XXVI

L.A, 21 juin 2000, au soir

Après que l'infirmière ait terminé de me prélever une bonne partie de mon sang, elle me tendit un pansement et un morceau de coton pour cautériser la petite plaie. Elle rangea les tubes dans un bac adapté, avant de me lancer solennellement :

-« Les résultats seront directement transférés à l'hôpital de votre sœur. Ils vous enverront un courrier pour vous tenir au courant, dans la foulée. Pouvez-vous nous fournir une adresse fiable pour nous aider à remplir le dossier et à laquelle livrer les résultats, je vous prie ?

- Oui, bien sûr. »

J'arrachais une page de mon agenda et inscrivit l'adresse de ma mère sur le morceau de papier. Je le tendis à l'infirmière qui le glissa à côté de mes tubes en m'adressant un sourire crispé. Puis elle riva son regard vers Tom qui fixait ses chaussures, désormais bien impatient de partir. Elle soupira en voyant qu'il ne changerait pas d'avis.

-« Bien, vous pouvez libérer le lit. Bonne continuation à vous.

- Merci de nous avoir accordé votre temps. Bonne soirée.

- Aucun souci, c'est mon travail. »

Elle finit par s'éloigner, non sans nous accorder un signe de tête courtois, pour accueillir une mère et son enfant qui souffrait visiblement de forte fièvre et de maux de ventre, tant il se le tenait avec conviction. Désormais, elle en avait fini avec nous pour de bon.

Mais je n'y accordais pas plus d'intérêt, puisque je portais à nouveau mon attention sur Tom, toujours absent. Il semblait penser à un sujet qui le contrariait particulièrement et cela faisait déjà plusieurs minutes qu'il semblait bien loin dans ses réflexions.

-« Tom ? »

Il se redressa subitement, sorti de ses tourments lorsqu'il m'entendit le héler. Il m'adressa un sourire gêné, tout en se grattant le haut du dos.

-« Désolé, je m'étais assoupi. Tu as fini ?

- Oui. Merci pour ton fameux soutien si primordial.

- J'avais l'esprit ailleurs, navré. J'avoue que sur ce coup-là, ma présence n'a pas été très bénéfique, alors que j'étais venu pour ça, à la base. Excuse-moi.

- Bon, explique-moi ce qui se passe Tom. Tu es au courant pour ma sœur... T'as tenu à m'aider sans mon autorisation. Et comme toi et moi on joue à ce jeu du "on est quitte", je pense qu'à présent, tu me dois une faveur. »

C'était dit assez maladroitement, parce que je n'osais pas avouer que son comportement me laissait perplexe. A chaque fois que j'avais dit être touchée par ce qui se passait dans sa vie, il m'avait ri au nez, me rappelant à quel point j'étais insignifiante à ses yeux, désormais.

Mais il continuait de se confier à moi. Comme si je demeurais au courant de tout.

Je ne l'avais pas vu aussi tourmenté depuis le dernier Noël que nous avions passé ensemble. Sauf que ces raisons me paraissaient beaucoup plus obscures, ici. Et semblaient m'échapper, bien que j'eusse ma petite idée derrière la tête.

Tom s'était contenté d'avoir deux sources de bonheur et d'intérêt dans sa vie, lorsqu'il était plus jeune : sa famille et moi. Ses deux seules sources d'inquiétudes potables, également.
Mais se rappeler le bon vieux temps n'avait jamais paru aussi délicat vu les tensions qu'il y avait entre nous et nos familles respectives. Surtout lorsque ces deux conflits d'intérêt étaient capable de faire tourner son quotidien au cauchemar. Et en même temps.

Je m'étais penchée vers le visage du blond, en voyant qu'il ne me répondait pas. Mais il finit par se redresser lentement, comme s'il avait eu une révélation soudaine. Puis, il hocha la tête :

-« Pas ici. Viens. »

Il se leva et me prit rapidement par le bras, à tel point que j'eus à peine le temps de prendre mon sac dans la lancée et de regarder l'heure sur la grande pendule des urgences : dix-neuf heures quarante.

