XXXVIII

L.A, 1er septembre 2000.

La semaine avait mis du temps à s'achever, bien qu'elle n'ait pas été foncièrement mauvaise. Le fait de passer le plus clair de notre temps à l'hôpital, à attendre que Nina et Tom se rétablissent, nous rendait tous impatients. Leur état s'améliorait de plus en plus, et je pouvais compter sur Paul et Erica pour m'aider à veiller sur eux.

La fin de l'été approchait. Dans trois jours, je retournerai travailler à la faculté et à l'échoppe, comme si ces deux derniers mois avaient été une simple parenthèse qui ne pourrait jamais entacher cette routine nécessaire.

Cependant, quelque chose avait changé. Ou s'était sûrement réparé ? Je n'en savais trop rien. Ma réconciliation officielle avec Tom, ainsi que de savoir qu'il comptait faire la suite de ses études à Los Angeles devait sûrement y jouer. Voir que Nina avait encore toute la vie devant elle, aussi. C'était peut-être tous ces détails qui rendaient ma routine plus plaisante, et qui m'aidait à mieux l'apprivoiser.

Ma routine avait évoluée, en bien.

Je traversai les couloirs de l'hôpital de jour, saluant le personnel soignant qui commençait à me connaître. Aujourd'hui, Tom et Nina étaient censés sortir et retrouver une vie normale – quoique avec quelques recommandations nécessaires.

Tom repartirait vivre chez sa mère, depuis que Tyler avait déserté l'appartement. Je ne l'avais pas revu depuis l'altercation avec Erica la semaine dernière, et j'espérai ne pas recroiser son chemin de sitôt. Je n'étais pas certaine que Tom en ait très envie aussi, bien que le fait que ce soit son père pouvait peut-être changer la donne. Mais quoiqu'il en fût, Tyler avait respecté les attentes de chacun, et en effet, personne ne l'avait attendu. C'était peut-être comme ça que tout devait se terminer, malgré une fin d'une tristesse sans nom qui avait laissé entrevoir l'explosion d'une bombe à retardement.

Cela avait au moins permis à Erica et Tom de discuter, et d'éliminer les tabous. Ils avaient parlé de la séparation du couple, de leur retour à Los Angeles, ainsi que de cette idée farfelue – et pourtant miraculeuse de donner son rein. Tout s'était finalement bien terminé, parce que mère et fils étaient suffisamment proches pour ne pas rester en froid trop longtemps. L'amour qu'Erica portait à Tom était bien trop important pour être ignoré, et Tom avait besoin de sa mère ainsi que d'un pilier solide pour continuer de garder la tête froide. Je savais tout ça parce que Tom m'avait tout raconté après coup, et aussi parce que nous avions fini par discuter tous les trois.

Il était important que les familles Heckwood et Questz osent enfin se confronter. D'un certain côté, j'avais eu le rôle de messager, puisque j'avais discuté avec chacun d'entre eux séparément, ainsi qu'avec ma mère. Mais les éléments néfastes de chaque famille qui nous avaient longtemps séparés et empêchés de dire le fond de notre pensée avaient été écartés, détruisant au passage les barrières instaurées par nos principes. Il n'y avait désormais plus rien qui nous empêchait d'en discuter, et surtout sans en être inquiétés.    

C'était bien que nous puissions repartir sur de bonnes bases, sans se forcer. Cela nous permettrait à tous d'évoluer enfin dans l'environnement stable que nous méritions. Et Tom et ma sœur pourraient résorber leurs blessures en paix.

Nina retournerait vivre chez Paul, qui m'avait donné sa bénédiction pour venir la voir autant de fois que je le voulais, à l'unique condition de respecter ses heures de sommeil. Au final, ma petite sœur avait un foyer, une personne pour veiller sur elle, et une situation géographique proche de la mienne. Si on m'avait dit que ce scénario se terminerait comme ça après l'audience, j'aurais répondu qu'il était impossible qu'une chance pareille puisse exister.

Et pourtant... La chance me souriait enfin ! Tous ces jours difficiles où le bout du tunnel m'avait semblé inatteignable, étaient enfin derrière moi. Et pourtant, je n'avais même pas couru pour y arriver, me contentant de continuer ma marche apathique sans forcément abandonner. Je ne savais pas si ce genre de comportement fonctionnait pour chaque scénario de vie, mais le mien m'avait permis de découvrir le vrai sens de l'expression la roue tourne.

