Chapitre 26 : "J'ai besoin de savoir comment tu vas"

Avant tu riais -Nekfeu feat Clara Luciani

"Mais si elle laissait libre court à ses pulsions 
En vrai ce qu'elle ferait, c'est qu'elle peindrait 
Sur une fresque élevée, ses séquelles"

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Pdv Lyla

Mardi 12 janvier 2016

Je finissais d'apporter une dernière touche de couleur à ma toile quand ma porte s'ouvrit brutalement laissant passer un Ken plus ou moins énervé. Il s'approcha de moi et déposa un baiser sur mon front avant de se laisser tomber dans le fauteuil à côté de mon lit.

Je rangeais mon matériel rapidement.

-Ça va, je lui demande.

- Nickel ! Et toi ? Ta cheville et tout ?

- C'est supportable.

- Ok.

Je voyais bien qu'il se passait quelque chose. Qui ne l'aurait pas vue d'ailleurs.

- Il se passe quoi Ken ?

- Rien t'inquiète. Tu peignais, me demande-t-il en indiquant mon bordel poser sur la table de chevet.

- Oui mais c'est pas le sujet. Qu'est-ce qu'il s'est passé depuis hier pour que tu sois dans cet état ?

- Mais rien je te dis.

Il lève les yeux au ciel et quand je le vois faire j'ai un flash.

- Ça a un rapport avec Gabrielle c'est ça ?

Et vu du regard qu'il me lança, c'était le cas.

- Vous êtes incroyable tous les deux. Il s'est passé quoi encore ?

- C'est ma faute, dit-il en soupirant. Je lui ai mis un lapin dimanche alors évidemment qu'elle allait m'en mettre un.

Elle lui a mis un lapin ? Oh merde qu'est-ce que je l'aime. Je me retiens tant bien que mal de rire mais quand je croise le regard dépité de Ken je ne peux plus me contenir.

- Ah parce que ça te fais rire ?

- Je suis désolé, dis-je entre deux éclats de rire. Vous me faîtes trop marrer tous les deux. En même temps tu pensais quoi ? Gabi c'est pas le genre de femme à se soumettre quoi."

Et j'éclate de rire de nouveau. Je prends au moins cinq minutes avant d'être complètement calmé sous le regard médusé de Ken.

- Ça y est ? T'es calmé ?

- Désolée. Bon. Maintenant qu'elle s'est vengée vous allez pouvoir l'avoir votre discussion.

- Je sais même plus si ça en vaut la peine.

- Ah non. Tu arrêtes tout de suite de dire des trucs comme ça Ken Samaras ! Vous êtes fait l'un pour l'autre ! C'est aussi évident que deux et deux font quatre !

- T'exagère pas un peu ?

- Peut être un peu. Mais c'est pas le sujet. Moi vivante vous sortirez ensemble !

Ses yeux s'assombrissent quand je prononce ces mots.

- D'ailleurs, on n'a pas vraiment pu parler de ce qu'il s'est passé.

- Je ne suis pas sûr d'en avoir envie. Tu ne veux pas qu'on reparle de toi et Gabi ?

- Absolument pas.

Je me laisse tomber contre le dossier de mon lit et soupire.

- Lyla. On va bien devoir en parler un jour ou l'autre tu le sais n'est-ce pas ?

- Mais qu'est-ce que tu veux savoir ? T'étais là quand j'ai raconté aux policiers.

- Je veux pas que tu me réexplique ce qu'il s'est passé. Une fois m'a suffi pour avoir envie de lui péter la gueule. Non, je veux que tu me dises comment tu te sens. Et sans me mentir.

Je baisse la tête. Mes ongles tapotent nerveusement contre le cadre du lit.

- Lyla, reprend Ken doucement. Tu sais que tu peux tout me dire n'est-ce pas ?

- Je sais, je murmure, toujours la tête baissée.

- Promis après on en parle plus. Mais j'ai besoin de savoir comment tu vas. Comment tu vas réellement. Crois pas que je crois à ton "c'est supportable". Je te connais.

- Mais qu'est-ce que tu veux que je te dise, dis-je en relevant la tête. Évidemment que je ne vais pas bien. Je ne vais jamais bien. Je mens à longueur de temps et à tout le monde. Je vais mieux depuis que je vous connais. C'est sûr. Et je ne te remercierais jamais assez pour tout ce que tu m'as apporté. Mais même si je me sens bien avec les gars ça ne m'empêche pas de trembler comme une feuille quand je passe à côté d'un homme dans la rue, d'avoir envie de vomir à chaque fois que je vais en cours ou de faire des crises de panique pour un oui ou pour un non !

Je tremblais. Mes yeux se brouillèrent de larmes. Comment la discussion avait pu dériver si rapidement ? Ken me lança un regard encourageant en attrapant mes mains pour les tenir près de lui.

- Évidemment que je ne vais pas bien. Mon père, mon géniteur plutôt, il m'a bousillé. Et pas que physiquement. Mentalement aussi. Mais c'est un secret pour personne ça. Tu veux la vérité Ken ?

