Chapitre 16

Le second rendez-vous de mon protégé n'apporta rien de plus. Amélia avait beau avoir plus d'amis, ils n'étaient pas aussi proches qu'ils se plaisaient à le croire puisque aucun d'entre eux n'avait su pour le challenge. Leur vexation était évidente. Ils m'avaient donné l'impression d'être outré que Amélia ne leur ait pas parlé de ce challenge. Je n'avais pu qu'approuver lorsque mon protégé avait glissé sur les détails du challenge. Ces ados étaient assez cons pour tenter de le faire juste pour reprendre le dessus sur une morte.

Il faisait nuit lorsque le Uber déposa Beahan devant chez lui. Cette partie de l'enquête ne m'aidait pas à le faire changer d'avis sur les rituels. Au contraire, il ne pensait plus qu'à ça. Je pouvais comprendre. Des amis qui avaient su quelque chose des activités des victimes, ils laissaient penser que les choses avaient déraillé après avoir reçu ce message privé sur le site.

La seule chose qui me soulageait était que, avec un peu de chance, il n'aurait pas à faire le moindre rituel pour voir ce message. Il avait obtenu les identifiants d'Emelie de ses amies. Mieux valait qu'il se serve de ceux-là plutôt que de faire les rituels lui-même. Il était déjà une cible, je n'avais pas besoin qu'il en rajoute.

Mon protégé avait à peine enlevé son manteau qu'on frappait à la porte. Un livreur lui apportait les plats Thaï qu'il avait commandés sur le trajet. Il les emmena avec lui à l'étage. Sans attendre, il alluma son ordinateur et utilisa les codes d'Emelie Galen pour se connecter au site.

Je m'installai sur le rebord de la fenêtre, les ailes collées aux vitres froides. Je n'avais plus besoin de me tenir derrière mon protégé pour connaître les contenus du site puisqu'il s'était mis à tout lire à haute voix. Enfin, haute voix, façon de parler. La plupart du temps, il marmonnait ce qu'il lisait, comme embarrassé de parler tout seul. Je savais qu'il le faisait uniquement parce qu'il sentait ma présence. C'était aussi bien. Être obligé de rester penché en avant lorsqu'on a des ailes, ce n'était pas ce qu'il y avait de meilleur pour la colonne vertébrale.

Le nouvel ordinateur de Beahan était plus lent que son ancien. Il l'avait acheté d'occasion le lendemain de l'attaque de la chose aux yeux rouges qui avait fait griller l'autre ordinateur. De ce que j'avais compris, il avait réussi à récupérer presque tout ce qu'il y avait sur l'autre machine. Toutefois, il avait trop de données sur son ancien P.C. que celui qu'il avait acheté en dépannage les supportait à peine. D'où le long temps de chargement.

Beahan eut le temps de manger une bonne partie de son repas avant de réussir à atteindre le site. Il entra les identifiants et retourna à son repas. Les odeurs qui émanaient des boîtes en carton étaient vraiment plaisantes. La nourriture me manquait un peu mais pas au point de me l'infliger. Surtout que, en tant qu'ange gardien, il était préférable que je ne sois pas distrait par quoi que ce soit. Si je retournais vers la nourriture, que j'en ai besoin ou non, le cycle de la faim reprendrait le contrôle et ce n'était pas quelque chose de souhaitable. Si je me retrouvais avec des barres dans le ventre tant j'avais faim alors que la chose attaquait, je serais dans le pétrin et mon protégé risquait d'en mourir. Alors non. Aussi délicieux que ça ait l'air, j'allais rester entièrement céleste.

- Non ! Non, non, non, non, non, non !

Je relevai la tête pour observer mon protégé en plein état de panique et de frustration. Il tapait frénétiquement sur le clavier. Je me rapprochai pour voir ce qui le mettait dans un tel état.

- Et merde ! jura-t-il finalement.

Il se laissa aller dans le dossier de sa chaise et se passa les mains dans les cheveux. Sur l'écran était inscrit un message d'erreur.


