XXXI

L.A, dans la nuit du 3 juillet 2000.

Je le dévisageais depuis maintenant plusieurs minutes. Je forçais pourtant la confrontation, mais rien à faire ; ses pieds semblaient être devenus son nouveau point de fascination, et cela arrivait à me déranger bien plus que je voulais le croire.

Accablée, je me redressais alors violemment. J'avais besoin de me lever, de faire quelques pas hors de cette salle de bains, à l'atmosphère devenue électrique.

Et puis, il avait juste attendu le moment que je bouge. Que je sois réellement énervée. Qu'il soit sûr que ce ne soit pas encore une saute d'humeur due à l'alcool.

De plus, son champ de vision rectiligne avait sûrement été altéré par mon goût trop prononcé pour le mouvement.

- « Excuse-moi, Kerrie. »

Je me figeai instantanément sur place. Parce qu'il y avait de quoi ne pas rester insensible.

Depuis le début, il s'amusait à empiéter sur mon terrain en toute âme et conscience, sans forcément me demander mon avis. Savoir si moi, j'étais gênée.

Il était persuadé d'avoir raison et que chacune de ses actions avaient été d'une quelconque utilité.

Pour lui évidemment.

Mais depuis quelques minutes, c'était à moi qu'il faisait attention. Ce que je pensais semblait désormais le concerner un minimum.

Je savais qu'il était venu ici pour avoir bonne conscience. Alors, lui demander de s'excuser pouvait paraître un poil exagéré, sachant que j'étais censée m'estimer heureuse de me retrouver avec mon ancien meilleur ami, qui s'amusait à me regarder dégobiller dans le fin fond des cabinets, avec une discrète satisfaction.

Je devais être redevable...

Et voilà que Tom Questz s'excusait de son plein gré.

Depuis l'épisode de la forêt, il devait penser s'être suffisamment dédommagé. Tout le reste n'était que de stupides états d'âme qu'il connaissait et dont je ne voulais plus qu'il se mêle. Il s'était empressé de tomber d'accord, pour le bien de tous.

Mais en réalité, je me rendais compte qu'il y avait encore beaucoup de chemin à parcourir pour arriver à un apaisement unanime. Cela ne suffisait pas.

Je semblais en avoir plus besoin que lui, mais c'était toujours utile de se sentir enfin serein dans sa tête et dans son corps. Je doutais qu'il ne me contredise là-dessus. Excepté par fierté, sans doute.

J'étais presque sûre que cela aboutirait à des liens plus solides, comme nous l'avions évoqué dans la forêt. Ces liens-là qui n'existaient toujours pas. On se contentait simplement de se rendre la pareille, comme des enfants bredouilles, qui ne savaient toujours pas comment s'avouer, qu'en fin de compte, ils s'appréciaient suffisamment pour être encore capables de telles choses, sans se contenter de gratter la surface.

Des liens qui ne vaudraient jamais ceux que nous avions connus, mais qui seraient fabriqués à partir de ceux-ci. Nos souvenirs seraient notre moteur pour enfin ôter toute cette animosité flottant autour de nous, cachée par une hypocrisie sans renom.

Le tout, c'était d'être réellement certains et prêts à vouloir les construire. Tous les deux.

- « Ce n'est rien.

- Non. Sinon, je ne m'excuserais pas. »

Qu'avais-je dit, déjà ?

- « Qu'est-ce qui t'as fait changer d'avis ? »

Son échine se courba. Je devais visiblement avoir touché un point sensible, ou avoir mis le doigt sur ce qui le tracassait, pour qu'il ait osé s'excuser et frémir, par la même occasion.

- « Je me suis juste souvenu que nous n'avions pas terminé notre dernière discussion.

- Celle dans la voiture ? La semaine dernière ? »

Il secoua la tête. Je plissais des yeux, cherchant à me concentrer. Habituellement, c'était moi qui m'amusais à lâcher des phrases courtes et remplies de sous-entendu, que je pensais mon interlocuteur capable de saisir.

Cette fois-ci, je comprenais mieux ce que pouvais ressentir le devineur. Et c'était perturbant.