Je lève mon regard vers lui et me perd dans son regard. Là où les gens m'auraient regardé avec pitié je ne trouve que de la compassion et de l'amour dans ses yeux. Un amour brut dans lequel je cherche la force nécessaire pour finir ma tirade.

- La vérité c'est que j'ai peur. Tout le temps. Dès que quelqu'un entre dans cette pièce j'ai peur. J'ai peur de mon médecin. J'ai peur des policiers. J'ai peur de mon prof d'anglais et de physique. Et surtout, surtout, j'ai peur de mon père. J'ai l'impression de le voir partout. Comme s'il était tapis là. À attendre que je m'endorme pour venir me tuer dans mon sommeil. Et c'est épuisant. J'en ai marre, je suis à bout Ken. Je ne sais pas combien de temps je vais pouvoir tenir à ce rythme là. J'ai que seize ans merde. Je ne devrais pas avoir à vivre tout ça !

Je me tais enfin. Haletante face à la quantité de mots qui étaient caché au plus profond de moi et que j'avais sorti en deux minutes.

Ken s'approche doucement et s'assis à côté de moi, m'attirant doucement conte lui. Je me colle à lui, mouillant son pull de mes larmes. Je tremble comme une feuille et m'enfoui dans son odeur. Il passe une main dans mon dos, effectuant des vas et viens.

- Ça va aller Lyla. Je te le jure. On va s'en sortir. Plus personne ne te fera de mal. Jamais, je te le promets.

Je me colle de plus belle contre lui. Ce genre de mots on les dit quand on ne le pense pas réellement mais aujourd'hui je décide d'y croire. Parce que c'est Ken, et parce que j'ai désespérément besoin d'une bouée de sauvage.

- Si tu savais comme je m'en veux, murmure-t-il.

- Arrête, c'est tout sauf ta faute.

- J'aurais dû le voir. Lyla t'es à l'hôpital, merde quoi. J'aurai dû voir quelque chose.

- Ça ne sert à rien de dire ça. Moi j'aurai dû vous en parler. Donc c'est ma faute ?

- Quoi ? Mais, j'ai jamais dit ça, dit-il, révolté. C'est absolument pas de ta faute !

- Et ce n'est pas non plus la tienne. C'est la faute de mon père et puis c'est tout.

- Comment tu fais pour être aussi mature Lyla ? Des fois j'ai l'impression que tu l'es bien plus que moi.

Je hausse les épaules. Ça veut rien dire "être mature". Juste une manière pour les adultes de classer les enfants. Mature, pas mature. Intelligent, bête. Intello, cancre. Juste une façon de cultiver la différence entre les gens. Je tente d'expliquer cette vision des choses à Ken qui s'empresse d'acquiescer.

- T'as raison, une fois de plus.

On se tait pendant quelques instants et je me calle contre son torse. Je ne vis que pour ces moments. J'ai tellement l'impression qu'il ne peut rien m'arriver quand je suis là. Que je suis protéger face à toutes les injustices de la vie.

- Tu faisais quoi quand je suis arrivé, me demande-t-il.

- Je peignais.

- Je savais pas que tu peignais...

- Je m'en vente pas trop. Ce que je peins je le peins pour moi généralement. C'est une façon d'extérioriser.

- Un peu comme moi avec le rap.

- J'imagine.

- Tu me montreras un jour ?

- Si tu me montres ce que tu as écrit.

- Ok, deal ?

- Deal."

Nous nous sourions avant de claquer nos points l'un contre l'autre.

- Tu peux attraper mon enceinte ? Elle est dans mon sac.

Il se lève et récupère mon enceinte avant de me l'a donnée. J'attrape mon téléphone et lance un album de piano de Chilly Gonzales.

- T'aime autre chose que le rock toi ?

- Faut croire, je souris. Si tu veux on fait un truc. Je finis ce que je faisais tout à l'heure et toi t'écris et quand l'album est fini on montre à l'autre ce qu'on a fait.

- Ça me vas.

Je récupère ma toile de tout à l'heure. J'avais déjà bien avancé dans ce que je voulais faire. Je l'avais peint en pensant à Ken. On voyait une silhouette noire se découpait dans un fond gris foncé et au-dessus de la tête de la personne, un nuage blanc. Je rajoutais des tâches de couleurs autour de la silhouette pour renforcer le côté sombre du fond et dans le nuage. C'était long mais j'aimais vraiment le sentiment de voir la peinture se découvrir petit à petit devant moi. Pour finir j'écrivais au centre du nuages en grande lettres calligraphier les mots "Rêve d'avoir des rêves". Je contemplais d'un œil critique le résultat final et corrigerais deux ou trois détails. Je relevais la tête et fus surprise de me rendre compte que la musique s'était arrêté. Ken, assis en face de moi, me fixait, sa tête posée sur sa main.

- Ça fait longtemps que la musique est finie ?

- Une demi-heure à peu près mais tu avais l'air si calme que je voulais pas te déranger.

- Oh... D'accords, je tente de reprendre contenance face au regard perçant de Ken. T'as écrit quelque chose ?

