Chapitre 22: Reparations (Réparations)


Résumé:
Marius se précipite pour remettre les choses en ordre.

"Voici, nous ne savons rien.
Je ne peux que croire que le bien va tomber
Enfin - loin - enfin, à tous,
Et chaque hiver se transformera en printemps."

-Alfred, Lord Tennyson
***

"Marius, te voilà !" s'exclama Cosette. "Nicolette et moi t'attendions. Tu as disparu sans un mot. Qu'est-ce qui t'a retenu ?"

"Cosette !" dit-il en prenant sa main dans la sienne, "Cosette, oh, j'ai été un imbécile. Tu ne croiras jamais ce qu'il vient d'arriver. Bon Dieu , nous devons partir immédiatement !"

"Que s'est-il passé ? Marius, tu as l'air effrayé ! Est-ce que tu vas bien ? Quelqu'un te poursuit ?"

"Ah ! Nous n'avons pas le temps. Je t'expliquerai en chemin. Nicolette, dit-il en pressant une pièce de monnaie dans la main de la vieille servante déconcertée, loue-toi un taxi et rentre à la maison. Cosette et moi devons aller quelque part tout de suite. Il n'y a pas lieu de s'inquiéter, nous n'avons aucun problème, c'est seulement que quelque chose de terrible et de merveilleux s'est produit et j'ai besoin de mettre les choses au clair avec quelqu'un."

"Je... Mais monsieur, votre grand-père vous attend pour le dîner ; que dois-je lui dire ?"

"Dites-lui que j'ai des affaires à régler avant de rentrer à la maison, et que je ne sais pas combien de temps je serai absent", lui dit-il en faisant signe au chauffeur du fiacre qu'ils avaient pris là. "Restez !" ajouta-t-il rapidement à son attention, "et mettez une autre place à table tant que vous y êtes. Si Dieu le veut, nous aurons un autre invité."

La vieille femme le regarda en fronçant les sourcils. "Comme vous voulez", dit-elle. "Mais essayez de revenir à une heure raisonnable, d'accord ? Ce serait dommage de manquer le dîner. Et je déteste réchauffer la nourriture."

"Je prendrai le temps qu'il me faudra", dit-t-il, en montant dans la voiture et en aidant Cosette. "Et je ne vais pas m'excuser pour cela. Vous allez bientôt comprendre pourquoi." Sur ce, il referma la porte au nez de la femme.

Il remarqua à peine que Javert était aussi entré dans le fiacre, et cela ne lui vint pas à l'esprit comme étant quelque chose de déplacé.

Javert tapa sur la vitre de la cloison. Marius passa la tête par la fenêtre.

"Chauffeur," lancèrent-ils tous deux d'une même voix, une voix légère et fervente, l'autre profonde et plate, "Rue de l'Homme Armé, numéro sept."

***

Marius était horrifié.

Il était assis sur le coussin de velours de la voiture, se mordant la lèvre et fixant le vide. Son esprit était assailli de révélations et d'une foule d'émotions vives et poignantes, et il remarqua à peine que Javert et Cosette conversaient à l'arrière-plan.

Il était accablé par la culpabilité de ses paroles, de ses actions et de ses pensées envers M. Fauchelevent. Elles étaient suspendues au-dessus de lui comme des ombres menaçantes, condamnant, accusant.

Tant de mal il avait fait, se croyant dans le droit chemin ! Il avait éloigné cet homme de son enfant, il l'avait repoussé sans l'en informer, pensant que cela valait mieux, pensant qu'il avait une mauvaise influence, pensant qu'il...

Marius sursauta sur son siège, ses yeux s'écarquillèrent d'un coup. "Oh", souffla-t-il en portant sa main sur sa bouche, "Oh, non". Il était saisi d'une grande terreur, et un sentiment de répulsion montait en lui contre lui-même.

Il voyait soudain en M. Fauchelevent quelque chose de son père. Les paroles de cet homme résonnaient à ses oreilles comme un écho du tombeau.

"Pensez-vous, monsieur, vous qui êtes le maître, que je ne dois plus voir Cosette ?