C'était agréable. Et terrifiant, aussi. Je n'avais pas l'habitude de sortir de mon tunnel tout noir, et d'avoir quelque chose à perdre. Au contraire, j'étais plutôt du genre à me perdre avec le reste. Maintenant que j'étais tirée vers le haut, le retour sur Terre risquait d'être brutal, si je ne restais pas un minimum sur mes gardes.

Et dans ce cas-là, devais-je en profiter pleinement ?

Je voulus aller saluer ma sœur en premier, comme chaque matin. Cependant, elle recevait la visite du médecin titulaire et de ses internes. Ils étaient sûrement là pour vérifier qu'elle était apte à sortir, aussi décidai-je de ne pas m'imposer et d'aller patienter en inversant les salutations matinales.

Je me dirigeai alors vers la chambre de Tom, qui semblait dormir. Paul et Erica n'étaient pas encore arrivés, aussi en profitai-je pour passer un peu de temps avec mon ami.

Je m'avançai doucement vers son lit, alors qu'il avait les paupières closes. Je ne quittai pas son regard endormi, jusqu'à m'asseoir soudainement sur le rebord de son lit, le forçant à les ouvrir d'un seul coup. Il sursauta dans son sommeil, se redressant d'un bond, tandis que j'éclatai de rire devant sa mine ébahie. Du plus loin que je me souvienne, il ne s'était jamais réveillé aussi vite de toute sa vie.

- « Kerrie, ça va pas ou quoi ? Tu veux que je fasse une crise cardiaque ? souffla-t-il.

- C'est comme ça que l'on m'accueille ? m'exclamai-je, enjouée. Tu n'as toujours pas récupéré de ton anesthésie, depuis une semaine ?

- Biensûr que si, répondit-il vexé. Mais c'est le matin, et généralement, les genscivilisés dorment encore à cette heure-ci.    

- Je ne sais pas dans quel monde tu vis alors, parce qu'à onze heures tout le monde se trouve déjà une occupation !

- Onze heures ? Déjà ? C'est parce que je me suis endormi tard, ça.

- Quelle bonne idée de faire une nuit blanche, alors que tu es censé retourner chez toi aujourd'hui ! Comment le médecin peut-il te faire confiance, s'il trouve que tu n'as pas bonne mine ?

- Le médecin ne va pas me garder un jour de plus parce que je n'arrivais pas à dormir, fit Tom en haussant les épaules dédaigneusement.

- Oh, tu prends les paris ? ricanai-je.

- Oui, ce n'est pas quelque chose que je contrôle ! »

Je l'observais se justifier, signe qu'il me croyait tout de même à moitié. Je savais qu'il avait hâte de rentrer chez lui et de retourner en cours ; de reprendre une vie normale, en somme. Depuis qu'il avait reçu une réponse favorable pour entamer sa deuxième année ici, il lui était impossible de rester en place plus d'une minute ! Et cette excitation pouvait peut-être expliquer pourquoi il avait du mal à trouver le sommeil, et pourquoi il ne voulait pas rester ici plus longtemps.

J'espérais que c'était simplement ça, et qu'il ne me cachait pas quelque chose de plus inquiétant. J'aurais pu être rassurée si je savais qu'il n'en était pas capable pour ne pas me faire de peine, en sachant que je restais à son chevet depuis une semaine.

- « Tu vas faire quoi lorsque tu vas sortir d'ici ?

- M'acheter le truc le plus calorique de tous les temps, parce que je meurs de faim ! Oh, et aussi une nouvelle paire de lunettes de soleil, avant la fin de l'été !

- On voit que tu as réfléchi à la question !

- J'ai tellement de temps libre, que je me crée des scénarios à réaliser dans ma tête. Et tu le croiras ou non, mais ça fait passer le temps ! J'adore faire ça.

- Je ne te connaissais pas aussi créatif !

- Quand j'étais au lycée, je tenais un petit carnet, déclara-t-il.

- Sérieusement ? Tu me le feras lire ?

