Chapitre 35
Devoir expliquer ce qu'il s'était passé à l'hôpital à Beahan n'avait pas été simple. Déjà que nos méthodes de communication n'étaient pas les meilleures, avoir à écrire que nous avions été tous les deux proches de mourir... Je détestais ça.
Heureusement pour moi, il garda un visage composé, avalant la nouvelle avec difficulté. J'aurais probablement dû m'inquiéter de son manque de réaction. Cependant, j'étais trop occupé à m'en ravir. C'était plus facile de gérer l'annonce de ce qu'il s'était passé sous son nez sans qu'il ne voit quoi que ce soit s'il ne se mettait pas à paniquer. S'il commençait à m'abreuver de questions et à crier, je ne saurais jamais lui apporter les réponses qu'il cherchait.
- Et Ava... Elle a tout vu. Même le... démon ?
Oui.
- Pourquoi ne m'a-t-elle rien dit ? Elle aurait pu m'expliquer au lieu de me jeter hors de la chambre d'hôpital !
Non. J'étais trop faible pour risquer de devoir faire face à un autre démon. Il fallait que je me repose. Sans quoi, je n'aurais plus été en mesure de te garder en vie.
Il ne répondit pas tout de suite.
- J'essaie de me faire à l'idée que les anges aussi ont besoin de dormir. Ce qui nous amène au fait que tu as dormi dans mon lit.
Nous ne vivons pas sur le même plan d'existence. En quoi utiliser le même meuble est-il un problème ?
- C'est une question d'éthique ! On ne s'incruste pas dans le lit de quelqu'un sans avoir demandé la permission !
Techniquement, je n'étais pas dans ton lit. J'étais dans un lit comme le tien sur un plan d'existence vibrant à la même fréquence que la lumière céleste. En simple, le lit dans lequel j'étais ne t'a jamais connu. Donc, tu n'as rien à me reprocher.
- Jouer sur la physique quantique pour t'exonérer, c'est vraiment bas. Et puis, si tu n'es pas dans le même monde que moi, comment peux-tu me frapper avec tes ailes ? Pourquoi j'ai pu ramasser l'une de tes plumes lorsque tu t'es ramassé dans les escaliers ?
Nos plans sont si connexes que, parfois, ils se mêlent. Je n'aipas la sensation d'évoluer dans un autre plan d'existence car ils sont, pour ainsi dire, identiques. La seule différence est que je suis relié aux Cieux tandis que tu es relié à la Terre. C'est ce qui me rend invisible. C'est aussi ce qui est censé dissimuler mon énergie bien que, sans que je sache pourquoi, ça ne fonctionne pas sur toi.
- Je n'y connais rien en mondes parallèles et je n'y croirais pas si je ne voyais pas le papier se couvrir d'une écriture digne d'une débutante de l'ère de Jane Austen.
Je lui donnai un coup de pied dans le tibia qui le fit grimacer.
- J'ai senti, ça !
C'était le but.
Il fit la moue.
- Ce que je ne comprends pas, c'est pourquoi. Pourquoi les démons veulent-ils absolument me tuer ? Ce n'est pas comme si j'étais un danger pour eux !
Au contraire. À cause de toi, les policiers ont vu les liens entre les différentes affaires et ils s'en prennent au site qui leur permet de... travailler, je suppose. Sans ton intervention, ils auraient pu continuer à agir en toute tranquillité. Autant dire qu'ils sont bien décidés à se débarrasser de toi. Pour ne rien arranger, tu continues de creuser et ils redoutent sûrement que tu réussisses à trouver leur sorcier. S'ils te tuent, tous leurs problèmes cessent. En bonus, ils pourront se débarrasser d'un ange.
Beahan soupira en lisant mon long paragraphe. L'inquiétude creusait son front, y formant canyon après canyon, détruisant l'harmonie de ses traits au passage.
- Donc c'est trop tard ? Quoi que je fasse, ils chercheront à me tuer ?
Oui.
- C'est une bonne chose que les jumeaux refusent de me parler. Que Lizzie et Alvin soient morts à cause de moi, c'est déjà trop.
Ce n'était pas ta faute. Tu voulais faire le bien autour de toi. Tu ne savais pas dans quoi tu t'engageais.
- Tu le savais, toi ? Quand tu as débarqué chez moi, du jour au lendemain, tu savais que je m'en prenais à des démons et que je passerais le reste de ma vie à devoir les fuir ?
J'hésitai. Devais-je lui dire la vérité, que je l'ignorais et que j'avais tout découvert en même temps que lui ? Cela m'amènerait sur une pente glissante qui me rapprocherait du problème qui pourrissait les Cieux. Or, je ne pouvais pas lui en parler. Déjà parce qu'il était humain. Ensuite, parce que c'était trop risqué. Il en savait déjà trop pour son propre bien. Il n'avait pas besoin d'apprendre qu'il devait s'inquiéter des autres anges aussi.