" Je pense que ce serait mieux" , avait-il répondu froidement.

"S'en aller maintenant, ne plus la voir, ne plus lui parler, ne plus rien avoir, ce serait difficile, avait dit l'homme. " En vérité, monsieur, je voudrais bien voir encore un peu Cosette. Aussi rarement qu'il vous plaira. Mettez-vous à ma place, je n'ai plus que cela.

Marius frémit. Il voyait dans son esprit deux hommes, laissant leur enfant à une autre famille pour qu'elle ait une vie meilleure, et toutes les choses qu'ils ne pouvaient leur apporter eux-mêmes. Il vit ces deux pères rejetés, chassés, parce que la famille les considérait comme une honte, une souillure. Il les vit s'affliger de la perte de ce qu'ils avaient de plus précieux, chacun dans sa propre agonie secrète. Il les vit essayer, maintes et maintes fois, d'obtenir une audience avec cet enfant - et, maintes et maintes fois, se la voir refuser, et retourner dans l'ombre avec un cœur brisé. Se sacrifier pour le bien-être de leur enfant.

Il vit un père se cacher derrière les piliers d'une chapelle et observer pendant des années un garçon auquel il n'avait pas le droit de rendre visite, et qui ne savait pas à quel point son père le désirait, l'aimait, avait besoin de lui. Il vit des lettres déchirées et jetées au feu, et un enfant qui n'était pas plus sage. Un enfant qui ne savait rien d'autre que son père s'était effacé de sa vie. Un enfant qui, peu à peu, commença à lui en vouloir de son absence, puis, avec le temps, à l'oublier.

Il vit un homme mourant seul et mal aimé, oublié par le monde. Une larme sur la joue d'un cadavre. Un uniforme et une épée, vendus au marché comme de simples bouts de tissu et de métal. Un jardin de fleurs piétiné.

Un enfant qui n'apprend que trop tard la bonté de son père et la noblesse de son cœur. Il apprend trop tard que son désir inassouvi de faire partie de sa vie a été étouffé par les préjugés et l'intolérance.

Il a failli mourir à cause de vous, vous savez. La façon dont vous l'avez éloigné de sa fille. Il pensait qu'il n'avait plus de raison de vivre.

Marius frissonna, réprimant un sanglot. Ses yeux se remplirent de larmes brûlantes. "Oh, mon Dieu. Oh ! Seigneur, aidez-moi. Qu'ai-je fait ?"

Ces vieilles blessures qui commençaient à peine à se refermer s'étaient rouvertes, profondément, et l'adoration angoissée qu'il avait ressentie pour le père qu'il n'avait jamais eu la chance de connaître se dirigeait maintenant vers le père de Cosette. Vers l'homme qui était, par le biais du mariage, son père aussi.

Deux pères.

L'effroi et la honte emplissaient son âme à l'idée que le sort du premier, qu'il déplorait de tout son cœur et qu'il aurait donné n'importe quoi pour changer, avait presque atteint le second, et cette fois de son propre chef, de sa propre main. Ce qu'il regrettait de l'un, il avait failli le causer à l'autre. Quel genre de fils était-il, pour bannir le père encore vivant en même temps qu'il pleurait la perte du père mort ?

De même que son grand-père lui avait arraché le colonel Pontmercy, Marius avait arraché Fauchelevent à sa fille. Mais pire, encore pire que cela ! Car il avait donné sa parole à cet homme qu'il verrait Cosette tous les soirs. Et il avait, sans discussion sur ce point, et sans explication, lentement rétracté cette parole, parce qu'il avait découvert depuis lors certaines choses sur l'homme qui le poussaient de la froideur au dédain. Or, toutes ces choses peu recommandables qu'il avait crues vraies venaient de lui être prouvées fausses.

Il se retrouvait avec le portrait de lui-même reniant cet homme, qu'il aurait dû appeler père, sous prétexte de suppositions dont il n'avait même pas pris la peine de demander la véracité à l'homme lui-même. Même s'il savait que l'homme - esclave de sa conscience - n'aurait jamais menti sur ce sujet. Parce que, lui, Marius, avait deviné les réponses, et ne souhaitait pas les entendre.

