Chapitre 41
Étonnamment, Samael – Satan – me laissa repartir sans problème. Il m'escorta lui-même à l'extérieur, dans un bois peu familier qui sentait l'orage et la terre retournée. Je ne sentais aucune énergie autre que la sienne.
Allait-il se débarrasser de moi ? Qu'il me laisse m'en aller aussi simplement me semblait... un peu trop facile.
- Pense bien à ce que je t'ai raconté, Rahel.
Je ne cherchai pas à répondre. J'étais trop occupé à trouver un moyen de me sortir de cet endroit en un seul morceau. J'étais sorti de la Serre quelques heures plus tôt. Je ne tenais pas à yretourner. Encore moins à mourir.
Toutefois, me tuer maintenant serait contre-productif. Donc j'avais l'espoir de m'en sortir vivant.
Le Chérubin se rapprocha de moi. Je n'avais pas réalisé qu'il était plus grand que moi. Il me surplombait d'une bonne tête et ses ailes étaient si volumineuses qu'elles bloquaient la lumière du jour et ne me laissaient voir que du violet.
- Juste une dernière chose, dit-il.
- Oui ?
Ma voix couina comme un jouet pour chien. Pathétique. Pathétique.
- Je ne suis pas idiot. J'ai beau sentir que j'ai éveillé des interrogations en toi, je sais que tu révéleras mon identité dès que tes amis auront mis la main sur toi. Tu te doutes que je ne peux l'autoriser.
- Qu'est-ce que vous comptez faire ?
- Ceci.
Il posa sa main sur mon front avant que je n'ai le temps de réagir. Ça ne dura qu'une seconde. Je ressentis son intrusion comme la pénétration d'une aiguille qui alla heurter mon cerveau. La douleur fut brève, aveuglante. Elle me laissa chancelant. Samael me maintint, une main légère sous mon coude.
- Qu'est-ce que vous m'avez fait ?
- Tu t'en rendras rapidement compte très rapidement.
Avec un clin d'œil, il disparut dans une envolée de plumes couleur prune.
Je regardai autour de moi, tentant de trouver le moyen de retourner dans l'Arkansas. Ou, au moins, de trouver où je me situais exactement. Je ne reconnaissais rien de ce qui m'entourait.
- Je peux savoir comment tu fais ? Tu sors de la Serre et tu te fais enlever par le Roi des Enfers à peine as-tu mis un pied sur Terre ! Comment est-ce possible ?
Je pivotai sur moi-même pour voir l'escalier remonter derrière Meriel et Ariel.
- Comment m'avez-vous retrouvé ? Je viens d'être déposé !
- Nous te cherchions, répondit Ariel. Dès que j'ai pu sentir ton énergie, je suis descendu. Nous sommes descendus, devrais-je plutôt dire.
Le regard acéré qu'il lança à Meriel ne le fit pas sourciller. À sa place, je me serais fait tout petit dans mon coin. Évidemment, mon collègue était trop fier pour montrer la moindre émotion. Pourtant, je fus certain de voir un tressaillement nerveux agiter ses épaules.
- Qu'est-ce qu'il s'est passé ? questionna Meriel. Où étais-tu ?
- Nous devrions plutôt aller dans discuter de tout cela dans mon bureau, intervint Ariel.
L'escalier réapparut avant qu'il ait terminé sa phrase. Nous le suivîmes en silence. Le bras de Meriel ne cessa de heurter le mien tout le long de notre ascension. Il demeura collé à mon côté jusqu'à ce que je m'assois dans l'un des sièges en face du bureau d'Ariel. Depuis quand était-il aussi collant ? Ça ne lui ressemblait pas et ça me mettait très mal à l'aise.
- Très bien, dit Ariel en me fixant d'un regard perçant. Raconte-nous ce qu'il t'est arrivé.
Meriel orienta sa chaise dans ma direction. Je me raclai la gorge. Ils m'oppressaient à me fixer ainsi.
- Baskiel allait livrer ma charge à Asmodeus quand je suis arrivé. Sauf que Asmodeus a été chargé par leur « Maître » de m'amener à lui.
- Tu as rencontré Lu... ?
La voix d'Ariel s'étrangla. Meriel se crispa si violemment que je crus que ses yeux allaient sortir de ses orbites.
- Non. J'ai rencontré le traître.
J'ouvris la bouche pour prononcer le nom de Samael mais, au moment où le son allait sortir de ma bouche, mon esprit se vida et je ne me souvins plus de ce que je voulais dire. Dès que je cessai de vouloir parler, le nom me revint.
Je compris alors que ce que m'avait fait Samael.
- Il a utilisé ses pouvoirs sur moi. Il m'empêche de dire son nom.
- Tu ne peux pas le contourner ? s'agaça Meriel, frustré.
