Chapitre 16: Ponderings on the Wick of a Candle

(Réflexions sur la mèche d'une bougie)

Résumé:

Chapitre dans lequel Javert en vient à comprendre Valjean de la même manière que Valjean en est venu à comprendre Javert après la rivière.

" Nous acceptons l'amour que nous pensons mériter ".
-Inconnu
***

Au matin, l'inspecteur découvrit que Valjean s'était déplacé dans son sommeil, et qu'il était allongé sur le côté du lit, le bras drapé sur le matelas de façon désordonnée. Bien que l'homme ne montrait aucun autre signe de rétablissement, cela donna un peu d'espoir à Javert.

Il devait quitter l'appartement pour quelques heures afin d'expliquer sa situation à ses supérieurs de la manière la plus vague et la plus discrète possible, et pour acheter quelques denrées alimentaires de base. Il avait pensé à aller rue Plumet, mais s'était ravisé. À quoi bon faire s'inquiéter la fille de l'homme ? Il valait mieux lui laisser croire qu'il était simplement parti en voyage.

De plus, Javert se rendait compte que s'il informait la famille de Valjean (si une fille adoptive et un vieille servante comptaient comme telles), elles s'attendraient à ce que Valjean leur soit rendu, ce que Javert ne pouvait faire tant que l'homme n'était pas au moins lucide. Car si quelqu'un voyait ses cicatrices - un médecin, par exemple - ce serait une mauvaise affaire. Javert soupçonnait les deux femmes d'être totalement ignorantes du passé de Valjean, et même s'il doutait qu'elles lancent une quelconque action en justice à la vue de quelques marques de prison, il savait que Valjean ne voudrait pas qu'aucune d'elles ne sache ce que cela impliquait.

Quand il retourna à son appartement, l'état de Valjean n'avait toujours pas changé.

Avec un grand soupir et les sourcils froncés, Javert traîna son fauteuil jusqu'au chevet du lit et se pencha sur certains des dossiers qu'on lui avait confiés au commissariat. Des rapports sur des vols, des meurtres, des actes de vandalisme - des choses qui pouvaient être liées ou non, et sur lesquelles son commissaire avait estimé qu'il devait se pencher. Des choses qu'il aurait normalement lues au commissariat en occupant le bureau de quelqu'un d'autre, mais qu'il était parfaitement capable de faire chez lui. Gribouillant des notes pour lui-même sur les papiers éparpillés sur ses genoux, il s'arrêtait de temps en temps pour rafraîchir la compresse sur la tête de Valjean.

Il ne pouvait se concentrer qu'à moitié sur les dossiers. L'anxiété perturbait sa concentration. Plus il restait assis là, sans changement évident dans l'état de Valjean, plus il était inquiet.

Il avait eu l'impression que l'homme allait simplement se réveiller. Mais maintenant, il commençait à réfléchir aux mots du docteur, et s'inquiétait que l'état de Valjean soit beaucoup plus grave qu'il ne l'avait d'abord cru.

Il ne savait pas combien de temps l'homme était resté sans manger ni boire. Ce qu'il savait, c'est qu'il ne fallait que deux semaines à une personne moyenne pour mourir de faim, et quelques jours pour que la soif devienne mortelle.

Contre son meilleur jugement, et à cause de sa peur tenace, il essaya de faire descendre un peu d'eau dans la gorge de l'homme, pressant une tasse sur ses lèvres et inclinant sa tête vers le haut. Au début, cela ne fit que faire bafouiller et étouffer Valjean, qui fut emporter dans une quinte de toux, ce qui ne réussit malgré tout pas à le tirer de son coma. Mais Javert persista et pinça le nez de l'homme lors de ses nouvelles tentatives, ce qui sembla atténuer un peu les choses. Valjean bafouillait toujours, mais entre deux bâillements - rendus inefficaces par la fermeture de ses voies respiratoires - il déglutit par réflexe. Javert parvint ainsi à lui faire boire au moins deux petites tasses d'eau, et il était satisfait de lui-même.

Mais les cloches sonnaient les heures au dehors, le soleil dérivait vers l'horizon, et Valjean ne se réveillait toujours pas.

Une autre nuit passa. Le matin devint le jour, et le jour s'effaça à nouveau pour laisser place au soir.

L'homme dormait toujours.

Javert le contemplait, appuyé sur le côté du lit, les bras croisés sur le matelas et un froncement de sourcils découragé sur le visage. Ses tripes se tordaient et sa poitrine se serrait tandis qu'il fixait le visage pâle et décharné de l'homme et sa forme immobile.

Il ne craignait plus pour la santé de Valjean désormais, mais plutôt pour la vie même de l'homme. Plus il restait sans se réveiller, plus il était probable qu'il ne se réveille jamais.

Une ombre s'abattit sur le visage de Javert. Il serra les poings dans les draps. Il serra les dents. "Je ne te pardonnerai pas si tu meurs, tu sais", dit-il dans son souffle, ne se rendant même pas compte qu'il tutoyait Valjean. "Après tout ça. Tu ne peux pas. Je te l'interdis, tu entends ? Je t'interdis de mourir."

