Chapitre 18

Le diagnostic aurait pu être pire. En tout cas, j'essayais de m'en convaincre. Pour sûr, la sorcière n'allait pas en mourir. De ça, les médecins étaient sûrs. Toutefois, ils ignoraient pourquoi elle ne se réveillait pas. Comme il n'y avait eu personne pour leur expliquer ce qu'il s'était passé, ils devaient y aller à l'aveugle. Ils ne comprenaient déjà pas comment les secours avaient pu recevoir cet appel en sachant que Ava était inconsciente...

Mon seul soulagement était que ça n'était pas Blueminster qui s'était présenté à l'hôpital pour poser les questions de routine.

Il fallut attendre longtemps avant que Beahan soit seul dans la chambre d'hôpital de sa meilleure amie. Sa fureur n'avait pas faibli depuis l'instinct où j'avais réussi à l'alerter à travers son téléphone portable. Que j'avais failli faire griller aussi. Je n'avais rien attendu de moi mais ça ne me plaisait pas pour autant. Je n'avais pas voulu ça. Elle ne m'avait pas dit que c'était un risque ! Comment aurais-je pu m'attendre à ce qu'un pendule provoque un tel désastre ?

Le pire était que je ne pourrais pas me défendre. Il ne m'entendrait pas et ne comprendrait pas. Il allait falloir attendre que la sorcière se réveille pour nous permettre de communiquer. Si je tentais d'utiliser son téléphone, je doutais qu'il le supporte. La technologie n'était pas faite pour transmettre des messages célestes.

- Je sais que tu es là, siffla mon protégé.

Il regardait droit dans ma direction. Je pouvais voir ses poings serrés.

- Je sais pas ce que t'es mais je comprends pas pourquoi t'as fait ça. Elle avait confiance en toi ! Elle m'a persuadé que tu étais une bonne entité mais là...

- Je n'ai rien fait ! criai-je.

C'était stupide. Il ne pouvait pas m'entendre, peu importe combien je haussais le ton. Quoi que je fasse, il n'y avait aucun moyen de communiquer avec lui.

- Je ne sais pas ce que tu es en vérité mais il est hors de question que je continue à te laisser rôder. Je veux que tu te casses. Sinon, crois-moi quand je dis que j'irai chercher dans les bouquins d'Ava pour trouver un moyen de te mettre en pièces.

- Je vais finir par me vexer, à force, marmonnai-je.

Il fallait que cette idiote de sorcière se réveille et lui dise que ce n'était pas de ma faute. Parce que ça ne l'était pas, pas vrai ? Je n'avais pas voulu une telle chose. Je ne lui avais même pas demandé de faire ce truc avec son pendule !

Et pourtant, je me sentais coupable. Terriblement. Si je ne lui avais pas demandé son aide, ça ne serait pas arrivé. C'était bien pour ça que j'avais tenté de l'éviter mais qu'étais-je censé faire ? Je ne connaissais rien à la sorcellerie. J'avais besoin d'elle pour m'aider.

De plus, je ne pouvais pas tourner le dos à ma mission. Je ne pouvais pas remonter et avouer que j'avais échoué, que mon protégé ne voulait plus de moi dans les environs. Il allait falloir que je trouve un moyen de rester proche de lui sans pour autant qu'il ne s'en rende compte. J'ignorais s'il y avait quelque chose dans les livres de la sorcière qui pourrait l'aider à me chasser mais je n'étais pas prêt à tester ma chance.

Malgré tout, il allait falloir que je trouve un moyen de rester dans les alentours. Je ne pouvais pas le laisser tout seul. Pas avec cette menace – quelle qu'elle soit – tournant autour de lui. Mon devoir était de le protéger, de le garder en vie. Je n'échouerais pas. Qu'il essaie de me renvoyer aux Cieux ou non, je mènerais ma mission à bien.

Sa colère demeurait trop puissante pour que je reste dans la même pièce que lui. Je plaçai les sceaux dans la chambre d'hôpital avant de sortir dans le couloir. Je m'éloignai juste assez pour que ma présence soit dissimulée sans pourtant que je cesse de voir la porte de la chambre. J'allais prendre sur moi et rester à distance jusqu'à ce qu'il se calme. Voire jusqu'à ce que Ava se réveille. Je doutais que ça prenne encore longtemps. Ou, plutôt, je priais pour ça.

- Qu'est-ce que tu fais dans ce couloir ?

Je tressaillis et levai les yeux. Un jeune ange se tenait debout devant moi. Ses ailes semblaient presque trop petites pour son corps et une petite robe d'été orange. Elle ne devait pas avoir plus d'une dizaine d'années avec un joli visage aux grand yeux lumineux et un doux sourire. Elle était adorable. Le parfait petit ange.

Elle s'assit à côté de moi, ses longs cheveux tombant sur son épaule.

- Ça n'a pas l'air d'aller, continua-t-elle.

Je haussai les épaules. Je savais ce qu'elle était. Une Principauté. Pas comme Ariel. Plutôt comme ces superviseurs qui paraissaient si gentils que l'on avait envie de tous leur confier. Sauf que chacun de mes mots serait rapporté à Ariel et que, avec ce qui venait de se passer, j'allais finir avec les Cupidons.