Nous finissions par sortir de l'hôpital, nos deux corps brinquebalant faisant dorénavant face au grand boulevard central et à l'animation citadine.
Le ciel avait encore pris une autre teinte, par rapport à l'heure précédente. Des pointes sombres et or avaient désormais envahi le plafond naturel, plongeant la ville de Los Angeles dans une ambiance mystique et presque romantique.

Tom avait fini par me lâcher le bras et avançait désormais lentement vers sa voiture, d'un pas gracieux. Je traînais des pieds derrière lui, pour pouvoir l'observer. Il avait l'air d'avoir rapidement changé d'avis après la remarque de l'infirmière. Son attitude s'en ressentait. Il avait compris l'importance de se confier, bien qu'il ne veuille pas s'enticher des problèmes matériels.

Il finissait toujours par craquer, un jour ou l'autre.

Les mains dans les poches de son pantalon noir, cet air nonchalant accroché à la peau, il regardait à droite et à gauche, ses cheveux du diable et sa chemise blanche virevoltant légèrement avec la brise du crépuscule. L'air droit et affirmé, il ne se souciait plus de rien. Simplement du moment présent, parce qu'il détestait avoir des centaines d'obligations sur le feu. Une chose à la fois ; telle semblait être sa devise.

Toujours élégant, dans la moindre circonstance.

Nous finissions par atteindre sa voiture. Il me fit signe de rentrer dedans, ce que je fis sans trop rechigner. J'avais encore vingt minutes à lui accorder. En espérant que ce ne serait pas trop grave pour ne pas rester sur ma faim.

Sitôt les portières claquées, il brandit son poing violacé devant moi, presque instantanément histoire de le mettre en valeur et de lier les événements. J'eus un sursaut tant il le fit brusquement, ce qui le fit légèrement sourire. Il croyait sincèrement que j'avais oublié ?

-« Quoi ? Tu pensais que j'allais te frapper ? Vraiment ?

- Peu importe Tom. Ne perdons pas plus de temps. »

En voyant que j'étais peu réceptif à sa blague, il haussa les épaules et finit par baisser son poing, accablé. Il soupira. Sa main était désormais accrochée fermement au tissu de son pantalon et n'avait pas l'air de tenir en place.

-« Mon père. Il s'est barré et il lui a écrit une lettre d'adieu. Je suis tombé dessus. Ainsi que sur lui en personne, par la suite. Il était en train de faire ses valises, au moment où je suis rentré. »

Je fronçais les sourcils, alternant mon regard entre son poing et son visage, soudainement hargneux. Et lorsque je compris l'unique lien que pouvait avoir son père et son poing, je fus soudainement choquée.

Mes craintes étaient fondées. Mais je ne me serais jamais doutée de la tournure qu'avaient pris les événements.

-« Ne me dis pas que...

- Mais non. De toute façon, ma mère est arrivée à temps. Mais j'étais tellement... enragé, que je ne faisais même plus attention à ce que je faisais. C'était devenu mécanique.

- Mais... pourquoi ? C'est ton père...

- Tu n'as jamais eu envie de faire ça avec ta mère, toi ? »

Sa question me fit frissonner. Je n'avais pas pensé à elle depuis quelques temps et j'avais un peu honte de m'en rappeler dans de pareilles circonstances. J'avais trop culpabilisé depuis qu'elle avait été mise en prison, il y avait un peu plus d'un mois de cela. À tel point que j'avais décidé de ne plus me rendre malade pour ses erreurs passées. La seule chose qui me faisait culpabiliser maintenant, c'était de ne plus ressentir le manque d'une mère aimante dont j'avais essayé de gratter l'image durant des années.

Mais contrairement à ce que soulevait Tom, je n'avais jamais eu envie de la frapper. Je l'ai déjà haïe plus d'une fois. Surtout ce soir-là. Je me souvenais m'être jurée de ne plus avoir de mère après l'avoir vue fuir comme une lâche alors qu'il gisait au sol. Et je ne me souvenais pas avoir changé d'avis, depuis.

Mais la frapper, non. Je n'ai jamais pensé que la violence pouvait être une solution. Peut-être parce que je la trouvais déjà assez faible pour oser penser lui infliger de nouveaux supplices. Ou alors peut-être parce que j'étais faible, moi aussi.

