En regardant Beahan et la sorcière dîner, je ne pouvais que réfléchir. Pourquoi lui ? Il avait beau enquêter, il ne représentait aucun danger. Il n'était qu'humain. Ce n'était pas comme s'il avait un quelconque moyen de refermer les portes. Il n'avait même plus d'amis hormis Ava. Je n'avais même pas pu être là pour le soutenir lorsqu'il avait dû les enterrer. J'étais encore inconscient dans la Serre.

Je ne parvenais pas à comprendre pourquoi ce dossier était si important. Que pouvait-il renfermer de si important ? Que savaient les démons que nous ignorions ?

C'était le gros problème des Cieux. Autant la désinformation des démons était stratégique, autant celle des anges était une bombe à retardement. Tenter un coup de poker en ayant la moitié des cartes en main... Ce n'était pas fort malin.

Il ne me restait plus qu'à espérer que Meriel parvienne à voler le dossier. Il était malin, il pouvait y arriver.

Je me pris la tête dans les mains et retint un sourire. Je n'en revenais pas que, désormais, je faisais des compliments au type le plus imbuvable des Cieux. Si, au départ, ce n'était qu'un partenariat obligatoire, désormais, j'avais plutôt l'impression que nous étions devenus amis.

Quelque part sur le chemin, j'avais cessé de le voir uniquement comme l'insupportable personnage qui pourrissait les journées de cours. J'avais réussi à lui trouver des qualités et des capacités positives. Pas celles qui ne servaient qu'à emmerder le monde. Il demeurait un artiste dans cet art mais il y avait plus que ça.

C'était un fil de pensée très bizarre avec lequel je n'étais pas à l'aise du tout.

Il fallait que je me concentre sur ce qu'il se passait et sur rien d'autre. Que je découvre ce que les démons désiraient tant. La raison pour laquelle Beahan était si important dans cet affrontement. Parce que, j'avais beau tourner cette histoire dans tous les sens, je ne voyais pas pourquoi ils tenaient tant à se débarrasser de lui.

Que l'on m'envoie le protéger, d'accord. C'était pour que Cassiel puisse obtenir ses informations. Ses preuves. Ça avait un sens. Le reste ? Pas tellement. Et c'était frustrant. J'avais besoin de savoir !

- Et si tu arrêtais de t'arracher les plumes et que tu venais discuter avec nous ?

La voix féminine me fit tressaillir. Je relevai la tête pour la regarder. Je réalisai avec un frisson que quelques plumes gisaient à mes pieds.

Ava m'avait fait prendre conscience que j'avais pris la sale manie de m'arracher les petites plumes du haut de mes ailes lorsque je me triturais les méninges. Ça n'avait rien de conscient. Je ne le sentais même pas. Elles étaient toutes petites et à fleur de peau à cause de l'os et c'étaient les seules qui étaient indolores. Pas que je l'avouerais à cette fichue sorcière. Je n'avais pas oublié qu'elle m'avait accueilli en m'arrachant une plume ! Le souvenir réveilla une douleur fantôme qui me fit la fusiller du regard.

Malgré tout, je me levai après avoir rassemblé les plumes que j'avais perdues. Je ne m'étonnai pas qu'elle les prenne sans rechigner. Elle en faisait collection. Avec tout ce que je m'arrachais dès que je me perdais dans mes réflexions, elle avait déjà de quoi remplir une bonbonnière.

- Qu'est-ce que tu comptes faire avec toutes ces plumes ? questionna Beahan. Tu les accumules mais je ne vois pas ce que tu peux faire avec.

- En cas de besoin, il me suffit d'en faire brûler une pour l'appeler. C'est un appel si fort qu'il ne pourra pas y résister, quoi qu'il fasse. Si on se retrouve en danger, mieux vaut être paré.

Il ne répondit pas mais son expression en disait assez. Il était d'accord avec elle. Même si je n'aimais pas l'idée qu'elle brûle mes plumes, elle n'avait pas tort. Au vu de la façon dont les choses évoluaient, il était préférable qu'ils aient un moyen de m'appeler s'ils se trouvaient en danger.

Ce qui me fit penser à un détail dont ni Meriel, ni Ariel ni moi n'avions discuté. Les prières. Pourquoi ne pouvais-je contacter que certains anges ? Pourquoi pouvais-je contacter Meriel et pas Ariel ? Happés par des questions plus importantes, nous n'en avions pas parlé et ce n'était que maintenant que j'y pensais. Pourtant, c'était aussi important que le reste.