Cela n'eut pas beaucoup d'effet sur l'homme.

Javert resta assis là, à le regarder d'un air malheureux. Sa frustration se transforma en mélancolie, en angoisse, en désespoir.

"Tu me vexes", murmura-t-il. "Tu le sais ?" Mais il n'y avait pas de colère dans sa voix, seulement de la morosité.

Javert baissa la tête, ses cheveux tombant sur ses épaules. Il mit son visage dans ses mains. Lorsqu'il reprit la parole, son ton s'était adouci et n'était guère plus qu'un murmure.

"Reviens-moi, espèce d'idiot."

Il n'y avait que l'obscurité, et la gravité du silence qui suivait dans son sillage.

"-vert ..." souffla une voix.

Il leva les yeux en sursaut, se levant à moitié de sa chaise.

Valjean dormait toujours, mais son expression autrefois muette s'était déformée, vaguement douloureuse, ou peut-être confuse, et sa respiration semblait un peu plus délibérée.

Les yeux bleus de glace de Javert le scrutaient avec étonnement, osant à peine espérer.

"Valjean."

Le visage de l'homme se contracta. Il grimaça pendant une seconde, laissa échapper un gémissement bas et rabougri. Puis son expression redevint celle d'un sommeil agité.

Javert l'étudia, ses épaules s'affaissant à la fois de déception et de soulagement. Il laissa échapper un soupir du plus profond de sa poitrine, et se rassit lentement. Affalé, il enfouit son menton dans ses bras croisés sur le côté du lit, regardant au loin pendant un moment avant de fermer les yeux avec un soupir.

***

À un moment donné, il s'était endormi, et lorsqu'il se réveilla, il était beaucoup plus tard dans la soirée. La lumière qui entrait par les vitres poussiéreuses de sa fenêtre était colorée de rose et d'orange.

Il regarda d'abord Valjean, et, constatant que sa situation n'avait pas beaucoup changé, partit visiter le water-closet, puis mit de l'eau à bouillir. Il se prépara une tasse de café, et s'assit de nouveau dans son fauteuil avec une tranche de pain beurré, jetant un bref coup d'œil à ses dossiers avant de décider de les abandonner complètement pour la nuit.

Il jeta un coup d'œil à l'occupant de son lit, soupira et posa son assiette vide sur le sol avant de se lever pour aller le voir une fois de plus.

Il essaya de se rappeler exactement comment Valjean s'était occupé de lui quand il avait été dans un état similaire. Ils étaient tous deux victimes de fièvres. Mais Javert n'avait pas souffert de malnutrition comme cela, et il avait certainement été un peu plus vif et cohérent.

Comme Valjean l'avait fait autrefois, Javert appuya l'intérieur de son poignet sur le front de l'homme, pour mesurer sa température. Il était encore trop chaud, et son front était perlé de sueur.

À sa grande surprise, les yeux de Valjean s'ouvrirent, d'une fraction de pouce. Ils se fixèrent sur lui, vitreux et engourdis. L'homme leva une main, tremblante, et toucha la joue de Javert.

Javert tressallit, mais ne s'éloigna pas.

"Javert..." murmura Valjean lentement, son discours était brouillé. "Tu es ... un homme bon. Tu le sais ?"

Il sentit son visage s'échauffer, le sang monter à la surface de sa peau tandis qu'un frisson le parcourait. "Q-Quoi ?"

Même si Valjean le regardait, son regard était lointain, en quelque sorte.

"Je ne veux pas... que tu meures", marmonna-t-il, sa main se détachant. Elle tenta à moitié de s'agripper à sa chemise, mais échoua lamentablement et, dépourvue de force, retomba sur le matelas comme une feuille morte.

Javert recula, déglutissant. "Est-ce que tu as toute ta tête ?"

" Ne... sautes pas ", souffla encore l'homme, ses paupières se refermant.

"Valjean."

Il ne voulait pas que l'homme perde à nouveau connaissance.

" Ne sautes pas ." Il y avait un hic dans les paroles de Valjean qui ressemblaient plus à un gémissement qu'à une phrase, et Javert voulait le secouer et lui dire qu'il avait dépassé ce stade, que ça ne se reproduirait jamais. Comment osait-il encore douter de lui ?

Mais l'homme était déjà retombé dans le vide du sommeil, et Javert se doutait que Valjean n'aurait de toute façon rien compris à ce qu'il aurait pu lui dire. En outre, il ne pouvait se résoudre à se mettre en colère pour une telle chose. Cela lui causait plus de culpabilité que d'irritation.

"Bon sang", souffla-t-il.

Valjean revivait-il ses tentatives de suicide à cause de la fièvre qui déformait sa notion du temps ? Ou parce qu'il n'avait jamais cessé de s'en inquiéter ? La maladie ne faisait-elle que faire remonter à la surface ses peurs intérieures, les débusquant là où elles reposaient, pas encore mortes, dans des tombes de courtoisie et d'indulgence, étouffées sous le prétexte de rester calme ?

Avec une impression d'affaissement au creux de son estomac, Javert était relativement sûr - connaissant Valjean - de ce qu'il en 'était.

