Chapitre 36

Je me réveillai en sursaut. Un grand fracas continuait de résonner au rez-de-chaussée. Verre et bois.

Un coup d'œil vers mon protégé me le montra debout, pâle, les poings collés aux hanches. Il fixait la porte comme si elle allait lui sauter à la tête.

Je me levai et vérifiai que mon épée était toujours présente à mon côté. La somnolence collait à mon esprit. Je me traînai vers mon protégé et pressai son épaule et lui signifiait de rester là où il était. Il hocha la tête ; je sortis du bureau.

La maison était plongée dans des ténèbres qui n'avaient rien de naturel. Un liquide épais et gluant coulait sur les fenêtres. Probablement sur toute la maison. Comme si un monstre géant avait craché dessus.

Du bruit continuait de se faire entendre au rez-de-chaussée. Je raffermis ma prise sur la garde de l'épée dont la lame brillait et dissipait l'obscurité. C'en était au point où elle était plus gênante qu'utile puisque la lumière céleste m'éblouissait. Faire attention à chaque marche n'était pas quelque chose que j'avais franchement envie de subir alors que quelque chose rôdait à l'étage du dessous.

Je tressaillis lorsqu'un grand fracas fit trembler les murs. Quoi que ce soit, ça retournait la maison.

Et puis, je la vis. La tentacule qui s'accrochait au mur, s'enfonçait dans le plâtre et fendait l'encadrement de porte.

Mon estomac se retourna. Je pouvais compter mes peurs sur les doigts d'une main. L'une d'elles, la pire, était irrationnelle. Elle était née d'une situation idiote dans laquelle je m'étais retrouvé coincé en cherchant à fuir un lord dont je venais de piller les cuisines.

Ce n'était pas une tentacule. Pas vraiment. C'était une branche de ronces épaisse et souple, mouvant comme une tentacule. Le genre qui s'enroule autour de votre corps et vous plante ses épines dans le corps. Le genre qui vous garde prisonnier, en pleine nuit, tandis que vous tentez juste de survivre une journée de plus.

Le monstre qui saccageait la maison de Beahan était... des ronces. Plus je voyais de lui à travers le trou qu'il avait créé dans le mur et en plissant les yeux pour lutter contre la lumière céleste, plus je voyais de ronces. Des branches à ne plus savoir qu'en faire qui s'accrochaient à tout, détruisaient tout, lacéraient tout.

Mon esprit hurlait que c'était un démon, que ce n'était pas un buisson de ronces qui avait pris vie pour me tuer. Pour me drainer de la moindre goutte de sang. Pourtant, toutes mes alarmes étaient en route, la panique menaçant de me submerger.

Le monstre me remarqua et se figea. Ça ne dura que quelques secondes avant qu'il ne charge dans ma direction. J'évacuai la cage d'escalier pour m'enfoncer dans le couloir vers la cuisine. Je piquai le meilleur sprint de ma vie.

J'évitai de justesse de m'encastrer dans la porte avant de sortir dans la cour arrière. Pas que le monstre ait la sensibilité de passer la porte. Non. Il fallait qu'il passe à travers le mur. La lune, à quelques jours d'être pleine, me permit de voir un peu mieux à quoi j'avais affaire.

Le monstre était aussi massif qu'un éléphant, bâti comme les racines d'un arbre si ce n'était qu'elles s'entrelaçaient, se mouvaient de la même manière que des serpents dans un nid. De tous les côtés, des longues tentacules couvertes d'épines acérées se balançaient et l'aidaient à avancer. Il ne possédait aucun visage apparent, rien qui ne puisse lui permettre de me voir ou de me sentir et pourtant, il fonçait droit sur moi.

Je ne savais pas comment m'attaquer à une chose pareille. Intrinsèquement, je savais que c'était un démon qui avait choisi cette apparence dans le seul but de me terrifier. Et ça fonctionnait à merveille.

La chose émit un bruit qui ressemblait un peu trop à un rire à mon goût. Elle me provoquait. Elle continuait à avancer vers moi ; je reculai sans cesser de brandir mon arme.

L'une des branches s'étira vers le ciel. Doucement, la lune se dissimula derrière un nuage épais qui bloqua le peu de lumière utile que j'avais. Les choses n'allèrent pas en s'arrangeant lorsque l'obscurité vint s'attaquer à mon épée, tentant d'étouffer la lumière céleste.

La garde se mit à vibrer dans mes mains et des crampes coururent dans mes bras tant j'étais crispé pour la retenir.

Cassiel. Cassiel. Cassiel.

Je continuai de prier son nom en espérant qu'il réponde à mon appel. Je ne m'en sortirai pas s'il ne venait pas m'aider. Je n'avais pas la force de lutter contre ce démon.

