Chapitre 22
Beahan ne resta pas longtemps à l'hôpital. Je n'osai pas m'approcher de la sorcière. Je redoutais de déclencher quelque chose de néfaste chez elle. C'était idiot puisque je m'étais assis au bord de son lit plus d'une fois mais désormais le risque de la toucher m'angoissait. J'ignorais ce qui pouvait se passer.
- Il faut que tu te réveilles, Ava. J'ai jamais eu plus besoin de toi. Je comprends rien à ce qui se passe. Elsie a été comme possédée et je ne sais pas ce qu'il s'est passé. Tu es la seule qui pourrait m'aider, Ava. Je ne sais pas quoi faire. Je vais aller à l'adresse que ton pendule a trouvé. J'espère trouver quelque chose là-bas. Je sais que c'est risqué mais je n'ai pas le choix. C'est la seule piste qu'il nous reste. Je serais prudent, je te le promets.
Il déposa un baiser sur son front avant de se résoudre à partir. Je lui emboîtai le pas. Je devais m'admettre aussi perdu que lui. J'avais vu ce qui était arrivé à Elsie. Je l'avais provoqué. Juste en posant mes mains sur elle. Je n'avais rien fait de particulier et pourtant... Le résultat avait été soudain, violent, terrifiant.
Il me fallait des réponses. Il fallait que j'en parle à Ariel. Ce qu'il s'était passé n'était pas anodin. C'était quelque d'inhérent à ma fonction, à ce que j'étais devenu. Je n'avais pas la moindre idée de ce qu'il s'était réellement passé. L'avais-je exorcisée ? Avais-je brisé un sort ?
Je décidai d'aller exiger des réponses dès que mon protégé fut collé devant son écran d'ordinateur. Il ne risquait pas de sortir de la maison jusqu'au lendemain. Je le connaissais assez pour le savoir. Il pouvait se montrer impulsif mais pas quand il avait des recherches à faire.
Je plaçai les sceaux, priai Rikbiel et montai aux Cieux. J'esquivai mon chef de dortoir et gagnai le bureau d'Ariel. Je beuglai sur les anges que je croisai pour qu'ils m'indiquent la bonne direction. Aussitôt, la mer angélique s'écarta pour m'ouvrir un passage droit vers ma destination.
Je frappai – tambourinai, pour être exact – à la porte du bureau de mon chef jusqu'à ce qu'il ouvre violemment la porte. Je forçai le passage à l'intérieur.
- Je peux savoir ce que tu crois faire ?! beugla Ariel.
- Quand vous m'aurez expliqué ce que c'était !
- De quoi est-ce que tu parles ?!
- Je ne suis pas crétin, vous savez. Je sais que vous savez tout ce qu'il se passe durant les missions des gardiens de votre secteur. Je sais que vous savez ce qu'il s'est passé dans ce fast-food et je veux que vous me disiez ce que c'était !
- Depuis quand te crois-tu avoir le droit d'exiger quoi que ce soit de moi ?
- Depuis qu'une humaine a failli me clamser entre les doigts parce que je l'ai touchée !
Le visage d'Ariel se vida de toute couleur. Il me contourna pour aller s'affaler dans son siège. Il posa ses coudes sur son bureau, enfouit ses doigts dans ses cheveux. Ma colère se calma quelque peu à voir sa réaction. Je ne m'étais pas attendu à un tel désarroi. Pour peu, je pourrais croire qu'il s'y attendait mais qu'il aurait préféré se tromper.
- Qu'est-ce que c'était ? répétai-je. Pourquoi dès que je l'ai vue ai-je eue envie de la toucher ?
- Parce que j'avais raison sur toi. Tu t'es toujours demandé pourquoi tu es devenu un ange, n'est-ce pas ?
Je hochai vaguement la tête. Quel rapport y avait-il avec ce dont j'étais venu lui parler ?
- Toutes les âmes dont les corps humains viennent de mourir se répartissent entre quatre endroits distincts. Les plus viles deviennent des mauvais esprits et descendent en Enfer.
Les spasmes dans ses jambes firent écho à mes frissons sur chaque mot.
- Les plus pures montent ici, aux Cieux, et sont réparties sur divers postes. Les autres sont jugées et réparties entre le Purgatoire et les Limbes. Le Purgatoire reçoit tout les... rebuts, si je puis dire. Tout ce qui ne sera pas utile à l'Enfer mais ne peut atteindre ni les Limbes ni les Cieux. Les autres âmes qui sont trop faibles ou pas assez pures pour les Cieux vont dans les Limbes.
- Jusque là, je suis. Mais quel rapport y a-t-il... ?
Ariel leva une main pour m'interrompre.
- Parmi toutes ces âmes, on peut parfois trouver des exceptions. Des âmes rares dont on ne sait pas forcément quoi faire sur le moment.