Mais l'homme n'était pas un faussaire ! L'homme n'était pas un meurtrier ! L'homme n'avait ruiné personne, tué personne. Personne ! Au contraire, il avait tiré sur les casques des gardes nationaux au lieu de les tuer. Il avait sauvé les révolutionnaires en leur procurant un matelas pour arrêter l'artillerie, et en même temps il avait sauvé les gardes par des coups de semonce. Il avait sauvé l'espion Javert de l'exécution, au prix de sa sécurité. Il l'avait sauvé, lui, Marius, d'une mort certaine aux mains de la garde nationale.

"Bon Dieu !" s'exclama-t-il, "Vous savez ? J'étais même en colère contre lui, parce que je pensais qu'il était aux barricades et qu'il n'avait rien fait pour m'aider ! Tu étais là, Cosette ! J'ai dit que je donnerais toute notre fortune pour retrouver l'homme qui m'a sauvé une fois de plus. Et il n'a rien dit ! Rien, Cosette ! Pourquoi a-t-il fait ça ? Qu'est-ce qui l'a poussé à faire ça ?"

"J'en ai une idée ", murmura Javert en s'adossant au siège de la voiture, les bras croisés.

Marius leva les yeux vers lui. "Et qu'est-ce que ce serait ?"

Mais Javert se contenta de répondre "Plus tard ", et de jeter un coup d'œil à Cosette.

Marius comprit instantanément. Il y avait beaucoup de choses sur son père qui ne devaient pas être dites devant Cosette, et, quelle qu'elle soit, c'était l'une d'entre elles. D'une manière ou d'une autre, cela devait avoir un rapport avec le passé criminel de l'homme.

"Il suffit de dire", continua Javert, en effaçant un peu de poussière de la manche de son manteau avec un certain dédain, "que cet homme est trop humble pour son propre bien".

"J'en suis conscient maintenant, oui", dit Marius.

"J'ai toujours été consciente de cela," rajouta Cosette.

"Vous n'en savez pas la moitié", soupira Javert.

Marius secoua la tête et se tourna vers sa femme avec un regain de panique. "Oh ! Cosette. J'ai été si cruel avec lui. Tout ce qu'il m'a toujours demandé, c'est de te rendre visite. Je lui ai dit qu'il pouvait te voir tous les jours. Je le lui avait promis. Et puis je lui ai fait sentir qu'il n'était pas le bienvenu chez nous ! J'ai dit de ne plus allumer le feu dans le poêle de la cave. Un jour, j' ai même fait enlever les chaises."

La jeune femme eut un sursaut. "Quoi ! c'est toi qui as ordonné tout cela ? Mais papa, enfin, Monsieur Jean a dit..."

"Non, ne l'appelle plus comme ça, la coupa Marius. "Il a eu tort de te faire faire ça. C'était mal de ma part de lui faire sentir qu'il devait le faire. Non, appelle-le 'père', appelle-le 'papa', appelle-le de tous ces noms adorables que tu avais l'habitude d'utiliser."

"Vraiment ? Je peux ?"

"Bon Dieu, oui. Il n'est pas juste que tu doives demander la permission à quelqu'un. Ne l'appeles plus jamais "Monsieur". S'il insiste, réprimande-le. Ce n'est pas un étranger, il est de la famille !"

"Ah !" Elle rayonna. "Merci !"

"Tu ne devrais pas me remercier, Cosette", dit-il en secouant la tête. "En fait, tu devrais être très en colère contre moi. Je ne t'ai pas consulté sur tout cela. J'avais de bonnes raisons de le faire, du moins je le pensais. Mais j'ai pris des décisions sur toi et ton père que je n'avais pas le droit de prendre. Je lui ai donné la permission de te voir, puis je l'ai retirée."

"Le feu et les chaises, c'était vraiment toi, alors ?"

"Oui."

"Mais papa a dit que c'était lui qui avait ordonné cela !"

Marius pâlit. Ces mots venaient de lui transpercer le cœur.

De l'autre côté du véhicule, Javert fit claquer sa langue, détournant son visage.

