Chapitre 24
Je pouvais en compter treize. Six devant, sept derrière. Ils étaient puissants et trop nombreux pour moi seul. Il allait donc falloir trouver un moyen de fuir. Je devais faire sortir mon protégé de là où il était et dégager sa fuite. Il fallait encore que je réfléchisse à comment j'allais pouvoir faire ça.
- Vous vous sentez à ce point inférieurs que vous devez être aussi nombreux pour une seule personne ?
- Nous ne sommes pas idiots, mon poulet. Nous savions que tu viendrais armé. Il fallait bien équilibrer le combat.
- Vous êtes donc tous de la chair à canon.
- Nous renaîtrons plus puissants et nous viendrons te détruire, tu peux en être sûr.
- Dois-je vous rappeler que l'Enfer est fermé ? Vous allez atterrir au Purgatoire, pas en Enfer.
Le doute s'afficha sur le visage de certains démons tandis que leur leader éclatait de rire. Il semblerait que j'avais raconté une bonne blague. Encore fallait-il que je sache en quoi ce que j'avais dit était drôle.
Tu es bien naïf ! Crois-tu vraiment que si nous sommes ici, nous ne pourrons pas repartir ?
Je ne répondis pas. Je ne m'y connaissais pas assez pour pouvoir répondre à ça. Ariel ne m'avait donné qu'une vulgarisation de ce dont il s'agissait vraiment. Je me doutais que tout était plus complexe que ce qu'il m'avait appris ou que ce que je pouvais deviner. Et je n'étais pas assez idiot pour faire des assomptions à un moment pareil.
Je refermai mes doigts sur la garde de mon épée, toujours enveloppée de velours, lorsque le démon se remit à avancer vers moi. Il eut un étrange sourire sur les lèvres en se stoppant derechef.
- Comment vous, les idiots d'anges, avaient réussi à clore les portes de l'Enfer... C'est toujours un mystère. Mais nous savions tous que ce n'était qu'une question de temps avant qu'elles ne soient rouvertes. Vous ne pourrez jamais nous garder enfermés sous-terre.
- C'est ce qu'on verra.
- Je t'en prie ! Vous n'êtes déjà pas capables de voir ce qu'il y a sous votre nez ! Comment pourriez-vous aller indéfiniment contre nous ? Vous croyez tout savoir, tout contrôler. Vous avez tort. Le Maître agit sous votre nez et vous n'y voyez que du feu !
- Tu parles beaucoup, on te l'a déjà dit ? Tu aimes t'écouter parler à ce point ?
- Vas-y. Fais ton malin. Tu sais que j'ai raison. Que vous êtes totalement dans le noir. Vous n'avez pas la moindre idée de ce qu'il se passe.
- Je doute que tu en saches beaucoup plus que moi. Tu n'es qu'un sous-fifre, exactement comme moi. Tu ne sais rien. Tu aimes juste t'écouter parler. Rien de plus, rien de moins.
La colère supplanta son air goguenard. Ses poings se crispèrent. Il tentait de se maîtriser ; je tentais de le prendre au sérieux.
Je faisais face à un enfant de dix ans ! Comment étais-je censé croire qu'il pouvait quoi que ce soit contre moi ? Honnêtement, je savais intrinsèquement qu'il était dangereux. C'était un démon. Même s'il était de bas étage, il y avait un risque. Il ne faisait que posséder le corps d'un enfant, après tout. Ça ne voulait pas dire qu'ils avaient la force des enfants dont ils avaient volé le corps.
- Tu commences à m'énerver, grinça le démon. Tu n'es pas comme les autres. Tes petits copains à plumes n'ont pas la moitié de ton répondant. Tandis que toi... Ce serait presque divertissant de te parler si tu ne m'énervais pas autant.
- Je vais prendre ça pour un compliment. Compliment que je ne peux pas te retourner puisque tu me donnes envie de bâiller dès que tu ouvres la bouche.
- Tu ferais mieux de te taire.
Sa voix gronda comme le tonnerre et le ciel au-dessus de la ville se couvrit. Je me retins de regarder les nuages noirs s'accumuler et tourbillonner. Je me refusai à le lâcher du regard. Les démons étaient fourbes et si je relâchais mon attention, ils allaient choisir ce moment pour attaquer.
Sa démonstration n'était que preuve que l'affrontement n'allait plus tarder et qu'il fallait que je trouve un moyen de sortir mon protégé de là. Il était ma priorité. Cependant, avec treize démons autour de nous, ça risquait d'être complexe. J'étais armé mais je doute que ça nous aide suffisamment.
Sans cesser de fixer les démons en face de moi qui souriaient et se rapprochaient, je priais Chamuel, l'archange qui s'occupait des Puissances. Il était le seul à pouvoir m'aider. À pouvoir envoyer du renfort. Ses subordonnés étaient là pour ça. Pour se battre contre les démons.
