Chapitre 20

La température du bureau chuta de nombreux degrés. Ils se regardèrent en chien de faïence, l'incrédulité de mon protégé juste étalée sur son visage. Il ne fallut pas longtemps pour que la peur commence à prendre le dessus. Je posai mes mains sur ses épaules pour tenter de le rassurer.

- Vous êtes venu. Je m'en souviens parfaitement.

- Je peux vous jurer que non. Ça doit être quelqu'un qui s'est fait passer pour moi. Si j'étais venu chez vous, je ne chercherais pas à m'en cacher.

- À moins que vous ayez un jumeau, c'était vous.

- Je n'ai que des sœurs.

Les certitudes des deux hommes étaient contraires et pourtant, aucun des deux ne voulait lâcher de lest.

De mon coté, j'avais une vue totalement différente du problème. Je savais que Blueminster était venu chez Beahan. Sauf que l'officier ne mentait pas en disant qu'il n'était pas venu. Ce qui signifiait que l'officier qui était venu était un faux.

Ce qui insinuait que le sorcier pouvait transformer son apparence. À moins qu'il n'utilise la même technique que les anges et puisse changer d'apparence. Ça me paraissait peu probable. C'était sûrement plus simple. Un sort quelconque qui lui permettait de prendre l'apparence de quelqu'un ou de faire croire aux gens qu'il n'était pas lui.

Je ne pus que penser à Doran Ohver. Se pouvait-il que ça soit le sorcier ? Non. Ça n'avait aucun intérêt. Sans compter ce qu'avait dit la femme. Qu'ils avaient gâché un bon élément en l'envoyant encastrer sa voiture dans celle de Beahan. Donc ce n'était pas le sorcier mais un subalterne.

Un sorcier pouvait-il avoir des subalternes ?

À moins qu'il ne s'agisse d'un coven. L'un de ces conglomérat de sorciers et de sorcières qui se réunissaient autour d'une pratique ou d'une idéologie commune. Ça serait en accord avec les diverses occurrences.

Malheureusement pour moi, c'était le domaine d'Ava. Elle devait s'y connaître plus que n'importe qui dans notre équipe de bras cassés. Il fallait qu'elle se réveille.

- Je vais mener mon enquête sur cette visite à votre domicile, finit par céder Blueminster. Pour l'instant, vous allez me dire ce que vous avez découvert en détails et je compléterais avec mes informations.

- Vous savez que je vais continuer à poster sur mon site l'avancée de l'enquête ?

- Je m'y suis préparée. La hiérarchie ne va pas être ravie mais vous êtes la seule personne qui a travaillé ce dossier en profondeur et avec ce nouveau cas, nous ne pouvons pas nous permettre de perdre du temps. Évidemment, certaines informations devront demeurer confidentielles.

- Évidemment, répéta mon protégé.

- De plus, j'ai été jeter un œil sur votre site et des milliers de personnes le lisent. C'est une prévention bien plus directe et efficace que celle que nous pourrions faire. Nous allons donc en venir un compromis sur les informations que vous dévoilerez. Je ne compte pas vous brider, assura-t-il, coupant la protestation de Beahan, mais vous devez comprendre que certaines informations ne doivent pas se trouver sur Internet.

- Je fais ce job depuis le lycée, officier. Je sais ce qui doit et ne doit pas apparaître dans mes articles. Si je donne des noms, j'ai toujours l'accord des familles ou des personnes concernées. Si je poste des rapports ou des photos, c'est qu'ils sont disponibles sur Internet et que le citoyen lambda peut y avoir accès. Je fais exactement le même travail que vous mais avec des moyens différents et un point de vue autre.

- Je ne vais pas prétendre être entièrement d'accord avec ça. Ce n'est pas le soucis. Pour l'instant, si nous reprenions depuis le début ?

Mon protégé acquiesça et commença son récit. Ils en avaient pour un moment. C'était l'occasion parfaite pour moi de m'éclipser pour aller voir Baskiel. Je dissimulai mes sceaux et filai vers un bosquet que j'avais remarqué sur la route. S'il y avait d'autres gardiens aux alentours, ils ne devraient pas nous remarquer.