"Non", souffla Marius. "Il l'a fait ? Oh, Seigneur. Il l'aurait fait, n'est-ce pas ? Mais c'est moi qui l'ai ordonné."

"Toi !" La jeune fille avait l'air d'avoir le cœur brisé. "Mais pourquoi ?"

"Je l'avais pris pour quelqu'un d'autre ; j'ai voulu lui faire sentir qu'il n'était pas le bienvenu. J'avais espéré qu'il ne viendrait plus."

"'Quelqu'un d'autre' ?" Répéta-t-elle. "'Lui faire sentir qu'il n'était pas le bienvenu'? Je ne te comprends pas. Pourquoi voulais-tu qu'il parte ? Comment peux-tu penser du mal de lui ? Qu'est-ce qu'il t'a fait ?"

"Il ne m'a rien fait, Cosette. Il m'a sauvé la vie ! Il nous a donné l'ensemble de sa fortune! J'ai mal jugé son caractère."

"Mal jugé ! Sur quelles bases ? Il n'a jamais été que gentil avec toi. N'est-ce pas ?"

"Tu as raison. Il a été plus que gentil avec moi. Oh, tu ne sais même pas à quel point il a été gentil."

"Alors pourquoi l'avoir chassé ? Pourquoi as-tu pensé si peu de bien de lui ?"

Marius serra les dents et détourna le regard. "Je ne peux pas te le dire."

La jeune fille avait été au bord des larmes, elle était maintenant au bord de la colère. "Pourquoi ? Ne suis-je pas assez bien pour mériter ta confiance ? Ne suis-je pas assez intelligente pour comprendre ? Vous dites que vous m'aimez, mais vous me cachez tout ces secrets. Toi et papa ! Ne suis-je qu'une enfant pour vous ? Tu es mon mari, je suis ta femme. Tu n'es pas censé garder des secrets pour moi. "

"Je suis désolé, Cosette. Vraiment, je le suis. Je serais honnête avec toi si je le pouvais. Mais c'est aussi son secret, et je n'ai pas le droit de le partager. Javert, il sait de quoi je parle."

"Javert !" Elle regarda l'inspecteur, atterrée, puis revient vers Marius. "Tu veux me dire que même lui connaît ce grand secret sur papa, alors que moi non ? En quoi est-ce juste ? Je suis sa fille !"

"C'est malheureux", dit Javert, sa voix profonde et égale tandis qu'il posait ses yeux bleu pâle sur Cosette, "mais croyez-moi quand je vous dis qu'il vaut mieux que vous ne sachiez pas certaines choses sur le passé de votre père."

Elle regarda Javert, incapable de trouver les mots. Ses sourcils se fronçèrent, ses lèvres se séparent. "Mais-mais ce n'est pas un mauvais homme. Je sais cela. Je le sais ! Ce n'est pas du tout un mauvais homme."

"Il ne l'est pas", acquiesça Javert.

Marius étudia le visage de l'inspecteur pendant un moment avant de se retourner vers sa femme. "Cosette, tout ce que tu dois savoir, c'est que ton père est un saint, et qu'il y a eu un malentendu entre nous, et que j'ai été terrible avec lui, et je m'en rends compte maintenant et le regrette profondément. Il ne méritait pas l'opinion que j'avais de lui. Je dois faire des réparations. Il a tout sacrifié pour nous. Nous devons être bons avec lui, nous devons le traiter comme un roi."

"C'est ce que j'essaie de te dire depuis des mois !" s'exclama Cosette.

Marius se recroquevilla sur son siège, grimaçant de remords. "Je sais. Je pensais que tu ne l'admirais comme tu le faisais que par ignorance, et par dévotion, et par amour pour celui qui t'a élevée. Mais j'avais tort ; il a plus que mérité chaque mot d'éloge que tu lui as donné. C'était moi qui était l'ignorant. C'est moi qui étais l'idiot."

"Je suis très fâchée contre toi", dit Cosette en repliant ses bras sur sa poitrine et en se redressant avec un souffle.

Marius baissa la tête. "Comme tu dois l'être."