- Hors de question ! Ce sont des choses que je n'assume plus du tout ! »

Je secouai la tête, amusée. J'imaginais bien Tom tenir un journal intime, où il marquait toutes les choses qui lui passaient par la tête. Les plus belles filles de son lycée, ses premiers objectifs atteints, ou tout simplement ses relations compliquées avec sa famille. Peut-être même avait-il parlé de moi à l'intérieur ? Au début du moins. Je me demandais s'il avait continué à l'entretenir, depuis l'obtention de son diplôme. Après tout, sa vie était remplie de péripéties ces derniers temps, et il y avait de quoi étoffer des dizaines de carnets.    

C'était étrange de se dire que ce que l'on pouvait noter dans des carnets ou dans un coin de notre tête, en repensant au passé, pouvait reprendre vie à n'importe quel moment pour nous faire regretter nos paroles et nos pensées. On se convainquait que les choses avaient changé, et qu'il n'y avait pas de raison qu'elles se passent autrement, tant elles paraissaient surréalistes.

Et lorsque le passé refaisait surface, ce même passé qu'on avait chéri et qui nous avait bercé avant de nous poignarder, on essayait de garder la tête froide en se disant qu'il n'y avait pas de raison que les choses redeviennent comme avant. Mais ce passé avait quelque chose d'alléchant qui nous poussait à nous poser les mauvaises questions, nos souvenirs comme appuis.

Nous en étions là. On recommençait en se disant que l'on pouvait mieux faire. Mais il n'y avait plus qu'à espérer que ce nouveau nous était revenu plus beau et plus fort que l'ancien, pour éviter de nous faire à nouveau regretter nos décisions.

En regardant Tom, je ne semblais pas regretter. Quelque part, j'avais toujours su qu'il me manquait une part de moi-même, lorsqu'il était parti. Je savais que dans ce cas, ce n'était pas ce qu'il m'avait apporté – bien que cela y jouait fortement, mais simplement sa présence. Le fait que c'était Tom, et que personne d'autre ne semblait apte à combler ce trou que lui seul avait créé me semblait être une explication logique et rationnelle.

Au final, j'étais contente et c'était l'essentiel. Ma décision collait bien à mon mode de vie actuel et toutes les bonnes nouvelles qui s'accumulaient au portillon. C'est que dans un sens, nous avions fait le bon choix. Du moins, dans les grandes lignes.

- « J'y crois pas. »

Alors que Tom et moi nous étions mis à discuter de manière animée, nous nous arrêtâmes soudainement pour faire volte-face vers la porte de la chambre. Nos sourires fanèrent et le son de nos voix s'étouffa au fond de nos gorges lorsque nous aperçûmes Edwige ranger ses lunettes de soleil dans son sac, qu'elle jeta brusquement sur le sol.

Elle avait sa tête des mauvais jours, et sa peau de porcelaine était encore plus blanche qu'à l'accoutumée. Ses yeux clairs pétillaient d'une colère froide qu'elle n'arrivait plus à canaliser lorsqu'ils se posèrent alternativement sur Tom et moi.

- « Donc t'es à l'hôpital depuis une semaine, et tu ne me préviens pas ? »

J'avalais ma salive en la voyant s'approcher du lit, presque menaçante. Tom s'écarta un peu de moi, soudainement mal à l'aise. Il était vrai que ni lui, ni moi, n'avions pensé à la tenir au jus. Et même si toutes nos excuses – uniquement valables dans le feu de l'action, méritaient d'être entendues, il y avait bien longtemps qu'Edwige ne s'y intéressait plus.    

J'avais arrêté de la voir comme une potentielle adversaire, au point de la négliger. J'avais pris son amitié comme acquis, et j'avais pensé qu'elle excuserait mon comportement parfois désobligeant de ces derniers jours, lorsque j'étais en présence de Tom. Cependant, elle s'accordait au paysage, et sa patience avait des limites. Et la patience d'Edwige était sûrement l'une des choses les plus précieuses au monde, car lorsqu'elle explosait, elle laissait entrevoir des côtés qu'aucune créature vivante autour d'elle ne souhaitait un jour percevoir. Amis comme ennemis.

