Chapitre 2
Elle dû comprendre à mon regard que je n'avais pas saisi. Amélia, puisque c'était son nom leva les yeux au ciel et son sourire s'agrandit encore un peu. Je ne pensais pas cela possible. Elle était sacrément mignonne comme ça.
«Timothée ! Timothée de Fombelle ! Vango ! Tu as déjà ouvert un bouquin dans ta vie ? Non ? Raaaa !»
vitupéra-t-elle sans me permettre de me défendre. Pour ma décharge, bien sur que j'avais déjà ouvert un livre, et même assez régulièrement. Mais bon, entre le lycée, la peinture et la musique, non, je n'avais pas vraiment le temps. Alors effectivement, je n'avais pas la référence. Elle n'allait pas me faire tout un plat parce que je ne connaissais pas un auteur ? Un peu vexé, mais surtout amusé, je l'écoutais m'expliquer avec un entrain que je lui devinais habituel que Timothée de Fombelle était un auteur pour jeunesse AB-SO-LU-MENT génial, que ses récits étaient beaux, touchants, profonds... Elle allait m'en faire un dieu vivant remarquai-je en notant dans un coin de ma tête d'aller fouiner de ce côté là quand je trouverai un moment. J'appris au passage que Vango était le héros du roman éponyme de son altesse Fombelle, et que l'honneur était donc grand d'être surnommé ainsi... Et bien soit puisqu'elle avait l'air d'y tenir. Et puis je préférais "Vango" à "Timothée". Fichu prénom.
Cette fille me faisait rire tout de même. C'était incroyable ce qu'elle parlait vite. Elle m'intriguait aussi. On aurait dit... la Vie elle même tant elle dégageait d'énergie, de passion. Elle pétillait ! Tandis que nous dissertions de littérature en regardant la pluie tomber autour de nous, assis côte à côte, elle s'alluma une cigarette, sans m'en proposer. Je remarquai sa sacoche pleine à craquer posée quelques mètres derrière nous. Elle suivit mon regard et répondis à ma question muette :
«Des bombes de peinture. Avec la pluie, les honnêtes gens s'abritent et ne regardent plus la jeune délinquante souiller leurs murs...»
Elle ne correspondait pas à l'idée que je me faisais d'une criminelle multi-recidiviste terrorisant la population avec ses grands yeux rêveurs et ses habits chamarrés. Et puis le ton de sa voix laissait entendre qu'elle se considérait plus comme celle qui faisait la justice qu'autre chose.
«Une jeune voyou souillant les murs à grands coups de slogans prônant la paix et l'amour, continuais-je.
- Exactement ! Viens, regarde, glissa-t-elle en se levant et en me faisant signe d'approcher du mur. Tu vois là ? Ce pont est couvert d'inscriptions haineuses, d'insultes. C'est trop triste. Comme si le béton se fissurait sous toute cette douleur. Alors moi, je viens avec mes petits messages pour apporter mon lot d'espoir.»
Elle avait tout débité d'une traité, l'air très fière d'elle. Cette fille était tout bonnement incroyable ! Si différente de tout ce que je connaissais. Si... libre. D'habitude, je ne m'intéressais pas vraiment à ce que les autres pensaient de moi, mais là, quelque chose me démangeait de lui montrer que moi aussi je pouvais faire quelque chose de bien. Parfois on rencontre des gens, et on veut les impressionner, être à la hauteur en quelque sorte. Comme ces personnes nous semblent incroyable, on aimerait attirer leur attention, mériter leur respect. Peut-être leur ressembler. Oui, c'était ça. Je voulais lui ressembler, être un peu différent. Sortir de la norme. Contester et faire quelque chose pour mon prochain.