ERREUR 666

Ce compte a été désactivé.

Tu croyais sérieusement qu'on allait le laisser en activité et prendre le risque que tu réussisses à entrer ? Allons, tu es plus intelligent que ça, non ?



Ils savaient. Toutefois, je ne pouvais songer qu'à une seule chose : qu'il le veuille ou non, mon protégé ne parviendrait jamais à entrer dans les profondeurs du site. Donc, les rituels étaient inutiles. Les administrateurs continueraient de lui bloquer l'accès. C'était d'ailleurs surprenant qu'ils n'aient pas bloqué son compte personnel.

Ce fut la première chose que Beahan tenta après son échec. Un nouveau message d'erreur apparut. Toujours ce « erreur 666 » qui donnait envie de lever les yeux au ciel. Cependant, le message qui suivait était différent. Toujours moqueur et méchant, ridiculisant l'essai de mon protégé de les infiltrer.

- FAIS CHIER !

Dans un grand geste, il envoya valser une pile de pochettes cartonnées et de classeurs. Il jura un peu plus avant de s'agenouiller pour tout ramasser et les remettre à leur place. Je posai une main sur son épaule, lui transmettant autant de courage, de foi et d'envie de continuer que je pus. Il avait beau ne pas être le genre à renoncer, je ne savais que, parfois, c'était dur de trouver la force de poursuivre notre chemin. J'étais là pour l'aider et le soutenir. Lui faire savoir qu'il n'était pas seul.

Le contact entre nous créa une empathie que je n'avais jamais expérimentée. Je pouvais sentir tout le maelstrom de ses émotions et combien il avait du mal à le gérer. La confusion, la frustration, l'agacement, la rage, l'abattement, la fatigue, la solitude, le doute... C'était beaucoup à ressentir d'un coup.

Le pire était cette solitude qui dévorait tout sur son passage. Elle était omniprésente et suffocante. Elle le prenait à la gorge, piétinait tout le reste. Je comprenais mieux pourquoi il passait son temps à travailler. C'était pour oublier qu'il se sentait atrocement seul. J'aurais dû me douter qu'il avait cette sensation. Il passait la majeure partie de son temps chez lui ou sur la route pour ses enquêtes. Ce n'était pas comme les policiers qui travaillaient avec des collègues. Lui travaillait seul et chez lui. C'était plus difficile à gérer.

Il ne voyait pas qu'il n'était pas aussi seul qu'il en avait l'impression. Il avait Ava Machin-Chose, ses parents, ces amis qu'il avait retrouvés au Skyline Café. Il fallait que je lui rappelle tout cela. Si sa solitude cessait de l'étouffer, sa vie serait plus facile à vivre. Il se sentirait déjà mieux. Le reste était connecté à son travail. Ce n'était pas quelque chose sur quoi je pouvais agir. Sa solitude, par contre, je pouvais travailler dessus.

Beahan se releva et se frotta les yeux. Avec le contact toujours établi entre nous, sa migraine était devenu la mienne. Il ouvrit un tiroir et en sortit une paire de lunettes qu'il posa sur son nez. Il se laissa retomber dans son fauteuil avec un soupir, rompant la connexion. Je retrouvais mon calme purement angélique avec bonheur.

J'avais oublié à quel point être humain pouvait être épuisant. J'avais beau l'être plus que les autres anges, je demeurais un ange et ça avait ses avantages. Notamment l'impossibilité à se laisser submerger par ses émotions. Rares étaient les sentiments qui pouvaient nous empêcher de réfléchir ou nous paralyser. Ça n'avait pas été explicité en cours de Angel 101 mais j'étais loin d'être idiot. J'avais compris de quoi il s'agissait réellement et en quoi ça avait à voir avec « le grand lien des choses ».

S'il y avait une chose que les anges instituteurs affectionnaient particulièrement, c'était ce Grand Lien. Oui, avec les capitales. Selon eux, tout était relié. Je n'y avais pas cru, au début. Comment les Séraphins, les anges les plus près de Dieu, pouvaient-ils être reliés aux humains ? Aux démons ? Tout simplement à cause de ces émotions.