- « Il n'y avait rien d'alarmant Edwige, commença Tom pour détendre l'atmosphère. C'était... quelque chose que je devais faire personnellement.

- Alors, pourquoi elle est au courant ? » demanda-t-elle brusquement en me désignant d'un signe de tête dédaigneux.

Je détournai le regard, soudainement coupable. La manière qu'elle avait de parler de moi comme si je n'étais qu'une créature insignifiante qui n'était même pas présente dans la pièce laissait présager bien plus qu'une rancune. Edwige n'avait plus l'air de me considérer comme son amie et ne comprenait pas le peu de chose que je lui avais confié sur ma vie.

J'échangeai un regard rapide avec Tom, pour qu'Edwige ne l'intercepte pas. Je finis par baisser à nouveau le regard lorsque le blond se remit à parler dans le fond de son lit, en se grattant l'arrière de la nuque.

- « Parce qu'elle en faisait partie. »

Edwige retint de justesse sa nervosité, qu'elle déguisa en petit rire. C'était compréhensible, ce qu'il venait de dire n'avait strictement rien de rassurant. Pourtant, je n'étais pas sûre que choisir de mentir se serait avéré meilleure option.

- « Evidemment, fit-elle en croisant ses bras sur sa poitrine. Je me demande pourquoi je me pose la question, en sachant très bien que j'étais prévenue dès le départ. Je ne sais même pas pourquoi j'ai eu la malencontreuse idée d'y croire, alors que j'allais forcément finir déçue à la fin. Surtout en apprenant par l'un de mes clients où ma collègue et mon copain avaient passé la moitié de l'été, pendant que j'étais sans nouvelle d'eux. »

Paul. Sans aucun doute.

- « Edwige, commençai-je, il ne s'est stricte...

- Je te remercie Kerrie, me coupa-t-elle sèchement mais je regrette déjà l'époque où tu étais plus réservée et où tu réfléchissais avant d'agir. »    

Je me renfrognais soudainement, le souffle coupé devant cette rancune intense qui en devenait blessante. Cependant, mes états d'âme étaient actuellement le cadet de ses soucis, puisqu'elle s'était tournée vers Tom, devenu impassible, et qu'elle ne s'intéressait qu'à lui.

- « Je suis navrée de mettre fin aux réjouissances dans un moment pareil, et bien que je sois persuadée que vous en avez amplement profité, pourrai-je te parler en tête à tête ? Excepté si tu es à l'article de la mort, bien évidemment. »

Tom chercha à nouveau mon approbation du regard, sauf que je le rassurais aussitôt avec un signe de tête. Je ne voulais pas d'histoire, et j'hésitais à regarder Edwige au moment où je me dirigeais lentement vers la porte de la chambre, avec l'idée d'aller voir Nina pour consoler ma culpabilité, et mon sentiment d'être de trop dans cette vie sentimentale qui m'échappait.

Alors que je tentais de partir dignement, je fus surprise d'entendre la voix solennelle d'Edwige me rappeler.

- « Au fait Kerrie, j'ai oublié de te prévenir. »

Je me retournai, méfiante. Je m'attendais à une nouvelle pique, qui me faisait déjà regretter de rester statique comme si je continuais de lui être redevable.

- « Henry rentre de son voyage au Mexique aujourd'hui. Son avion devrait atterrir dans la soirée. »

J'ouvris des yeux ronds, me retenant à peine de ne pas ouvrir la bouche en grand. J'étais tellement sous le choc que je ne pensais même pas à lui demander où elle avait eu vent d'une telle information. En réalité, plus rien autour de moi n'avait d'importance, si ce n'était les scénarios de retrouvailles que je me faisais dans ma tête, et que j'avais perdu l'espoir de vivre un jour.

- « Sérieusement ?

- Pourquoi perdrai-je mon temps à te le dire, dans le cas contraire ? » répondit-elle en haussant les épaules.

Je ne pus retenir mon sourire. Henry était de retour, et cela sonnait presque comme un miracle. Je ne savais pas s'il revenait pour nous, car je n'avais pas répondu à ses avances lors des résultats de mes examens, lorsqu'un blocage m'avait envahie. Blocage dont je savais l'origine et qui était maintenant réglé ; il ne me restait plus qu'à le surprendre comme il aimait si bien que je le fasse, avec une tasse de café et toute mon intégrité, en espérant ne pas me faire repousser.