Il s'affaissa dans son fauteuil et se frotta le visage dans ses mains.

***
Le lendemain matin, il réussit à faire boire Valjean un peu plus, mais l'homme ne se réveillait toujours pas complètement. Il marmonnait des propos incohérents dans son sommeil, se tournant et se retournant faiblement sous les draps. Ce qui était ennuyeux, c'est que cela délogeait continuellement la compresse sur sa tête, qu'il fallait sans cesse replacer, mais Javert n'en était pas du tout contrarié. En fait, il était plutôt content que Valjean montre des signes de vie.

Il reprit son poste de surveillance, se contentant d'une tasse de café avec un journal fraîchement loué.

Après un certain temps, il entendit une voix.

"Javert..."

Ses sourcils se levèrent. Il se retourna pour regarder son lit, où Valjean était allongé, la tête tournée vers lui sur l'oreiller, une expression interrogative sur le visage.

Javert posa le journal qu'il lisait, le repliant soigneusement sur ses genoux et essayant de dissimuler l'émotion qu'il ressentait. "Oh ? Vous avez enfin retrouvé vos esprits, alors ?"

"Vous ..." Valjean déglutit, la voix rauque à cause de la désuétude. "Vous êtes vraiment là ?"

Javert rétrécit les yeux. "Par opposition à ... ?"

Valjean ouvrit la bouche mais la referma sans parler. Il tourna la tête pour regarder le plafond. "Où suis-je ?" demanda-t-il. "Quel est cet endroit ?"

"C'est ici que j'habite", répondit Javert en haussant un sourcil. "Je pensais que ça devait être évident maintenant."

"C'est votre lit ?"

"Puisque que je n'ai aucune raison d'en posséder plus d'un, oui."

"Oh." Le visage de l'homme s'effondra. "Je suis désolé", dit-il en se retournant sur le côté pour faire face au mur.

"Quoi ?"

"Je me suis imposé à vous. Je vous ai causé des problèmes."

"Mais de quoi parlez-vous ? Vous n'avez rien fait. Ce n'est pas comme si vous aviez fait exprès de vous évanouir dans la rue ; ce n'est pas comme si vous saviez que ce serait moi qui vous trouverais."

"Non, mais je..." Il déglutit, semblant embarrassé. "...mais monsieur, pourquoi ne m'avez-vous pas emmené à l'hôpital à la place ?"

Javert fronça les sourcils. " Monsieur " ? L'homme ne s'était pas adressé à lui de manière aussi formelle depuis les barricades, ou peut-être même avant.

"Appelle-moi Monsieur l'Inspecteur ", entendit-il soudain sa propre voix, s'élevant de souvenirs d'il y a presque dix ans. Il pouvait encore se souvenir de la sensation de sa main autour du col de Valjean. Il se sentait tellement plus jeune à l'époque, soudainement.

Confus, il balaya cette pensée de son esprit.

Une autre suivit rapidement sur ses talons. "Je pense que vous voulez dire 'attendez', monsieur " , dit encore sa voix, celle de l'été précédent.

Javert fronça les sourcils. Depuis si longtemps, il voulait que l'homme s'adresse à lui avec le respect dû à un étranger et à un officier de la loi, qu'il prenne ses distances avec lui - mais maintenant que Valjean le faisait réellement, les mots sonnaient faux à ses oreilles.

"À l'hôpital ?" répéta-t-il, incrédule. "Bien sûr que non. Et si quelqu'un voyait vos cicatrices et vous reconnaissait comme un condamné ?"

L'homme hésita. "Ah, je vois, oui. Mais", poursuivit-il, découragé, "cela n'a plus vraiment d'importance."

"Bien sûr que ça a de l'importance. Qu'est-ce qui ne va pas chez vous ? Vous voulez retourner en prison ?"

"Non, mais..."

"Mais quoi ?"

"C'est juste que... vous n'étiez pas obligé de faire ça."

"Qu'est-ce que j'aurais dû faire, à votre avis ? Vous laisser étendu là, face contre terre, en plein milieu la rue ?" S'exclama-t-il.

Valjean était silencieux.

"Vous êtes ridicule, vous savez bien que je n'aurais jamais pu faire ça."

"Je..." commença lentement Valjean, "Je sais que ça ... vous dérange. Que je vous dérange. Je sais que ça ne peut pas vous plaire d'héberger un forçat dans votre maison."

"Ce n'est pas..."

"Vous n'étiez pas obligé de faire ça. Vous n'aviez pas à m'amener ici. Je sais que je ne suis qu'un malheureux rappel du passé, pour vous. Il aurait été préférable que vous passiez à côté de moi et que vous fassiez semblant de ne pas me connaître. Je suppose que vous vous sentez obligé de me tendre la main, après ce qui s'est passé l'année dernière, mais vous ne me devez rien, Javert. Si je vous dérange, il vaut mieux que vous me renvoyiez."

"Quoi ?" dit Javert, en secouant la tête. "Comment pouvez-vous dire une chose pareille ? Pourquoi croyez-vous que je pourrais simplement... ?" Il laissa échapper un souffle exaspéré. "Mais qu'est-ce qui ne va pas chez vous ?"