- Non. Tout ce qui le concerne m'échappe dès que j'essaie de le dire.
- Fais chier !
Je grimaçai. Ariel ne réagit pas.
- C'était à prévoir, dit-il. Tu ne devrais pas essayer de forcer. Tu risques d'avoir des dommages permanents si tu attaques la barrière qu'il a créée et tu n'auras toujours pas de nom à nous donner.
Meriel se prit la tête dans les mains en soupirant. Une vague de culpabilité me prit à la gorge sans que je comprenne pourquoi. J'avais fait du mieux que je pouvais. J'avais surtout pensé à ma survie.
Le pouvoir de Samael me collait encore à la peau. Il n'aurait pas hésité à se débarrasser de moi s'il avait pensé que je ne pourrais pas lui être utile.
- Je peux expliquer pourquoi il s'est allié à...
Je m'arrêtai juste à temps. Ils devinèrent de qui je voulais parler.
Je leur énonçai la théorie de Samael, cette histoire d'équilibre dont l'univers avait besoin. Plus j'exposai son idée, plus j'en voyais les réalités concrètes. J'en voyais aussi les faiblesses. Toutes ces petites choses qui pouvaient détruire sa jolie logique.
Rien que l'ajout de Lucifer dans l'équation pourrait tout envoyer valser. À moins qu'il ne le voit comme un loup, comme l'Alpha d'une meute, qui serait lâché sur l'humanité et qui, par son défoulement meurtrier, rétablirait l'équilibre sur Terre.
Je me massai la tempe. Une migraine commençait à pointer. Il fallait que je laisse toutes ces réflexions à Meriel et Ariel.
- Tu ne dois parler de cela à personne, gronda Ariel dès que j'eus terminé. C'est une idée dangereuse et les anges sont déjà assez perturbés par ce qu'il se passe. L'Archange Cassiel a réussi à obtenir un entretien avec l'Archange Michael et l'Archange Gabriel. Ils vont s'occuper du reste.
- Ils vont refermer les portes, lâchai-je, désabusé.
- En effet. TU NE DOIS PAS écouter ce que raconte un traître. Ils tissent les histoires les plus parfaites pour attirer leurs proies dans leurs filets.
- Qu'aurait-il à gagner avec moi ? Surtout que les autres démons ne se privent pas d'essayer de me tuer.
- Il n'a pas tort, marmotta Meriel, peu ravi. Si c'était lui qui avait commandité les attaques, pourquoi ne pas en profiter, cette fois ? Il avait l'occasion parfaite pour le faire disparaître. Alors pourquoi lui dire ses raisons de s'allier avec... le grand manitou d'en-bas et le laisser partir ? En plus, il a usé de ses pouvoirs sur son cerveau. Il aurait pu le transformer en esclave !
Le rire que j'avais retenu enentendant mon collègue dire « grand manitou » faillit m'étrangler lorsqu'il prononça le mot « esclave ». Je n'y avais pas songé un seul instant avant qu'il ne le dise. Comment avais-je pu ne pas y songer ?
Je me souvins pourquoi Meriel était aussi énervant en plus d'être imbuvable : il pensait toujours à tout. Lors d'études de cas en groupe, c'était franchement agaçant. Que ce soit inné chez lui ou qu'il soit juste plus intelligent qu'aucun d'entre nous, remuer le couteau dans la plaie n'était pas nécessaire. Plus d'une fois, ça l'avait isolé des autres, l'avait empêché de lier des amitiés.
Ça et le fait qu'il pouvait être imbuvable.
L'air fermé et incertain d'Ariel me ramena à notre sujet. Samael. Sa façon d'agir. Meriel soulevait un bon point. Évidemment.
- Peu importe, finit par dire Ariel. Quel que soit son objectif, ce n'est pas à vous de vous en préoccuper. Rahel, tu retournes auprès de ta charge. Meriel, tu surveilles ce qu'il se passe au cas où il subirait une nouvelle attaque.
- Si ça arrive, essaie d'arriver avant que je sois en morceaux ou que je me fasse enlever, sifflai-je dans un murmure.
Ses yeux turquoise me fusillèrent avec une froideur que je n'avais pas vue depuis un moment. Je haussai les épaules.
- Qu'est-ce que vous attendez ? nous apostropha Ariel.
- Qu'en est-il de Baskiel ? questionnai-je.
Meriel se figea, déjà à mi-chemin de la porte. Il se raidit et patienta, le dos tourné. Je pouvais deviner l'expression d'ennui agacé sur son visage.
- Pourquoi faut-il que tu poses ce genre de questions ? grommela-t-il.
Je l'ignorai. Ariel aussi.