- « Merci Edwige. »

Elle hocha la tête indifférente, tandis que je m'éclipsai de la chambre pour aller retrouver ma sœur, préparant déjà mon futur trajet pour l'aéroport dans l'après-midi.

* * *    

[Dans cette partie, Tom est le narrateur]

Je regardai Kerrie sortir de la chambre sans me dire au revoir, littéralement sous le charme de la nouvelle qu'elle venait de recevoir. Au moins, cela lui avait permis de partir sans se prendre la tête avec le comportement d'Edwige, qui, bien qu'il puisse être légitime, apparaissait comme démesuré. Et ça m'aiderait sans aucun doute à anticiper la conversation qui se profilait entre Edwige et moi.

Lorsque nous fûmes seuls, Edwige s'approcha de la seule chaise de la chambre, tandis que je me levais pour me dégourdir les jambes et espérer partir d'ici le plus vite possible ; discussion ou pas.

- « Tu sors quand ? demanda-t-elle sérieusement.

- Dans la journée. »

Elle hocha la tête. Paul avait dû lui conter mes exploits, mais il avait l'air d'avoir omis certains détails.

- « T'as fait ça pour elle ?

- Pour sa sœur, Edwige, corrigeai-je. Et si ça avait été elle, je l'aurais fait aussi. Je les connais depuis que je suis tout petit, je ne pouvais pas laisser l'un d'entre eux mourir. Je m'en serais voulu en sachant que j'avais les capacités de les aider. »

Nouveau hochement de tête. Peut-être qu'elle comprenait enfin la raison de la présence de Kerrie à mes côtés. Pourtant, tout s'était fait grâce à un quiproquo, mais j'avais été bête de croire qu'elle n'y verrait que du feu et qu'elle ne se rendrait pas compte que j'étais le donneur de sa sœur. Si ma mère et elle ne s'étaient pas croisées ce jour-là, les événements ne se seraient simplement pas accélérés.

- « Est-ce que tu l'aimes encore, Tom ?

- Non ! Je te promets que non, nous sommes justes amis. De très bons amis.

- Comment je peux être sûre que tu ne me mens pas ? demanda-t-elle d'un ton las. J'ai l'impression de m'être greffée entre vous, et je n'aime pas l'idée. Je sais qu'on ne se côtoie que depuis peu, mais je suis en train de m'attacher, et je ne peux pas continuer lorsque je suis témoin de ce genre de scène.

- Quel genre de scène ?

- Tout ça... soupira-t-elle. C'est très noble de ta part ce que tu as fait, mais je ne sais pas si je pourrai supporter tous les à-côtés. T'as pas une famille Tom, t'en a deux. C'est déjà assez éprouvant de faire bonne figure auprès des parents de base, mais si je dois aussi le faire auprès de Kerrie et de sa sœur ou je ne sais qui d'autre, ça ne va tout bonnement pas être possible pour moi.    

- Tu n'as absolument pas à faire bonne figure auprès de Kerrie, tout comme je n'ai pas à le faire auprès de Henry. Nos couples appartiennent à la sphère privée, et nous n'avons pas à avoir d'avis sur leur manière de fonctionner. Et puis, je croyais que vous étiez amies ?

- Justement, je n'en sais trop rien. Nos relations avec Kerrie font les montagnes russes, et avant de fermer le magasin pour les vacances, j'ai cru comprendre qu'elle avait du mal à accepter notre relation. »

Je fronçai les sourcils. J'avais du mal à imaginer Kerrie mettre des bâtons dans les roues d'Edwige parce qu'elle se sentait menacée. Elle savait très bien que ça n'était pas le cas, et quand bien même elle faisait référence à nos relations de l'époque, cela n'aurait pas pu être vrai avec notre passif.

Je m'approchai de la jeune femme, mais elle restait méfiante. Elle avait l'attitude de quelqu'un qui avait déjà pris sa décision et qui ne désirait pas fléchir. Et lorsque je réfléchissais aux alternatives, j'eus la surprise de constater qu'aucune d'entre elles ne m'impacteraient profondément. Une plus que l'autre, certes, mais je savais sans aucun doute que je m'en remettrai plus rapidement qu'elle.

