Chapitre 25
Nous atterrîmes dans un petit motel en banlieue de Denton où nous comatâmes pendant de longues heures. Je dus dormir sur un sofa à la taille ridicule. Mes ailes pendaient dans le vide tandis que j'étais enroulé sur moi-même, suffoquant dans le tissu qui ne sentait pas la rose. De l'autre côté de la pièce, mon protégé ronfla comme un bûcheron toute la nuit. C'était rassurant de l'entendre même si c'était un peu agaçant. Je pouvais dormir de mon côté tout en sachant qu'il était là, en vie.
Lorsque je me réveillais, je vis que mon protégé était déjà debout. J'ignorais où il avait eu son café mais il avait l'air si peu éveillé qu'il ne devait pas avoir été loin. Au moins, il était toujours en vie. C'était tout ce qui comptait. J'étais trop fatigué pour prendre le temps de m'inquiéter de quelque chose que je ne pouvais changer. C'était trop tard. Il était sorti pendant que je dormais. C'était fait. Pas question de m'en préoccuper plus longtemps.
Mon dos explosa de douleur lorsque je me redressais. Je me traînai jusque dans la salle de bains pour tenter de voir l'état de mes blessures. J'étais prêt à parier que, malgré les soins de Meriel, elles s'étaient infectées.
Elles étaient dans un sale état. Couvertes de sang, les plumes arrachées ou pleines de suie voire brûlées. Sans compter les lacérations. De très longues et très profondes lacérations qui continuaient de saigner malgré les heures que j'avais passé à dormir. La chair était violacée, jaunâtre même, à endroits.
Je me laissai tomber au sol, fatigué en dépit de mes longues heures de sommeil. Je priai pour qu'on vienne me soigner, m'aider. Cette fois, ma prière n'eut aucun problème à atteindre les Cieux et un jeune Vertu apparut dans l'étroite salle de bains. Il ne m'adressa pas un mot, se contentant de se mettre au travail. Il était plus délicat que Meriel et plus rapide. Ce ne fut pas une partie de plaisir mais ce fut plus supportable que lorsque Meriel m'avait grossièrement remis sur pieds. J'ignorais comment il avait appris à soigner mais ça m'intéressait de le savoir. Il faudrait que je pense à lui poser la question.
Le Vertu repartit aussi vite qu'il était arrivé, silencieux et distant. Je me relevai, battis des ailes, testai mes muscles. Tout était remis en ordre. La douleur avait disparu. Je jetai un œil dans le miroir pour voir une large cicatrice zigzaguer entre mes omoplates. Elle était laide et disgracieuse. Je supposai que le Vertu n'avait pas pu faire mieux. À moins qu'il se fiche de l'esthétique. Personnellement, je n'avais pas tellement envie de me retrouver à nouveau plein de cicatrices. J'avais été bien heureux de pouvoir les faire disparaître quand j'étais mort. Je n'avais pas envie, même dans ma mort, de me retrouver couturé de partout.
Je tressaillis en voyant mon protégé apparaître sur le seuil de la porte. Il avait des poches sous les yeux. Il fallait que je le pousse à se reposer une fois que nous serions de retour. Il ne pourrait jamais continuer comme ça. Il n'était qu'humain et il était épuisé.
- Je sens que tu es ici. Si ce n'est pas le cas, je serais réellement un idiot qui parle tout seul dans la salle de bains d'un motel à moitié moisi.
Il laissa un silence malaisé. Pour l'aider, j'agitai les ailes jusqu'à produire un éclat de lumière qui le fit regarder dans ma direction.
- Je suppose que c'est un signe que tu es bel et bien là... Donc, je ne parle pas dans le vide. C'est déjà ça. Je suppose.
Il était si nerveux, si embarrassé, que c'en devenait touchant. Avec ses grands yeux bleus et sa tignasse blonde, il donnait l'apparence d'un gamin dans un corps trop grand pour lui. Je ne m'étonnais plus que les Cieux aient choisi de le protéger.
- Je ne suis pas sûr de ce qui c'est passé là-bas. Dans la rue. Ces enfants... Je n'ai rien compris. La seule chose dont je suis sûr, c'est que tu m'as protégé. Grâce à toi, je suis toujours en vie. Alors merci. Du fond du cœur. Jamais je ne m'en serais sorti tout seul.
Pour seule réponse, je posai une main sur son épaule. Je ne pus que repenser à cet instant où j'avais senti ses doigts sur ma peau. Sentait-il mon contact de la même manière ? Ou était-ce plus un sentiment, une sensation ?
- Je me doute que tu as dû prendre des coups. À vrai dire, je suis à peu près sûr que c'est plus que quelques coups. Je peux me tromper mais je doute qu'il neige souvent au Texas en plein mois de mai donc, ça doit avoir un rapport avec toi. Les démons préfèrent visiblement exploser des arbres à coups d'éclairs.
Je roulai des yeux. Je n'avais pas réalisé qu'il avait neigé. Avec la chaleur ambiante et le combat, c'était un miracle qu'il s'en soit rendu compte. Cependant, je doutais qu'il ait littéralement neigé. Je pensais plus à mes pauvres plumes réduites en miettes. Pour un humain, ça pouvait ressembler à de la neige. C'était une explication probable.