- Si vous me dîtes que...
- Oui. Tu étais l'une de celles-là. De part la vie que tu as menée, tu as toujours cru que tu étais du mauvais côté de la ligne mais tu avais tort. Si tu regardes ta vie humaine avec objectivité, tu pourras te rendre compte que tu n'as jamais rien fait de mal. Tu as passé ton temps à fuir, à vivre dans la misère, à payer pour une faute qui n'était pas la tienne. Tu as souffert durant de longues années à cause de ton frère.
- J'ai volé, j'ai menti, j'ai blessé...
- Pour survivre. Nous avons beau suivre la parole de notre Père à tous, nous ne sommes pas ignorants des exigences de la vie humaine. Nous sommes des êtres de paix et de lumière mais nous conservons un instinct de conservation. Si notre vie est menacée, nous lutterons pour la sauvegarder.
- Vous pouvez mourir ?
- Rien ne peut mourir. Les âmes humaines continuent à vivre, quel que soit l'endroit où elles atterrissent. Quant à nous, nous... renaissons. Nous passons par un cycle semblable à ce que les humains appellent la résurrection. Nous disparaissons jusqu'à ce que l'énergie céleste nous reconstruise.
Il m'abreuvait de tant d'informations qui n'avaient pas été dites dans mes cours d'ange gardien que je commençais déjà à saturer.
- Pour en revenir à ton cas, tu n'ignores pas que, depuis le début, il est spécial. Nous ne savions pas où te mettre. Au final, c'est l'Archange Gabriel qui a choisi.
Je tentai de replacer Gabriel sur l'organigramme. Je savais qu'il était très haut donc dans la première Sphère, juste en dessous de « notre Père à tous », comme disait Ariel.
- Il a transmis la sagesse de notre Père à l'Archange Cassiel qui a mis fin au problème en décidant de faire de toi un gardien.
Mon attention remonta en flèche. Baskiel m'avait parlé de Cassiel. L'archange qui faisait une enquête parmi les gardiens. Qui cherchait quelque chose de précis qui avait lien avec ce que traquait mon protégé.
Ariel se pencha vers moi et me regarda droit dans les yeux.
- Tu ne dois parler de ce que je vais te dire à personne, tu m'entends ? Nous pourrions tous deux mal finir si quiconque apprend que je t'ai parlé.
- Je ne dirai rien, promis-je.
Il hésita malgré tout. Il ne s'était pas encore totalement résigné à me dire ce qu'il se passait vraiment.
- L'Archange des Trônes m'a donné une mission spéciale à mettre en place en toute discrétion. Personne ne doit rien savoir. Il a choisi tous les opérateurs de cette mission dont je ne suis qu'un opérateur. L'élément principal, c'est toi.
- Pardon ?
- Tu n'as pas manqué de remarquer que ta mission n'est pas faite pour un novice. Ce n'est pas innocent. L'Archange Cassiel m'a demandé de te mettre sur ce cas en particulier car il avait des soupçons sur des événements qui se sont produits sur Terre et qui sont directement reliés aux Cieux.
- Alors j'avais raison ? Ce n'est pas un sorcier mais bien des dé...
Je m'interrompis avant la fin du mot.
Ariel acquiesça.
- L'archange ne m'a rien dit directement mais j'ai rapidement fait mes déductions. Des êtres d'en-bas sont sortis de leur cage. Or, les Puissances continuent d'assurer que c'est impossible et qu'il n'y a aucun être de ce genre parmi les humains.
- Cassiel pense donc que quelqu'un ment.
- En effet. Sauf qu'il fait partie des Trônes et qu'il ne peut pas accuser quiconque sans avoir des preuves. C'est là que tu entres en jeu. Il a repéré cette affaire sur laquelle ta charge travaille et t'a choisi pour ramener les preuves dont il a besoin.
- À cause de mon âme ?
- Les âmes comme la tienne ont des... prédispositions à sentir le Mal.
- D'où le fourmillement dans les mains.
- En effet.
- Et Cassiel a cru qu'il réussirait à se servir de moi sans que je comprenne que je n'avais pas affaire à un simple sorcier ? Que je n'allais pas poser de questions ?
Ariel se renfonça dans son siège, un poids disparu de ses épaules. Avoir pu parler de ce qu'il se passait le soulageait car, désormais, nous partagions tous les deux le poids du secret. Il me faisait confiance pour ne rien dire et je me fiais à lui pour me dire la vérité. Ce court silence qui suivit ma question me laissa sentir combien les choses avaient changé entre mon chef et moi.
- Les Archanges et, plus généralement, les anges n'ayant jamais été humains, ont tendance à... ignorer comment le cerveau des mortels fonctionne. L'Archange Cassiel étant un Trône, il est au plus près de notre Père et son contact avec les âmes humaines est très rare. D'où ses... je ne sais pas si l'on peut réellement appeler cela des erreurs. Disons plutôt des manques de jugement.