Meriel.

Je patientai. Je ne tenais pas à prendre le risque de le déconcentrer s'il était en train de voler le dossier. Il était mon... ami... désormais. Aussi inconfortable que soit la notion. Or, je n'avais pas envie de faire enfermer un ami dans les cellules des Cieux.

Et puis, il faudrait que j'aille le faire sortir et ce n'était pas un tracas que je voulais avoir.

Je patientai, espérant une réponse dans l'heure. Je tentai de me concentrer sur ce que faisaient et racontaient Beahan et la sorcière mais mon esprit était tourné vers les Cieux. Je n'arrivais pas à me préoccuper de leurs petites histoires alors que je n'avais toujours pas de réponse de la part de Meriel. Je commençais à m'inquiéter.

Je n'osais pas le prier une nouvelle fois. J'avais un mauvais pressentiment qui me retournait l'estomac. Avoir deux humains en train de discuter par-dessus leurs livres dans la pièce d'à côté ne m'aidait pas. J'avais à peine entendu ce que Beahan racontait au téléphone avec Megan, son amie hacker. Je n'avais perçu que quelques mots qui m'avaient permis de comprendre qu'il l'appelait pour faire un balayage Internet de toutes les affaires similaires à celles qu'il avait déjà étudiées. Je pouvais comprendre qu'il préfère se concentrer sur une étude des démons, de Lucifer et de Crowley plutôt que de passer de longues heures à scanner l'Internet pour trouver des affaires.

J'aurais aimé pouvoir encore m'intéresser à son enquête. Savoir où il en était. Mais j'étais trop préoccupé. Je ne me souvenais pas de la dernière fois que ça m'était arrivé. Mon esprit partait dans tous les sens.

Il se passait trop de choses pour que je puisse toutes les gérer en même temps. Aussi, lorsque mon protégé était près de moi, en sécurité, mon cerveau se concentrait sur mon coéquipier qui, lui, ne répondait pas à mes prières.

C'était frustrant. Vraiment. J'avais besoin d'en apprendre plus sur mon adversaire mais maintenant que Meriel était devenu un ami, je ne pouvais que m'inquiéter. C'était complètement stupide et inutile. De nous deux, il était le plus à même de survivre. Même s'il était mort écrasé par une bibliothèque en espionnant un couple adultère.

- Rahel ? Rahel !

La sorcière me ramena au moment présent. Je tournai la tête vers elle. Elle avait coincé un index dans son livre et s'était à moitié retournée sur son canapé pour pouvoir me regarder. De son côté, Beahan cherchait à comprendre ce qu'il se passait.

- Quoi ?

- Tu devrais écouter ce que j'ai découvert.

- Qu'est-ce que c'est ?

- La hiérarchie démoniaque. En détail.

Je haussai un sourcil. Ce n'était pas ce qui m'aurait été le plus utile mais c'était un début. Ça me donnerait une petite idée des différents niveaux de pouvoirs et de qui faisait quoi. Je me perchai sur l'accoudoir à côté d'elle et elle me tendit le livre. Le regard de Beahan ne nous quitta pas, ses sourcils si froncés qu'ils formaient presque un mono-sourcil.

- Un problème, Declan ? questionna doucement Ava.

- Je connais la théorie des plans, dit-il prudemment. Je peux vaguement imaginer comment c'est possible. Mais je ne comprends toujours pas. S'il est dans un autre plan, il ne devrait pas pouvoir prendre ce livre, non ? Il ne devrait pas pouvoir écrire avec mon stylo. Si le reste des meubles qui existent ici ne nous ont pas connus, comment ce livre fait-il pour voyager ? C'est quoi la logique ? Parce que j'ai beau y réfléchir, je ne comprends pas.

J'aurais été bien incapable de l'expliquer. Nanael savait comment articuler son discours pour que ça soit compréhensible pour tout le monde. Moi ? Pas tellement. C'était une sensation de savoir comment fonctionnait quelque chose mais d'être incapable de l'expliquer. C'était comme de vouloir traduire un mot d'une langue étrangère sans connaître la traduction du dictionnaire. On connaît le sentiment, l'action derrière ce mot mais la transmettre à notre interlocuteur avec nos propres expressions est si complexe que l'on passe par de trop longues paraphrases et métaphores dans l'espoir que l'autre comprenne.