Je me concentrai sur Baskiel, dégingandé avec une touffe de cheveux bruns sur le sommet du crâne.

Baskiel. Baskiel !

Je pus sentir la connexion s'établir. Je dus attendre un petit moment avant que l'escalier ne le dépose à quelques mètres de moi.

- J'ai fait aussi vite que j'ai pu, me dit-il, essoufflé. Wotiel me devait une faveur et j'en ai profité pendant que Rikbiel avait le dos tourné.

- Qu'est-ce que tu as appris ?

- Pas mal de choses, à vrai dire. Un Trône a été vu visitant de nombreux bureaux. Il a même interrogé certains gardiens à propos de leurs missions. J'ai tenté de savoir pourquoi. Peu ont accepté de parler.

- Mais encore ? m'impatientai-je.

- Une jeune gardienne qui travaillait au Canada a accepté de me parler si je restais discret. Ce Trône, ce n'est pas n'importe qui, Rahel. C'est un archange. Le Prince des Trônes. Cassiel.

- Pourquoi un archange viendrait parler à des gardiens ?

- Parce qu'il se passe des choses bizarres sur Terre. Nous sommes plus nombreux que je ne le croyais à voir ces choses dont je t'ai parlé. Je crois que les Trônes sont en pleine enquête à cause de ça.

- Est-ce que tu sais ce que sont ces choses ?

- Aucune idée. Personne ne le sait. Je ne sais pas si les Trônes eux-mêmes le savent. Mais pour qu'ils s'en mêlent, ça doit être grave.

Il n'avait idée à quel point. Les Trônes ignoraient-ils que ces choses tuaient ? À moins que ce soit la raison pour laquelle ils avaient commencé leur enquête ?

- C'est tout ce que j'ai appris. J'espère que ça t'aide.

- Ça m'aide beaucoup, lui assurai-je.

Il m'offrit ce large sourire niais dont il avait la spécialité. Je le laissai repartir et, une fois que l'escalier eut disparu, je retournai dans le poste de police. Ces endroits échappaient à la logique. Les policiers étaient plus en danger que la majorité des mortels. Or, il y avait toujours très peu de gardiens dans les postes et quand ça arrivait, c'était qu'il était là pour une victime, pas pour un policier. C'était quelque chose que je ne comprenais pas.

Toutefois, ce n'était là qu'un détail face à ce que venait de me révéler Baskiel. Les Trônes faisaient partie de la première Sphère. Les gardiens n'étaient pas censés avoir le moindre contact avec eux. Nous étions tout en bas de l'échelle et eux, tout en haut. S'ils se mêlaient à nos affaires, ça ne pouvait rien être de bon. Ils s'occupaient de toute la justice céleste. Donc, c'était grave. Très, très grave.

Il ne pouvait pas s'agir d'un seul sorcier noir surpuissant. Un seul sorcier ne pouvait pas agir sur une telle zone. C'était trop grand. C'était impossible qu'une seule personne puisse faire autant de dégâts. Et si jamais ça l'était... Je n'osais imaginer ce que ça impliquait.

Mon protégé n'avait pas bougé de son siège lorsque je revins. Je récupérai mes sceaux et m'approchai du duo pour m'intéresser à ce qu'ils se racontaient.

- Très bien, très bien ! s'exclama Blueminster. Vous serez considéré comme consultant ! Mais vous n'irez pas sur le terrain avec nous.

- Je n'y comptais pas. Depuis que je travaille sur ces enquêtes, je me suis rendu compte d'une chose : il est parfois plus facile de ne pas être flic pour obtenir des informations.

Ça ne parut pas plaire à l'officier qui ravala sa fierté difficilement et s'empêcha de rétorquer. Il n'oserait jamais admettre que Beahan n'avait pas entièrement tort. Après tout, lui avait obtenu des informations de la part des amis de Prenell et d'Emelie, contrairement aux policiers. Ça l'avait amené à quelques révélations. Pas du genre qu'il pouvait partager avec quelqu'un d'aussi rationnel et terre à terre que Blueminster, certes.

Une dizaine de minutes plus tard, mon protégé sortait du poste avec la victoire inscrite sur le visage. Il partit à pied vers le Mercy Hospital où était traitée Ava. Il m'apparut songeur.