Le monstre ricana à nouveau. Son énorme corps se secoua, hoquetant d'un fou rire qui me laissa... perplexe et agité. Devinait-il que j'étais en train d'appeler à l'aide ? Ma détresse devait être étalée sur mon visage. Pas étonnant qu'il se marre. Je lui donnais exactement ce qu'il voulait.

Il fallait que je trouve un moyen de répliquer, de m'en prendre à lui. Que je dépasse ma terreur pour tenter de le faire fuir. Le tuer était impossible. J'étais assez rationnel pour le savoir. Il était plus puissant que moi.

Couper ses tentacules était probablement une mauvaise idée. J'étais à peu près sûr qu'elles allaient repousser voire se dédoubler comme les têtes d'une hydre. Il fallait que j'attaque le corps. Toutefois, comment y accéder ? Avec toutes ces branches battantes, je ne pourrais jamais l'atteindre sans me faire réduire en rondelles ou me faire piéger.

Cassiel ! CASSIEL !

Je commençais réellement à paniquer. Je pouvais possiblement le retarder mais le tuer ? Il fallait quelqu'un de plus puissant que moi, pour ça !

Il ne viendra pas... chantonna une voix grinçante dans mon crâne.

Chaque mot était comme des ongles raclant sur un tableau noir dans le fond de mon cerveau. Mon estomac remonta dans ma gorge.

Que voulait-il dire ? Déjà, comment pouvait-il me parler dans ma tête ?! Jamais encore un démon ne m'avait parlé par télépathie. Ça ne faisait que me prouver qu'il était bien trop haut dans la hiérarchie pour que je puisse m'en charger.

Il fallait que je trouve autre chose. Pour l'instant, mieux valait que je courre. Prendre mes distances allait peut-être m'aider à communiquer avec les Cieux. Ne serait-ce que pour appeler...

J'hésitai à penser son nom. Mieux valait qu'il ignore qui étaient mes alliés là-haut. C'était le seul moyen que j'avais de les protéger.

Je détalai vers la route. Du moins, je supposais que c'était la route. La lune était toujours enveloppée dans son nuage opaque et mon arme ne possédait plus qu'une faible lueur qui me permettait à peine de voir mes pieds. J'y allais à l'instinct. Quand je l'écoutais, j'avais tendance à en réchapper vivant.

Des branches me giflèrent le visage. À partir de maintenant, il n'y avait plus de différence entre les bois et le démon. C'était quitte ou double. Mon unique soulagement venait du fait que je l'entendais derrière moi. Pendant un instant, j'avais redouté qu'il reparte dans la maison pour s'en prendre à Declan. Par chance, il préférait s'en prendre à quelqu'un qui avait une maigre chance de répliquer.

Je courus aussi vite que je pus. Les branches qui me lacéraient le visage et les membres, m'arrachaient des plumes par poignées, les racines qui me faisaient trébucher, tout me ralentissait.

Je tendis l'oreille lorsque je jaillis hors de la forêt. La nature s'était tue et me permettait d'entendre le démon approcher. Il était discret mais, en dépit de ma mort un siècle plus tôt, j'avais conservé mes instincts. Ils étaient désormais inscrits en moi au fer rouge. Et le moindre son résonnait contre mes tympans, m'alertant du danger.

Toutefois, il était assez loin pour que je tente de contacter Meriel.

Meriel ! Contacte Cassiel au plus vite ! C'est la merde, ici !

Je me remis à courir sans cesser de prier. Ça me permettait de penser à autre chose qu'à toutes les douleurs qui naissaient dans mon corps et à tout le sang que je perdais. Je n'osais pas songer à mes ailes. Il devait leur rester à peine la moitié de leurs plumes. J'avais l'art et la manière de les abîmer...

TA GUEULE !

Le hurlement de Meriel me fit trébucher. Je m'étalai de tout mon long dans le fossé. Le mélange de vase et de boue qui envahit ma bouche faillit me faire vomir. Si j'avais eu quelque chose à vomir.

Je me relevai et m'extirpai de la tranchée aussi vite que la pente glissante me le permettait. Malheureusement pour moi, pas assez vite. Une branche s'enroula autour de mon ventre. Des épines percèrent les épaisseurs de mes vêtements. Elles s'enfoncèrent dans ma chair, m'empêchant de ma débattre. Si je tentais de forcer la branche à me lâcher, j'allais être réduit en lambeaux, les viscères jaillissant de mon ventre comme les tentacules du monstre.

Si Meriel ne se dépêchait pas de trouver de l'aide, j'étais foutu. J'allais me retrouver avec les ailes arrachées, mon âme réduite en poussière et Declan se retrouverait tout seul jusqu'à ce que les Cieux puissent lui fournir un autre gardien.

Je ne devais pas mourir.

