Chapitre 1: A Chance Encounter in the deepht

(Une rencontre fortuite dans les profondeurs)

Résumé:
Ce qu'il voit. Ce qu'il fait.

" L'aube débute à minuit "
Léo Jozef Suenens


***

  Soit machinalement, soit par besoin d'air frais, Valjean passa la tête par la fenêtre, se penchant au dehors. La rue était courte, et la lanterne l'éclairait de bout en bout.

     La stupéfaction l'envahit. Il n'y avait plus personne.

     Javert était parti.

     Valjean resta immobile, incapable de comprendre comment cela était possible.

     Rétrospectivement, il ne serait pas sûr de savoir pourquoi il avait fait cela, mais seulement que quelque chose d'étrange s'était emparé de lui - un sentiment d'étonnement, de suspicion et de curiosité - et qu'il avait cessé, pour un instant, de penser rationnellement.

     Il y avait quelque chose de presque inquiétant dans l'atmosphère. Cette rue vide et ombragée. L'air immobile et lourd. Le ciel noir. L'absence d'une présence qui aurait dû être là, cette absence comme un fantôme qui s'attarde, silencieux, l'invitant dans les profondeurs de la nuit.

     En transe, il descendit les escaliers et rouvrit la porte, ignorant totalement la voix interrogative du portier derrière lui, et sortit dans la rue.

     Son regard se promenait dans la rue, les maisons étaient silencieuses, l'air était calme et silencieux.

     Sans intention ou inclination particulière, il se dirigea vers l'un des croisements de rues.

     C'est alors qu'il crut entendre, depuis une ruelle voisine, le bruit de pas d'une paire de bottes très particulières.

     Valjean cligna des yeux, suivant le son sans réfléchir dans la nuit, tel un voyageur perdu suivrait une lumière lointaine.

     Il se mit à suivre l'homme à distance respectable, en prenant soin d'étouffer le son de ses pas.

     La tête de Javert était baissée d'une manière qui ne lui ressemblait pas du tout, les mains jointes derrière le dos, tandis qu'il continuait à descendre des ruelles et des impasses vers une destination inconnue.

     Il n'avait pas l'air d'errer sans but, pensa Valjean, mais il ne semblait pas non plus particulièrement pressé d'aller quelque part.

     Ils atteignirent le quai des Ornes, le contournèrent, et passèrent devant la Grève. Javert s'arrêta non loin du poste de la place du Châtelet, à l'angle du pont Notre-Dame, où la Seine formait une sorte de lac carré. Point dangereux du fleuve, les eaux déferlaient et s'écrasaient contre le pont, tourbillonnant et s'écoulant rapidement sous lui, gonflées par les récentes pluies.

     Javert se tenait là, les bras reposant sur le parapet et le menton appuyé dans une main, le regard perdu dans le vague.

     Les instincts de Valjean le déchiraient. L'un, le plus fort, le plus sensé, disait qu'il n'avait aucune raison d'être là- et même qu'il avait suffisamment de raisons de ne pas être là- et qu'il devait retourner chez lui, en sécurité, auprès de sa fille. Mais un autre instinct, plus silencieux, dont le besoin de réponses était en quelque sorte égal, sinon supérieur, à l'urgence de l'autre instinct se manifestait. Il lui disait qu'il devait rester, qu'il devait essayer de donner un sens à la situation ; il y avait une sorte de sécurité à trouver dans le sens. Chaque besoin, cependant, annulait l'autre, et Valjean se retrouvait à ne pas savoir quoi faire.

     Il n'était même pas sûr de la raison pour laquelle il était venu en premier lieu ; il était fatigué, affamé, sale, et il voulait désespérément voir Cosette.

     Et pourtant.

     Quelque chose clochait. Peut-être dans un sens qui lui était favorable. Il n'était pas sûr. Il voulait être sûr. Il voulait savoir s'il était vraiment en sécurité à Paris - s'ils pouvaient y rester, comme Cosette l'avait supplié, et ne pas avoir à craindre que leur monde soit un jour déchiré par des agents de la loi.

     Une telle chose était-elle seulement possible ? Que Javert puisse, dans le but de rembourser une dette, permettre la présence de Valjean dans la ville? Il n'avait jamais vu Javert être miséricordieux, ou même gentil. Une telle chose, en contradiction avec son devoir d'inspecteur, serait inconcevable pour lui.

     Et pourtant, Javert était parti.

     Alors même qu' il le tenait enfin à sa merci, il l'avait laissé partir, lui avait rendu sa liberté.

    N'est-ce pas ?