- « Tu ne me crois pas, n'est-ce pas ? »

Edwige releva ses prunelles claires vers les miennes, la bouche tremblante. Je n'avais encore rien dit, et je me sentais déjà coupable de mes pensées. Mon inaction finit d'ailleurs par l'agacer ; elle baissa le regard vers ses chaussures, et se leva de sa chaise pour aller marcher à l'autre bout de la chambre.

Je l'observai patiemment, la laissant évacuer ses sentiments. C'est tout ce que je pouvais faire actuellement, en sachant que nous étions sur la même longueur d'onde.

- « J'ai été trop stupide de croire que ça pouvait marcher. T'étais un coup d'un soir, pourquoi ça aurait marché ? »

Je souris faiblement, avant de partir la rejoindre. Elle ne chercha pas à me fuir, se contentant de m'observer arriver, les yeux rivés vers le sol. Elle ne remonta pas le regard vers moi pour autant lorsque nous étions face à face, et que je me décidai à l'étreindre. Je caressai doucement son cuir chevelu, alors que les mots me venaient beaucoup plus facilement que prévu.

- « On a été trop vite, mais ce n'est pas de ta faute. Qui sait, peut-être que nous sommes destinés à nous découvrir toute notre vie ? »

Elle releva la tête vers moi, les yeux embués. Je savais que ce n'était pas de la tristesse, mais bien une rage qu'elle n'arrivait pas à étouffer. C'était une fille qui n'avait pas l'habitude d'échouer, et je me souviendrai toujours de la réaction qu'elle avait eue lorsqu'elle avait constaté que Kerrie avait eu les félicitations du jury et pas elle. C'était peut-être ça la véritable raison de leur éloignement.

- « En gros, ça ne fonctionnera jamais entre nous ?

- Oh si, ça peut. Mais il ne faudra jamais cesser de nous découvrir. »    

Edwige secoua la tête, guère rassurée. Elle ne se défit pourtant pas de mes bras.

- « Tu continues de la découvrir Kerrie, après quatorze ans d'amitié intense ? »

Je lâchai un petit rire nerveux, m'amusant à glisser les mèches qui dépassaient de sa queue de cheval, derrière ses oreilles. Elle était allée chez le coiffeur il y a peu de temps, et je venais seulement de le remarquer maintenant.

- « Tu sais ce qui me plaisait chez toi ? »

Edwige releva la tête, les sourcils froncés et l'air suspicieux. Etait-il possible que les sentiments de la jeune femme ne la fassent devenir que l'ombre d'elle-même ?

- « Tu es la première fille qui ne fonctionne pas comme Kerrie. »

Quel bonheur de voir un sourire pointer sur son visage. Un vrai, un sincère, un soulagé. La jeune femme avait enfin compris où je voulais en venir, et nos chemins s'étaient retrouvés. Et comme pour acquiescer ses paroles et clôturer cette discussion qui aurait pu si mal se terminer, je lui embrassai le front pour lui signifier que rien n'était totalement terminé.

Au contraire, je mettais fin à cinq ans de pause et je pourrai enfin rentrer dans le vif du sujet une fois sorti de l'hôpital.

* * *

J'empruntais un dédale de couloir dans l'énorme aéroport international de Los Angeles. Je n'avais pas repris l'avion depuis que j'étais rentrée de Floride cinq ans plus tôt, et j'avouais avoir été quelque peu désorientée en arrivant dans le grand hall, rempli d'une foule noire et pressée qui semblait changer de position à chaque seconde.

Les grands panneaux d'affichage pointaient de tous les côtés, et mes yeux ne semblaient lire que Mexico. Il me fallut du temps avant de me rendre compte que la porte de débarquement était déjà affichée depuis un lustre, et que les passagers ne tarderaient pas à arriver à la porte du terminal.

Je me mis à courir vers la porte affichée, en priant pour qu'il ne soit pas trop tard. Mes coups d'œil étaient rapides mais avisés ; normalement, la porte se trouvait à l'autre bout de l'aéroport, et il me serait impossible de continuer ma course. Au pire des cas, je serai déjà passée devant, et c'était pour cette raison que j'accordais une attention toute particulière aux passagers qui croisaient mon chemin.