"Qu'est-ce qui ne va pas chez moi ?" répéta Valjean d'une voix vide. "Je ne sais pas. Je suis en train de mourir, je suppose. C'est tout."

Javert se leva brusquement de sa chaise, dont les pieds raclèrent contre le plancher avec un crissement strident. Il le dévisagea un instant, choqué, avant de s'approcher du lit et de le coincer du regard avec férocité.

"De quoi ?" demanda-t-il, moitié en colère, moitié paniqué.

"De... je ne sais quoi. De chagrin, peut-être."

"Quoi ? Les gens ne meurent pas de chagrin !"

"Il faudrait voir ça avec le docteur", dit Valjean, en se mettant en position assise contre les oreillers. Il ne le regardait toujours pas, fixant seulement le lointain, les yeux vitreux.

"Valjean !" s'exclama Javert, un froncement de sourcil sur le visage. "Depuis combien de temps êtes-vous comme ça ? Vous n'avez rien dit à personne ? Pourquoi étiez-vous dans la rue comme ça, sous la pluie ? Où est votre fille, et votre servante ?"

"Parties", répondit-t-il.

"Parties où ?"

"Loin."

"Quand reviendront-elles ?"

Valjean semblait perdu dans ses pensées à propos de quelque chose d'autre. Son ton était sombre, son expression aussi engourdie que grave. "Elles ne reviendront jamais."

L'inspecteur se raidit. Il se souvenait de la tenue que portait l'homme lorsqu'il l'avait trouvé. Elle était entièrement noire. Des vêtements de deuil ? "Vous ne voulez pas dire... commença-t-il, elles ne sont pas... Vous ne voulez sûrement pas dire qu'elles sont mortes ."

"Non, elles sont bien vivantes. C'est juste que je ne les reverrai plus jamais."

Javert hésita. "Pourquoi ?"

"Cosette est mariée, maintenant. Elle est sortie de ma vie. Son mari ... Il ne m'approuve pas, comme il se doit. J'avais l'habitude de lui rendre visite, tous les jours, mais non ; plus maintenant." Il fit une pause. "C'est mieux ainsi. Pour elle. Pour eux deux. Ils méritent leur bonheur. Je ne ferais que les gêner."

"Vous voulez dire que vous êtes resté seul tout ce temps ?"

"Depuis février."

"Février ! Et depuis combien de temps êtes-vous malade ?"

"Je ne sais pas. Des semaines ? Des mois, peut-être. Je n'arrive plus à donner un sens au temps. Il n'y a plus rien pour marquer les jours, maintenant."

"Vous avez été malade si longtemps et vous n'avez pas... ? Vous n'avez pas pris la peine de... Mais vous avez fait venir un médecin, vous avez dit ?"

"Non ; c'est la portesse qui l'a envoyé chercher", soupira Valjean. "Je lui ai dit de ne pas se déranger, que c'était une dépense inutile, mais la question semblait avoir une certaine importance pour elle."

Javert était décontenancé, et sa capacité à s'adresser formellement à Valjean apparement détraquée. "Qu'est-ce que tu allais faire, te laisser dépérir pour rien sans rien dire à personne ? Tu as l'air à moitié affamé ! Ça remonte à quand, la dernière fois que tu as mangé quelque chose ?"

Valjean réfléchit un instant, ses yeux ternes papillonnant une fois, deux fois. Il haussa les épaules.

"Tu ne sais pas ?" s'exclama-t-il, incrédule. "Qu'est-ce que tu... ? Pourquoi t'infliger ça à toi-même ? Pourquoi n'avoir dit à personne que tu étais malade ? Pourquoi te laisser mourir de faim ? Pourquoi souffrir en silence ? Pourquoi ne pas t'en soucier ? Pourquoi n'as-tu pas tendu la main à quelqu'un ?"

Le visage de Valjean lui rappela les statues de pierre et de marbre du cimetière, désespérées et vaguement endeuillées, regardant toujours au loin en se lamentant tranquillement.

"Je ne voulais déranger personne", dit-il simplement. "Et... je n'ai plus personne."

Ces mots frappèrent Javert en pleine poitrine, comme un coup de massue, chassant l'air de ses poumons et lui meurtrissant les côtes.

"D'ailleurs," continua Valjean, "ce sera mieux, de cette façon. Je ne dérangerai plus personne."

" Déranger ?" répéta Javert, les yeux écarquillés.

"C'est probablement juste mon heure", dit l'homme, à moitié pour lui-même. "Et ce n'est pas si terrible. Que je me retire du monde... Ce n'est qu'une petite chose. Personne n'a plus besoin de moi."

Si ses précédentes paroles avaient été meurtrissantes pour Javert, c'est celle-ci qui le brisa. Un souffle rabougri s'échappa de sa gorge.

Que fait un homme qui ne vit que pour les autres, quand il découvre qu'il n'y a plus personne pour qui vivre ? N'avait-il plus de but, ne voyait-il plus de raison d'exister ?

Javert frissonna.