Ça devait faire beaucoup de développements à gérer. Entre ce qu'il s'était passé avec sa meilleure amie et maintenant avec Blueminster, il ne devait plus savoir comment concilier les deux pans de son enquête. Parce que j'avais assez appris à le connaître pour savoir qu'il n'avait pas dû parler de l'aspect ésotérique, occulte qu'avait pris son investigation. Il n'était pas idiot. Il avait conscience que ça serait le meilleur moyen de se faire discréditer.

Il pénétra dans l'hôpital et partit directement vers la chambre de la sorcière sans passer par l'accueil. Il n'obtint aucune nouvelle. Ava semblait toujours inconsciente, en tout cas. Son énergie stagnait, bloquée par son coma. Elle était toujours là mais comme... prise au piège. Se pouvait-il qu'elle soit possédée ? Que le sort du sorcier l'ait enfermée dans cet état ressemblant à la possession.

Beahan ferma la porte, nous isolant du reste du monde. Il alla s'asseoir à côté de sa meilleure amie et prit sa main sans pour autant la regarder.

- Je vais aller à l'adresse que le pendule a trouvée, énonça-t-il soudainement. Je ne l'ai pas donnée à Blueminster parce qu'il aurait voulu savoir comment je l'avais obtenue et je n'aurais pas pu lui dire. Je vais essayer de trouver un Uber pour y aller demain. Je crois qu'il est temps qu'on augmente la cadence.

Je ne pouvais qu'être d'accord avec ça. La situation devenait critique. Il était devenu une cible. Sa meilleure amie était dans le coma. L'officier avec lequel il allait travailler ne se souvenait pas être venu chez lui. Il y avait deux explications possibles, tous deux aussi redoutables : la possession ou le glamour. J'ignorais laquelle était la plus préférable. D'un côté ou d'un autre, nous en revenions au même point : la chose avait fait face à mon protégé.

Avec ce que j'avais appris grâce à Baskiel, j'en avais la chair de poule.

- Je n'ai aucune idée de ce à quoi on va devoir faire face alors je vais avoir besoin de toi, poursuivit Beahan. Tu dois en savoir plus que moi et tu seras mon seul coéquipier. Si je dois y aller... Je dois savoir que je ne serais pas tout seul. Parce que...

Il hésita. Il pressa les talons de ses mains contre ses yeux.

- J'ai enquêté sur des dizaines de cas. Des femmes disparues, des meurtres, des empoisonnements... Je savais à quoi je faisais face. Des humains. Aucun d'entre eux n'était très net mais ça n'était rien que je sois incapable de comprendre. C'étaient des êtres tangibles, de chair et de sang. Mais là... Là, c'est... Je ne sais pas ce que c'est. J'en ai aucune foutue idée et...

Les mots bloquèrent à nouveau dans sa gorge. Je lui donnai le temps de trouver comment s'exprimer ou le courage de le faire. Il avait besoin d'admettre ce qu'il ressentait. Ça ne pourrait que l'aider et le renforcer.

- Je suis mort de trouille, murmura-t-il. Je crève de trouille...

Prononcer ces mots parut le libérer d'un poids. Il avait enfin admis qu'il avait peur. Le contraire n'aurait pas été sain. Il faisait face à trop de choses pour ne pas ressentir le moindre sentiment d'effroi. Si j'avais réussi quelque chose, c'était de le pousser à faire face à ses émotions. C'était un grand pas. D'accord, il devait le faire en étant seul dans une pièce mais, au moins, il les affrontait.

- Alors je... je ne saurais pas le faire seul. Surtout sans quelqu'un qui connaisse le sujet.

Il n'avait pas besoin de savoir que j'en étais au même point que lui si l'on exceptait la peur. Aller à l'adresse donnée par le pendule ne m'effrayait pas plus que ça. La seule chose qui provoquait une pointe d'inquiétude en moi était de savoir que mon protégé serait à portée du danger. D'un danger dont j'avais connaissance mais dont je ne connaissais ni les tenants ni les aboutissants.

