Chapitre 37
Le revers de mes paupières semblait avoir pris feu. Quelqu'un venait d'ouvrir la porte en faisant autant de bruit que possible. La lumière était agressive, brûlante. J'enfonçai mon visage dans l'oreiller rêche. Je préférais amplement ceux de Beahan. Les taies m'irritaient moins.
- Je sais que tu es réveillé. Aie un peu de décence et regarde-moi.
Je grimaçai. La voix moqueuse et cynique de Meriel n'était définitivement pas ce que j'avais envie d'entendre à peine réveillé.
- Qu'est-ce que tu veux ? marmonnai-je. Ne peux-tu pas me laisser dormir ?
- Ça fait déjà trois jours que tu te reposes. Ne tente pas de me faire croire que tu as encore besoin de rester dans la Serre. C'est un supplice d'entrer ici.
Je me redressai dans le lit. Il se tenait raide à quelques pas du lit que l'on m'avait attribué. Je ne comprenais pas pourquoi il venait tous les jours. Ce n'était pas une chose que j'avais attendu de lui. Nous n'étions pas plus proches qu'avant. Pour ne rien arranger, il était arrivé trop tard. J'avais prié pour qu'il vienne m'aider. Au lieu de ça, il était arrivé après que mon protégé soit intervenu.
Au moins l'avait-il sauvé.
Avec l'aide de Cassiel.
Il s'était fait taper sur les doigts pour avoir contacté un archange sans intermédiaire. Je savais pourquoi il était arrivé aussi tard. Parce qu'il avait dû affronter le courroux de Cassiel qui avait refusé de l'écouter, s'expliquer avec Ariel qui, lui, lui avait donné une chance. Toute cette histoire avait pris plus de temps qu'elle n'aurait dû. Si Cassiel s'était contenté d'écouter Meriel, Declan n'aurait pas eu à s'en mêler.
Par chance, il s'en était sorti. L'archange avait refusé de le soigner aussi Meriel avait-il pris sur lui de le faire. C'était un geste dont je lui étais reconnaissant. Ce qu'il détestait. C'était pire quand je tentais de le faire avouer ses raisons.
Toujours était-il que la Serre – qui était, en fait, l'aile des grands blessés de l'infirmerie – irradiait de lumière céleste. C'était un cocon de lumière céleste. Pour un ange qui n'avait pas besoin de soins, d'énergie, c'était un supplice. C'était trop puissant pour de simples anges. Que Meriel revienne autant avec si peu d'intervalle entre ses visites dénotait d'une force dont je ne l'aurais pas cru capable.
Ça ne faisait que rendre ses motivations plus étranges. Pourquoi s'infligeait-il cela alors qu'on ne s'entendait même pas ? Notre alliance n'était pas une raison suffisante à mes yeux pour qu'il vienne me voir aussi souvent dans la Serre. J'avais beau y réfléchir, je ne trouvais pas de réponse plausible.
- Trois jours ? répétai-je, quelque peu angoissé.
Au-delà de mes questions sur les actions, il fallait que je pense à mon protégé. Qu'avait-il pu lui arriver en soixante-douze heures ? J'étais resté ici bien trop longtemps.
- Tu ferais bien de t'exciter parce que Ariel a attribué Baskiel à ta charge le temps que tu te remettes.
- Baskiel ?
Meriel se rapprocha du lit. Ses sourcils se froncèrent de quelques millimètres, ses traits se crispèrent si discrètement que je faillis manquer le subtil mouvement de douleur. Ses yeux déjà fins l'étaient encore plus, plissés à cause de la lumière.
- Je t'avais déjà parlé de mes doutes à son sujet. Pendant que tu... t'amusais en bas, j'ai récolté des preuves contre lui.
- Les as-tu montrées à Ariel ?
- Oui. C'est pour ça qu'il l'a envoyé s'occuper de ta charge.
- Il fait avec Baskiel ce que Cassiel et lui ont fait avec moi. Ils se servent de Declan comme d'un appât.
- En effet. J'essaie de surveiller ce qu'il se passe mais Ariel fait tout pour m'en empêcher. J'ignore ce qu'il se passe en bas.
Je me massai la tempe.
- C'est pour ça que tu me presses pour sortir d'ici. Pour que je retourne à mon poste. Tu essaies de protéger ma charge.
- Si c'est l'explication qui te fait te bouger les fesses, ainsi soit-il. Toujours est-il qu'un traître est avec ta charge et que je doute que cette idée te permette de prendre des vacances dans la Serre. Alors fais savoir au Vertu qui s'occupe de toi que tu es guéri et que tu es prêt à reprendre le boulot. Nous n'avons pas de temps à perdre.