- Assez ironique pour un Trône, ne pus-je m'empêcher de dire.
Ariel émit le tout premier sourire que je lui ai jamais vu. C'était une vision qui me laissa abasourdi. J'allais devoir revoir mon avis sur lui. Finalement, il était capable d'autre chose que de hurlements.
- Qu'ai-je fait à cette humaine, alors ?
- Tu as renvoyé un démon mineur en Enfer. Ce que tu as fait n'est pas faisable par tous les gardiens. Ton âme est si pure que tu as su instinctivement quoi faire. Pour d'autres, c'est impossible. Toutefois, cette capacité est limitée. Elle ne fonctionne que sur des âmes démoniaques qui te sont égales ou inférieures.
- Comment suis-je censé faire mon travail, dans ce cas ? Parce que ce qui traque mon protégé, ce ne sont pas des âmes démoniaques mineures.
Mon chef se leva et partit fouiller dans un vieux coffre usé. Ses ailes dorées me firent plisser les yeux tant elles étaient lumineuses. Je ne les avais jamais vues rayonner autant.
- J'avais beaucoup trop de questions et déjà beaucoup tropd'informations à assimiler.
- J'en ai appris un peu plus sur ce qu'il se passerait sur Terre. Assurément, des démons puissants sont sortis de l'Enfer mais ce n'est pas la seule chose à laquelle tu vas devoir faire face. Je ne t'ai pas menti lors de ton dernier passage. Il y a bien un puissant sorcier qui travaille avec eux. Son nom te dira peut-être quelque chose.
Il se tourna vers moi, quelque chose dans les mains enrubanné dans un drap de velours couleur de bronze.
- Aleister Crowley. Ce nom te parle-t-il ?
- Je crois l'avoir déjà entendu quand j'étais encore humain.
- C'est un puissant sorcier. Il était vu comme un monstre durant sa vie. Il était par ailleurs surnommé La Bête. De ce que j'ai pu apprendre sur sa vie, il n'était pas réellement mauvais. Ses pratiques n'étaient pas orthodoxes, assurément. Toutefois, il était plus provocateur que foncièrement mauvais. Sa damnation est due à sa pratique de la magie sexuelle, majoritairement. Il n'en demeure pas moins que je n'ai rien trouvé lui attribuant d'horribles crimes qui auraient été en accord avec l'archétype du sorcier noir.
- Pourquoi travaillerait-il avec les démons, dans ce cas ?
- Ils ne doivent pas lui avoir donné le choix. La luxure est un péché capital. Le choix de Crowley n'a rien d'irréfléchi. J'ai l'intime conviction qu'Asmodeus est derrière tout cela. Ce moment avec cette humaine ne fait que m'en convaincre.
- Pourquoi cela ?
- Le démon mineur que tu as chassé, je pense que c'était Aesma. Il est souvent considéré comme l'autre nom d'Asmodeus alors qu'ils sont bel et bien deux entités différentes. Asmodeus est un Prince de l'Enfer tandis qu'Aesma n'est qu'un sous-fifre. Son but est de semer la discorde et de pousser les humains à commettre des actes qui damneraient leurs âmes.
- D'où ces jeunes qui tuent à cause de ces rituels.
- Je le pense, en effet. Je doute que ce soit tout. J'ai l'intime conviction qu'il y a encore beaucoup de zones d'ombres dans cette affaire. Et tu devras les découvrir.
- Comment ?
- En remplissant ta mission. Protège ta charge. Aide-le à trouver le chemin menant à Crowley. Je n'ai pas l'impression qu'il se doute que tu es plus qu'un simple gardien pour ta charge.
- J'ai une question avant qu'on continue sur ce sujet.
- Oui ?
- Il y a un traître parmi les anges, pas vrai ? Si toute cette activité démoniaque n'a pas été rapportée, c'est qu'il y a un traître, non ?
- C'est en effet ce que pense l'Archange Cassiel. C'est aussi un côté de l'affaire dont tu n'as pas à t'occuper. Concentre-toi sur ta mission. Récolte des preuves et garde ta charge en vie jusqu'à ce que toute cette affaire soit terminée.
Il poussa vers moi ce qu'il avait été cherché dans son coffre. Du menton, il me fit signe de le prendre. Prudemment, je tirai l'objet vers moi en prenant soin de garder une couche de velours poussiéreux dans les mains et ne pas avoir de contact direct avec ce qu'il y avait à l'intérieur. Je déroulai l'épais velours pour découvrir ce qui s'y cachait.