Tous les trois gardèrent en silence pendant un moment.

"Pour être juste," remarqua Javert, "rien de tout cela ne serait arrivé si votre père avait eu assez de bon sens pour lui raconter toute l'histoire."

"C'est vrai !" Se souvint Cosette, en levant le visage. "Je devrais être en colère contre lui, moi aussi. Il t'a laissé le repousser et il ne m'a pas dit un mot à ce sujet ! Il t'a laissé faire ce que tu voulais, même si ça nous faisait du mal à tous les deux ! Aucun de vous ne m'a défendu quand je l'ai demandé, et vous m'avez caché des secrets. Tous les deux êtes des hommes méchants, méchants. Je ne vous laisserai pas entendre la fin de cette histoire."

Javert leva les sourcils vers Marius.

"Oh, ne me regardez pas comme ça", lui chuchota le jeune homme. "Vous aussi, vous le méprisiez, jusqu'à ce qu'il vous sauve."

L'homme haussa les épaules avec apathie. "C'est la vérité. Je ne nie rien. Et moi aussi je l'ai repoussé, souhaitant rompre nos liens. Cela ne fait pas de vous un moins bon sanglier pour autant."

Marius le dévisagea une seconde, ses sourcils se contractant. Il inspira et poussa un profond soupir, laissant ses épaules s'affaisser en signe de défaite. "C'est juste."

***

Javert balança la porte en l'ouvrant, et elle claqua avec un grand bruit contre le mur adjacent.

"Espèce d'idiot insupportable !"Hurla-t-il.

Valjean sursauta sur sa chaise, de l'autre côté de la pièce, et sembla s'étouffer avec son thé, la tasse lui échappant presque, répandant un peu de liquide dans sa soucoupe. Il regarda Javert avec un regard d'horreur muette, déconcerté par cette intrusion soudaine et violente.

"Vous vous prennez pour quoi , une sorte de martyr ? Vous allez sauver des gens et vous n'avez même pas la décence de le leur dire ! À qui pensez-vous que votre humilité profite, hein ? Pas à vous ! Pas à eux !" accusa-t-il avec colère, en désignant les deux enfants qui se précipitaient dans l'embrasure de la porte devant lui.

Si Valjean avait été effrayé par l'apparition de l'inspecteur, il fut terrifié par celle de sa fille et de son gendre. Il se leva brusquement de sa chaise, recula d'un pas vers le mur, les yeux brillants de panique. Pour Javert, il ressemblait à un écolier qui aurait été surpris en train de faire quelque chose qu'il savait ne pas devoir faire. Cependant, au lieu de la peur d'être réprimandé, il avait en lui la peur d'être félicité.

Cosette vola vers lui comme un papillon vers une flamme. "Papa !"s'écria-t-elle, et elle jeta ses bras autour de lui.

Le visage de l'homme s'inonda d'une sorte de joie contenue à ce mot. "Cosette", murmura-t-il, stupéfait. "Tu es là, tu viens me voir, tu m'appelles 'papa'." Ses yeux commencèrent à se remplir de larmes. "Mais..." Il leva les yeux et découvrit Marius qui se tenait un peu à l'écart. "Ah ! Vous aussi ?"

"Père !" réussit-il à dire, sa voix se brisant.

Ce mot provoqua un grand choc chez Jean Valjean. "'Père' !" répèta-t-il incrédule, son regard passant de Marius à Cosette et revenant à Marius dans un état de grande perplexité.

Cela sembla rompre le charme sous lequel Marius se trouvait, et le garçon se précipita vers lui, joignant ses mains aux siennes. "Oui, père !"

"Vous voulez dire que..." L'homme semblait à bout de souffle. "Vous me pardonnez, alors ?"

"Vous pardonnez ?" s'exclama Marius. "Pourquoi, il n'y a rien à pardonner ! Je vous suis redevable, monsieur. Je vous dois la vie !"

"Vous !" S'exclama Valjean, effrayé, en croisant le regard de Javert. "Vous lui avez dit ! Mais pourquoi — pourquoi raconter tout cela ? Vous aviez dit..." Son front se fronça. "Pourquoi avez-vous fait ça ?"