- Pourquoi ai-je l'impression que tu me caches quelque chose ?
Meriel soupira et cessa de dissimuler la crispation de son visage. Il garda les yeux fermés.
- Retrouve-moi hors d'ici. Je te dirais ce que je sais.
Il sortit de la Serre à toute vitesse, laissant les portes battantes claquer dans son dos.
Je me laissai tomber contre mon oreiller. Le plafond émettait tant de lumière céleste qu'il faillit me brûler la rétine.
Je n'avais plus le choix. Il fallait que je sorte d'ici et que je me remette au boulot. Trois jours étaient passés et je ne les avais même pas vus. J'étais resté inconscient, en incubation, sous l'œil vigilant des Vertus.
Je ne pus que me poser des questions sur Suriel. Que lui était-il réellement arrivé ? Était-il encore vivant ou avait-il été éliminé par ce démon qui avait pris sa place ?
La porte se rouvrit et je m'assis dans mon lit. Ariel, encadré de deux Vertus, entra. Ses yeux dorés se fichèrent dans les yeux et les harponnèrent. Il ne dit rien, laissa les Vertus – un mentor et un nouveau, visiblement – m'ausculter et approuver ma sortie de la Serre. Toutefois, je n'étais pas guéri entièrement pour autant.
- Il faudra revenir régulièrement, énonça le Vertu. Tu es encore fragile et tu ne récupéreras plus comme au début jusqu'à ce que tu sois entièrement remis. Je préconiserais un retour de quelques heures tous les deux jours. Ça devrait être suffisant. Si ça ne l'est pas, il faudra revenir tous les jours passer un moment ici, dans la Serre.
J'opinai du chef, démoralisé. Je n'étais plus bon à rien. Je ne pourrais plus protéger Beahan au maximum de mes capacités. Je n'étais pas certain de pouvoir me servir d'une arme. Or, j'en aurais forcément besoin pour faire face aux démons.
- Ce n'est pas une fatalité, m'assura Ariel, une fois les deux Vertus partis. Si ça l'était, tu aurais été... renvoyé, dirons-nous. Ce qui n'est pas le cas. Tu vas retourner sur Terre t'occuper de ta charge.
- Et pour ce qu'il s'est passé ? Cassiel va-t-il faire quelque chose ?
Le visage d'Ariel se ferma brutalement. Ses mâchoires se crispèrent. Que se passait-il pour qu'il réagisse comme ça ?
- Je n'ai pas le droit d'en parler. Et ne pose pas de questions. Contente-toi de retourner sur Terre et de faire ton travail.
Il y avait quelque chose dans sa voix qui me mit sur mes gardes. Il avait déjà été sec avec moi. Cependant, ça n'avait jamais ressemblé à ça. Il ne voulait pas que je sache ce qu'il se passait. Sûrement parce que je n'allais pas apprécier ce que j'allais entendre.
Meriel, lui, saurait me donner les réponses à mes questions. Il avait un talent pour espionner nos supérieurs.
- Dois-je m'inquiéter ?
- Non. Occupe-toi simplement de ta charge comme tu es censé le faire.
Il appuya lourdement sur les derniers mots. Tentait-il de me faire passer un message ? Je n'aimais pas où mon train de pensées m'entraînait. La situation était déjà complexe avant l'apparition du démon métamorphe. Maintenant, elle me semblait encore pire. Je n'aurais pas cru cela possible. Bêtement, j'avais cru que Cassiel interviendrait pour protéger la Terre des démons. Au lieu de ça, je me retrouvai obligé de faire comme si de rien n'était. Peu importait que j'aie failli mourir !
- Je dois retourner à mon bureau. Contente-toi de descendre et de reprendre le travail. Compris ? Pas d'arrêt dans tes quartiers.
Il tourna les talons et sortit sans me donner le temps de réagir.
Je profitai de ma solitude pour enfiler un pantalon et une chemise propres. J'avais une sainte horreur du blanc stérilisé dont étaient tissés tous les vêtements fournis par les Cieux. C'était si... uniforme... Comme si nous étions des moutons.
Je gagnai mes quartiers discrètement – me perdant tout de même trois fois au passage. Vivement que je retourne sur Terre où je ne me perdais pas toutes les dix secondes.
Rien n'avait bougé. Pas un gramme de poussière n'avait osé se déposer sur mes rares meubles. L'aseptisation était parfaite. Telle que je l'avais laissée.