- J'aurais préféré ne pas y aller, pour sûr. Cependant, j'étaisréaliste. Lui autant que moi avions besoin de réponses. Cette choseavait un rapport avec l'enquête des Trônes. Qu'un archange soitimpliqué n'était pas une bonne nouvelle. Cette chose étaitpuissante et je serais incapable de me défendre contre elle. Si lesorcier était encore là-bas, comment allais-je pouvoir protégerBeahan contre lui ?

La porte s'ouvrit doucement et une jeune femme pénétra dans la chambre. Elle était évanescente mais fière dans son port de tête, dans ses mouvements faussement délicats. Un sourire effleura ses lèvres roses lorsqu'elle vit Beahan. Ses yeux bruns ourlés de faux cils passèrent plus sur le corps de mon protégé que sur la scène en elle-même.

- Salut, Declan, ronronna-t-elle.

- Emily.

Il se montra étrangement froid avec elle. Elle ne parut pas perturbé par son attitude. Elle s'approcha de lui. Il croisa les bras et s'enfonça dans son siège.

- Qu'est-ce que tu fiches ici ?

- J'ai appris pour Ava. Je me suis dit que tu aurais besoin de soutien.

- Va-t-en, Emily. Je ne sais pas ce que tu crois faire mais je ne veux pas en faire partie.

- Declan... J'ai fait des erreurs, je le sais. Ne pourrais-tu pas me donner une seconde chance ? Je suis sincèrement désolée pour ce qu'il s'est passé.

- Non. Alors barre-toi. Je ne supporte plus de te voir. Je peux plus. C'était impardonnable, ce que t'as fait. Tu nous as tous trahis.

- Ce n'était pas ce que je voulais. Je voulais juste t'aider, te montrer que tu pouvais faire mieux que ce blog.

- Sauf que, tu vois, ce blog paie mes factures maintenant.

Il se leva pour lui faire face. Il la surplombait, intimidant et d'une très sale humeur. Je ne l'avais jamais vu dans un tel état. C'était différent de lorsqu'il m'avait hurlé dessus à cause de sa meilleure amie. Il avait été furieux mais pas menaçant. Pas comme ça. Cette Emily lui avait fait du tort et il n'avait rien oublié ni pardonné.

- Tu n'es qu'une menteuse et une manipulatrice, Emily. Tu disais m'aimer mais tu n'aimes que toi-même et ce qui sert ton intérêt. Or, après le lycée, je n'avais plus aucun intérêt, pas vrai ? Je n'allais pas à l'université, je ne gagnais pas des milliers de dollars par mois... Je n'étais même pas connu des milieux qui plaisaient à mademoiselle. Je n'étais plus qu'un loser, pas vrai ?

Il avait craché le mot avec tant de venin qu'Emily recula d'un pas et détourna le regard. Je n'aurais pas pensé qu'il avait un tel charisme en lui. Je devais m'avouer saisi. Il ne se montrait jamais aussi impressionnant. Je l'avais vu patient, convainquant, timoré... Jamais charismatique.

- Declan...

- Non ! Tu as tenté de détruire mon site et tout ce que j'avais accumulé pour défendre ton amant ! Il a rendu le cousin de Lizzie paraplégique parce qu'il a pris la voiture totalement ivre ! Et toi, tu as préféré défendre cette enflure plutôt que ton amie ! Plutôt que ton petit ami !

- J'ai essayé de t'expliquer que...

- Je m'en fous, de tes explications ! Rien ne pourra rendre acceptable ce que tu as fait. Rien. Alors maintenant, tu t'en vas ou j'appelle la sécurité de l'hôpital.

Elle ouvrit la bouche pour tenter une nouvelle fois de faire passer son message mais le regard implacable de mon protégé l'arrêta. Elle baissa la tête et relâcha un souffle.

- Très bien, je m'en vais. Mais crois-moi quand je te dis que ce site finira par te tuer.

Elle tourna les talons et disparut quelques secondes plus tard. Un mauvais pressentiment me prit par surprise. Les mots d'Emily résonnèrent longtemps après son départ à la manière d'un glas sinistre qui ne laissait rien présager de bon.

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NdlA : que va-t-il se passer lorsque Declan ira à l'adresse du pendule ? Que s'est-il passé avec Blueminster ? Avec Ava ? MAIS QUE SE PASSE-T-IL ?!

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