Il se retrouva soudain à regarder dans un miroir, son reflet lui renvoyant ses paroles en plein visage.

"Tu m'as enlevé ma raison d'être ", s'entendait-il dire, il y a plusieurs mois. " Je suis sans valeur. Laisse-moi partir, c'est mieux pour nous deux !"

Encore une fois, cet homme faisait trembler son âme.

La façon dont Valjean avait été auparavant, si résolu, si sûr de lui, fixé sur la préservation de la vie et lui prodiguant sa sagesse comme si c'était son devoir - Javert n'avait jamais pensé qu'il y aurait en lui une chose telle que ce qu'il avait lui-même souffert : la résignation, le découragement, le manque total d'intérêt ou d'estime pour sa propre vie, les tourments et les tribulations d'un esprit au bord du désespoir, maintenu seulement par l'obligation envers les autres.

Il ne s'était jamais demandé comment était cet homme quand il n'y avait personne pour le voir. Dans quelle estime il pouvait se tenir.

Les mots de Cosette lui revinrent des profondeurs de sa mémoire, sans qu'il ne les ait jamais vraiment considérés :

"Papa ne voulait manger que du pain noir. Je l'ai supplié de se soigner, mais il a refusé. Ce n'est que parce que je l'ai menacé de ne manger que ce qu'il mangeait qu'il a commencé à manger du pain blanc".

"Il m'achète toutes ces belles choses et n'en achète jamais pour lui. Dans l'autre maison, il dort même dans un bâtiment séparé, cette petite cabane à l'arrière. Il ne veut même pas s'allumer un feu. Je dois sans cesse passer du temps avec lui là-dedans, juste pour que, dans mon intérêt au moins, il garde l'endroit chaud."

Il se maudit de ne pas l'avoir vu plus tôt, que l'homme était comme ça. Cela aurait dû être si évident.

"J'ai trop souffert et trop longtemps dans ma vie pour laisser une autre personne endurer le même genre de tourments !" avait crié Valjean lors de cette deuxième nuit à la rivière.

La signification de ces mots ne lui était pas venue à l'esprit.

Valjean s'était-il senti si profondément troublé par le mode de vie solitaire de Javert parce que lui aussi avait été, bien que sans le vouloir, victime de cette solitude totale ? Est-ce pour cela que la situation de Javert l'avait tant dérangé ? Parce que Valjean avait vu quelque chose de lui même en lui?

Contrairement à Javert, l'homme savait ce que c'était que d'aimer, et d'aspirer à la compagnie - mais, à cause du genre de vie qu'il avait été forcé de mener, il n'avait jamais eu l'occasion de satisfaire ces désirs. Pour Javert, qui n'avait jamais connu ou pris soin de telles choses, il n'était pas difficile de vivre sans elles. Mais pour Valjean ...

"Je n'ai pas vu papa avec quelqu'un d'autre, lui avait dit Cosette. Il n'a pas d'amis - ou du moins, que je sache. Mais il y avait vous!"

Sa gorge se noua et il serra les dents, l'expression tremblante.

Etait-il vraiment la seule personne dans la vie de Valjean en dehors de sa fille ?

"Javert, je pense qu'après toutes ces années, vous êtes la seule personne qui m'ait vraiment connu.

N'est-ce pas ironique ?

Si. Parce que, eh bien, vous ne m'avez jamais vraiment connu du tout ."

Ce n'était que maintenant que Javert réalisait toute l'étendue de ce fait.

À l'époque, cela semblait vrai dans le sens où il venait juste de réaliser que Valjean était une bonne personne, un homme plus moral que lui.

Mais c'est seulement maintenant qu'il réalisa que Valjean était une bonne personne qui se détestait. L'abnégation lui venait si facilement, non seulement parce qu'il avait consacré sa vie à aider les autres, mais aussi parce qu'il ne s'était jamais soucié de lui-même.

Pas étonnant qu'il n'ait jamais résisté à une arrestation.

"Ce n'est pas dans ma nature, Javert."

"Je vous l'ai déjà dit : Je suis votre prisonnier volontaire, si vous le décidez ainsi."

Pas étonnant qu'il l'ait sauvé aux barricades et traîné hors de la rivière, sachant très bien que cela signifierait probablement son propre emprisonnement. Valjean tenait la vie d'un étranger - et même de son pire antagoniste - en plus haute estime que la sienne.

Quand il n'y avait personne autour de lui, il se privait. Il se dépréciait. La force et le courage de Valjean, Javert s'en rendait compte, sa sollicitude et sa gentillesse, tout cela n'existait que pour les autres. Il n'entretenait son amour-propre que dans l'intérêt de ceux qui l'entouraient, pour leur épargner des soucis - et sans leur présence, il disparaissait. Il était tombé dans une mer d'apathie et de négligence. Un mépris total de son propre bien-être.

Sans sa fille, qui lui restait-il ?

Seulement Javert.

Et Javert l'avait repoussé. Il avait insisté sur le fait qu'il ne voulait pas le voir, qu'il ne voulait pas entendre parler de lui. Qu'il n'avait pas besoin de lui.

"Personne n'a plus besoin de moi."

