Chapitre 47
Meriel fut surpris du compromis proposé par Maliel. C'était une bonne chose. Peut-être leur donnerait-il enfin une chance. Il apprécia beaucoup moins que Daphiel ait deviné que nous collaborions. Il en profita toutefois pour m'envoyer une petite pique que je ne pris pas la peine de relever. J'avais un mal de tête abominable et je me serais bien enfermé dans une chambre si j'avais pu.
Mon manque de réaction passa inaperçu. Beahan était collé à son ordinateur, à poster sur son site. La sorcière était dans la cuisine, en train de créer un sort quelconque. Meriel lisait un livre appartenant à Ava et avait à peine relevé les yeux lorsque j'étais revenu.
Je me laissai tomber dans le sofa et appuyai le talon de mes mains contre mes paupières. Je devais me reprendre. Nous devions nous mettre d'accord sur ce que nous allions demander à Daphiel et Maliel. Il y avait plus important à gérer que mes maux de tête.
- Par quoi on commence ? demandai-je dans un soupir.
Meriel ne réagit pas. Il continua à jouer avec le sceau qu'il faisait tourner entre ses doigts. Il ne leva même pas les yeux.
- Ne voulais-tu pas sa localisation ? dit-il finalement.
- Si, bien sûr. Mais j'aurais pensé que tu voudrais les tester.
Cette fois, il me regarda. L'étonnement sincère sur son visage ne dura pas. Il se dissimula rapidement derrière un masque songeur.
- Tu n'as pas tort. J'aurais personnellement songé à leur demander quelque chose qui les force à prouver qu'elles veulent véritablement nous aider.
- Du style ?
- Des armes. Il nous en faut si nous voulons affronter Belphégor.
Je redevins une boule de plumes. Meriel ne put pas se moquer, trop crispé. Il me fusilla du regard. L'étincelle d'amusement dans ses prunelles le rendait peu crédible.
- Tu veux que je leur demande de voler des armes qui risquent de les tuer ?
- Oui. Si tu leur dis ce qu'il faut faire, elles s'en sortiront et tu seras armé. Tu es le seul de nous deux qui peut brandir l'une de ces armes. Si j'essayais d'en utiliser une, je me ferais pulvériser.
Je ne l'ignorais pas. Son âme n'était pas assez puissante pour canaliser l'énergie céleste qui constituait l'épée. Ce n'était pas pour rien qu'ils m'avaient choisi pour mourir.
- Je n'aurais pas besoin de plus d'une arme, répliquai-je. Si elle se brise durant le combat, je ne pourrais pas en utiliser une seconde sans mourir.
Il haussa un sourcil, étonné.
- Comment peux-tu en être aussi sûr ?
- Parce que j'en ai déjà brisé une et que j'ai failli en mourir. Je n'ai pas atterri dans la Serre par plaisir. Le démon qui a ravagé la maison de ma charge n'était même pas un Péché et elle n'a pas tenu et j'ai failli mourir.
- Tu n'avais pas la sorcière. Elle peut l'affaiblir suffisamment pour que tu puisses le détruire.
Je ne voyais pas comment. Elle était déjà terrifiée à l'idée d'utiliser son pendule alors faire face à Belphégor ? C'était impensable. Elle n'y arriverait pas.
- Elle ne peut pas et tu le sais.
- Je n'ai jamais dit qu'elle devrait être présente. J'ai dit qu'elle pouvait l'affaiblir. Ce qui est parfaitement faisable à distance. Si les démons peuvent atteindre les humains depuis l'Enfer, pourquoi ne pourrait-elle pas créer un sort qui affecte les démons depuis le confort de sa maison ?
- Je ne sais pas si elle osera. Tu l'as entendue hurler dans son sommeil comme moi. Elle est traumatisée.
- Elle n'aura pas d'autre choix que de faire face. C'est une guerre et elle est la seule à pouvoir l'empêcher. Dès que tu auras accepté cette idée et que tu te décideras à lui dire, mieux ce sera pour tout le monde.
Il ferma son livre et se leva.
- Ils ont un rôle à jouer, Rahel. Que tu le veuilles ou non. Nous sommes tous des pions sur un échiquier et il faut l'accepter. La seule chose que l'on peut encore décider, c'est de quel côté on veut jouer la partie.
La solennité dans ses mots me fit me redresser. Je le retins par le bras.
- De quel côté vas-tu jouer ?