Il acquiesce avant de me tendre son carnet. Je l'attrape doucement. Les pages sont cornés et la couverture est toute douce tellement elle a été tenue entre les mains du grec. J'ai du mal à me dire que ce petit calepin contient toute la vie de l'homme qui se tient devant moi. Ses inquiétudes, ses projets, ses ambitions, ses émotions, tout. Je prends conscience de l'importance de ce que je tiens entre mes mains. Je reste silencieuse tout comme lui et lui tend ma toile avant d'ouvrir le carnet à la dernière page utilisé.

"Contrôle-toi ou fais-toi contrôler
On peut être libre ou prisonnier de ses vices
Et si les enfants décident de prendre le relai
Les suivants subiront des années de sévices"

"J'observe ces hommes en costume
Noyés dans cette masse informe
Cette femme au visage dur qui passe en force
Elle pense fort à sa carrière, fonce
Malgré le harcèlement des hommes
Mais la seule chose qui la pousse
Quelque part, c'est le manque
Elle a besoin de plus qu'un anti-dépresseur assez puissant
Mais si elle laissait libre court à ses pulsions
En vrai ce qu'elle ferait, c'est qu'elle peindrait
Sur une fresque élevée, ses séquelles, elle sait ce qu'elle veut
C'est quelque chose de presque élémentaire
Après, est-ce qu'elle est mentalement prête ?
J'aimerais presque qu'elle m'enterre avant que le temps la prenne
Avant qu'elle devienne un vrai squelette"

"Un sourire éternel qui traîne en elle
Comme si cette vie n'était qu'une triste blague"

"Alors ils l'exhibent pour que l'on apprenne de force
Que le règne de l'homme se trouve dans la science
Et que la magie n'existe pas
Mais on résistera"

"Dans ta tête ça tourne pas rond
Tes pensées sont des ellipses
Le système te permet de voler
Mais c'est pas des ailes, c'est des hélices"

"La gare se vide et les regards s'évitent
Et c'est la guerre civile, elle est si vile
L'amour se perd si vite
La Terre mère étouffe sous la saleté de ses fils"

"Face à ces idées qu'on subit, je sais, la cécité te séduit
Nombrils égocentrés, très peu s'entraident
Triste ironie d'une société de services
Les gens dans le besoin passent après les apparences qu'on va bientôt devoir sauver"

"Tu es jeune et ambitieux donc tu te sens prêt"

"T'as dit à ta mère « je reviens, le temps presse » "

"Alors t'as gueulé sans trêve
Et tu t'es plié en 4 sans trèfle
Tes neurones ont grillé, ton cœur est cendré
T'as jamais su plier quand t'as besoin d'rêve"

C'est raturé de partout et des flèches relit certaines phrases entres elles mais malgré ça je comprends rapidement qu'il parle de moi. Je sens ma gorge se serrer et les larmes remonter. Le même sentiment que lorsque j'avais écouté "Rêve d'avoir des rêves" me prend à la gorge. Comme s'il m'avait compris. En quelques phrases judicieuses il me donnait plus l'impression d'être comprise qu'en seize ans de vie avec mes parents.

Je relève la tête vers lui. Il tient mon tableau entre ses mains et je le vois essuyer rapidement une larme qui menaçait de couler. Il se relève et pose ma toile sur la chaise. Je pose à mon tour le carnet et tend les bras vers lui. Il m'attire contre lui et me tiens doucement en faisant attention à mes côtes.

- Je sais pas quoi te dire Ken, je murmure contre son cou. T'as tellement de talents.

Il s'écarte de moi et essuie mes joues.

- Toi aussi Lyla. Et ne laisse personne te dire le contraire.

- Je te le donne le tableau.

- C'est vrai ?

- Je l'ai fait pour toi de base mais je ne savais pas si j'aurai le cran de te le donner, dis-je en baissant la tête.

- Il est magnifique Lyla.

- Merci, vraiment.

Et je replonge la tête dans son cou.

- J'ai une question, je marmonne contre lui.

- Oui ?

- C'est de moi que tu parles ?

- Pas directement mais je me suis, comment dire ? Inspiré de ce que tu m'as raconté. Je suis désolé. Si ça te dérange je ne le sortirais pas.

- Au contraire. C'est magnifique. Il faut que tu le sortes pour que d'autre que moi se sentent compris. T'as un talent fou Ken. Je sais pas si je te le dis assez mais c'est vraiment incroyable ce que t'arrive à faire avec les mots.

- Merci beaucoup Lyla. Ça me touche énormément.

On est resté dans les bras l'un de l'autre pendant plusieurs heures. À ne rien faire d'autre que discuter, écouter de la musique ou tout simplement apprécier le silence. Les mots de Ken tournant dans mon esprit. Je me sentais réellement apaiser pour la première fois depuis très longtemps. 

~•~

Salutation mes p'tits moutons !

Autant être honnête, j'aime pas ce chapitre 🙄 Mais par contre j'aime bien le suivant ! (Teaser ma gueule !)

Bref, bon mercredi à vous mes chouchous ! 

💙


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