Est-ce que Valjean, en lui tendant la main, en essayant de rester en contact, n'avait pas seulement cherché du réconfort pour Javert, mais aussi pour lui-même ?

"C'était seulement... Je voulais vous écrire ."

L'homme s'était-il désespérément accroché aux coutures de ce qui le maintenait ensemble, cherchant un sens à une vie autrement dépourvue de but ? Avait-il, en Javert, trouvé une raison de vivre ?

Javert était accablé par la culpabilité.

Se pouvait-il qu'une fois de plus, son insensibilité ait conduit quelqu'un aux portes de la mort ?

S'il ne l'avait pas rencontré par hasard dans la rue, s'il n'avait pas eu sous les yeux les preuves des tourments de cet homme...

Il savait que, de son propre chef, il n'aurait pas cherché l'homme. Il ne se serait pas enquis de l'endroit où il se trouvait, ni de son état de santé. Il ne se serait pas demandé pourquoi il ne voyait plus ce visage familier qui le regardait à travers la foule.

Il pensait souvent à Valjean, oui - il ne serait jamais capable de le chasser complètement de son esprit - mais il ne pouvait pas se résoudre à le contacter, pas quand l'homme lui rappelait tous les échecs de sa vie.

Valjean se serait laissé mourir - à cause de lui, à cause de son indifférence - et il ne l'aurait même pas su.

Javert essaya d'avaler la boule qui s'était formée dans sa gorge.

" Tu, tu... " Il trembla, tournant un œil angoissé et courroucé vers Valjean, sa voix s'élevant jusqu'à un cri perçant. "Tu es un hypocrite !" l'accusa-t-il.

"Tu parles du sacré de la vie, commença-t-il en gesticulant sauvagement, de la façon dont il faut la préserver à tout prix, - même quand on n'a plus de raison de vivre - et pourtant tu te laisses dépérir, tu ne te soucies pas de toi-même ! Tu dis que personne n'a besoin de toi, comme si c'était une raison aussi bonne qu'une autre de renoncer à ta vie, et tu t'abandonnes volontairement à la mort et au désespoir ! Tu dis que tu vas mourir, que ce n'est rien ! Que personne ne s'en souciera, que cela n'a pas d'importance ! Tu traites ta vie comme si elle n'avait pas de sens, comme si tout ce que tu as fait et que tu pourrais encore faire était sans importance, alors que tu sais que ce n'est pas la vérité !".

Il saisit Valjean par le col, le forçant à lui faire face, ses poings se serrant autour du tissu de sa chemise.

"Regardes-moi, bon sang !"

Valjean eut un sursaut, essaya de se pencher loin de lui.

"Comment peux-tu dire toutes ces choses sur l'espoir, le pardon, les secondes chances et le respect du don de la vie et ne pas penser à la tienne ? Comment peux-tu tirer un homme du bord du gouffre et lui dire qu'il doit vivre quoi qu'il arrive, et ensuite te résigner à la mort parce que tu penses que cela te convient ? Comment oses-tu ? Comment oses-tu !"

"Tu es un monstre d'homme ! Comment oses-tu demander à quiconque de suivre tes conseils alors que tu ne peux même pas les suivre toi-même ! Pourquoi t'aurais-je écouté, il y a tous ces mois, si tu ne crois même pas à tes propres paroles, hein ? Tous tes discours et sermons étaient-ils dénués de sens, alors ? Des bêtises sentimentales et vides de sens ? Veux-tu faire de toi-même un menteur, Valjean ? Faire de moi un imbécile pour t'avoir cru ?"

"Tu m'as dit que tu serais mon guide, et voilà l'exemple que tu me donnes ? Je pourrais aussi bien mourir avec toi ! Et je le ferais; je le ferais juste pour te contrarier ! Espèce de salaud ! Comment oses-tu te traiter comme ça ? Si ta vie est sans valeur, si tu es sans valeur, alors je suis moins que sans valeur !"

"Tu as l'arrogance de sauver la vie d'un homme pour ensuite jeter la tienne ? Tu l'abandonnerais après tout cela, après tout ce que tu as dit et fait, après lui avoir constamment assuré que tu serais là pour lui ? Que tu serais sa béquille, que tu serais la lumière qui le délivrerait des ténèbres ? Comment oses-tu me faire ça, comment oses-tu !"

Pendant cet accès de passion, Valjean était resté prisonnier de son emprise. Lentement, les yeux de l'homme, jusqu'alors ternes et vitreux, s'étaient ouverts en grand et s'étaient remplis de la lumière de la terreur et de la culpabilité. Il tremblait, n'osant pas respirer.

"Je suis désolé", réussit à dire Valjean, une ombre tombant sur son visage, " Je suis désolé ; je..."

L'estomac de Javert se retourna.

"Non !" aboya-t-il en le secouant. "Non ! Je ne veux plus jamais entendre ce mot de tes lèvres ! Est-ce que tu m'entends ? Plus jamais ! Tu apprendras à te respecter toi-même avant d'avoir l'audace d'aimer quelqu'un d'autre ! Car quel genre d'amour est-ce là ? Tu sais ce que ça fait à quelqu'un ? Comment peux-tu espérer que les gens acceptent ton affection - te laissent entrer dans leur cœur - et qu'ils se fichent complètement de ta mort ?".

