fils décédé devait être difficile. J'avais beau être branché sur la radio Declan Beahan, je pouvais sentir la tristesse autour de lui. Il finit par partir, discrètement, en secouant la tête.
Je passai mon temps assis en face de mon protégé à regarder avec autant d'attention le contenu des boites. Toutefois, tout ce qu'il restait, c'était des manuels scolaires, des cahiers de notes, quelques CDs de rap ou de hip-hop, un gant de baseball, entre autres babioles sans grand intérêt. Je n'étais pas le seul à avoir abandonné l'idée de trouver quoi que ce soit après le troisième carton.
Je haussai un sourcil lorsque Beahan tira une Bible du quatrième carton. Il la feuilleta rapidement sans y faire plus attention. Ses épaules s'affaissèrent lorsqu'il la posa à côté de lui. Je brûlai d'y regarder. Patrick Neetud n'était pas le genre de gosse à avoir une Bible. S'il en avait une, il devait forcément y avoir une raison et je doutais que ça soit la foi.
Beahan continua de sortir des objets de la boîte sans plus s'intéresser à la Bible. Tout en jetant un œil à ce qu'il y avait d'autre, je réfléchis à un moyen de le faire s'intéresser à nouveau à la Bible. Il allait falloir que je ruse. Je pouvais tenter le coup classique en le faisant tomber mais j'ignorais si ça fonctionnerait comme je l'espérais. Il n'avait pas eu l'air de se poser de questions sur la présence d'une Bible dans les affaires d'un gamin comme Patrick Neetud. Était-il un aussi bon enquêteur qu'il le prétendait ?
Je regrettai mes pensées lorsqu'il commença à ranger les affaires dans le carton. Plutôt que de ranger la Bible avec le reste, il repoussa le carton du pied et posa l'ouvrage devant lui.
- Voyons ça, murmura-t-il. Pourquoi avais-tu une Bible, Patrick ? Ça ne te ressemble pas...
Il l'ouvrit à une page aléatoire et commença à faire défiler les pages qui se brouillèrent. Rien ne me sauta aux yeux. Ce ne fut que lorsqu'il arriva à la fin qu'il trouva une carte de visite blanche, toute simple, fermement enfoncée dans le creux entre la reliure et les pages. Je me penchai pour lire ce qui était écrit.
George Lowe
Architecte
853 Main Street, Springfield, Missouri
www.georgelowearchitecture.com
- George Lowe, George Lowe... marmonna Beahan.
Il sortit son téléphone, pianota dessus quelques secondes avant que son visage ne s'illumine.
- Mais oui ! C'est l'oncle d'Amélia ! Pourquoi avais-tu sa carte, Patrick ? Quel lien y a-t-il entre Amélia et toi ?
J'ignorais qui était Amélia mais mon instinct me disait qu'elle devait être dans la même position que Patrick. Quel crime avait-elle commis ? Et quelles ressemblances leurs deux affaires arboraient-elles ? J'avais besoin de bien plus d'informations que ce que j'avais. Pourquoi n'avais-je pas prêté plus attention à tous ces panneaux dans son bureau ? Il allait falloir que je répare ça.
De son côté, Beahan avait décidé de prendre la carte en photo sur son téléphone plutôt que de juste l'emmener avec lui. Il la retourna et fronça les sourcils. Je me déplaçai pour voir ce qu'il avait découvert. Trois mots avaient été griffonnés au stylo bleu en capitales.
A SEASON IN HELL
UNE SAISON EN ENFER.
Était-ce le nom de quelque chose ? Un site, un club, un livre ? Je pouvais deviner les mêmes questions dans l'esprit de Beahan. Je commençais à comprendre pourquoi c'était à moi qu'il avait été affecté. Il me semblait que mon protégé et moi avions le même schéma de pensée.
Toutefois, cette ressemblance demeurait superficielle. Je doutais qu'il songe à l'Enfer de la manière dont je le faisais.
Les cours sur les démons, sur le Premier Démon, sur l'Enfer avaient été plutôt succincts. Je m'étais attendu à avoir des indications sur ce dont ils étaient capables – tout ce que j'avais eu était « du pire » –, sur la façon de les repousser, de les combattre. Non. Je n'avais absolument rien appris pendant les longues heures de Démonologie 101. J'en avais plus appris durant ma vie d'humain. Et pourtant, je vivais au XIXème siècle, ce siècle sombre où Internet n'existait pas et où l'on n'avait globalement que les livres et les ancêtres pour apprendre. Je ne comprenais pas pourquoi aucun ange ne tenait à parler des démons. D'accord, ils étaient tous piégés en Enfer depuis des siècles (en tout cas, d'après Nanael) et donc, il y avait peu de chances que nous en croisions. D'accord, rien que la pensée du mot « Enfer » provoquait des réactions physiques désagréables (je me souvenais de Baskiel qui n'arrêtait pas de hoqueter durant tout le cours de Démonologie). Malgré tout, je persistais à croire qu'il valait mieux avoir une idée de la façon de réagir plutôt que d'avancer en aveugle.
Bref, toujours était-il que les cours d'ange gardien ne m'avaient pas apporté grand-chose si ce n'était une compréhension basique du fonctionnement des Cieux et de mes ailes.
Cependant, je ne pouvais que réagir à la mention de l'Enfer. Personnellement, ça me donnait la chair de poule. De méchants frissons impossibles à dissimuler. C'était tout de même moins humiliant et handicapant que le hoquet de Baskiel.