Il pouvait se le permettre ; je connaissais déjà la réponse. Et mon subconscient cherchait sûrement à me préserver d'une réalité qui se faisait déballer, contre mon gré.

A moins que l'alcool ne continue de commander mon esprit ?

Je connaissais la réponse et je n'arrivais pas à la voir. C'était assez frustrant.

- « Tu veux la terminer maintenant ?

- A vrai dire, j'ai besoin de toi pour y arriver. Parce que c'était ton point de vue et je veux m'assurer de l'avoir bien compris. Donc, j'ai besoin que tu me rafraîchisses la mémoire.

- Mais je n'arrive pas à me souvenir.    

- Si, tu t'en rappelles. Tu ne veux juste pas replonger là-dedans. Du moins, je le pensais jusqu'à ce soir.

- Aide-moi, Tom. » chuchotais-je.

C'était toujours plus compliqué lorsqu'on attendait le soutien de quelqu'un pour avancer et qu'il était incapable de nous le donner sans attendre quelque chose en retour. Du coup, on était là, à espérer ce qui n'existait pas encore. Et on restait coincé.

Je voyais à ses traits soudainement tendus, qu'il n'avait pas envie de cracher le morceau non plus. Et généralement, le seul sujet qu'il n'osait pas aborder de son plein gré, sans pour autant être contraint et forcé d'en parler, c'était celui de ce soir-là.

Effectivement, des conversations inachevées, il y en avait eu beaucoup. Des questions laissées sans réponse également. Et plus personne n'y pouvait rien, cette fois-ci.

Parce qu'on avait fini par s'habituer à leur absence.

- « Je suis parti avant qu'on ne termine notre discussion. » lâcha-t-il, cédant à mes caprices.

Je fermais les paupières quelques secondes. Je commençais à comprendre où il voulait en venir. Parce que dès que j'avais rouvert les yeux, ceux-ci étaient devenus embués.

En effet, les réponses à ces questions-là, j'avais perdu espoir de les avoir un jour. Egalement qu'il comprenne ce que cela signifiait pour moi.

Mais après la réaction qu'il venait d'avoir, j'avais compris qu'il en savait plus qu'il ne l'avait laissé croire, me donnant aussitôt le rôle de la perdue.

Pourtant, il y en avait encore du chemin à parcourir...

Il m'adressa un sourire désolé, soulagé de voir que j'avais enfin saisi :

- « C'est à toi de m'aider, maintenant.

- Je ne vois pas où. Tu sais déjà tout, visiblement.

- J'ai compris sur le moment que tu avais peur d'être comme ta mère et que c'était pour ça que tu t'empêchais de boire.

- Et aujourd'hui, ça semble être toujours le cas. » ricanais-je.

Mal à l'aise, il commença à empoigner ses coudes, avant de se redresser péniblement contre la paroi de la baignoire :

- « J'ai du mal à comprendre comment fonctionne ton esprit, parfois.

-Pourquoi ? Parce que j'ai craqué ?

- Pas vraiment. Surtout parce que tu arrives à penser tout ça. Il se passe quoi dans ta tête pour que tu aies pu penser toutes ces choses et réussir à construire ta vie autour de cette peur si incongrue, depuis si longtemps ? »

Oh, s'il savait. Depuis ce soir-là, j'avais réellement remis toute ma vie en question. J'avais pensé être capable de passer outre, en sachant qu'on s'en était tous sorti. Mais j'avais sous-estimé la dureté de la réalité et de la connerie humaine.

C'était pardonnable. J'étais encore une enfant à l'époque. J'avais réussi à conserver un minimum d'innocence, à défaut de ce que j'avais toujours voulu croire.

Son départ et les critiques incessantes de la part de sa famille, avaient réussi à matérialiser l'opinion qu'ils avaient de moi. J'étais fichée comme ma mère ; aimant à problèmes.

Et j'étais persuadée que tout le reste n'était qu'une question de temps avant de se concrétiser à son tour.

- « Peut-être un élément déclencheur de ton départ. »

Les mots me brûlaient les lèvres depuis trop longtemps ; depuis que j'avais compris ce qu'il voulait. Le fait d'en avoir parlé avec Henry me confortait dans l'idée qu'il avait le droit de savoir ce qui le concernait. Qu'il n'avait pas économisé sa salive pour rien. Et que ce n'était pas à moi d'avoir honte.