- Il a été arrêté. Il est enfermé dans l'une des cellules des Cieux le temps que les Trônes statuent sur son sort. Il n'est autorisé à parler à personne. Avec ce qu'il se passe, il n'est pas une priorité. Son jugement attendra que l'on ait réglé nos autres problèmes.
J'ignorais pourquoi mais j'avais un mauvais pressentiment.
C'était trop facile. Comme si l'arrestation de Baskiel avait été prévue. Se pouvait-il que je vois trop loin ou que, au contraire, ma paranoïa soit fondée ? Je ne savais pas à quoi ressemblaient les cellules des Cieux. Jusque là, je ne savais pas qu'elles existaient – stupide, je sais. Cependant, les nœuds dans mon estomac ne trompaient pas. Il se passait quelque chose de gros.
De très, très gros.
- Qu'est-ce qu'il y a, Rahel ? m'interrogea Ariel.
J'entendis vaguement le froissement de tissu derrière moi. Meriel apparut à mon côté, les sourcils si froncés que ses yeux devinrent deux fines fentes.
- Je ne sais pas. J'ai l'impression qu'on manque quelque chose. Qu'il se passe quelque chose et je n'arrive pas à savoir ce que c'est.
Je m'orientai vers mon équipier.
- Toi qui vois toujours tout, ça ne te semble pas bizarre que Baskiel se soit fait attraper aussi aisément ? Ça ne te paraît pas... planifié ?
- J'avoue ne pas y avoir songé. Je ne vois pas l'intérêt d'avoir quelqu'un d'aussi stupide que Baskiel en prison aux Cieux. Ça ne leur apportera rien.
- Et si ce n'était pas Baskiel ? Qu'il en avait uniquement l'apparence ?
- C'est impossible, rétorqua Ariel. S'il n'était pas un ange, il ne pourrait pas monter aux Cieux. Les protections sont trop puissantes pour que quelqu'un d'impur puisse les franchir.
- Sauf qu'ils le peuvent, objecta Meriel.
Son regard me harponna.
- Tu m'as dit que l'imposteur avait tout de Suriel, n'est-ce pas ? Même son énergie ?
Je hochai la tête.
Je me souvenais parfaitement de ce qu'il s'était passé à l'hôpital. De la puissance qu'il avait dissimulée sous l'apparence du Vertu. Je n'avais absolument rien remarqué. Se pouvait-il qu'un démon suffisamment puissant parvienne à tromper les protections autour des Cieux ?
- Peut-être est-ce possible qu'il ait si bien imité Baskiel qu'il a pu tromper les barrières, proposai-je. S'il ne m'avait pas attaqué, je ne me serais pas douté que ce n'était pas Suriel. Et comme il a juste... disparu plutôt que de mourir comme je le croyais. C'est possible qu'il ait réussi à imiter Baskiel.
Ariel secoua résolument la tête.
- C'est impossible. Les protections ont été crées avec cette idée en tête. Aucun démon ne peut les passer.
Son entêtement était frustrant. Il avait accepté tant de choses déjà que son refus de cette possibilité me donnait envie de le secouer comme un prunier jusqu'à ce que sa tête se détache. Pourquoi refusait-il d'entendre raison ? Qu'est-ce que ça pouvait lui faire de perdre dix minutes pour vérifier que Baskiel était bien Baskiel ?
- Ça ne mange pas de pain d'aller vérifier, persifla Meriel.
Je me tournai vers lui, surpris de son ton. Il n'avait pas paru intéressé lorsque j'avais parlé de Baskiel mais, maintenant, il semblait s'être rallié à mon inquiétude. Je n'étais pas sûr que ce que je prônais était possible mais, comme il le disait, rien ne coûtait de vérifier que c'était réellement impossible.
- Cette discussion est terminée, claqua Ariel. Retournez à vos postes.
Je saisis le bras de Meriel, attirant son regard. Je secouai la tête. Il résista. Je le tirai en arrière. Il soupira et finit par se laisser traîner hors du bureau.
- Ça ne sert à rien, murmurai-je. Il refuse de nous écouter. Il va falloir faire autrement. Le contourner. Je sens qu'on manque quelque chose. Qu'on est en train de se faire avoir.
- À cause du traître ?
- Non, je ne pense pas que...
Je faillis m'étrangler en voulant prononcer son prénom. Meriel dut me taper dans le dos pour que je réussisse à retrouver ma respiration.
- Je ne pense pas qu'il ait un rapport avec ça. Quoi que ça soit. Je pense plutôt à Lu...
La crispation de Meriel fut si violente et soudaine que ses ongles percèrent la chair de mon bras, faisant couler le sang. Je grimaçai. J'avais déjà subi pire mais ce n'était pas agréable pour autant.
- Désolé, dîmes-nous en chœur.