- Imagine deux feuilles de papier collées l'une à l'autre, répondit Ava en collant ses mains l'une contre l'autre en illustration. Chaque feuille est un plan d'existence différent. Ils sont identiques. Mais ils ne sont pas réellement connectés. Il faut une interaction pour qu'ils interagissent. La plupart du temps, c'est la magie qui intervient. Il peut arriver que des humains parviennent à interagir avec d'autres plans parce qu'ils ont un don ou, comme moi, sont des sorciers – c'est d'ailleurs pour ça que je peux le voir et pas toi. Parfois, c'est simplement parce qu'ils sont hypersensibles.

- Donc tu as utilisé ta magie pour lui donner ce livre ?

- Pas consciemment mais oui. Tu pourrais le faire aussi. Il suffit de ton intention. Comme je le dis toujours, c'est l'intention qui fait la magie.

- Je croyais que c'était la visualisation ?

Un sourire vint jouer sur les lèvres de la sorcière.

- Si ton intention est assez forte, tu visualises le résultat sans peine.

Elle se tourna vers moi.

- Combien de fois est-ce arrivé qu'il te balance quelque chose dessus sans que ça te touche ?

- Beaucoup trop souvent, pestai-je. En voiture, majoritairement.

- Comme je le pensais, plus d'une fois, tu as jeté quelque chose là où il était et tu ne l'as pas vu flotter ou disparaître. Tout simplement parce que tu n'avais pas l'intention de le poser sur lui ou de le lui donner. Donc, tu n'as pas franchi le voile entre notre plan et le sien.

- Donc il suffit que je veuille lui donner quelque chose pour que cet objet puisse entrer dans son plan et disparaître du nôtre ?

- Exactement.

- Ça a un rapport avec les voyages astraux ?

- C'est une façon de voir les choses. Ce n'est pas exactement pareil puisque, lors d'un voyage astral, c'est ton esprit, parfois ton âme, qui voyage et pas ton corps. Mais c'est vrai que le concept est plus ou moins le même.

Il hocha la tête d'un air absent, assimilant tout ce qu'il venait d'apprendre.

Ava avait l'art d'expliquer les concepts complexes. Je n'aurais pas pensé à cette imagerie pour illustrer mes propos. Je me serais arrêté à « c'est la magie qui le permet » parce que les mots m'auraient manqué. Elle s'était débrouillée comme un chef.

- Je pense avoir compris, finit-il par dire.

Elle lui sourit et ce fut terminé. Fin de la conversation, retour aux recherches. Je ramenai mon attention sur le livre que j'avais posé sur mes genoux.

La double page décrivait une hiérarchie qui m'était familière. Les noms étaient pratiquement tous les mêmes. Il en allait de même pour leur organisation sur l'échelle. C'était étrange de retrouver des noms familiers que je pensais propres aux Cieux dans un livre sur les démons. Toutefois, encore une fois, il y avait des choses floues. Comme la position exacte des Rois de l'Enfer sur l'organigramme. Était-ce les mêmes que les Sept Péchés qui dirigeaient les Cercles ?

J'étais assez reconnaissant à Lucifer de ne pas avoir pris le temps ou avoir fait l'effort de modifier une hiérarchie qu'il connaissait sur le bout de ses doigts. Au moins, je n'avais pas besoin de trop réfléchir pour savoir ce qu'il se passait.

Comme aux Cieux, la première hiérarchie de l'Enfer se composait des Séraphins, les plus près de Lucifer. Venaient ensuite les Chérubins et les Trônes. La seconde changeait la position des Vertus qui étaient censées venir après les Dominations mais étaient remplacées par les Principautés. Sans surprise, les Puissances fermaient la seconde hiérarchie. La dernière était donc composée des Vertus, des Péchés – qui remplaçaient les Archanges – et des Démons. Exactement le même fonctionnement qu'aux Cieux si ce n'était qu'ils avaient des fonctions quelque peu différentes des anges.

Avoir lu cette double page était à la fois utile et inutile. Ce n'était rien que j'ignorais mais c'était un bon point de savoir que Lucifer avait recopié le fonctionnement des Cieux.

Si c'était vrai. Il était un maître de la désinformation après tout. C'était fort possible qu'il ait complètement réformé les Enfers et que personne ne soit au courant. Je préférais croire que ce n'était pas le cas.

Au demeurant, je n'étais pas plus avancé.