C'était juste toujours un peu angoissant d'essayer de deviner ce que l'autre allait répondre à ces rancunes du passé, qui n'arrivaient décidément pas à rester derrière. Mais s'il voulait se dédommager définitivement, comme il l'avait stipulé dans la forêt, mieux valait aller au bout des choses.

Tom se gratta le cou, soudainement mal à l'aise, avant d'oser lancer calmement :

- « Ne me rends pas responsable de ta paranoïa, s'il te plaît.

- Pour le reste, je peux ?

- De quoi tu parles ?

- Pourquoi tu n'as jamais réussi à m'avouer que tu partais au Texas ? »

Alors qu'il avait à nouveau baissé la tête, je sus qu'il était en train de comprendre peu à peu ce que j'avançais, lorsqu'il la releva lentement.

C'était sûrement le premier sous-entendu qu'il saisissait quasi instantanément.

Et loin d'être le meilleur.

-« Tu étais au courant. »

Je hochais la tête mécaniquement, avec un faible sourire. Mais lui, il ne souriait plus du tout. Il était même totalement médusé.

- « C'est pour ça que tu ne m'as jamais appelé.

- Possible, en effet. »

Son visage se crispa. Son regard, pourtant électrique, paraissait perdu. Les pièces du puzzle s'étaient désormais remises en place et il ne savait pas s'il devait être soulagé d'avoir enfin trouvé la solution, après toutes ces années de questionnement, à essayer d'assembler de forces toutes ces pièces qui ne correspondaient pas.

Et la réalité continuait de le tenir en haleine.

- « Pourquoi tu ne me l'as jamais dit ? chuchota-t-il.

- Est-ce que ça aurait changé quelque chose ? »

Il hésita avant de répondre. Je savais évidemment qu'il serait quand même parti. La victime avait rarement un poids important lorsqu'elle était entre les mains d'une trop grande puissance, qui lui garantissait soi-disant protection et sécurité.

Un pur tissu de mensonge rassurant.

Pourtant, il se décida à lancer une réplique, qui sonnait encore plus faux qu'une réponse négative.

- « Ça aurait pu changer ma vision des choses, en tout cas. »

Mon cœur rata un battement. Quelle vision avait-il donc pu avoir à l'époque ? Qu'étais-je donc devenu à ses yeux ? Je n'avais jamais osé y penser, de peur de m'infliger encore plus de peine que j'en avais déjà dans le temps.

Les paroles de Tyler à notre dernière entrevue me revinrent subitement en mémoire.

Il m'avait dit que Tom me haïssait.

Était-il donc possible qu'il n'ait pris conscience de ses responsabilités, qu'après m'avoir revu et qu'il ait seulement cherché à me rassurer ? Comme un élément déclencheur.

Qui n'était malheureusement pas réciproque.

- « Ça n'aurait pas changé la mienne. »

J'entendis les doigts de Tom craquer, ce qui me provoqua un frisson. Je sentais mes nausées revenir en même temps, face à la tension qui proliférait entre nous. En revanche, je ne savais pas si c'était à cause du stress, de la culpabilité ou de l'alcool.    

Sûrement un bon mélange des trois.

Il finit par secouer la tête, riant nerveusement. Ce qui augmenta mes nausées un peu plus encore. Ces rires n'avaient tellement pas lieux d'être, actuellement... Mais c'était bien fait, je n'avais pas qu'à sourire tout à l'heure.

- « Non. Ce n'était pas important.

- Mais bien évidemment...

- Comment est-ce que tu l'as su ? Ce sont mes parents qui te l'ont dit ? Je ne vois pas d'autres alternatives.

- J'étais derrière la porte quand tu t'es réveillé, Tom. »

Son air courroucé se décomposa. Son visage se mit à blanchir subitement d'une colère froide.

- « Quoi ?