Meriel était étalé sur mon lit, les chevilles croisées, les bras sous la tête. Il ne bougea pas lorsque j'entrai.
- Je commençais à croire que tu t'étais perdu.
L'humour dans sa voix ne m'empêcha pas de lui balancer la première chose qui me passa sous la main. Un livre. Il eut un petit rire en se redressant.
Cette version de Meriel continuait de me déconcerter. Où était passé l'imbuvable connard que j'avais rencontré à mon arrivée aux Cieux ?
- J'avais donc raison. Tu es toujours incapable de te diriger. Même pour retrouver tes propres quartiers. C'est assez... pathétique. N'est-il pas ?
Autant pour moi. Je venais de le retrouver.
Je ne cherchai pas à répondre. Ce n'était pas comme s'il avait tort. Je ne cesserai sûrement jamais de me perdre. Rien n'y faisait. Mon cerveau ne retenait pas l'agencement des pièces et des couloirs des Cieux. C'était un fait qu'il me fallait accepter.
- Que s'est-il passé ? Sur Terre et après ?
L'éclat dans les yeux de Meriel s'éteignit. Il inspira profondément.
- Rien de bon. Rien que je n'aurais aimé voir.
Il croisa les jambes et s'appuya sur son genou.
- J'ai tenté de contacter Cassiel dès que j'ai reçu ton message. Il refusait mes prières et je l'ai énervé à force d'insister. Il est apparu et je préfère ignorer ce qu'il aurait fait si Ariel n'était pas intervenu. Il était furieux. J'ai cru qu'il allait me tuer. T'avoir en train de me hurler dans le crâne n'aidait pas.
Qu'il n'ait pas été incinéré était surprenant. J'avais déjà vu le tourbillon de feu des ailes de l'archange. Je n'osais imaginer ce que ça devait être lorsqu'il était en rage.
- Ariel l'a convaincu de me laisser parler. Cassiel ne nous a pas attendu pour descendre puisqu'il n'a pas besoin de prendre l'escalier. Ariel a été cherché de quoi se défendre dans l'armurerie avant de descendre. Je suis descendu avec lui même s'il ne voulait pas. C'était le seul moyen d'obtenir des informations.
J'avais plutôt l'impression que ça avait un rapport avec les armes. Son excitation et son intérêt avaient traversé son visage à l'évocation de l'armurerie. Je le connaissais moins facile à lire. Aurais-je réussi, à un moment donné, à faire tomber ses murs ?
- Ils n'ont pas réussi à se débarrasser du démon, continua Meriel. Il a explosé. J'aurais pensé qu'il était mort parce qu'il y avait des morceaux de tous les côtés. Apparemment, c'est la façon des démons de se téléporter. Si nous utilisons nos ailes, eux se débarrassent de leur apparence corporelle pour devenir une âme invisible qui peut aller où elle veut.
Un frisson dévala ma colonne vertébrale. Les prunelles turquoise de mon allié m'épinglèrent sur mon siège.
- Quoi ? Qu'est-ce qu'il s'est passé que j'ignore ?
- Finis ton résumé. Je te le dirai après.
Il hésita, fouillant mon visage pour une quelconque expression qui l'aiderait à prendre sa décision.
- Bien, fit-il, sec et méfiant. Comme je le disais, le monstre a explosé. Je me suis fait discret. Cassiel ne savait pas que j'étais là. J'ai pu l'écouter donner ses ordres à Ariel.
- Quels ordres ?
- De nous faire oublier tout ce qu'il s'est passé. Comme Cassiel l'a fait avec ton protégé. Quand tu redescendras, ton protégé aura oublié que les anges et les démons existent.
- Quoi ?! Mais pourquoi ?! Il va se faire tuer !
- Ariel a eu la même réaction. Visiblement, pour les Trônes, la seule solution pour faire réagir les Chérubins et les Séraphins, c'est qu'un ange meure.
- Un ange ?! Cassiel veut me faire tuer ?!
- Oui.
Le choc tomba sur mes épaules comme une chape de plomb. Je ne m'étais pas préparé à cette éventualité. Je n'avais pas pensé que mon devoir était de mourir. Que c'était ce que l'on attendait de moi. Que l'on m'avait choisi comme brebis sacrificielle.
- Ariel va tout faire pour l'empêcher. C'est pour ça qu'il ne nous a pas effacé la mémoire. Pour que l'on puisse te garder en vie. Cassiel devra trouver une autre manière de convaincre Gabriel et Michael de s'intéresser à ce qu'il se passe.