- Du côté des gagnants. C'est ce que j'ai toujours fait. Appelle ça l'instinct de survie. Maintenant, je ne suis pas celui qui décide qui gagne. Je suis juste l'ombre de celui qui a le plus de chance de gagner s'il essaie.
Son poignet m'échappa lorsqu'il quitta la pièce. Je demeurai figé à retourner ses paroles dans tous les sens pour comprendre leur sens caché. Parce que je sentais qu'il y avait un. Je commençais à deviner ce que signifiaient certaines de ses inflexions. Parfois, je savais qu'il y avait un message à entendre mais je n'arrivais pas à savoir lequel. Comme c'était le cas maintenant.
Ses paroles pouvaient signifier beaucoup de choses différentes. La plus effrayante était celle qui me susurrait qu'il allait rejoindre le camp des démons. Je n'étais pas prêt à voir une telle erreur arriver. Il pouvait être lâche mais je refusais de croire qu'il puisse faire ça.
Il avait dit être l'ombre de celui qui avait, à son avis, le plus de chance de gagner. Il avait évoqué son passé. Sûrement sa position d'espion à la cour royale. Comparait-il ce moment de sa vie humaine et ce moment de sa vie d'ange ? Je n'aimais pas cette idée. Si je regardais aux faits, Meriel avait espionné les Cieux pour m'aider. Se plaçait-il dans mon ombre ? Ce que je voyais comme un partenariat était-il autre chose pour lui ? Un jeu de pouvoir dont je ne comprenais ni les tenants ni les aboutissants ?
Je détestais cette idée. Néanmoins, je venais de réaliser quelque chose.
Meriel avait espionné pour moi. Il s'était dit être dans l'ombre de celui qui avait le plus de chance de gagner. Se pouvait-il qu'il parlât de moi ? Qu'il pensât réellement que je pouvais gagner ?
Il n'y avait que deux camps : celui des Cieux et celui des Enfers. Pourquoi agissait-il comme si ce n'était pas les seules options ?
Je me massai les tempes. Je me posai trop de questions. Viendrait un temps où il s'exprimerait clairement. J'avais plus urgent à penser.
Mon coéquipier n'avait pas tort de vouloir tester Daphiel et Maliel. Il y avait des failles à son plan mais, globalement, c'était le meilleur que nous avions. Peu importe ce que nous leur demandions, il y avait une chance qu'elles travaillent pour Cassiel ou un autre archange et qu'il leur donne ce qu'elles voulaient. Quitte à le faire, autant obtenir ce dont nous avions le plus besoin.
Je priai les deux femmes pour leur donner de récupérer une épée dans l'armurerie. Je leur précisai toutes les précautions à prendre pour qu'elles ne se désintègrent pas au contact de l'arme et puis coupai la connexion. Ma migraine avait empiré. Elle pulsait furieusement derrière mes yeux, dans mes oreilles, à l'arrière de mon crâne.
- Ça ne va pas ?
La voix douce de la sorcière me parvint avec autant de délicatesse qu'un feu d'artifices. Je grognai.
- Tu as mal à la tête ? chuchota-t-elle.
J'acquiesçai en silence, reconnaissant qu'elle fasse le moins de bruit possible.
Elle posa quelque chose sur le sommet de mon crâne. Les pulsations de ma migraine se dispersèrent jusqu'à envahir l'améthyste sans pour autant alléger ma douleur. Mes yeux commençaient à me faire souffrir aussi.
- Des vaisseaux sanguins ont éclaté dans tes yeux. Il va te falloir quelque chose de plus fort.
Elle disparut quelques minutes pour revenir avec une tasse fumante. Je la bus cul sec, ignorant la brûlure dans ma bouche, dans ma gorge, jusque dans mon estomac.
- Je ne suis pas certaine que ça fonctionne sur toi puisque tu es un ange mais je n'ai rien d'autre. Mais j'ai bon espoir que les plantes fonctionnent sur toutes les espèces en existence.
Son espoir fut récompensé puisque je me sentis mieux dans les heures qui suivirent. Il demeurait une faible douleur supportable bien que gênante. Rien d'aussi violent que la migraine qui me paralysa tout l'après-midi et toute la soirée.
Ava m'offrit une seconde tasse de son mélange de plantes avant de partir se coucher. Elle m'avait aidé à décoller Beahan de son ordinateur pour qu'il aille dormir quelques heures. Nous étions tous épuisés. Seul Meriel s'en sortait encore assez bien.