C'était une longue épée. Elle semblait faite de lumière céleste, celle-là même qui me brûlait les yeux dès que je remontais de la Terre. Pourtant, elle était solide et je pus enrouler mes doigts autour de la garde exactement comme si elle était solide.
Je pus sentir l'énergie qui émanait d'elle vibrer dans ma main et remonter dans mon bras. Elle était comme vivante, un pouls résonnant dans mes os.
- Ces lames sont très rares, énonça Ariel. Elles ne sortent de l'armurerie que lorsqu'une menace est reconnue sur Terre et que les anges ont besoin de protection. Les gardiens ne sont jamais armés mais, parfois, des subalternes des Puissances descendent sur Terre pour protéger les gardiens et pour chasser la menace. Ce n'est pas arrivé depuis des millénaires mais j'ai été récupérer cette lame parce que je sentais qu'elle allait être nécessaire. Je ne pensais pas te la donner directement mais c'est préférable à envoyer quelqu'un d'autre pour vous aider, ton protégé et toi.
Je regardai mon chef, surpris. Lui ? Désireux de me protéger ? J'avais du mal à y croire. Ça ne ressemblait pas au Ariel que je connaissais. Ce n'était pas pour me déplaire. C'était juste... inhabituel de sa part.
- Personne ne sait que j'ai cette arme si ce n'est le Gardien des Armes. Alors ne te la fais pas prendre, ne la perds pas et ne dis à personne que tu l'as.
Je hochai la tête en replaçant l'épée dans son écrin de velours. J'étais encore sonné de toutes les informations qu'il venait de me donner et de toute l'énergie de l'épée. Pour la première fois depuis longtemps, je me sentais fatigué.
- Tu ne dois pas utiliser cette lame plus que nécessaire. Elle n'est pas faite pour une âme humaine. Même une aussi pure que la tienne. Et plus que tout, tu dois être reposé pour l'utiliser. Je vois déjà sur ton visage que le simple fait de la tenir t'a épuisé.
- Qu'est-ce qui va se passer si je suis fatigué en m'en servant ?
- Tu risques de dissoudre ton âme. Ce genre d'arme n'est pas destiné aux gardiens. Seuls des êtres entièrement angéliques peuvent les manier comme n'importe quelle arme. Si j'ai choisi cette lame en particulier, c'est parce que, rien que pour battre Crowley, tu vas en avoir besoin. Il a beau être un sorcier, il n'en demeure pas moins essentiellement un démon désormais. Un très puissant. Que tu ne pourras pas affronter sans ceci.
Il poussa à nouveau la lame enrubannée de velours vers moi.
- Prends ceci et retourne auprès de ton protégé. Repose-toi. Et essaie de ne plus débarquer ici comme tu l'as fait. Nous ne voulons pas attirer l'attention.
J'opinai du chef et me levai. Je pris prudemment l'arme. Il allait falloir que je trouve un moyen de la balader sans la sortir du velours qui me protégeait.
Ariel se dressa à son tour et repartit dans son coffre.
- Je pense que ça te sera plus pratique que de l'avoir sous le bras. J'ignore si elle sera à ta taille. Ce n'est pas la mienne.
Je pris l'étui en épais cuir usé.
- Je trouverai bien un moyen de m'arranger, assurai-je.
Mon chef hocha la tête et nous séparâmes dans un silence malaisé. Nous ne savions pas exactement nous comporter lorsque nous ne criions pas dessus. Autant je pouvais gérer un supérieur agissant comme un ange normal, autant c'était bizarre lorsqu'une telle occurrence survenait avec Ariel.
Le seul moyen pour moi de dissimuler tout ce que m'avait prêté Ariel fut... de piquer un sprint vers la Salle des Descentes. Personne ne fut ravi mais personne ne fit attention à ce que j'avais dans les bras. Rikbiel me fit redescendre et j'arrivai droit dans le bureau de mon protégé.
Je roulai des yeux en le voyant. Il s'était totalement effondré sur son clavier, ses lunettes tordues en travers de son visage, un message d'erreur sur l'écran accentuant les ombres sur son profil. De longs soupirs s'échappaient de sa bouche entrouverte. Aucune bave ni ronflement pour entacher le tableau.
Je déposai ma nouvelle arme et son étui sur un coin du bureau et me laissai tomber sur le sofa qui prenait la poussière au milieu des livres et des cartons débordants de pochettes cartonnées et de feuilles volantes. C'était le moment pour moi aussi de prendre un peu de repos. Je n'avais pas tellement envie de me dissoudre si jamais je venais à devoir brandir cette lame.
Un dernier regard vers mon protégé et je laissai le sommeil m'avaler.
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NdlA : Beaucoup d'informations dans ce chapitre ! Je me demande ce que vous allez en faire ! Comment vont-elles faire évoluer vos théories ? Ah ! Je suis curieuse ! Dites-moi tout en commentaire !
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