Je feuilletai les pages suivantes dans l'espoir de trouver des informations sur leurs pouvoirs. S'il y avait une telle chose, je ne trouvai rien. Enfin, rien d'autre que les basiques de prendre possession des humains, de leur faire faire des choses atroces. Rien sur leurs transformations, rien sur les divers monstres qui rôdaient... Juste les généralités sans utilité particulière. J'avais besoin de plus.

Je bondis sur mes pieds lorsque la porte d'entrée s'ouvrit violemment. Ava et Beahan se raidirent mais ne bougèrent pas. Je m'aventurai vers le couloir pour voir ce qu'il se passait.

Je fus percuté de plein fouet par une silhouette que je reconnus vaguement. Je titubai en arrière de quelques pas avant de me stabiliser.

- Meriel ?

Il ne répondit pas immédiatement, regardant derrière lui.

- Aide-moi à me cacher. Vite !

Je me tournai vers Ava. Elle se leva et nous fit signe de la suivre.

- Par ici.

Meriel n'hésita pas à lui emboîter le pas. Elle le fit entrer dans sa pièce personnelle, sa pièce de magie. Sans un mot, elle referma la porte et pendit un petit sachet sur la poignée. Elle me prit par le bras et me ramena dans le salon. Je pouvais entendre les battements du cœur de Beahan qui s'étaient accélérés.

Quelques secondes plus tard, trois Dominations entraient dans la maison. Ils balayèrent la pièce du regard avant qu'ils ne s'orientent tous vers moi. Leurs ailes indigo bourdonnaient. Ils étaient sur les nerfs. Qu'avait fait Meriel ?

- Où est-il ? aboya l'un des Dominations.

- Qui ? répondis-je avec prudence.

- L'ange Meriel ! Où est-il ?

- Je l'ignore. Je suis resté ici avec ma charge. Je n'ai vu aucun ange. Je ne vois même pas pourquoi c'est ici que vous cherchez. Ce type et moi, on se déteste. Pourquoi viendrait-il ici ? À part pour me causer des problèmes...

- Nous l'avons senti atterrir devant cette maison. Où est-il ?

- Mais vous êtes bouché ? Je vous dis que je n'en sais rien ! Au lieu de me répéter la même question, vous feriez mieux de le chercher ! Vous voyez bien qu'il n'est pas ici !

Le coup me prit par surprise. L'os de mon nez craqua et le sang commença à couler. Je lâchai un juron si fleuri qu'il m'assena un second coup dans l'épaule.

Sans attendre, ils quittèrent la pièce et partirent fouiller le reste de la maison. J'allais chercher de l'essuie-tout dans la cuisine pour le plaquer contre mon nez. Je retournai dans le salon et nous gardâmes le silence jusqu'à ce que nous soyons sûrs qu'ils soient partis.

- Je n'aurais songé qu'ils étaient aussi violents, souffla Ava. Ne sont-ils pas censés être dans ton camp ?

- Je n'avais jamais rencontré de Dominations avant, trompetai-je à travers mon mouchoir de fortune. Ils interfèrent rarement avec les anges.

- Je vais ouvrir à ton ami.

J'acquiesçai silencieusement. Meriel ne tarda pas à revenir avec Ava, toujours sur ses gardes. Il fronça les sourcils en m'observant.

- Qu'as-tu encore fait ?

Je le fusillai du regard.

- Je t'ai caché !

Je vis le rire dissimulé dans ses yeux. Ma voix nasale l'amusait énormément, visiblement.

- Laisse-moi voir.

Je retirai la boule d'essuie-tout de mon nez et le laissai me soigner. La douleur me fit jurer de façon colorée. Meriel pouffa.

- Tu t'expliques, maintenant ? C'est quoi, ce bordel ? Pourquoi es-tu poursuivi par les Dominations ?

- Je suis arrivé jusqu'au dossier que Baskiel voulait tellement. Le seul problème est que les Chérubins sont bien trop intelligents à mon goût et Gabriel m'a surpris en train de lire. J'ai dû fuir. S'ils m'attrapent, je suis foutu.

Il récupéra quelque chose entre ses longues plumes près de son omoplate.

- Mais j'ai le dossier. Et j'ai compris le pourquoi de ta mission.

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NdlA : DUN DUN DUUUUUUUUUUUUUN !

Qu'a découvert Meriel, d'après vous ? Quel serait la véritable mission de Rahel ? Je suis vraiment curieuse de savoir ce que vous allez pouvoir imaginer !

NdlA2 : Et, pour ceux qui ne l'ont pas vu dans mes annonces, ça vous tenterait de découvrir la couverture du tome suivant au prix d'un petit défi ?