"Pourquoi ai-je... ?" Javert était vaincu, incrédule, révolté. Son incrédulité se transforma en indignation. "Parce qu'il l'a demandé , espèce d'idiot ! Je ne m'attendais pas à ce que vous le lui ayez caché !" Son ton devint dur, sa langue un fouet. "Soyez maudit, Valjean ! Maudit soit tout ce que vous représentez, si cela signifie que vous ne vous autorisez même pas un peu de bonheur ! De quoi avez-vous si peur, vieux fou ? Que les gens vous apprécient ? Qu'on vous respecte ? Mon dieu , ricana-t-il en levant les mains, quelle atrocité ! Pauvre monsieur Fauchelevent, on lui donne le crédit qu'il mérite !" Ses mots aiguisés se transformèrent en un rugissement. "Vous m'exaspérez, vous le savez ?"

Valjean se contenta de le regarder fixement, le visage pâle et tiré.

"Papa !" dit à nouveau Cosette, le serrant par les revers de sa queue de pie. "Oh, vous allez me laisser vous appeler comme ça, n'est-ce pas ? Marius dit que je peux. Plus de ces bêtises de "Monsieur Jean". Vous êtes mon père, même si ce n'est pas par le sang. Je me fiche de ce que vous dites à ce sujet. Père, vous avez été si méchant. On m'a fait croire que vous étiez en voyage, loin d'ici. Mais vous étiez ici tout ce temps ! J'ai envoyé Nicolette, et à chaque fois elle est revenue en disant "il est absent", mais vous ne l'étiez pas ! Et vous êtes tombé malade, et vous ne nous l'avez pas dit ! Comment avez-vous pu ? Si j'avais su... Oh, vous avez été si vilain ! Monsieur Javert nous a tout dit."

Les yeux de Valjean s'agrandirent. "Tout ?" Son regard se dirigea vers Marius. "Elle sait ?" souffla-t-il avec crainte.

"Que vous m'avez sauvé la vie , oui !" s'exclama le garçon. Il y avait dans ses yeux un regard qui disait qu'il comprenait la vraie question que Valjean posait : si elle connaissait son passé, tout son passé, et qu'il lui avait épargné les détails qui pouvaient le dépeindre sous un jour défavorable.

Le soulagement envahit le visage du vieil homme - et la gratitude. "Ah "dit-il.

"Vous êtes allé jusqu'aux barricades et vous l'avez sauvé de cet endroit épouvantable", dit Cosette. "Sans vous, il serait mort ! Mon pauvre, mon doux Marius. Vous l'avez sauvé pour moi."

"Non seulement ça", ajouta Marius, "mais vous avez aussi sauvé Monsieur l'Inspecteur ! Sans vous, nous aurions tous deux perdu la vie sur les barricades ce jour-là."

Les yeux de Cosette pétillèrent de larmes. "Oh, papa. Pourquoi ne nous l'avez-vous pas dit ?" Cette voix angélique commença à se fendre. "Vous les avez laissé vous repousser. Pendant tout ce temps, je vous manquais, et vous me manquiez ! Et il y a eu tant de fois où je voulais vous voir. Mais vous vous êtes laissé glisser loin de nous, comme si nous n'allions pas le remarquer ! Vous pensiez que vous nous rendriez plus heureux en partant. Comment avez-vous pu penser ça ?"

Deux larmes glissèrent sur ses joues. "Je vous aime, papa. Je ne veux pas que vous partiez. Pourquoi croiriez-vous cela? Vous êtes si méchant de penser cela. Et j'étais là, si affligée de ne pas vous avoir vu depuis des mois. Savez-vous combien j'ai été heureuse quand j'ai appris où nous allions ? Je me suis dit : "Ah ! Rue de l'Homme-Armé ! Il y a si longtemps que je voulais y aller, mais je n'osais pas le demander". Et mon cœur a failli éclater de joie, tant vous m'aviez manqué. Oh, papa, dit-elle en sanglotant, vous avez failli mourir ! "De chagrin", nous a dit M. Javert. Il était aux portes de la mort, disait-il, comme ça. Et vous alliez vous laisser mourir sans nous envoyer un seul mot. Comment avez-vous pu ?"