Valjean semblait si petit et si fragile dans sa prise, frissonnant comme une chose minuscule et sans défense. "Je croyais que vous me haïssiez", dit-il docilement, d'une voix faible et cassée.

"Bien sûr que je ne te hais pas, imbécile!" s'écria-t-il. "Tu me méprises au point de croire que je vais détester mon propre sauveur ? Pour quel genre d'homme me prends-tu ?" Il le relâcha, reculant et secouant la tête d'un air incrédule. "Je peux passer pour un ingrat, mais - sacre dieu, Valjean !"

L'homme resta assis sur le lit, frissonnant, sans mots. "Vous, vous êtes vraiment..." Sa pomme d'Adam rebondit, sa voix se brisa. "Vous ne me détestez pas ?"

"Tu es un idiot ridicule !" s'emporta Javert. "Je ne t'ai jamais détesté de ma vie !"

L'expression de Valjean se déforma en angoisse et en douleur. Il baissa la tête, recroquevillé, avachi, tandis que les larmes coulaient sur ses joues. Un sanglot s'échappa de sa gorge. Il se recroquevilla sur le matelas, enfouissant son visage dans ses bras et ses genoux. On ne voyait que les doux tremblements de ses boucles blanches.

Javert fixait la forme frissonnante sur son lit, son expression se crispant de consternation.

Il sentait distinctement qu'il avait causé cela d'une certaine façon, ou du moins qu'il y avait contribué, mais il n'avait aucune idée de ce que la situation lui demandait de faire.

Valjean semblait si petit, là, malgré sa taille. Il ressemblait un peu à un lapin qui se serait trouvé face à face avec un prédateur, qui aurait tenté de se retirer dans son terrier pour se retrouver perdu, et qui serait maintenant figé par la peur, espérant désespérément que son immobilité lui permettrait de se fondre dans la broussaille.

Les coins de la bouche de Javert se contractèrent. Il se dirigea vers sa commode et sortit une couverture en laine bleue délavée du tiroir du bas, puis la drapa d'un geste sec sur Valjean.

L'homme sursauta, levant la tête d'un centimètre avant de la laisser retomber, serrant la couverture autour de lui.

Javert l'étudia un moment de plus avant de tendre la main.

Dès qu'elle s'approcha de l'épaule de Valjean, l'homme fit un bond en arrière, tressaillant au contact avant même que celui-ci ne se produise. Comme s'il s'attendait à ce que ce soit violent. Comme s'il s'attendait à être menotté.

Les sourcils de Javert se froncèrent. Sa main se retira, retombant sur son côté. "Pourquoi agis-tu comme si j'allais... " Il s'arrêta, fit claquer sa langue et détourna son visage.

Pour être honnête, l'homme n'avait reçu que des bleus de son contact.

Les pensées de Javert dérivèrent vers sa main autour du collet de l'homme. À ses griffes s'enfonçant dans ses épaules à l'entrée des égouts. À son poignet si serré qu'il l'avait presque tordu alors qu'il le traînait vers le fiacre.

Le claquement d'un fouet dans l'air, dans sa main, frappant la chair sur le dos nu d'hommes sans visage, des hommes avec des numéros au lieu de noms. L'un d'entre eux avait été, à un moment donné, presque certainement Valjean.

L'homme portait encore ces cicatrices, sans aucun doute. Des cicatrices qu'il avait peut-être lui-même laissées.

Il ne devrait pas être surpris que Valjean recule à son contact. Il n'y avait pas pensé auparavant, et même s'il se disait qu'il n'y avait pas lieu de le remarquer, quelque chose le troublait. Il tressaillit à son tour.

Incapable de tenter un autre contact, il se détourna et se dirigea vers la petite cuisine attenante, ouvrant les armoires et les tiroirs, sortant des boîtes de conserve et des cuillères. Il remplit la bouilloire de cuivre cabossée avec de l'eau provenant des seaux couverts conservés près de l'armoire, et craqua une allumette, allumant un feu dans le ventre noirci de la cuisinière.

Il y avait une frustration frénétique dans ses actions, et il se déplaçait avec moins de grâce qu'à l'accoutumée, se cognant au comptoir, posant les choses trop rapidement, trop bruyamment. La bouilloire tomba avec fracas sur la cuisinière. Les tasses à thé en porcelaine ébréchée cliquetèrent dans leurs soucoupes.

Javert se mordit la lèvre. Il enleva le couvercle de la boîte et pinça le mélange de feuilles et d'herbes dans le panier métallique du diffuseur, qu'il suspendit à l'intérieur de la bouilloire, sa chaîne étant maintenue en place par le couvercle.

Lissant ses cheveux en arrière et repoussant les mèches derrière ses oreilles, il s'agenouilla devant le poêle, regardant les flammes à travers la porte déverrouillée. Leur danse et leur crépitement familiers l'apaisèrent un peu, mais ne purent soulager toute sa détresse.