Nonobstant, je ne pouvais pas lui mentir. Je n'allais pas le laisser croire que je l'avais volontairement laisser s'enfoncer dans un tel bazar sans sourciller. Il avait besoin de continuer à croire en moi, en les anges. S'il apprenait qu'ils n'avaient eu aucun scrupule à l'envoyer réunir des preuves pour Cassiel, ma présence ne servirait plus à rien.
Non. Je l'ignorais.
- Vraiment ? Tu es arrivé ici pour me protéger sans savoir de quoi ?
Ça ne marche pas comme vos services humains. Lorsque l'on est assigné à une charge, on obtient un dossier sur cette personne avec les informations dont on a besoin pour mener à bien notre mission. Se charger des démons ne fait pas partie des attributions des anges gardiens. Nous sommes dispatchés pour protéger des humains dont les problèmes sont plus psychiques ou psychologiques que démoniaques. On ne nous apprend même pas à nous battre, si cela t'aide à imaginer l'étendue de notre rôle.
- Je ne suis pas sûr de comprendre. Vous protégez les gens... d'eux-mêmes ? Rien de plus ?
On peut voir ça comme ça, en effet. Nous ne ressemblons pas à ce qui existe à la télé. Nous sommes là pour redonner l'espoir, pour pousser les humains à retrouver le goût de la vie, la créativité, la joie de vivre. À se reconnecter avec l'enfant qu'ils ont au fond du cœur, à cesser de se concentrer sur la négativité du monde et à voir sa beauté.
- Vu les taux de dépression en hausse, vous ne faites pas du bon boulot.
Vous ne croyez plus en nous. Vous n'écoutez plus, ne voyez plus toutes les petites choses que l'on met sur votre chemin. Tout ce qui vous importe, c'est l'argent et le regard des autres. Rien d'autre.Les coïncidences, les synchronicités, les miracles que l'on met sur votre route... Vous ne remarquez rien. Vous haussez les épaules et continuez à vous marteler de contenus nocifs et dégradants, à vous aveugler à toutes les petites choses qui font que la vie vaut la peine d'être vécue. À tous les signes qui parsèment vos routes.
Ce n'est pas quelque chose contre quoi il est facile de lutter. Surtout lorsqu'on est en manque d'effectifs.
Mon protégé demeura silencieux un long moment. Un voile s'était posé sur son regard rivé sur la fenêtre. Il était parti loin dans ses pensées. J'espérais qu'il réfléchisse à ce que je lui avais écrit. Qu'il y trouve une vérité qui pourrait l'aider à continuer, à avancer, à mieux se sentir. À ouvrir les yeux.
Mon travail avait toujours été de me servir de lui pour apporter à Cassiel ce dont il avait besoin mais je demeurais un ange gardien. Or, les gardiens étaient entraînés pour apporter la lumière et une voie pavée de positivisme et de joie à leurs charges. Donc, bien que la situation ne s'y prête pas vraiment, je pouvais toujours essayer. Si je parvenais à alléger le poids de ses pensées sur son mental, j'aurais réussi ma mission, quoi que l'on en dise.
Je vis l'attention de Beahan revenir sur moi. Un léger sourire en coin vint étirer ses lèvres.
- Vous êtes des psys invisibles, quoi.
Je roulai des yeux. Qu'il sache encore trouver l'humour dans la situation me rassurait. C'était une bonne chose. Cela signifiait qu'il avait encore de l'espoir pour le futur. Il allait en avoir besoin. Je pressentais que ce qui nous attendait ne ressemblait en rien à une promenade dans le parc.
- Je m'attendais à me prendre un coup de plumeau. Je suis étonné que tu ne me tabasses pas encore.
J'ai peur pour ce qu'il reste de ton cerveau.
Il éclata de rire ; je ne pus retenir un sourire en réponse. En dépit de tout ce qui lui arrivait, il demeurait assez de vie en lui pour que son cœur ne soit encore endurci au point de le rendre imperméable aux blagues idiotes.
Cependant, il se rembrunit trop vite. Son rire s'étouffa dans un soupir. Le silence revint, ses traits s'affaissèrent.
- On a du travail, finit-il par dire. Maintenant que je sais ce qu'il s'est passé, je peux reprendre le travail et voir si le site a amené d'autres cas.
Il m'exposa ses plans sans vraiment s'adresser à moi. Il était reparti en mode enquêteur, sérieux et concentré, coupé du monde autour de lui. Il partit pour son bureau et s'installa devant l'ordinateur. Je pris le canapé. Puisque je n'avais pas touché aux sceaux depuis la veille, je n'avais pas besoin de résister au sommeil. J'aurais sûrement dû, ne serait-ce que pour voir les résultats des recherches de Beahan. Au demeurant, ma capacité à le protéger était plus importante que ma connaissance de l'affaire.
Je me rendormis comme si l'heure passée n'avait jamais existé et que je ne m'étais pas réveillé.
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NdlA : un petit chapitre majoritairement informatif ! J'espère qu'il vous aura plu quand même !
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