"Je ne vous quitterai plus jamais des yeux. Vous allez venir vivre avec nous, rue des Filles du Calvaire, et vous prendrez le petit déjeuner, le déjeuner et le dîner avec nous, et je ne vous laisserai plus manger de cet affreux pain noir. Non ; Marius et moi allons vous gâter pourrir. Vous aurez de la bonne et copieuse nourriture, des assiettes et des assiettes. Et vous aurez toujours un feu dans votre cheminée en hiver, et des couvertures chaudes et épaisses, et ces jolis tapis de Perse. Votre fauteuil vous attend toujours, dans votre chambre, avec le velours d'Utrecht, et le rossignol dans son nid à la fenêtre - j'avais tellement envie que vous ayez ces choses. Je me suis dit : "Je vais faire appel à Marius et à grand-papa et je vais le gâter comme un fou". Mais vous n'êtes jamais venus. Marius dit que c'est de sa faute, qu'il vous a fait comprendre que vous n'étiez pas le bienvenu, mais c'est aussi de votre faute, vous savez, pour ne pas avoir insisté."

"Mais vous viendrez maintenant, je vous y obligerai ! Vous n'avez pas le choix. Marius, grand-papa et moi, nous voulons tous que vous soyez là. Et vous y serez ! Et vous et moi, nous nous promènerons dans le jardin, et nous regarderons toutes les fleurs. Oh ! Attendez de voir comme c'est beau. Toutes les roses sont en fleurs, et les chemins sont bordés de sable de rivière et de coquilles de violettes. J'y cultive des fraises, le saviez-vous ? Je les cultive toute seule. Ils m'ont donné un petit lopin de terre pour que je puisse en faire ce que je veux. C'est dans un coin charmant, et le soleil y brille de tous ses feux. Cela rend les baies sucrées. Je vous en cueillerai des paniers et des paniers et vous verrez comme elles sont bonnes. L'année prochaine, nous en planterons ensemble, et nous verrons qui aura les plus belles. Ce sera vous, je le parie, et je ne serai même pas vexée pour cela."

Valjean resta à la regarder avec étonnement, trop frappé pour parler.

"Oh, vous m'avez tellement manqué !" Elle déposa un baiser sur sa joue. "Dire que, pendant tout ce temps, vous étiez si seul. Vous n'aviez même pas Toussaint. Cela a dû être si triste, de vivre seul comme ça. Pas étonnant que vous soyez tombé malade. Eh bien, plus maintenant. Je ne veux pas de ça !" dit-elle en tapant du pied. "Nous allons vous emmener vivre avec nous pour toujours, et je ferai en sorte que vous ne soyez plus jamais triste ! Nous vivrons tous heureux, et ce sera comme la fin des livres d'histoires que vous me lisiez."

La pomme d'Adam de Valjean rebondit. Il se retourna pour regarder Marius, qui se tenait toujours juste à côté d'eux. "Et vous," souffla-t-il avec une incrédulité effrayante, "vous permettez cela ?".

"Bien sûr !" s'exclama le garçon en se tordant les mains. "Vous êtes mon père. Vous avez été mon père pendant tout ce temps, et je vous ai refusé, j'ai été insensible à votre égard, je vous ai chassé, alors que j'aurais dû vous accueillir comme son Excellence elle-même. Non, c'est moi qui devrais vous demander la permission." Il grimaça en baissant la tête.

Une fois de plus, il prit les mains de Valjean dans les siennes, et se mit à genoux sur le plancher, en fermant les yeux avec un air de révérence. "Monsieur, commença-t-il avec sérieux, je vous demande pardon. Vous avez été un meilleur père que je ne le méritais, et moi, un ingrat. J'ai été horrible avec vous, et froid. Vous n'avez été que généreux envers moi. Je vous ai mal jugé, je suis un idiot. Je vous présente mes excuses les plus sincères pour la façon dont je vous ai traité. Je regrette tout. Vous êtes un saint. Me feriez-vous l'honneur de me permettre de m'appeler votre fils ?"