Je priais et priais et priais mais mon appel demeura sans réponse.
Au lieu de renforts, d'autres démons apparurent dans la rue, bloquant toute issue. Peu importe le plan que je pourrais imaginer, nous étions coincés. Je m'emparai de mon arme et serrai la garde fermement dans ma main. S'il fallait que je me batte, alors je me battrais. En attendant, je n'avais pas abandonné l'idée de contacter quelqu'un.
Je priais Ariel de toutes mes forces, le suppliant de m'envoyer de l'aide.
Comme s'ils se doutaient que j'avais cherché à contacter quelqu'un de plus atteignable, les démons attaquèrent. La foudre s'échoua sur un arbre de l'autre côté de la chaussée, le fendant en deux. Le bruit et le choc firent sursauter Beahan qui commençait sérieusement à paniquer.
Par instinct, je me saisis de son bras et le poussai contre une palissade blanche. Je me plantai devant lui, l'épée à la main. Les démons rirent en se rapprochant. Ils étaient une bonne trentaine. Avaient-ils vraiment besoin d'être autant ? J'étais tout seul, bon sang ! Ça n'avait aucun sens.
Dans mes mains, mon arme se mit à briller et à vibrer. Son énergie était telle qu'elle consuma les plus faibles parmi la légion qui s'avançait vers moi. Je n'eus même pas à bouger.
Par désespoir, je priais Baskiel pour qu'il rameute ses fesses avec tous les anges qu'il pouvait trouver. Je swinguais mon épée et elle s'enfonça dans le corps de la petite fille qui se tenait un peu trop près de moi. Elle s'effondra à terre, son petit corps fumant vivement.
De la même manière que si j'avais annoncé l'ouverture de la chasse, ils bondirent tous en avant vers moi. À tel point que j'en fauchais trois en un seul mouvement. Je fus percuté de plein fouet par la petite vieille que j'avais aperçue à la fenêtre. Le coup qu'elle m'assena en plein thorax me laissa pantelant. Pas assez pour que je ne l'utilise pas pour faire reculer la foule de ses camarades. Son gros corps fit tomber une dizaine de démons et j'en profitai pour taper dans le tas.
Je vis l'escalier lumineux apparaître et Baskiel descendit, suivi par Daphiel, Maliel et Meriel. Les deux amies, Daphiel et Maliel, prirent le contrôle des opérations, criant des ordres en énochien pour que les démons ne puissent comprendre. Un regain d'espoir me donna la force de continuer à lutter.
Je cessai de m'occuper d'eux, obligé de ramener mon attention sur mes ennemis les plus proches. J'utilisai mon épée pour tenter de les faire reculer mais ils étaient rapides. Le fait qu'ils soient petits était un avantage pour eux. C'était plus complexe pour moi de les affronter et ils parvinrent à me mettre des coups assez violents pour que je vacille. Je parvins à lutter plus longtemps que je n'aurais cru face à une telle offensive.
Le choc en plein visage me prit par surprise. Je m'agrippai à mon arme tout en chutant sur mon protégé. Je l'entendis hoqueter lorsque je le percutai. Je ne pus que crier lorsque l'un des démons lacéra mon dos. Je virevoltai et tranchai la tête de trois démons. Ils roulèrent à terre, l'odeur de brûlé devenant insoutenable.
Je toussai, repoussant mes nouveaux assaillants à bout de bras. Je commençais à m'épuiser. L'épée, même à travers le velours, me dérobait toute mon énergie. Par chance, mes quatre sauveurs faisaient du bon travail.
Je m'effondrai dès que le dernier démon s'effondra devant moi. Je me traînai vers mon protégé qui toussait violemment à cause de la fumée. J'utilisai mes ailes pour la disperser comme je pus. Par instinct, je sus qu'il fallait que je pose la main sur sa poitrine pour dégager ses voies respiratoires. Son air surpris était assez comique. J'étais trop fatigué pour en profiter. Je m'affaissai contre lui même s'il ne pouvait pas le savoir.
Autant dire que ma mâchoire faillit se décrocher lorsque je sentis sa main sur mon épaule. Elle était chaude et très réelle. C'était tellement... étrange et inattendu et je me sentis revigoré par ce simple contact. Ce simple geste, si minuscule et supposé impossible, était plus que je n'aurais pu demander pour me donner le courage de me lever.
- Est-ce que ça va, Rahel ? questionna Baskiel, paniqué.
Son visage était maculé de suie noire, ses cheveux partaient dans tous les sens et ses yeux étaient si écarquillés qu'il en devenait effrayant à regarder.
- Je suis entier mais je crois que je suis salement amoché dans le dos.
- Tourne-toi, ordonna Meriel.