- J'espère que tu vas mieux. Je suis désolé que tu doives endurer ça à cause de moi. J'aurais dû écouter Ava et ne plus me mêler de cette affaire dès que j'ai remarqué que ça partait dans tous les sens. Mais... Je ne peux pas faire autrement. J'ai besoin d'aller au bout de cette affaire. C'est plus fort que moi.
S'il y avait une chose que j'avais compris depuis que j'étais devenu un ange, c'était qu'on ne pouvait pas aller contre les voies de l'univers.
Découvrir les Cieux avec ses milliers d'anges ne m'avait pas mené à croire en Dieu. Toutefois, je commençais à songer que, peut-être, ce qu'on appelait Dieu était ce que j'appelais l'Univers. Ces forces intangibles, évanescentes et impénétrables qui nous guidaient tout le long de nos vies.
Selon moi, ce besoin qu'il ressentait était un signe que lui envoyait l'univers. Il était probablement la seule personne qui avait l'esprit d'un enquêteur tout en restant assez ouvert pour accepter que ce cas n'était pas aussi rationnel. Personne d'autre n'aurait été aussi loin dans cette enquête. La preuve en était de la réaction des policiers.
- Je suis sincèrement désolé mais tu vas devoir me supporter encore un peu. En tout cas, jusqu'à ce que je trouve qui est derrière tout ça. Je me doute que je ne peux rien exiger mais si tu pouvais continuer à m'aider... Ça ne serait pas de refus.
Je pressai son épaule et il relâcha un souffle. Un sourire faiblard et tremblant effleura ses lèvres.
- Merci.
Nous restâmes ainsi quelques secondes, partageant une compréhension rare et éphémère. Je compris enfin ce que mes instructeurs avaient tenté de m'expliquer pendant qu'ils me faisaient découvrir le travail sur le terrain. La raison pour laquelle ils étaient si dévoués à leurs charges. Cette émotion sans nom qui serrait le cœur dans le meilleur des sens.
Au fond, peut-être Ariel avait-il raison. J'avais dû faire des choses que j'aurais préféré éviter durant ma vie mortelle mais je n'avais jamais eu le choix si je voulais survivre. Ça ne m'avait pas empêché de mourir trop tôt et trop violemment à mon goût.
- Il y a autre chose dont je voudrais parler.
Je ramenai mon attention sur lui. De quoi voulait-il parler qu'il n'ait pas déjà abordé ?
- Ce que j'ai dit à cette femme dans la voiture... C'est en partie vrai. Je sais ce qu'une grande partie des religieux pensent de l'homosexualité ou de la bisexualité mais j'ai envie de croire que, puisque tu es là, à veiller sur moi, ce n'est pas autant un péché que ce qu'on dit. Après, j'aime aussi les femmes. Ça doit compter, non ?
Était-il en train de me dire qu'il avait peur de finir en Enfer à cause de ça ? J'avais presque oublié combien les humains étaient effrayés par la différence.
Comment étais-je supposé le rassurer ? Il ne comprenait rien aux messages que je lui envoyais naturellement. Il fallait quelque chose de plus puissant, quelque chose qu'il ne pourrait pas manquer. Je ne connaissais qu'une seule chose qui fonctionnerait. C'était loin d'être conventionnel mais j'avais entendu assez d'histoires pour savoir que les humains avaient plus de facilité à comprendre ce genre de message.
Je posai une main sur ses yeux et le poussai à oublier le monde physique pour ressentir l'Univers autour de lui qui l'embrassait avec amour, patience et compréhension. Qui l'acceptait entièrement, défauts et différences comprises.
Ses défenses cédèrent et des larmes vinrent noyer ses joues. Je savais que ce n'était pas réellement de la tristesse. C'était plutôt l'accumulation d'émotions puissantes, de l'ouverture de vannes depuis trop longtemps fermées. Il se retrouvait submergé par ses sentiments et par la beauté du monde qui l'entourait. À cause de son travail, de son caractère, d'événements passés, il avait oublié que le monde n'était pas en nuances de gris mais plein de couleurs vibrantes et pétillantes qui peignaient un tableau chaleureux et accueillant.
Je le serrai jusqu'à ce qu'il soit vidé, jusqu'à ce que le silence revienne dans la pièce, dans sa tête et dans son cœur. La tempête était passée et son courage s'était renouvelé. Il se redressa, dos droit, et essuya ses joues.
- Merci. J'avais besoin de ça. Je crois.
Je lui donnai une tape sur l'épaule qui transmit ce que je ne pouvais pas lui dire.
- Et si on rentrait ? Je pense qu'on a eu assez d'aventures pour un petit moment, pas toi ?
Je souris en roulant des yeux.
Une chose était sûre : ni lui ni moi n'allions regretter ce passage au Texas.
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NdlA : Que d'émotions dans ce chapitre ! Pauvre Declan ! Je lui en fais voir des belles !
Pour ceux qui n'ont pas vu l'annonce sur mon profil, j'ai ouvert un blog de critiques ! Vous trouverez le lien dans les conversations sur mon profil puisque les liens ne fonctionnent toujours pas dans les chapitres ! Venez y jeter un oeil !
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