- C'est quoi, ton nom ? questionnai-je simplement.

- Je m'appelle Barrattiel. Tu ne dois pas avoir entendu parler de moi. Je suis plutôt quelqu'un de discret.

Je n'avais aucun doute là-dessus. Toutefois, cette apparence n'était pas la meilleure pour attirer ma confiance. Tous les anges connaissaient l'art des apparences. Ce n'était pas pour rien que l'on nous disait que l'on pouvait choisir notre apparence lors de notre arrivée. Ça avait un but. Nous avions beau être invisibles, parfois nous avions besoin de devenir visibles pour aider notre protégé. Or, quiconque se retrouvant face à une armoire à glace au crâne rasé et aux bras aussi épais que les colonnes des temples grecs n'allait certainement pas penser que cette personne allait le protéger.

De même, quel mal pouvait bien faire une aussi jolie petite fille ? Honnêtement ? Elle pouvait me faire rétrograder jusqu'au plus bas de l'échelle où je moisirais durant toute ma vie d'ange. Tout le monde savait de qui il fallait se méfier. La lueur dorée de ses courtes ailes ne laissait aucun doute sur son appartenance aux Principautés et se retrouver à discuter avec des supérieurs n'était jamais bon. Surtout s'ils avaient l'apparence d'une enfant.

- Je te connais, Rahel. Les Cieux parlent beaucoup de toi.

- Pourquoi ?

- Parce que tu es toujours si... humain. C'est très rare pour un ange de rester aussi accroché à son humanité après avoir été formé et entraîné.

- Je n'y suis pour rien.

- Je le sais, sourit-elle. Tu es ce que tu es. C'est une grande qualité. Une telle intégrité est très rare. C'est pour ça que l'on m'a autorisée à venir te voir. La plupart du temps, les novices comme toi sont... enclins à se montrer zélés et à faire les paons pour prouver qu'ils ont ce qu'il faut. À vrai dire, c'est souvent la seule chose que les novices gardent de leur humanité : ce besoin de faire leurs preuves. Mais pas toi.

Je tournai la tête vers elle, laissant mon attention dériver de la chambre où se trouvait mon protégé durant quelques secondes. Barrattiel souriait dans le vide en observant les patients et leurs familles passer dans le couloir.

- Non, toi, tu tiens sincèrement à le protéger. Tu feras tout ce qu'il te sera possible de faire pour mener à bien cette mission. C'est pour ça que je suis là.

- Je ne suis pas sûr de comprendre.

- Normalement, je supervise et répartis mes effectifs. Ça fait quelques siècles que je ne suis pas descendue sur le terrain. La Terre a bien changé depuis. Je la préférais avant. Au moins, les humains se parlaient autrement qu'au travers d'écrans.

Elle secoua la tête.

- Je divague, excuse-moi. Je disais donc. Je viens rarement sur le terrain.

- Pourquoi être descendue pour moi ?

C'était là la véritable question. Pourquoi quelqu'un d'aussi haut placé se déplacerait pour moi ? Dans quel département travaillait-elle ? Puisqu'elle était une Principauté, ça devait avoir un rapport avec les gardiens, forcément. Les Principautés s'occupaient de tout ce qui touchait à notre travail et à nos résultats. Malgré tout, le champ de nos opérations restait vaste et elle pouvait être là pour tout et n'importe quoi.

- Pour plusieurs raisons. J'ignorais ton existence jusqu'à ce que Ariel me demande de venir m'occuper de toi personnellement. Je le connais depuis toujours. Nous avons été créés à quelques secondes d'intervalle. Il demande rarement des faveurs alors, évidemment, je me suis intéressée à ton cas.

Son sourire m'assura qu'elle ne m'en dirait pas plus sur le sujet. D'un soupir, j'abandonnai l'idée de lui poser la moindre question.

- Je comprends pourquoi il s'intéresse particulièrement à toi. C'est pour ça que j'ai accepté.

- Moi, par contre, je ne comprends toujours pas ce que vous me voulez.

- Je suis le Superviseur du Soutien aux Gardiens. Grossièrement, mes anges et moi sommes là pour vous aider à tenir le choc. Quand vous êtes dans le doute ou que vous ne savez plus comment aider votre protégé, nous venons vous rendre la foi et l'inspiration pour mener à bien votre mission. Nous sommes ce qui vous permets parfois de réussir. La plupart de nos interventions ont lieu avec des novices ou avec des gardiens qui font ce travail depuis bien trop longtemps.

- Et vous savez... ?

- Seul Ariel connaît tous les détails de ta mission. Je sais juste que tu as besoin que quelqu'un soit là pour toi, pour te rappeler que tu en es capable et que tu vas réussir cette mission. Les Cieux ont foi en toi, Rahel. Si tu as été choisi pour devenir un gardien, c'est parce que tu as ce qu'il faut. Crois en toi et le Ciel t'aidera.