- J'étais derrière la porte quand j'ai entendu tes parents balancer toutes ces immondices. Sur le fait que ce que j'éprouvais pour toi, n'était rien de plus que de la gratitude et de la soumission. Qu'en réalité, je n'étais pas capable d'aimer par moi-même, puisque ma mère ne m'avait jamais appris à le faire. Que par conséquent, je te prenais tout ton temps et ton esprit, au risque d'un jour, pouvoir te prendre la vie. Je les ai également entendus me mettre dans le même panier. La famille Heckwood. Cette erreur de la nature, ce danger pour autrui. Mais depuis quand avons-nous formé une famille déjà ? Je pensais bien qu'ils le savaient. Je pensais que tu le savais aussi. Mais quand je t'ai vu fléchir aussi facilement, j'ai découvert chez toi, un défaut que je ne soupçonnais même pas : l'influence des autres. Et j'étais tombée amoureuse de ça... ! »

Tom m'écoutait parler, sans piper mot. J'avais même l'impression qu'il retenait sa respiration, ce qui n'était généralement pas très bon signe.

Il n'en avait pas encore assez entendu pour intervenir. J'en concluais donc que je pouvais continuer de balancer ce que j'avais sur le cœur depuis toutes ces années.

Et mon dieu, ce que ça faisait du bien !

-« J'ai hésité à rentrer. Plus d'une fois. Pour te voir, principalement, mais aussi leur prouver le contraire. Parce qu'au fond, ils savaient que je n'étais pas comme ça. Je pensais qu'ils se souviendraient de tout ce que j'avais fait pour toi, avant et après ton accident. Que j'avais contribué à une grande partie de ton bonheur. Mais j'ai rapidement déchanté, lorsque j'ai constaté que les épreuves changeaient les gens et qu'il n'y avait plus rien à faire pour les retenir en arrière. Ce n'étaient plus les Erica et Tyler que j'avais connu pendant mon enfance. Tu n'étais plus le Tom que j'avais aimé.Et pour ce dernier point, j'ai essayé de me consoler en me disant que tu finirais par m'avouer que tu partirais au Texas. Que tu ne le ferais pas sans me dire au revoir. Mais visiblement, l'amour rend bien aveugle. »    

J'essuyais les quelques larmes qui commençaient à perler à mes yeux. Il n'était certainement pas question qu'elles arrivent maintenant, alors que mes nausées se faisaient plus intenses encore. Surtout lorsque j'osais le regarder. J'avais assez à m'occuper pour le moment.

- « J'ai fait bonne figure. J'ai fait comme si de rien n'était. Avoir appris que tu déménageais m'avait réellement anéantie. Tu te rends compte ? Comment allais-je survivre sans toi ? Comment allais-je me débrouiller ? Après tout, j'étais toute à toi et tu m'abandonnais à mon propre sort, n'est-ce pas ? Non. Plus sérieusement, je me sentais vraiment mal. Tu n'étais pas encore parti, et j'avais l'impression que tu n'étais plus là. Déjà que de te voir vivant et respirant la joie semblait presque illusoire, alors le fait que nous puissions vivre notre histoire sans damage était carrément inenvisageable. Je le savais ; mais j'espérais tout de même que tu me le dises. Cela aurait prouvé un minimum que tu restais concerné par nous. Par notre amitié et notre pseudo histoire d'amour d'adolescent de quatorze ans, sans aucune expérience, bien que nous ayons connu plus d'épreuves que n'importe quel autre enfant de cet âge. Peut-être même plus que certains adultes. »

Les larmes avaient séché aussi rapidement qu'elles s'étaient précédemment mises à couler. Le dégoût avait rapidement repris le dessus, en souvenir de toutes ces années de solitude que je n'avais pourtant jamais provoqué.

Et par fierté. Ma crédibilité aurait été un néant absolu, dans le cas contraire.

- « Et tu ne l'as pas fait. J'ai d'abord cru à un contretemps. Mais c'est toujours plus facile de se trouver des excuses. De s'imaginer qu'en face, l'autre sait déjà tout et qu'il nous connaît par cœur. Malheureusement, j'ai constaté que ce n'était pas le cas. Que généralement, ça ne l'était jamais. Et que ma mère ivre avait souligné quelque chose de juste ce soir-là ; nous n'avons pas survécu aux épreuves. Nous n'en étions pas capables et ce, dès la première. C'est simplement l'illusion qui nous a achevé une bonne fois pour toute. »

Un silence s'ensuivit. J'avais pourtant fini de parler, mais Tom ne daignait toujours pas en placer une. Il n'essayait même pas, ce qui était définitivement une mauvaise chose.