Je lui jetai un regard, hésitant à refuser. Une coupure profonde soulignait son œil gauche, le sang se mêlant à la suie sur sa joue. Il y avait un éclat sauvage dans son regard, quelque chose que je n'avais jamais vu chez lui. Il m'aida à me relever et je lui tournai le dos, le laissant regarder les dégâts. Le sifflement qu'il émit n'était sûrement pas un bon signe.
- Oh, Rahel... souffla Maliel. Comment peux-tu encore tenir debout avec une aile pratiquement...
Elle ne sut finir sa phrase. Je frémis. J'avais mal, d'accord, mais j'étais aussi si épuisé que ma sensibilité devait avoir drôlement décrue pour que je ne me rende pas compte qu'une de mes ailes était pratiquement détachée de mon corps.
- Toi, commanda sèchement Meriel en me donnant un léger coup dans le bras. Allonge-toi à plat ventre ici.
Il m'aida à aller jusqu'à un coin d'herbe humide et à m'y allonger.
- Vous deux, vous le maîtrisez. Toi, tu surveilles sa charge.
Personne ne protesta face à sa prise de commande. Je le vis s'agenouiller à côté de moi.
- Qu'est-ce que tu comptes faire ? ne pus m'empêcher de demander.
- Te remettre en état.
- On devrait appeler les Vertus. C'est leur boulot.
- Non. On ne peut pas. Comment veux-tu leur expliquer des cadavres fumants d'enfants ? Je n'ai pas envie de mourir une seconde fois, merci bien ! Alors surveille sa charge et tais-toi ! Laisse-moi me concentrer.
Le silence tomba et Daphiel et Maliel appuyèrent sur mes épaules. Les mains moites de Meriel se posèrent sur mon aile.
Je hurlai.
La douleur fut déchirante, aveuglante. Interminable. Je crus mourir. Ou pire. Parce que ma mort avait été moins douloureuse que ce que Meriel m'infligeait. J'aurais préféré me faire tirer dessus que de continuer ce supplice.
Et puis, aussi vite que ça avait commencé, ce fut terminé. Mon souffle soulevait toute ma poitrine tant il était difficile et tout mon corps était engourdi. Meriel s'effondra à côté de moi, de la sueur sur le visage.
- Je t'ai rafistolé. Ce n'est pas du grand art et il faudra qu'une Vertu repasse derrière mais ça attirera moins l'attention.
- Merci, soufflai-je, à peine audible.
- Tu m'en dois une grosse, Rahel. Et surtout, tu me dois des explications sur ce qui vient de se passer.
- D'abord, nous devons tous nous reposer, intervint Daphiel. Nous quatre, nous allons remonter. Toi, tu vas repartir avec ton protégé et te reposer. Nous viendrons discrètement te retrouver plus tard.
Je hochai la tête et me hissai sur mes genoux. Ma tête tourna violemment, mon estomac se souleva. Seule la main de Meriel m'empêcha de tomber tête première dans l'herbe. Il se releva et m'aida à faire de même, me laissant le temps de me stabiliser. Cette attitude ne lui ressemblait pas. Je ne fis aucun commentaire, cependant. Je ne tenais pas à réveiller son insupportable personnalité.
L'escalier vint les chercher et ils me laissèrent là, avec mon protégé, au milieu des corps et d'un incendie dont je réalisais seulement l'existence. L'arbre foudroyé n'avait que la première victime. Les maisons avaient été frappées aussi et, elles, avaient pris feu. Le quartier tout entier devenait un brasier.
Je récupérai mon épée qui était toujours à côté de mon protégé, et forçai ce dernier à me suivre. Je ne cherchai pas à répondre à ses questions. Il en avait énormément. J'étais bien trop fatigué pour tenter d'y répondre.
Il comprit rapidement qu'il fallait que nous partions le plus loin possible du carnage car il arrêta une voiture avant qu'elle n'entre dans le quartier et lui demanda s'il pouvait l'emmener jusqu'à Denton, ce que la pauvre femme accepta. Elle ne semblait pas rassurée mais Beahan monta à l'arrière et s'effondra contre la portière. Ça ne devait même pas être sur son trajet mais l'allure et les supplications de mon protégé l'avaient fait céder. Pour la calmer, il lui mentit, inventant une histoire de famille désastreuse où il avait fini à la porte. Elle prit pitié de lui, tenta d'en savoir plus.
- Disons qu'être bi au Texas, ce n'est pas chose facile, dit-il.
Aussitôt, elle s'étala dans son soutien, laissant entendre qu'elle connaissait des « gens comme lui » et qu'elle était de tout cœur avec eux et qu'un temps viendrait où ils seraient acceptés et que ça n'aurait plus rien d'une anomalie dans aucune culture.
Mon protégé ne chercha pas à lui répondre, somnolant contre la vitre.
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NdlA : alors, les amis ? Qu'est-ce que vous en pensez ? Quelles sont vos théories ?
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