Une douce chaleur se diffusa dans mes membres. De l'espoir. De la gratitude. J'avais deux alliés de choix.
- Quel est le plan, alors ?
- Tu vas redescendre. Faire comme si de rien n'était face à Baskiel. Comme je te l'ai dit, j'ai déniché quelques pistes contre lui. Rien qui n'ait de valeur aux yeux de Cassiel mais qui a trouvé grâce pour Ariel. Il se trouve que monsieur a des contacts douteux parmi les Puissances. Des discussions qui, sans être ouvertement signe de culpabilité, demeurent... suspicieuses. Assez pour que Ariel essaie de le piéger. C'est pour ça qu'il lui a fait croire qu'il te remplaçait auprès d'une charge très importante. Tu aurais dû voir la tête de cet abruti ! Il a tout gobé !
J'ignorai le rire goguenard de Meriel. J'avais du mal à croire que Baskiel, le seul ange qui m'adressait la parole, le simplet, puisse être mêlé à quelque chose impliquant les démons et l'ouverture des portes de l'Enfer. Pourtant, si Ariel en arrivait à lui tendre une embuscade...
Cette mission partait à vau-l'eau et je ne savais plus où j'en étais.
- À ton tour, maintenant. Ce démon, qu'est-ce que tu sais sur lui ?
- Je crois l'avoir rencontré une fois, soufflai-je, la tête encore dans mes réflexions sur Baskiel. À l'hôpital. Il avait pris l'apparence de Suriel. Il a explosé et j'ai cru m'en être débarrassé. Je ne suis pas sûr que ça soit le même mais il y a peu de chance que c'en soit un autre.
- Si c'est le même – et c'est ce que je pense –, on va avoir besoin d'encore plus de renforts. Tu n'auras plus d'arme, juste moi qui vais devoir attendre ici que tu m'appelles au secours lorsque tu te feras inévitablement attaquer. Je n'aurais pas la force de faire face à un tel monstre.
- Je pourrais le retenir le temps que tu alertes Ariel et Cassiel si tu descends avec une arme. Je l'ai déjà fait, après tout.
Meriel me fusilla du regard mais ne répliqua pas. Oui, j'avais failli en mourir. Et alors ? Ça ne changeait rien au fait que j'avais retardé cet instant suffisamment longtemps pour qu'il réussisse à amener de l'aide.
Ce qui comptait, c'était Beahan. Qu'il reste en vie. Moi, j'étais déjà mort.
- Cassiel a dénommé ce démon. Troian. Le démon de la nuit.
Je pouffai. Meriel haussa un sourcil.
- Le démon de la nuit ? Sérieusement ? Pas étonnant qu'il l'a aussi mauvaise !
Meriel s'autorisa un faible sourire en coin qui ne dura qu'un court instant avant qu'il ne reprenne son sérieux. Pas de rire, cette fois. Il s'était refermé. Rien ne paraissait avoir changé sur son visage et pourtant, cette absence de rire, ne serait-ce que railleur à cause de la nullité de ma vanne, en disait long.
Je soupirai.
- Maintenant que tu as fait ta blague idiote, es-tu prêt à redescendre ? À jouer l'ignorant face à Baskiel ?
Je m'enfonçai dans mon fauteuil. Je ne savais pas encore ce que je pensais du fait de devoir piéger Baskiel. Certes, Meriel avait trouvé des informations contre lui. Toutefois, il avait été le seul à ne pas m'éviter quand bien même étais-je peu agréable et sociable. Je n'avais pas envie de croire qu'une personne qui apparaissait aussi gentille et chaleureuse, aussi naïve, puisse être un traître.
- Je ne sais pas ce qu'est devenu ma vie pour que je m'allie avec toi et que je joue contre la seule personne de tous les Cieux qui a été agréable avec moi. Je ne suis pas certain d'aimer cette tournure. Quand j'étais vivant, les choses étaient claires. Les gentils d'un côté, les méchants de l'autre. Ici, par contre...
L'expression sur les traits de mon vis-à-vis se transforma en quelque chose de secret, de douloureux, de coupable. Son énergie pulsa dans la chambre. Ça n'était jamais arrivé avant. Il possédait un contrôle qui rendait beaucoup de monde envieux. En cet instant, il n'en restait rien.
- Je suis désolé.
Je me redressai.
- Désolé ? Pourquoi ?
- Parce que c'est à cause de moi que tu es mort.
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NdlA : MOUAHAHAHAHAHAHA ! A lundi, les amis ! Ne me détestez pas trop en attendant !
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