    N'est-ce pas ce qu'il avait fait ? Ou lui donnait-il simplement une chance de s'enfuir, un geste de gratitude : une nuit, avant de lui faire subir toute le gourroux de la préfecture au matin ?

     Valjean avait-il été autorisé à être libre temporairement, ou définitivement ? Ce n'était pas une question qu'il pouvait s'imaginer poser directement à Javert ; la question, cependant, le rongeait, lui tapait sur les nerfs, le rendait lentement fou en regardant l'homme, une partie de lui voulant fuir et une partie de lui voulant marcher droit vers lui et exiger de savoir - comme c'était son droit en tant que citoyen - ce qu'on allait faire de lui.

     Il décida, finalement, de simplement observer. Jusqu'au matin, peut-être, s'il le fallait. Quelque chose dans les actions de l'inspecteur lui indiquerait sûrement s'il prévoyait son arrestation pour le jour suivant.

     Cependant, Javert était immobile depuis ce qui lui semblait des heures, et Valjean n'avait pas encore pu tirer quoi que ce soit d'utile de cette inaction. La seule chose notable était que l'homme passait ses doigts dans ses favoris - un geste indiquant une profonde réflexion, et que Valjean ne l'avait jamais vu faire auparavant. Pourtant, l'homme ne disait rien, ne faisait rien, et Valjean ne savait pas quoi en penser.

     Tout à coup, Javert se redressa.

     Tendu et trop conscient de lui-même, Valjean suivit loin derrière.

     Il pâlit en voyant que Javert se dirigeait vers le poste de police, à l'angle de la place du Châtelet, la lanterne de la porte encore allumée. Il le regarda entrer dans le poste avec un sentiment d'effroi, choisissant de se cacher derrière l'angle d'un bâtiment voisin.

     Non, non, Javert allait leur dire, il aurait dû saisir sa chance...

     Mais, encore une fois, n'était-il pas en train de faire son rapport quotidien avant de rentrer chez lui ? Un rapport qui, si la chance lui souriait, ne contiendrait peut-être pas un seul mot sur un certain forçat évadé depuis des années ?

     La sueur coulait sur la nuque de Valjean.

     Que faire ? Si Javert scellait vraiment son destin ici, serait-il même capable de s'échapper avec Cosette s'il rentrait chez lui maintenant ? L'obscurité apparemment sans fin des barricades et des égouts lui avait fait perdre la notion du temps. Restait-il assez de nuit pour réveiller sa pauvre fille, pour lui donner une explication sans doute insatisfaisante et la convaincre de fuir, pour préparer les affaires de première nécessité et planifier un itinéraire ? Pouvait-il se résoudre à lui faire subir cela à nouveau ?

     Et avec son amour pour Marius ! Elle ne serait jamais d'accord. Comment pouvait-il les arracher l'un à l'autre maintenant, alors qu'il ne savait même pas si le garçon allait vivre ?

     Il se tourmentait avec ces pensées, fiévreux, frémissant.

     En l'espace de quinze minutes, Javert resorti de la gare. Seul.

     Il revint, à la surprise de Valjean, à l'endroit précis du quai où il s'était tenu un peu plus tôt. Il resta immobile, le menton posé sur ses mains comme auparavant.

     Les sourcils de Valjean se fronçèrent. Que diable faisait-il ?

     De nouveau, Javert se redressa, mais cette fois-ci, il se contenta de pencher la tête et de regarder la masse d'eau au-dessous de lui. Il resta ainsi pendant une minute ou deux avant d'enlever son chapeau et de le poser sur le parapet à côté de lui. Puis il se hissa et se mit debout sur le parapet du pont, regardant vers les profondeurs de la rivière.

     Valjean se figea, le souffle coupé.

     Javert fixait le golfe en contrebas, se penchant vers l'avant pour mieux voir, puis se redressa, les épaules affaissées. Un moment plus tard, à l'horreur de Valjean, il se laissa tomber en avant.

     Et, sans un mot, il disparut du quai.

     Valjean restait bouche bée, incapable de comprendre ce qui venait de se passer.

     Cela s'était passé si vite, et avec si peu d'avertissement et de fanfare, que cela ressemblait plus à une ombre fugace - un fantôme qui clignote dans la nuit - qu'à un homme réel, et à un acte réel.

    Était-ce ses yeux qui lui jouaient des tours? S'agissait-il d'une sorte de rêve ? Le stress de tout cela l'avait-il rendu fou ? Il n'était sûrement pas possible que Javert, cet homme singulier et inébranlable qu'il connaissait depuis tant d'années, soit capable, même de loin, de...