Toujours était-il que cette évocation de... cet endroit ne me disait rien qui vaille. Patrick qui poussait une fille devant un train en disant qu'il n'avait pas le choix parce que quelqu'un menaçait sa famille. Patrick qui avait caché cette carte dans une Bible, comme pour en étouffer le pouvoir néfaste. Il était probable que j'aille chercher loin mais j'en doutais. C'était une trop grosse coïncidence.
Le problème tenait dans le fait que tous les dém... monstres étaient enfermés dans cet endroit. Ce ne pouvait pas être un monstre puisqu'ils n'avaient plus accès aux mortels. Or, l'influence de cet endroit était palpable autour de cette carte. À moins que je ne me fasse des idées. J'étais toujours trop prompt à tirer des conclusions.
Pour une fois, pour ma toute première mission solo, j'allais faire preuve de retenue et j'allais attendre d'en savoir un peu plus avant de décréter que les monstres avaient bel et bien un rôle à jouer.
Il n'y avait plus rien à explorer pour Beahan aussi décida-t-il de ranger les cartons tels qu'il les avait trouvés et de redescendre. Il fut escorté à l'extérieur par une femme de ménage. Le maître de la maison avait dû partir à cause de son travail, apparemment. Mais il prendrait contact. Comme si ça changeait quoi que ce soit.
Beahan partit vers la demeure de la mère de Patrick. Il tapa l'adresse que lui avait donné Charles Neetud dans le GPS et prit la route. Je ne l'avais pas encore vu manger quoi que ce soit depuis qu'il était parti de chez la sorcière. Il fallait que je fasse quelque chose pour ça parce qu'il ne semblait pas décidé à répondre à ses besoins les plus primaires.
Je tendis la main pour la poser sur son ventre et provoquer une légère torsion de son estomac. Il fit la grimace, regarda l'heure.
- Il serait probablement temps que je mange quelque chose.
Je dus le pousser vers quelque chose de nourrissant sans quoi il se serait contenté d'un café et d'un hamburger au Drive-In d'un fast food. Certes, les diners n'étaient pas forcément plus sains pour la santé mais ils avaient le mérite d'avoir un peu plus d'options. Le pauvre avait vraiment besoin d'être requinqué.
Je ne pouvais que me demander comment j'en étais arrivé là. Je n'étais pas fait pour ce boulot. Je n'aurais même pas dû devenir un ange. Je n'avais jamais été un modèle de bonté ou de gentillesse. Je n'avais jamais cru en Dieu. Je doutais encore d'y croire. Oui, j'avais des ailes mais non, je ne croyais pas en Dieu. Je ne l'avais jamais vu. Pour ce que j'en savais, les Cieux pouvaient être une petite usine bien huilée qui existait parce qu'on en avait besoin pour contrer les monstres.
En tout cas, le fait que je sois devenu un ange n'avait pas de sens. Même plus d'une centaine d'années plus tard, je ne comprenais pas comment c'était arrivé. Je n'avais rien des qualités d'un ange. Je m'étais habitué à cette réalité étrange où je faisais partie des gentils. Par contre, je n'aurais pas cru que cela me mènerait à enquêter comme une version masculine et invisible de Nancy Drew.
Le passage par la maison de la mère de Patrick n'amena rien. Elle ne possédait que peu de souvenirs de son fils. Rien qui ne se trouva être utile dans l'enquête. Beahan repartit les bras ballants vers Whitewich.
Dès qu'il fut arrivé, il monta dans son bureau, prenant à peine le temps de boire un verre d'eau. Ce type n'avait-il donc aucun instinct de survie ? Pas étonnant qu'il paraisse si fatigué ! Ça ne faisait que quelques jours que j'étais là et je devais perpétuellement lui rappeler qu'il devait boire et manger.
Je me posai sur le bureau à côté de lui pendant qu'il faisait ses recherches sur la carte de visite. Je ne me penchai pour regarder que lorsque son visage exprimait de l'intérêt ou de la surprise. Toutefois, rien de concret ne sortit sur George Lowe. Ce qui n'était pas étonnant puisqu'il était en train de s'endormir sur son clavier. Il continua de lutter. Je fermai les yeux. Il allait m'obliger à le faire. Il allait vraiment m'obliger à le faire.
Je lui donnai dix minutes pour céder et aller se coucher. Je lui donnai jusqu'à minuit pile. Il n'irait pas coucher plus tard. Il avait besoin de dormir plus de quatre ou cinq heures par nuit. J'étais décidé à le forcer à réaliser qu'il ne pouvait plus continuer comme il le faisait depuis trop longtemps.
Voyant qu'il ne se décidait pas, je donnai un petit coup dans la pile de carnets et de feuilles volantes qui s'entassait à côté de son ordinateur. Tout s'effondra sur le clavier avant de glisser par terre.
- Et merde ! jura-t-il. Il faut vraiment que j'aille me coucher.
Il s'agenouilla à terre et commença à ramasser ses affaires. Il les réorganisa rapidement avant de les replacer là où elles étaient à l'origine. Il se frotta le visage et se résigna à éteindre son ordinateur et à quitter son bureau. Je ne bougeai pas. Je l'écoutai passer par la salle de bains puis gagner sa chambre. Puis vint le silence.
C'était le moment pour moi de rattraper mon retard dans cette investigation.
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NdlA : mais que se passe-t-il ?! Une idée ? Que pensez-vous de notre ange ? J'ai hâte de lire vos commentaires !
NdlA2 : Comment on fait pour centrer le texte ? Parce que j'ai beau utiliser les commandes de Wattpad, dès que je publie le chapitre, tout le texte que j'ai centré ne l'est plus ! Ca m'agace ! Si quelqu'un a une solution... Je suis preneuse !
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