Lorsque j'aperçus une foule patienter devant les tapis roulants encore vide de mon terminal, je lâchais un soupir de soulagement. Il ne me restait plus qu'à attendre que les passagers finissent par sortir.

Je tentai de m'occuper en admirant les autres personnes qui attendaient sûrement de serrer l'un de leur proche dans leurs bras. Cette idée me fit sourire, car je ne me rappelais pas avoir déjà vu des gens tristes au terminal d'un avion. Les gens étaient toujours heureux de se revoir et de se retrouver. Dans le cas contraire, ils n'auraient pas pris la peine de faire le déplacement.    

De mon côté, c'était encore plus excitant car Henry ne se doutait de rien. J'étais même persuadée qu'il s'était résolu à tourner la page, face à mon silence démesuré. Mais j'étais plutôt douée pour les prises de conscience de dernière minute, ce qui avait la faculté de me rendre prête à tout pour obtenir ce que je voulais, sans même penser une seule seconde que l'on puisse me refuser ma demande.

Jusqu'ici, ça avait marché. J'avais fini par croire que c'est ce qui me forgeait, et que ceux qui avaient accepté de m'écouter avaient réussi à discerner un certain charme dans mon comportement. J'osais alors espérer qu'Henry n'avait pas changé d'avis.

Il ne le fallait pas. Mon silence induisait en erreur, mais il y avait encore une chance qu'il me connaisse suffisamment pour savoir qu'il fallait passer outre. Et à ce moment-là, je serai certaine que nous pouvions aller loin, tous les deux.

Je n'allais pas tarder à le savoir. Les premiers passagers de première classe commençaient à sortir. On les reconnaissait parce qu'ils étaient sur-habillés, et toujours pressés. S'ils avaient eu l'occasion de faire voler l'avion plus vite, m'est avis qu'ils n'auraient pas hésité à mettre la pression aux pilotes.

Ils sortaient vite, et se préparaient à empoigner leur valise, la main déjà en avant et le téléphone à l'oreille. Leur comportement m'amusait, jusqu'à ce que je me souvienne qu'il était totalement possible qu'Henry fasse parti de leur groupe, ce qui me força immédiatement à retourner la tête vers la porte, alors que la foule s'était un peu dégorgée.

Je l'avais fait au bon moment. Je remarquai Henry descendre les escaliers derrière la baie vitrée, beaucoup moins pressé que ses congénères. Au contraire, il ne paraissait pas du tout heureux de rentrer à Los Angeles et cela se ressentait dans sa démarche et sur les traits de son visage, si bien qu'une pointe de culpabilité m'envahit. A moi de voir si j'avais encore le pouvoir de métamorphoser ses émotions.

Je me frayai alors un passage dans le reste de la foule pour espérer l'atteindre et le surprendre. Dans un état second, je me précipitai vers lui, franchissant les derniers mètres qui nous séparaient, la peur de le rater jusqu'au bout au creux de la gorge, alors que nous n'avions jamais été aussi proches depuis plusieurs mois.

Je n'eus pas le temps de guetter sa réaction. Je me blottis contre lui, avec l'idée de me faire déloger de ses bras à un moment donné. Et si c'était le cas, je voulais en profiter une dernière fois, avant de me rendre compte que je venais de me ridiculiser.

- « Je t'aime aussi. »

Le temps s'élargissait, et les secondes semblaient devenir des minutes. Je l'avais toujours dans mes bras, et son corps n'avait pas bougé d'un iota.     

Etlorsque ses bras vinrent encercler mon corps à leur tour, et qu'il superposa satête par-dessus la mienne pendant qu'il me serrait fort, ce fut à mon tour detomber des nues.

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Hello !

Fin de la première partie d'A portée de main ! :-) La prochaine fois, nous ferons un bond dans le temps de un an ! Certaines questions ont eu leurs réponses dans toute la première partie, mais il en reste encore d'autres.

Un bonus ne devrait pas tarder à sortir dans les jours qui suivent (cette fois-ci, plus rapidement)

A très bientôt, et merci d'avoir lu jusqu'ici !

#C.

{Musique en média : Myth - Beach House}

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