- Tu devrais dormir aussi, me dit-il depuis son fauteuil. Tu as besoin de toute ton énergie. Je veille sur la maison.
L'idée de mentir et de dire que j'allais bien me traversa l'esprit. Le regard implacable qu'il me lança l'écrasa comme une mouche. Je détournai le regard et m'affairai à rendre le canapé un peu plus confortable. Je me retrouvai le nez entre mon oreiller et le velours du dossier, une aile repliée sur moi, l'autre pendant du sofa jusqu'au sol. J'avais connu plus confortable. Étalé en étoile sur un lit, par exemple. Autant dire que je ne me voyais pas envahir la chambre de Beahan alors que Meriel était là. Bien que, techniquement, nous ne partagerions pas le même lit.
Bref, je n'allais pas réveiller ma migraine.
Je dus m'endormir à un moment car, lorsque je rouvris les yeux, il faisait jour. Le soleil envahissait la pièce. C'était dérangeant pour quelqu'un qui voulait dormir.
- Enfin réveillé ? se moqua Meriel.
Il n'avait pas bougé de son fauteuil. Un livre différent était ouvert sur sa cuisse. Ses yeux turquoise me fixaient avec un calme qui ne lui ressemblait pas. Une atmosphère calme et posée, pareille à une soirée au coin du feu avec le seul son des flammes crépitantes, s'était installée autour de lui. En dépit de la situation, il parvenait à trouver une paix intime et profonde qui affectait ceux autour de lui.
Je me redressai et roulai des épaules pour décrisper mes muscles.
- Te sens-tu mieux ?
- Je n'ai plus de migraine, c'est déjà ça. Mais je n'ai pas l'impression d'avoir dormi.
- Il se pourrait que j'aie une explication pour ça.
Je haussai un sourcil. Il haussa les épaules.
- L'un de mes amis m'a prié. Il m'a prévenu que les Cieux connaissaient de gros problèmes.
- Comment ça ?
- Il semblerait que ce sorcier, Crowley, ne soit pas resté inactif depuis sa sortie. Il bloque les prières. C'est pour cela que tu as des migraines dès que tu pries. Tu imagines bien que cela gêne énormément les affaires, là-haut. Tu réussis à prier parce que tu es encore assez puissant pour le faire. D'autres n'en sont plus capables. C'est un fléau et ça sème un sacré bazar là-haut.
Je pouvais le voir s'en délecter comme un chat devant un bol de lait.
- Tu t'en réjouis étonnamment beaucoup, relevai-je.
- Je ne vais pas les plaindre. Ils ont cherché ce qui arrive. S'ils avaient géré la situation comme elle aurait dû l'être dès le départ, rien de tout cela n'aurait eu le temps de survenir.
Il n'avait pas entièrement tort. Je ne pouvais pas le nier. Cependant, ce n'était pas ce que j'avais besoin d'entendre venant de lui.
- Ça va rendre tes communications avec tes amies difficiles. Tu vas sûrement passer ton temps à dormir si tu les pries.
- Qu'est-ce que tu suggères ?
- Je ne sais pas encore. Peut-être y aurait-il un moyen de frapper un grand coup autrement qu'en nous en prenant à plus fort que nous.
J'attendis qu'il poursuive sa pensée. Plus il réfléchissait et plus il trouvait de solutions ou de problèmes. Bon, je n'allais pas râler s'il trouvait le moyen de m'éviter un face à face avec un Péché. Définitivement pas !
- L'un de leurs atouts majeurs est ce Aleister Crowley. De ce que j'ai pu lire, c'était un homme horrible. Il demeure puissant puisqu'il était un puissant sorcier de son temps sur Terre mais, en Enfer, il demeure un démon de seconde zone. Un démon que tu pourrais détruire.
- Ça ne changerait rien à notre situation. Nous pourrions prier à nouveau mais au-delà de ça...
Il secoua la tête en claquant sa langue.
- Tu ne vois pas l'image en entier. Crowley fait bien plus que bloquer les prières. Il nous isole les uns des autres. Les Cieux n'utilisent que les prières pour communiquer. Si quelqu'un a besoin d'aide, il prie. Les humains en danger prient aussi quand ils sont en danger. Or, si les prières ne sont plus entendues, c'est le chaos. Il n'y a plus de cohésion entre aucun d'entre nous. Plutôt que de chercher un moyen de rétablir la communication, nos supérieurs vont devoir calmer les anges qui vont paniquer. Les humains ne seront plus autant protégés. C'est la conjonction idéale pour les démons.