L'Enfer était contrôlé par les Sept Péchés. Colère, orgueil, avarice, envie, gourmandise, luxure, paresse. Chaque prince représentait un péché capital. Or, ces péchés déclenchaient des émotions violentes que possédaient les humains. Les anges, eux, étaient l'incarnation de la paix intérieure, du calme. Ces deux forces opposées luttaient en chaque être humain. Nanael nous avait prévenus : les anges déchus étaient ceux qui n'avaient pas su résister à l'appel de ces émotions.

Je ne pouvais m'empêcher de penser à Ariel. Toujours si furieux que les Chœurs rôdaient toujours près de son bureau. Comment n'avait-il pas déchu depuis ses millénaires d'occupation du poste ? Peut-être était-ce plus complexe pour un ange créé par Dieu de déchoir. Contrairement à moi, Ariel n'avait jamais été humain. Il avait toujours été un ange. Atteindre ce degré d'émotion avait dû lui prendre des siècles.

Je ne savais pas ce que je ressentais à l'idée que mon chef puisse déchoir du jour au lendemain. Ça avait beau ne pas être l'amour fou entre nous, il était mon seul repaire aux Cieux. Il était celui qui m'avait personnellement formé après les cours d'usage de tous les anges. Bon, il avait aussi voulu se débarrasser de moi quand j'étais apparu comme « trop humain » mais lorsque ça avait été refusé, il avait fait avec. Il m'avait mis dans les mains des gardiens les plus prolifiques et je doutais que ce soit parce qu'il me pensait trop stupide pour être avec des gardiens plus... normaux.

Parce que, non, mes instructeurs n'étaient pas considérés comme des anges gardiens normaux. Je n'avais pas su en savoir beaucoup sur eux et ce qui faisait d'eux des anges à part si ce n'était qu'ils résolvaient leurs missions rapidement et efficacement. Pourquoi Ariel m'avait-il envoyé vers eux ? Je n'en avais aucune idée. De même que je ne comprenais pas pourquoi il m'avait donné cette mission alors que Suriel m'avait dit qu'elle n'était pas faite pour les novices. Pensait-il que, grâce à mon entraînement, j'étais plus capable que les autres ?

C'était stupide. Ariel ne pouvait pas me voir en peinture. Il me prenait pour un raté. Il ne pouvait pas croire en moi. C'était un joli vœu pieu entouré d'un ruban. Totalement improbable.

Mon attention retourna vers mon protégé lorsqu'il se leva. J'avais totalement perdu le fil, pris par mes pensées. Il ramassa ses boîtes de nourriture Thaï et descendit les jeter dans la cuisine. Il était furieux et désemparé. Il récupéra son téléphone et composa un numéro avant de le coller à son oreille. Je compris qu'il appelait cette Megan qui l'aidait pour tout ce qui était informatique.

- Tu penses que tu sauras récupérer les comptes ?

Le silence qui suivit dut être une réponse plutôt positive puisque Beahan hocha la tête tout en se pinçant l'arête du nez.

- D'accord. Je t'envoie ça par message. Merci encore, Megan.

Il raccrocha, tapa son message et reposa son téléphone. Je l'observai aller se chercher une aspirine et l'avaler sans eau. À quel moment en était-il arrivé à ce point ? J'avais encore plus de boulot que je ne l'aurais cru.

Bêtement, je m'étais concentré sur l'enquête. J'avais oublié que ma mission principale concernait le bien-être mental de mon protégé. Les physique était secondaire puisque les humains avaient tendance à savoir rester en un seul morceau. Mentalement, par contre... Ils n'étaient pas très doués pour demeurer équilibrés et bien dans leur tête.

Sa solitude était son plus gros soucis. Et cette enquête commençait déjà à lui faire perdre foi en lui et en ses capacités. Il fallait que je renverse la vapeur.