Sans lui demander la permission, je fouillai dans son sac. Quelques bombes à la main, je m'élançais, impatient... J'en avais déjà manié quelques fois et ce genre de choses de ne s'oublie pas. Mais toute à ma fougueuse assurance j'avais oublié les aléas du métier et les vapeurs chimiques me sautèrent brutalement au visage. Je reculai, crachotant piteusement. Merde ! Et moi qui voulait faire un peu d'effet... Mel me tandis un foulard sans un mot. Je l'acceptais humblement. Elle ne se moquait pas de moi au moins. Enfin, j'avais déjà fait mieux comme première impression entre mon manque de culture et ma maladresse... Après avoir enroulé le bout de tissus autour de mon cou et de mon menton, je m'attelais à mon oeuvre pour reprendre un semblant de contenance. Ainsi masqué, c'était moi le voyou. Et si quelqu'un arrivai et me surprenait ainsi ? Que diraient mes parents ? Je paniquais un instant avant de reprendre mes esprits. Je ne faisais rien de vraiment grave et puis Amélia avait raison. Qui pointerait le bout de son nez par ce temps et que viendrait-il faire ici ? Je ne savais pas exactement ce que je faisais, je ne savais pas exactement pourquoi je le faisais, mais j'était entrain de le faire. Si, je savais. Je manquais à mes principes pour saisir moi aussi un peu de cette aura insaisissable qui entourait Amélia. Je voulais moi aussi un peu de la lumière qui brillait dans ses yeux, de la plénitude et de la conviction qui habitaient chacun de ses gestes. En fait j'étais tombé en admiration devant elle.
De mes gestes naquît finalement une silhouette multicolore, explosive. Un oiseau déployant ses ailes, grand comme mon torse, au côté de cette mystérieuse inscription. Des traces de toutes les couleurs s'entremêlaient à l'intérieur de lui pour donner une forme au contour bien distinct et très simple. Ce n'était pas du grand art, sans préparation et avec une technique que je ne maîtrisait pas bien mais j'en étais plutôt fier. C'était ma petite contribution d'espoir à l'oeuvre d'Amélia.
Le temps que je barbouille le mur, la pluie avait cessée. Je jetai inquiet un coup œil à Mel pour jauger mon effet. Celle-ci fixait l'oiseau l'air connaisseuse :
«Pas mal Vango, pas mal ! Tu manies le pinceau en plus de l'archet ? me demanda-t-elle en désignant mon violon du menton, en tous cas, quelque chose me dit que tu ne fais pas ça régulièrement.
- oui, mais je suis trop sage pour le tag, je suis plus... classique.»
J'appréciais le commentaire puisqu'il venait d'elle et je notais la justesse de ses observations. Oui, je peignais et clairement le street art n'était pas dans mes habitudes. Je m'essayais à l'huile, à l'acrylique, un peu à l'aquarelle et j'adorais ça. Créer une image à partir d'un peu de couleur, une histoire grâce à mes pinceaux. C'était comme ça que je me sentais le mieux. Mais je ne m'étais jamais approché du street art, n'ayant jamais eu de message à adresser à la ville. Ce genre de pratique avait pour but de réveiller les consciences, de faire passer un message fort non ? Ce qui était vrai aussi c'est que même si j'avais eu un cri à lancer, j'étais trop sage pour ne pas le retenir. J'étais un garçon trop "bien comme il faut" pour la révolte. J'écoutais ce que me disaient mes parents, je faisait mes devoirs sans créer d'histoires, je peignais de jolies choses bien gentilles... Pas à contre coeur, non, au contraire je faisais ça avec beaucoup de bonne volontée. Peut-être pour que mes parents soient fiers de moi, peut-être parce que c'est la définition que mon entourage m'avait donné d'une personne bien. Et je voulais être une personne bien ! Qui ne le voudrais pas ? Peut-être aussi parce que tout remettre en question est fatiguant. Fatiguant et douloureux. Je n'avais pas envie de détruire toutes mes certitudes, les bases sur lesquelles je m'étais construit. Après tout je ne faisais pas de remous et je me portais très bien comme ça, j'avais une famille, des amis, des loisirs. Bien sur, j'aurai bien aimé avoir la fibre d'un héros, à me dresser contre l'injustice, à oser braver les interdits quand ma conscience me l'indiquait. Mais je ne savais même pas contre quoi me dresser. Je n'avais sûrement pas assez connu la vie, la difficulté ou je ne sais quoi pour me révolter, avec mon entourage aisé et tout ce qu'il y a de plus normal. Enfin je n'allais pas me plaindre d'être né là où on ne manquais de rien et où la vie ne faisais pas trop mal.
Chassés par la fin de l'averse, nous rassemblions tous deux nos affaires perdus dans nos pensées. Je commençais à chercher les mots pour la saluer :
«Salut, Vango !» laissa-t-elle joyeusement en s'éloignant d'un pas vif.
Puis :
«Demain, dix-sept heure, même endroit» l'entendis-je crier, déjà loin.
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