S'il avait commencé sur un ton calme, il s'était enflammé très vite. Je réalisai qu'il adorait ça. Il adorait discuter stratégie et disséquer ce que l'ennemi prévoyait en fonction de ce qu'il faisait. Je ne voyais pas en quoi c'était si excitant ou passionnant d'imaginer toutes les horreurs que quelqu'un pouvait faire ou essayer de faire. J'étais plutôt le genre à m'enfoncer la tête dans le sable et à éviter de réfléchir à toutes les magouilles que les démons pouvaient faire dans notre dos. Je n'avais pas songé que Meriel se passionne autant pour leurs stratégies.
Il avait un don pour ça. Ce n'était pas pour rien qu'il avait été l'espion d'un roi. Mais de là à ce que ça devienne une passion... Je ne l'avais pas vu venir.
J'aurais préféré que son esprit logique et rapide amène d'autres nouvelles. Le tableau qu'il peignait ne pouvait annoncer qu'une seule chose : les démons préparaient quelque chose de gros. Ils se libéraient l'espace pour faire ce qu'ils avaient à faire. Il n'était pas difficile de deviner qu'ils allaient tenter d'ouvrir les portes.
- Il faut qu'on fasse quelque chose, soufflai-je. Ils sont prêts. Ils vont essayer de rouvrir l'Enfer.
- Il semblerait. Il semblerait aussi que je me sois trompé. Ce n'est pas Belphégor qu'ils ont fait sortir. Ils ont choisi quelqu'un de bien plus puissant encore.
- Qui ?
Il hésita. Oserait-il faire une autre assomption en sachant qu'il s'était trompé la première fois ?
- Je ne suis pas sûr.
- Fais une supposition.
Il m'observa longuement en silence.
- Abbadon, finit-il par dire. Elle est vue comme l'un des pires démons en existence. De ce que j'ai pu lire sur elle, son nom vient de l'hébreu et signifie « destruction », « abîme ». Elle est aussi vue comme un ange de la mort ou un ange exterminateur. Dans la Bible, il envoie des sauterelles durant les trompettes de l'apocalypse. Je t'épargne les détails très... fantaisistes qui décrivent ces sauterelles. Vu ta chance, tu vas sûrement les voir alors je te laisse la surprise.
Je le fusillai du regard ; il sourit. J'étais toujours surpris lorsqu'il souriait. Je n'étais pas encore habitué.
- Toujours est-il qu'elle est très puissante et très dangereuse. Elle est directement reliée à l'Apocalypse. Aucun de nous n'est prêt à affronter l'un des plus puissants Péchés. Il faudrait que tous les archanges s'y mettent pour la renvoyer d'où elle vient.
- Sauf qu'on ne peut pas les contacter. À moins que je ne remonte et que je leur explique ce qui se passe.
- C'est trop risqué. Les Dominations se doutent déjà que tu travailles avec moi. Ils trouveront le moyen de t'enfermer si tu montes. En plus, ils ne t'écouteront pas. Il faut trouver un autre moyen.
- Lequel ? Je ne peux pas contacter Daphiel ou Maliel sans avoir une migraine et me retrouver vidé de toute énergie. Que veux-tu que je fasse d'autre que remonter ?
- La sorcière n'a-t-elle pas dit qu'elle pouvait invoquer l'aide des anges ?
Je cillai. Mais oui ! Pourquoi n'y avais-je pas pensé plus tôt ? Ava était protégée par les anges, déjà. Si elle en appelait un, elle pourrait sûrement percer les barrières posées par les démons. Un ange descendrait et nous pourrions lui faire passer le message !
- Je vais lui demander. Si travailler avec les démons n'est pas envisageable, elle acceptera sûrement d'appeler des anges.
Meriel hocha la tête et se renfonça dans son siège. Une expression étrange avait pris possession de son visage. J'ignorais ce qu'il se passait dans sa tête mais je n'avais pas le temps de m'en préoccuper. Il fallait que je fasse parvenir un message aux Cieux pour empêcher l'Apocalypse.
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NdlA : Qu'est-ce que vous avez pensé de ce chapitre ? De Meriel ? De ce qu'il se passe ? Dites-moi tout !
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