J'attendais un signe. Qu'il bouge les lèvres, qu'il cligne des yeux. Un son qui retentirait au fond de sa gorge. Le moindre avertisseur visuel ou sonore qui pourrait témoigner de son ressenti, après toutes les vérités que je venais de lâcher. Et qui n'étaient pas des moindres.

Mais voilà, ce soir, j'avais blessé son amour-propre. Tué sa capacité à s'exprimer pour de bon.

* * *

[Dans cette partie, Henry est le narrateur.]

Je me retournais encore et encore, dans le fond de mon lit, bien trop grand pour moi.    

La première nuit au Mexique ne me réussissait décidément pas. La température était suffocante et humide, laissant s'écouler des gouttes de sueur le long de mes tempes. J'avais visiblement déjà le mal du pays et Los Angeles me manquait terriblement.

Ainsi que quelques-uns de ses rares habitants.

Cela pouvait paraître idiot, mais je savais exactement dans quoi je m'étais fait embarquer.

En toute âme et conscience, j'avais compris qu'Edwige voulait désormais me tenir loin de Kerrie, maintenant que nos relations commençaient à être plus concrètes. Et que mon père était également dans le coup.

Je savais que j'étais un pantin entre ses fins doigts délicats et ce, depuis le début. Les choses auraient pu être faciles, si j'avais refusé de faire partie du moindre de ses plans, au moment où elle me l'avait proposé. Ou si ça n'avait pas été Edwige Paige que j'avais eu en face de moi.

Elle n'avait aucune limite. Pour elle, rien n'était immoral, illégal. Son estime d'elle-même était tellement haute que personne ne pensait à la dénigrer. Ils se contentaient de l'alimenter, renforçant son goût un peu trop dangereux pour les défis.

Et ses défis avaient des règles. Très strictes. Elle était perfectionniste, elle voulait marquer les esprits, le tout dans la classe, pour un plus grand impact. Et peu importe la manière et le pourquoi du comment, le résultat final demeurait spectaculaire pour toutes les personnes un minimum concernées. Celles-ci finissaient toujours par le payer, d'une manière ou d'une autre, acceptant leur sort comme une douce obligation.

Qu'elles soient du bon ou du mauvais côté.

Ce n'était pas une surprise. Je savais que j'allais y passer. Du moins, je le savais depuis peu et je le devais à Kerrie. Avant d'accepter ce rôle, j'étais encore imprégné de la marque d'Edwige. J'étais encore prêt à tout pour lui prouver que ce que nous avions vécu n'était pas du vent et que ma fidélité était une forte marque d'affection à son encontre. De plus, j'avais osé m'engager dans une ridicule compétition avec mon père, que j'avais trop peur de réaliser perdue d'avance.

Tout ça pour espérer un jour la voir revenir vers moi.

Aujourd'hui, j'étais dans une impasse. Avec mon père et Edwige dans le même sac, il m'était impossible de faire marche arrière. Je ne voulais pas me risquer à goûter à leur vengeance, qui semblait être une spécialité maison, simplement parce que j'étais trop proche de ma copine.

Mais comment lutter contre les parasites naturels ?

C'était raté. Je ne pourrai pas trouver le sommeil ce soir. La température était contre moi et mes pensées n'aidaient décidément pas. Mieux valait au moins arrêter de lutter pour certaines choses.    

Je me levais de mon lit, attrapai mon peignoir et ouvrit la baie vitrée qui me séparait du balcon de ma chambre. J'y fis irruption pour m'installer confortablement sur l'une des chaises qui y trônait.

La nuit ne me permettait pas de distinguer beaucoup de détails, mise à part l'ombre de l'énorme palmier planté juste en face de ma chambre, qui continuerait de me gâcher la vue, dès le lever du soleil.

Mais le bruit des vagues, au loin, apaisa soudainement toute mon âme, au point de me faire oublier presque toutes mes pensées sombres.