     Ce n'est que lorsqu'il entendit le bruit sourd d'une éclaboussure qu'il reprit ses esprits et se jeta à l'eau.

     Il ne pensa même pas aux rapides en contrebas, ni au tourbillon lointain, ni à la hauteur à laquelle il allait tomber. C'est dans une panique instinctive qu'il sauta par-dessus le parapet et se jeta dans la Seine, sans réfléchir et motivé au-delà de toute logique.

     La force de l'impact chassa brusquement l'air de ses poumons, et la température froide enflamma tous les nerfs de son corps tandis qu'il luttait pour remonter à la surface. Haletant et toussant, ses yeux papillonnaient rénétiquement autour de lui. Il ne pouvait rien voir, tout était noir comme de la nuit. Pendant une fraction de seconde, des éclats de lumière serpentins se reflétaient sur l'eau vive, mais ils n'éclairaient rien et ne servaient qu'à embrouiller ses sens.

     "Javert !" cria-t-il en luttant pour rester à la surface, se tournant dans tous les sens. Il n'entendait que le bruit des rapides et le halètement rauque qui s'échappait de sa propre gorge. "Javert !"

     Malgré ses efforts, il ne trouvait aucune trace de l'homme. Serrant les dents, il plongea. Il était impossible de distinguer quoi que ce soit ; la rivière aurait pu être la nuit elle-même rendue liquide, et cela lui donnait un horrible sentiment de claustrophobie.

     Il plongeait encore et encore, remontait pour respirer, plongeait à nouveau, suivant le courant de la rivière. Chaque fois, ses respirations étaient de plus en plus peinés. "Javert !" criait-il encore et encore, sa voix devenant rauque. L'eau lui piquait les yeux et sapait les forces de son corps.

     Une fois de plus, il aspira une bouffée d'air et plongea, le monde l'avalant alors qu'il nageait de plus en plus profondément.

     À l'aveugle, il tâtonna dans l'obscurité, et par chance, ses doigts frôlèrent quelque chose qui ressemblait à de la laine. En sursaut, il tendit le bras pour l'attraper, la rivière essayant déjà de l'entraîner, et il réussit à saisir ce qu'il réalisa être le bord d'un manteau. Avec maladresse, il le suivit jusqu'à ce que ses mains rencontrent un torse, qu'il entoura de son bras en tentant de remonter à la surface.

     Le lourd fardeau ne lui permettait pas d'avancer beaucoup, et Valjean commençait à se demander s'il ne risquait pas lui aussi de se noyer dans cet abîme apparemment sans fin. Le poids du manteau de laine mouillé était sans doute une gêne inutile, mais il n'osait pas perdre de temps à essayer de l'enlever. D'ailleurs, toute tentative de défaire les boutons serait vaine : aveugle, maladroite et inutile. Il serra les dents, ses poumons le brûlaient, battant des jambes aussi fort qu'il le pouvait tout en essayant de se propulser vers le ciel avec son seul bras libre.

     Il pensa que c'était un miracle lorsqu'il atteignit enfin la surface, et remplit sa poitrine de l'air de la nuit dans des bouffées avides.

     Il ne pouvait pas se permettre de se reposer avant de continuer, il savait qu'il n'avait pas de temps à perdre. Alors, avec une respiration sifflante, il nagea vers l'avant, luttant contre le courant pour essayer de rejoindre le pont le plus proche.

     C'était certainement un effort excessif, mais le courant semblait tellement plus fort qu'avant, et il pouvait se sentir tiré en arrière, loin du salut. S'il s'arrêtait ne serait-ce qu'une seconde, il savait qu'il serait emporté, et il s'étirait et se tendait dans l'obscurité, à peine capable de respirer.

     Finalement, dans un dernier élan, il s'agrippa à l'un des derniers échelons du Pont Notre Dame. Appuyant ses pieds sur la pierre dure, il commença à se hisser vers le haut, échelon par échelon, le corps dégoulinant se ballottant mollement sur son dos à chaque changement d'angle, poids mort.

     Lorsque Valjean réussit à grimper sur la balustrade, il s'effondra directement de l'autre côté. Il ne se soucia même pas du choc de son épaule à l'atterrissage. Il voulait juste être tranquille pendant un moment.

     Incapable de rassembler plus de force, il s'étala sur les pavés, haletant entre deux toux.

     Le soulagement d'être à nouveau sur la terre ferme annihila ses sens et lui permit presque  d'oublier tout le reste. Mais quelques secondes plus tard, ses yeux se rouvrirent, et il se hissa à quatre pattes.