De l'autre côté de la cloison, un sanglot retentit, pendant une brève seconde, avant d'être étouffé par le silence.

Javert ferma les yeux, passant ses mains dans ses favoris, comme il en avait l'habitude, et se mordillant l'intérieur de la joue.

Une myriade de malédictions à moitié formées naissaient et mouraient dans son esprit. À ce moment précis, il aurait plutôt aimé contrarier quelque chose. Mais il resta assis là, se frottant le visage et regardant le feu.

Finalement, le sifflement caractéristique de la bouilloire le ramena à la raison, et il se leva et souleva le couvercle pour verser le thé. Il y ajouta une cuillerée de miel, parce qu'il n'avait pas de lait, et parce qu'il pensait que ce serait une bénédiction pour une gorge desséchée et fiévreuse.

Il sortit les tasses, une dans chaque main, posa la première sur la table à côté de sa bergère et poussa l'autre vers Valjean.

L'homme sursauta, leva ses yeux bruns étincelants vers lui pendant une seconde d'un air interrogateur avant de laisser retomber sa tête.

"Buvez", dit Javert, en poussant la tasse plus loin vers lui. "Vous n'avez rien bu de consistant depuis des jours, et vous ne vous aidez pas, avec vos larmes. Alors buvez."

Valjean n'eut d'autre choix que de prendre la tasse fumante, car elle était à deux doigts d'être pressée contre ses genoux. Il la tint à contrecœur, la tasse dans une main, la soucoupe pendant de l'autre, ses bras toujours enroulés autour de lui sous la couverture comme un bouclier.

Javert s'assit sur sa chaise, scrutant le visage de l'homme.

Il ne comprenait pas tout à fait ce qui avait provoqué les pleurs de Valjean. Cela semblait provenir de la réalisation que lui, Javert, ne le détestait pas. Mais il était évident, même pour un homme insensible, que ce n'était pas des larmes de joie, ni même de soulagement.

Javert ne comprenait pas. La seule chose qui était claire pour lui était que l'homme avait été brisé d'une manière ou d'une autre - en partie à cause de son insensibilité - et que la responsabilité de le réparer était en quelque sorte tombée sur ses épaules. Cependant, il n'avait aucune idée de la façon d'y parvenir. Il ne savait pas ce qu'il devait faire, ou dire, et il resta donc assis en silence pendant des heures, attendant il ne savait quoi et écoutant les sanglots rabougris de l'homme s'estomper lentement.

Finalement, il tourna la tête pour le regarder une fois de plus.

Valjean était assis, dans la même position qu'auparavant, mais il ne tremblait plus sous les draps et sa respiration s'était régularisée. À un moment donné, il avait dû boire le thé, car la tasse était vide dans sa soucoupe sur le matelas à côté de lui. Cela indiquait un progrès. Mais l'homme était toujours assis, recroquevillé dans les couvertures, comme une tortue repliée dans sa carapace.

Était-ce ainsi qu'il avait été lui-même, avant ? Après la rivière ?

Non, même à cette époque, il n'était pas allé aussi loin. Il y avait encore un peu de combat en lui. Il avait essayer de se suicider parce qu'il pensait que c'était la bonne - la seule - ligne de conduite à suivre, pas parce qu'il avait cessé de se soucier de lui-même ou de la vie.

Comme les choses avaient changées depuis ! C'était un inversement complet des rôles. Seulement, il n'y avait aucune satisfaction à en tirer, et Valjean était bien meilleur que lui pour amadouer la volonté de vivre d'un homme.

Et la dernière fois, Javert n'était même pas dans un état aussi mauvais que celui-ci. Il s'était rendu inaccessible exprès, avec son entêtement et sa colère, son orgueil et son ressentiment.

Mais Valjean était différent. Il n'était pas rempli de sentiments aussi violents. Et ce n'était pas comme s'il était le genre d'homme à refuser l'aide ou à fermer les yeux sur la gentillesse et les mots doux. Ce n'était pas le problème ici. Le problème était que l'homme était si loin que de tels gestes ne pouvaient plus l'atteindre.

Et Javert ne savait pas quoi faire avec ça.

Valjean était comme la mèche fumante d'une bougie, soufflée trop tôt. L'étincelle dans son âme s'était enfuie.

Vers où ?

Javert ne le savait pas.

Mais il savait qu'il devait la rallumer.

Il ne savait pas comment il devait s'y prendre. Comment rendre à quelqu'un sa vivacité, son envie de vivre, quand il ne se soucie même pas de l'avoir perdue ?

Valjean le saurait.

Mais il ne pouvait pas le lui demander. L'homme devant lui maintenant n'était pas le Valjean qu'il avait connu. Pourtant c'était lui tout de même. Quelque part, au fond de lui, Valjean était toujours là. Pas mort, seulement enterré.

Et c'était son travail de le déterrer.

Je ne te laisserai pas aller tranquillement dans la tombe, pensa Javert. Pas après tout ça.

***

Notes:

Le titre de ce chapitre est une référence au titre du chapitre " The Last Flickerings of a Lampe Without Oil (Dernière palpitations d'une lampe sans huile) " du livre.

Écoute suggérée :

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