Je pensais à Kerrie. Je ressentais sa présence à mes côtés, en train d'admirer la mer. De respirer abondamment l'air bien trop humide à mon goût, tandis qu'elle penchait son buste par-dessus le balcon, en fermant les yeux, pour sentir la brise tropicale se rompre sur son visage.

J'arrivais à la discerner dans le noir. A voir son sourire, entre deux soupirs coupables, se demandant sans cesse si elle méritait ce qui lui arrivait. Si elle méritait toutes ces attentions et l'amour que j'essayais de lui porter au mieux.

J'étais réellement arrivé à un point où je voulais voir ce que cela faisait de la voir détendue. Vérifier que, pour une fois, elle était paisible dans son corps et dans son esprit. Que le futur ne soit plus un problème et que le passé ne soit que de vulgaires bons souvenirs.

Je voulais qu'elle oublie Tom comme j'étais en train de le faire avec Edwige. Il y avait encore du travail à faire, mais j'avais déjà pris conscience de ce que je désirais réellement. Et désormais, je comprenais mieux sa vision des choses. Je comprenais mieux ce qui était difficile pour elle.

Comment pouvions-nous détester des gens que nous avions trop aimés ? C'était une pure perte de temps et ça nous demandait d'acter de l'énergie que nous pourrions utiliser pour des détails plus utiles. Détester nous empêchait de faire notre deuil. Détester était une sorte de manière honteuse d'avouer que nous avions encore assez de force pour nous intéresser à l'autre.

Que nous aimions encore, malgré tout.

Après avoir compris que Kerrie prenait de la place dans ma vie, j'avais essayé de détester Edwige, tout en cherchant une manière de lui faire comprendre que je n'avais plus envie de jouer, et que c'était sa faute si j'en étais arrivé là. J'avais encore plus envie de la détester, en voyant que Tom et Kerrie se retrouvaient sans cesse, tel un scénario inévitable. Savoir que moi, je n'en étais pas capable, ni avec elle et ni avec Edwige.

Puis,au fil du temps, les choses avaient été mises au point. Tom et Kerrie arrivaient à se parler, parce qu'ils avaient clarifié des points de leur passé. Une chance que je n'aurais malheureusement pas avec Edwige, puisque nous n'avions jamais eu ce genre de relation.    

Mais peut-être était-ce notre manière à nous, de fonctionner ? Peut-être que les choses étaient mieux comme ça ? Peut-être qu'il n'y avait rien de plus à comprendre que de savoir nous n'étions pas compatibles. Et dans ce cas, cela ne servait à rien de tergiverser sur ce sujet.

Quelque part, même si ma rencontre avec Kerrie avait totalement été orchestrée du début à la fin, mes sentiments, eux, ne pouvaient pas être faussé. Edwige n'avait aucun pouvoir sur ça et n'aurait jamais pu le prévoir. Le hasard avait bien fait les choses et m'avait ouvert les yeux.

Et quelque part, c'était ça qui me démarquait d'elle. Le fait d'être imprévisible. Je cachais mes cartes à jouer, pour les sortir au meilleur moment et tous les bluffer.

Le tout, c'était de ne pas manquer le bon tour. Les autres joueurs devaient rapidement savoir que j'avais pris l'avantage.

* * *

[Point de vue omniscient.]

L'aube venait à peine de pointer le bout de son nez, que les portes automatiques des urgences coulissèrent, pour laisser pénétrer un lève-tôt particulier.

Généralement, il n'y avait pas grand monde à cette heure-ci. Le rush principal se faisait aux alentours de minuit ou de trois heures du matin. Après, les urgences subissaient des heures creuses, jusqu'à environ huit heures du matin.

Et le jeune homme semblait avoir deux heures d'avance.

Evidemment, cela n'avait pas échappé à l'œil de l'infirmière, qui venait de prendre son service. De plus, la démarche du garçon ne l'avait pas laissé de marbre. Elle lui paraissait même assez familière.

En le voyant faire irruption dans les locaux, Hellen finit rapidement de répertorier tous les lits encore disponibles pour les prochains patients, sur son bloc, avant de se diriger vers le jeune homme, qui s'était immobilisé près de la borne d'accueil.