Ces mots avaient beau ne pas signifier beaucoup, je ne pus nier leur effet sur moi. C'était toujours une bonne chose de savoir que mes supérieurs me soutenaient. Malgré tout, je ne pouvais que penser à ce qu'ils diraient s'ils apprenaient ce qu'il s'était réellement passé avec Ava. Je doutais qu'ils me soutiennent encore autant.

Barrattiel posa une main légère sur mon épaule.

- Tu dois cesser de t'angoisser sur le passé. Ce qui est arrivé ne peut plus être changé. Tout ce que tu peux faire, c'est avancer, continuer. Je ne suis pas au courant de tout mais je suis loin d'être une idiote. Tu n'es pas dans ce couloir parce que le sol y est plus confortable.

Je serrais les lèvres, m'empêchant de lâcher la moindre information sur ce qui s'était passé avec Beahan. J'avais envie de croire qu'elle était là pour me soutenir mais il n'empêchait que, si elle apprenait mon énorme loupé, elle ne le garderait pas pour elle. Elle irait directement le dire à Ariel qui me rapatriait aux Cieux illico presto. Et ça, c'était hors de question. Parce que personne à part moi ne savait ce qu'il se passait et le temps qu'ils se mettent à jour, Beahan serait mort. Et ça, je refusais que ça arrive.

- Tu peux le faire, assura Barrattiel. Si Ariel t'a confié cette mission, c'est que tu peux la mener à bien. Il a foi en toi. Nous avons tous foi en toi.

Je tentais d'imaginer à quoi un Ariel ayant foi en moi pouvait ressembler. Certainement pas au chef que j'avais. Parce que, soyons francs, quelqu'un qui a foi en un subordonné n'attend pas le premier moment pour le bazarder et le renvoyer au plus bas de l'échelle.

- Cesse de douter de toi. Il y a toujours plus aux choses que ce que l'on en voit. Je me souviens d'une chose qu'un mortel a dit une fois, quand je suis descendue il y a très longtemps. J'ai toujours retenu ces quelques phrases. Si illic est a forsit est solutio. Ergo non est forsit.

Je reconnus du latin. Je ne l'avais jamais appris mais, instinctivement, je savais ce que ça voulait dire. Comme si j'avais toujours connu le latin. C'était l'un des grands avantages d'être un ange gardien. Toutes les langues du monde étaient inscrites dans mon crâne.

S'il y a un problème, il y a une solution. Donc, il n'y a pas de problème.

- C'est une... façon de voir les choses, je suppose.

- C'est de l'optimisme, Rahel. Quelque chose dont tu sembles dépourvu. Tu devrais tenter de l'incorporer dans tes journées. Ça t'aiderait beaucoup dans tes missions.

Je ne cherchai pas à répondre. J'avais déjà souvent entendu ce reproche. Non, je n'étais pas optimiste. Je n'avais jamais eu aucune raison de l'être. Je doutais d'en trouver.

Barrattiel se redressa et vint s'accroupir face à moi. Elle posa ses mains sur mes genoux et me regarda droit dans les yeux. Elle était si calme et si douce que, rien qu'à la regarder, je sentis une profonde paix m'envahir. La musique des Chœurs Célestes m'envahit la tête.

- Tu es un ange. Tu es plein de ressources et tu as été entraîné par les meilleurs. Tu peux mener cette mission à bien. N'oublie jamais que nous avons foi en toi, Rahel.

Elle se pencha et déposa un chaste baiser sur ma joue. Un frisson parcourut mes ailes, la faisant sourire. Je ne m'en préoccupai pas. Elle et moi savions que c'était uniquement son pouvoir qui m'avait fait réagir. Ça n'avait rien de personnel. Ce court bisou n'était qu'une manière pour elle me faire son travail : me rendre courage et espoir.

Elle prit mon visage dans ses mains avec un sourire. Elle laissa l'instant se prolonger quelques secondes avant de se relever. L'escalier apparut pour la faire remonter. Elle agita la main dans ma direction avant de disparaître. Ça n'avait duré qu'une fraction de seconde. Ça expliquait ces histoires de téléportation.

Je laissai mes sens filer vers la chambre d'hôpital de la sorcière. Sans mal, je pus sentir les contours de la présence de mon protégé. Son énergie était unique et je la connaissais par cœur, désormais. Lumineuse et chaleureuse. Impossible à confondre. Il s'était assoupi dans sa chaise, une douleur commençant à naître dans son cou et dans son dos. Il allait le sentir passer au réveil.

Je me hissai sur mes jambes et retournai dans la chambre. Tant que mon protégé était endormi, il ne pouvait pas râler. Je m'assis sur le bord du lit d'Ava et observai sa silhouette raide sous les draps blancs.

Elle allait se réveiller. S'il y avait une chose que Barrattiel m'avait apporté, c'était cette certitude. Ava allait se réveiller et elle expliquerait à son entêté de meilleur ami ce qui s'était réellement passé. Et tout redeviendrait comme avant cet incident.

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NdlA : Que va faire Rahel, maintenant ? Ava va-t-elle se réveiller ? Declan va-t-il cesser de chasser Rahel ?

Mais que va-t-il se passer ?!

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