Pendant qu'il avait le dos tourné, je pris son téléphone. J'agis rapidement, diffusant mon intention par les ondes qu'il émettait. Il se mit à sonner et je le remis là où Beahan l'avait laissé. Il vint le récupérer, une cannette de bière à la main.

- Ava ? Un problème ?

Je me penchai pour entendre ce qu'elle disait. Je ne pus pas discerner tous les mots mais l'idée générale était claire.

- Non, j'ai juste eu envie de t'appeler.

- Ah oui ? Pourquoi ?

- Je sais pas. J'ai juste pensé à toi et je t'ai appelé. Tu me connais. Si je sens que je dois faire quelque chose, je le fais.

Mon protégé ne répondit pas tout de suite. Il regarda autour de lui, semblant me chercher. Je ne bougeai pas. Il n'avait pas besoin de savoir que cette initiative venait de moi. Il fallait qu'il sache que ses amis étaient là pour lui. Ce qui était vrai. J'avais juste créé un petit déclic en sa meilleure amie pour le lui montrer ce soir.

- J'ai l'impression que ce n'est pas la forme, Declan. Qu'est-ce qui se passe ?

- Rien d'important. Juste... Des retours en arrière dans l'enquête.

- J'ai l'impression qu'il y a plus que ça. Je me trompe ?

Beahan s'installa dans son canapé et soupira. Lorsqu'il commença à se confier à sa meilleure amie, je lui laissai un peu d'intimité. Je fis le tour de la maison, vérifiant les protections installées par la sorcière. Elles tenaient le choc. Toutefois, la menace ne s'était pas encore montrée depuis notre discussion avec cette femme sur la route. C'était déjà un bon point.

Je ne pouvais que tout remettre en doute. J'avais envie de faire confiance à Ariel et de croire en l'hypothèse du sorcier/de la sorcière surpuissante et de ses créations. D'oublier l'idée des démons et de tout ce que ça engendrait. Toutefois, je n'arrivais pas à oublier cette hypothèse. C'était la première idée qui m'était venue et j'avais tendance à me fier à mon intuition. Quelle soit mauvaise ou non.

Je n'avais pas envie de croire que les Cieux mentaient en nous disant que tout était sous contrôle. Déjà le fait qu'un sorcier aussi mauvais puisse fouler la Terre était contraire à l'idée que le mal soit contrôlé par les Puissances.

Il fallait que je trouve un moyen d'atteindre la personne qui se cachait derrière cette affaire. Si je trouvais le pourquoi, peut-être que ça aiderait. Pour l'instant, il n'y avait aucune explication réelle derrière ces actes. À quoi ça pouvait servir de pousser des ados à tuer quelqu'un ? Il n'y avait rien à gagner. Au contraire ! Ça mettait toute l'organisation en danger.

À part s'ils corrompaient la police. Vu l'attitude de Blueminster, c'était possible. Je ne savais pas si c'était conscient ou non. L'officier pouvait être ensorcelé ou il pouvait être corrompu. Ça ne me laissait qu'une option pour faire avancer l'enquête : en savoir plus sur la sorcellerie. Sur la magie noire, principalement. Il fallait que Ava obtienne les informations pour moi. Aux Cieux, tant que Baskiel ne me faisait pas savoir ce qu'il avait trouvé – s'il trouvait quelque chose –, je n'apprendrais rien. Or, Ava était une sorcière et elle avait des contacts. Elle était mon seul moyen d'apprendre tout ce qui était possible sur la magie noire. Ça ne me plaisait pas du tout d'avoir à me mêler de tout ça. J'étais un ange, bon sang ! Les arts noirs, très peu pour moi.

Malheureusement pour moi, si je voulais protéger Beahan, je n'allais pas avoir le choix.

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NdlA : alors ? Ce chapitre ? Qu'est-ce que vous pensez ? Il est un peu plus calme mais j'espère qu'il est intéressant ! Que pensez-vous qu'il se passe avec l'officier Blueminster ? Est-il ensorcelé ? Corrompu ? Autre chose ?

Dites-moi toutes vos théories en commentaires !

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