Valjean le regarda avec de grands yeux. Il semblait perdu, trop bouleversé pour savoir ce qu'il devait faire, ce qu'il devait dire. "De ... permettre ... ?" répéta-t-il, stupéfait.

"Dites que vous me pardonnerez", plaida le garçon.

Le vieil homme ouvrit la bouche. Il tremblait. Une certaine terreur se lisait sur son visage tandis qu'il reculait contre le mur. Il semblait avoir peur de l'adoration qui venait d'être exprimée à son égard. "Je... Vous..."

Marius leva les yeux vers lui avec un pincement au cœur.

"Papa..." murmura Cosette.

Valjean regarda vers elle. Puis vers Marius. Son regard erra entre eux avec inquiétude. Pendant une seconde, il rencontra celui de Javert.

Javert se contenta de la fixer, stoïque.

Curieux, pensa-t-il. L'homme avait vraiment peur d'être loué. Plus que peur. L'idée même le terrifiait.

Valjean eut une sorte de sursaut, se serra le bras et jeta un regard inquiet au loin. Il grimaça, comme si quelque chose le faisait souffrir. "Ce..." Il leva les yeux vers eux une fois de plus, interrogatif, nerveux. "C'est vraiment ce que vous souhaitez ?"

"Oui !" cria Marius. "Dieu, oui ."

"S'il vous plaît, papa, dites que vous nous laisserez être bons pour vous."

Valjean faiblit.

"Pitié, dites que vous me pardonnerez, monsieur."

"Je vous pardonnerais, monsieur", dit finalement Valjean, incapable de croiser son regard, "mais en réalité, il n'y a rien à pardonner. Sachant ce que vous saviez de moi..."

"Je ne savais rien de vous !" s'exclama Marius. "Vous ne m'avez dit que le pire de vous même, et vous avez laissé de côté le meilleur. Vous m'avez laissé vous repousser parce que vous pensiez que c'était ce que vous méritiez. Mais vous ne méritez rien de tout cela ! Permettez-nous de vous ramener chez vous. Je vous en prie. Vous passerez tous vos jours avec nous. Vous pourrez voir votre Cosette quand cela vous plaira. Je vous donnerai tout ce que je peux donner, et plus encore. Je vous assure, je le désire de tout mon coeur."

Valjean le regarda. Regarda Cosette. Il ferma les yeux. Javert pouvait voir sa détermination se briser à la promesse de sa fille. "Oh—oh, très bien, alors", dit-il, en lisant échapper un souffle tremblant.

Un sourire soulagé se dessina sur le visage du garçon.

Cosette rayonnait. Elle jeta ses bras autour de son père. "Ah ! Nous allons être si heureux ensemble," lui dit-elle, des larmes fraîches jaillissant de ses yeux alors qu'elle brossait une boucle blanche derrière son oreille. "Vous verrez. Je vous le promets." Et elle déposa un baiser sur son front, posant sa tête sur son épaule.

Cela sembla briser les dernières barrières que Valjean avait érigées en lui. Son visage se déforma, et les larmes coulèrent finalement sur ses joues alors qu'il enfouissait son visage contre elle. S'accrochant à elle, il réprima un sanglot. Il lissa tendrement son bonnet.

"La preuve que Dieu est bon, c'est qu'elle est là", murmura-t-il .

Marius se leva lentement et s'approcha d'eux. Tentativement, il toucha l'épaule de l'homme.

Valjean ne bougea pas.

Comme si cela signifiait qu'il en avait la permission, Marius passa ses bras autour d'eux, les attirant tous deux dans une douce étreinte.

De l'endroit où il était adossé au mur, Javert observa tout cela solennellement, les bras croisés sur sa poitrine.

Puis, en baissant la tête, il s'éclipsa discrètement par la porte.

***
Notes :

Pourquoi y a-t-il tant de chapitres où il manque « Écoute suggérée ? » *Regardez autour de vous, voix de narrateur* Nous ne savons tout simplement pas ¯_(ツ)_/¯.

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