Il relâcha mon bras et, d'un passage de ses doigts, refermant les petites coupures en demi-lunes. Il essuya ses doigts tachés de sang sur son pantalon sans y prêter attention. La salissure rouge se détachait violemment sur le gris pâle de son pantalon.
- Tu disais ? lâcha-t-il avec dédain.
Je me pinçai le nez pour ne pas m'énerver de son attitude.
- Je pense que s'il se passe quelque chose, c'est le grand frère des anges qui l'a orchestré. Si je me fis à ce que m'a dit le traître, Baskiel ne travaille pas pour lui mais pour les démons. Or, les démons travaillent pour leur créateur. Ils pensent que le traître poursuivit le même but que leur Maître.
Devoir contourner les noms était épuisant mentalement. Je n'aurais pas cru qu'être incapable de prononcer deux noms pouvait compliquer à ce point une conversation.
J'aurais bien prononcé le nom de Lucifer en pure vindicte face à l'attitude insupportable de Meriel mais je ne tenais pas à ce qu'il convulse ou que ses yeux jaillissent de leurs orbites. Ou qu'il en meure.
- Tu le crois ? Ce traître ? Tu crois que ce qu'il dit est vrai ?
- Je ne sais pas. Il ne m'a pas donné de raison de croire que ça ne l'est pas. Il a présenté des arguments crédibles. Baskiel en est un exemple parfait.
- J'ai su avant toi que c'était un traître. Et j'avais raison.
Je levai les yeux au ciel. Je n'avais pas fini de l'entendre se vanter de l'avoir vu venir.
- Ça ne t'étonne pas, toi ? Tu ne cesses de dire que c'est un idiot, un faible et tout le toutim. Pourtant, c'est lui qui a trahi tous les anges. Qui s'est allié aux démons.
- Parce que c'est un crétin fini. Il croit qu'il a plus de chances de survie en s'alliant avec eux parce qu'ils sont plus nombreux et qu'ils veulent leurs entrées aux Cieux. Sauf que si ton intuition dit vrai et que celui qui est en cellule n'est pas ton crétin d'ami, alors il est déjà mort. Ce n'est pas en frayant dans la fange qu'il va briller.
La froideur avec laquelle il éructa ces paroles me prit au dépourvu. Meriel avait beau ne pas être un être plein de chaleur et de compassion, jamais encore ne s'était-il montré aussi glacial envers quelqu'un.
Je ne cherchais pas à prendre le parti de Baskiel. Au contraire. Il avait fait une erreur et, quoi qu'il arrive, il faudrait qu'il assume. Cependant, la réaction de Meriel me paraissait exagérée. Il semblait plus touché que moi parce qui arrivait avec notre collègue.
J'étudiai sa mâchoire crispée, les nerfs marqués le long de sa gorge, la dureté acérée de ses iris, le pli de son front, celui de sa bouche... Il était furieux, frustré mais, surtout, il avait fermé toutes les vannes de ses émotions pour tenter de les enterrer sous son courroux. Dommage pour lui, j'avais déjà vu cette lueur hantée au fond de son regard.
Lorsqu'il m'avait révélé son implication dans ma mort.
Soudain, je compris sa réaction. Je devinai ce qu'il pensait, ce qu'il ressentait. Il se fustigeait encore, s'accusait, refusait de se pardonner. Ce que nous avions découvert illuminait les événements sous un autre angle. Malgré tout, il s'accrochait à sa culpabilité et refusait de lâcher prise.
Que Baskiel ait volontairement rejoint les rangs de l'Enfer était impardonnable, à ses yeux. Rien ne pourrait jamais réparer la faute de Baskiel. J'avais l'impression que Meriel jugeait qu'il était préférable qu'il soit déjà mort et remplacé par un imposteur plutôt que de le voir activement travailler pour Lucifer et ses sbires.
- Ne dis rien, siffla-t-il, une main levée en face de mon nez. Je ne veux pas l'entendre. Je vais tenter de voir ce qu'il se passe du côté de la prison. Toi, tu redescends et tu joues les parfaits gardiens pour ta charge. Je te ferai savoir si je découvre quoi que ce soit.
Il tourna les talons et fit pour partir mais je le retins par le bras.
- D'accord mais, si je me fais attaquer, essaie de m'envoyer des renforts avant que je sois mis en pièces, d'accord ?
Il dégagea son bras avec virulence.
- On verra.
Il m'abandonna devant les portes de la Salle des Descentes. Je secouai la tête et, ignorant le regard inquisiteur de Rikbiel, descendis l'escalier qui me ramena vers Beahan et sa sorcière de meilleure amie.
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NdlA : Bande de chanceux ! J'ai failli oublier de poster !
Sinon, dites-moi ce que vous en pensez ! Baskiel est-il en mission ou a-t-il été assez idiot pour se faire attraper ? Je suis curieuse de savoir où vous vous situez dans tout ça !
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