- « Bonjour, je peux vous aider ? »

Il releva lentement la tête vers elle, en lui lâchant un sourire satisfait. Il avait l'air d'aller beaucoup mieux, depuis la dernière fois qu'elle l'avait vu. Mais peut-être avait-il arrêté d'être têtu et voulait-il s'assurer que sa main n'avait pas gardé de séquelles ? 

- « Bonjour, j'aurais quelques renseignements à vous demander, en effet.

- C'est pour votre main ? Elle vous lance toujours ? »

Il jeta un coup d'œil à sa fameuse main, qui avait retrouvé une couleur correcte, depuis au moins une semaine. Son sourire se fit plus jaune, en se remémorant cet événement honteux.

Au moins, l'infirmière ne l'avait pas oublié.    

- « Non, ne vous inquiétez pas, elle va très bien, je vous remercie. Je voulais avoir des renseignements à propos de ceci. » fit-il en changeant immédiatement de sujet.

Il tendit soudainement le pli qu'il tenait à la main, depuis son arrivée ici. C'était une lettre cachetée avec le logo de l'hôpital, adressé à un nom qui ne semblait pas être le sien.

La lettre avait déjà était soigneusement ouverte ; la colle de l'enveloppe ne prenait plus sur le papier.

Hellen fronça les sourcils en observant le pli qu'elle connaissait bien. En effet, elle l'avait elle-même rédigé et s'était chargée de tous les tests, relatés à l'intérieur du courrier.

En relevant la tête, elle comprit rapidement que le jeune homme avait une idée derrière la tête.

- « Vous vous rappelez de mon amie ? Celle que j'accompagnais la dernière fois ? »

Elle hocha la tête, essayant de comprendre pourquoi il paraissait si enjoué. Les mots dans la lettre n'auraient pas dû le rendre si euphorique, s'il s'était senti un minimum concerné.

Il paraissait trop sûr de lui. Espérons qu'il savait ce qu'il faisait.

- « Voilà, elle n'est pas satisfaite des résultats.

- Normal, j'ai envie de vous dire. »

Elle se sentit confuse de son manque de jugeote soudain. La vérité lui avait parue évidente à sortir et elle devait sûrement passer pour un robot dénué d'émotion.

Mais le jeune homme ne se démonta pas et accueillit sa réponse avec un faible sourire.

- « Oui, cela semble logique en effet. C'est pour ça que je souhaiterai moi-même passer les tests. Histoire de voir si je pourrais être un potentiel donneur pour la patiente concernée dans la lettre. »

Hellen continuait d'hocher mécaniquement la tête. Les intentions du jeune homme avaient été claires, et pourtant, elle semblait encore sceptique.

- « Hum oui, c'est possible, en effet. Vous avez de la chance de venir aussi tôt ; j'ai quartier libre pour m'occuper de vous !

- Je vous remercie. Mais j'aimerai poser deux conditions, avant de commencer.

- Je vous en prie ?

- Déjà, s'il s'avère que les résultats soient positifs, j'aimerais rester dans l'anonymat jusqu'à l'opération, vis-à-vis de la patiente.

- Très bien. Et la dernière condition ? »

Le sourire du jeune homme se fit plus grand encore.

- « Je voudrais que mon amie ne soit pas tenue au courant, également. Ne lui stipulez pas que je suis venu ici. Je tiens à faire ça dans la plus grande discrétion. »

Nouveau et énième hochement de tête. Hellen ne semblait être bonne qu'à ça, visiblement. Mais plus il posait ses conditions, plus elle avait l'impression d'être embarquée dans un plan cocasse. Et ça avait un petit côté excitant d'agir dans le silence, comme si rien de tout ça n'était censé arriver. Ça rajoutait un petit peu de piment à son quotidien parfois routinier.

Elle était ravie d'être de la partie.

- « Parfait,je n'y vois pas d'inconvénient ! Veuillez me suivre, je vous prie. »lâcha-t-elle finalement, en souriant à son tour.    

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Hello ! :-) Nouveau chapitre, après un petit moment. En réalité, il m'a juste pris beaucoup de temps, rien de plus aha.

Qu'en pensez-vous ? Différents PDV dans ce chapitre !

J'espère que l'autre me prendra moins de temps !

A bientôt !

#C.

{Musique en média : City lights - Blanche}

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