Je forçai mon esprit à se détourner de la douleur des épines fichées en moi pour s'occuper de tout le reste. Je voyais encore mon arme, à terre, sous le démon. Elle me paraissait faible, sa lumière à peine visible entre les branches. Je ne l'avais jamais vue dans un tel état. Elle allait me lâcher. Si ma seule arme ne pouvait plus rien faire pour moi, j'étais foutu.

Il fallait que je trouve quelque chose. Que je gagne du temps. Si je voulais survivre, il fallait que je donne le temps à M... mon collègue de faire quelque chose. J'ignorais si le démon pouvait lire dans ma tête ou s'il entendait uniquement mes prières. Que ce soit l'un ou l'autre, je ne tenais pas à ruiner ma seule chance avant d'être sûr de m'en sortir. Declan avait besoin de moi.

J'attrapai la branche qui vola vers moi. Les épines traversèrent mes mains. Je me mordis l'intérieur de mes joues pour ne pas crier. Je tirai dessus, me rejetant en arrière. Je sentis les épines glisser dans mon estomac. Je glissais en arrière, fermement accroché à ma branche. Je sentis les autres branches se mouvoir autour de moi. Avec un peu de chance, aucune d'entre elles ne sauraient me rattraper.

La sensation d'être écrasé par la gravité me prit par surprise. Je faillis lâcher la branche sur laquelle mes mains étaient empalées. Je m'y agrippai de toutes mes forces, même quand mon dos heurta le sol. La douleur explosa dans le haut de mon corps et m'aveugla une fraction de seconde.

Je roulai sur le ventre et usai de mes coudes pour ramper sous le monstre. Les ronces toujours enfoncées dans mes mains commencèrent à déchirer les chairs lorsque je dus tirer sur la tentacule. J'avais dans l'espoir que ça déséquilibre le démon. Qu'il tombe et s'empêtre dans ses branches. Si ça fonctionnait, ça me ferait gagner du temps pour tenter une fuite.

Sauf que ça ne fonctionna pas le moins du monde. J'eus beau tirer sur la branche, elle ne broncha pas. Seuls les trous dans mes paumes s'agrandirent.

Je fus saisi par d'autres branches. Cette fois, je hurlai lorsqu'elles me transpercèrent de tous les côtés. Les notions de temps, de lieu et d'espace me devinrent totalement étrangères. Mon cerveau ne parvenait à se concentrer que sur la souffrance qui me déchirait de part en part. Il ne voyait rien d'autre que ce qui perçait ma chair.

Le hurlement strident qui retentit à mes oreilles me prit par surprise. Je mis un temps à comprendre ce qu'il se passait. Ce fut les lueurs rouges et oranges qui m'alertèrent. Qui me dirent ce qu'il se passait. Pourquoi le démon hurlait.

Quelqu'un lui avait mis le feu.

Les branches commencèrent à s'agiter dans tous les sens. Le démon se débattait avec une violence sans pareille. Celles qui me tenaient prirent feu et se détachèrent du corps. Je m'écrasai au sol. J'étais incapable de me défaire de ce qui était planté dans mes membres. Je ne pouvais que regarder le démon se transformer pour tenter d'échapper aux flammes. Sa forme flambait autant que sa forme cauchemardesque. Il se propulsa vers une silhouette que je parvenais à peine à voir.

Je reconnus l'énergie de cette autre personne aussitôt. Elle m'était trop familière pour que, même à travers le voile de mon algie, je ne puisse pas la reconnaître. Je baignais dans cette énergie depuis des mois.

Declan était venu à mon secours.

S'était-il rendu compte que je perdais le combat ? Que je ne pouvais pas battre ce démon sans aide ? Il ne pouvait pas me voir, ne pouvait pas savoir dans quel état j'étais. Il ne pouvait rien faire d'autre que de s'occuper du démon à ma place. J'étais incapable de bouger. Je ne pouvais pas le protéger. Nos rôles s'étaient inversés et, alors que les Cieux m'abandonnaient, Declan Beahan, l'humain que j'étais censé gardé en vie, me protégeait.

Ça n'aurait pas dû se passer comme ça.

Je voulus crier en voyant le démon le saisir à la gorge. Ma voix me lâcha. Il allait mourir parce que j'avais failli. Je n'avais pas été à la hauteur.

La lumière soudaine me brûla la rétine. Plusieurs silhouettes apparurent sur la route. Je n'étais pas certain qu'il s'agisse de Meriel ou de Cassiel ou d'autres renforts. Tout ce qui comptait, c'était les larges ailes qu'ils avaient dans le dos. Ils étaient des anges. Ils allaient protéger Declan. Le sauver du démon. Faire ce que je n'avais pas su faire.

Le monde disparut lorsque ma conscience me lâcha.

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NdlA : Pour tous ceux qui voulaient de l'action, j'espère que vous n'êtes pas déçus ! Il y en a, dans ce chapitre ! Qu'est-ce que vous en dites ?

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