     "Javert, Javert..." Les mots n'étaient plus qu'un souffle, ils sortaient à peine de sa gorge.

     Il se tenait au-dessus de l'inspecteur, la panique enflammant chaque fibre de son être et étranglant son cœur qui s'affolait.

     "Javert..."

     Il écarta les mèches de cheveux sombres et humides du visage de l'homme, révélant des yeux enfoncés et fermés. Il tapota sa paume contre sa joue moite, en secouant frénétiquement sa tête.

     Javert ne remuait pas. Il semblait qu'aucune étincelle de vie ne subsistait dans ce corps gorgé d'eau.

     La voix de Valjean se brisa. "Javert..."

     Il ne savait pas depuis combien de temps il cherchait, il ne savait pas depuis combien de temps l'un et l'autre était à la dérive dans la Seine, et cela le rongeait, l'éventualité qu'il soit arrivé trop tard, que Javert soit parti - et que d'une certaine façon, même si cela allait à l'encontre de tout bon sens, c'était de sa faute.

     Mais il refusait d'abandonner.

     Jetant seulement un bref coup d'œil aux rues environnantes pour confirmer que, oui, il n'y avait malheureusement personne dans les environs à qui demander de l'aide, Valjean se ressaisit et se mit au travail. Il remercia sa bonne étoile d'avoir eu l'occasion de voir cette technique de sauvetage sur un marin à Toulon.

     Donnant quelques pressions sur la cage thoracique de l'homme, il inclina la tête et posa ses lèvres sur les siennes, forçant l'air dans ses poumons. Plus de poussées, une autre respiration. Ses mouvements s'inscrivaient dans un schéma, les mots apparaissant dans son esprit en même temps :

     Non,

     Javert.

    Si tu meurs,

     après tout ça,

     je ne sais pas

     comment je pourrais me pardonner.

     Pourquoi ;

     pourquoi

     as-tu fait ça,

     Javert ?

     Pourquoi ?

     Je ne.

     comprends pas.

     Javert,

     vis.

     Compression de la poitrine, air ; compression, air - il répétait ces gestes machinalement, oubliant tout ce qui l'entourait. Pas une seule pensée n'entra dans son esprit ; pas une seule fois il ne se demanda sérieusement si ce qu'il faisait était vain, s'il ne devait pas abandonner. En fait, il était terrifié à l'idée que tout pourrait être vain, mais cela ne faisait que le pousser à continuer.

     Il continua encore et encore, sans savoir combien de temps, jusqu'à ce que soudain le corps sous lui soit pris de convulsions.

     L'abdomen de Javert se souleva, et il vomit l'eau de la rivière sur le pavé, pris de violents spasmes. Toujours inconscient, il s'étouffait et s'étranglait avec ses propres respirations, l'eau dégoulinait sur le côté de sa joue tandis qu'il tremblait.

     Haletant, Valjean s'assit, submergé par l'émotion à cette vue : soulagement, joie et anxiété à la fois. En voyant la toux de l'homme s'apaiser lentement, la poitrine se soulever et s'abaisser, il eut l'impression qu'un fardeau écrasant lui avait été enlevé.

     Pour la première fois de sa vie, il se retrouva à regarder Javert sans même un soupçon de peur. Pas pour lui-même, plus maintenant. Seulement pour lui.

     Il souleva un peu l'homme et le serra contre lui, calant sa tête dans le creux de son bras et le regardant avec inquiétude.

     Son coeur battait dans sa poitrine.

     Il était parfaitement conscient du poids humide et lourd de l'homme dans ses bras, de la fraîcheur de la peau de Javert, et des tremblements doux et sporadiques de son torse alors que le corps de l'homme essayait de se purger complètement de la Seine.

     Accroupi sur lui, l'abritant, et essayant toujours de reprendre son souffle, il pencha son front vers le sien et pria.

***

Notes:

Notes de la traductrice:
Et voilà, premier chapitre de cette aventure! Merci encore à AutumGracy et j'espère que cette histoire vous plaira autant qu'elle m'a plu!
N'hésitez surtout pas à donner votre avis (J'aime partager mon amour pour cette fanfiction xD).

Suggested listening:

Death is Only a Door - Tom Tykwer / Johnny Kilmek / Reinhold Heil
Final Confluence - Austin Wintory
The Gravel Road - James Newton Howard
The Ocean on His Shoulders - Garry Schyman
Sonmi's Discovery - Tom Tykwer / Johnny Kilmek / Reinhold Heil

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