Je secouais la tête, en signe de réponse. Il me regarda, indigné, les sourcils arqués. Puis, il haussa les épaules, essayant de la jouer convaincu :

-« Chapeau bas. Je ne sais pas comment tu fais pour te retenir depuis dix-neuf ans.

- Au final, c'est le juge qui a tranché pour moi. Cela m'a permis de souffler, sans même avoir besoin de rendre justice moi-même.

- Sans culpabiliser ? Tu aurais pu t'épargner des années de souffrance.

- Peu importe Tom, ce n'est pas de moi dont on parle actuellement. »

Il m'adressa un petit sourire satisfait, avant de river ses yeux sur le pare-brise, soudainement absent. Mélancolique.

-« Si je culpabilise, alors tu es obligée de culpabiliser.

- Ah. Tu t'en veux, n'est-ce-pas ?

- Par rapport à ma mère, oui. J'ai vu son regard, la déception dans ses yeux lorsqu'elle me regardait essoufflé sur le sol. C'est un peu elle qui m'a ramené à la réalité. »

Il sourit timidement, les yeux rivés vers l'horizon. Mais je vis son regard s'assombrir, ses dents se serrer lorsqu'une pensée sombre traversa soudainement son esprit.

-« Mais j'ai croisé le regard empli de haine de mon père. Il ne ressentait que du dégoût. Et au lieu de me sentir offensé... Je me suis senti flatté.

- Et comment ça s'est passé ensuite ? Qu'est-ce que tes parents t'ont dit ?

- Je crois que ma mère a pleuré. Mais elle était déjà à cran depuis quelques jours. Mon père ne l'aidait pas et j'ai aggravé la situation. Faut dire que je lui ai vraiment refait le portrait.

- Et ensuite ?

- J'ai attendu qu'ils me passent un savon. Tous les deux. Comme avant, quand j'étais gosse et que je le méritais. Quand j'avais encore mes deux parents. Mais rien. Mon père s'est contenté de respirer comme un buffle en me regardant. J'avais l'impression que la présence de ma mère l'empêchait de commettre un meurtre. Alors, j'ai baissé le regard. J'ai repris mes affaires et j'ai filé comme un voleur. Comme un inconnu dans sa propre maison. Sans un mot. Sans une excuse. Rien. »

Il baissa à nouveau les yeux, dépité. Il ne disait plus un mot, se contentant de fixer son poing blessé et agité avec mépris. Il se mit soudainement à trembler, telle une bombe à retardement. Et c'est ce qu'il était au fond. Une bombe prête à exploser. Immédiatement.

J'attrapai son poing à temps, avant qu'il n'entre en collision avec quelqu'un ou quelque chose une énième fois de trop aujourd'hui. Histoire qu'il ne regrette pas non plus par la suite des réparations physiques et matérielles tout aussi soudaines, qu'inavouables.

Il n'opposa aucune résistance. Il me regarda reposer sa main délicatement sur sa cuisse, sans la moindre émotion. Et lorsque je fus sure qu'il n'irait pas tenter à nouveau de démolir son pare-brise, j'ôtai alors ma paume de la sienne.

-« Il faut que tu te calme Tom. Ça ne sert à rien de détruire tout ce qui te passe sous la main juste parce que c'est toi qui est détruit. Si tu culpabilise par rapport à ta mère, il faut que tu ailles t'expliquer avec elle. Simplement. »

Il ne répondit pas immédiatement, à tel point que je crus qu'il ne m'avait pas entendu. J'allais reformuler ma phrase lorsqu'il murmura, d'un soufflement rauque :

-« Je ne peux pas. J'ai bien trop honte. »

J'esquissais une moue perplexe. Il était vrai que ce qui me semblait simple, logique et indéniable était plus facile à dire qu'à faire.

Il avait raison d'avoir honte. Il s'était immiscé dans une situation très délicate qui ne le concernait pas directement : le mariage et la vie de couple de ses parents. Eux-seuls étaient maîtres de leur destin et ils ne devaient certainement pas être influencés par un élément extérieur. C'était peut-être aussi pour ça qu'Erica avait tenu Tom loin d'elle pendant quelques temps. Pour le protéger et se protéger elle-même. Et ça, il ne l'avait pas très bien compris... Il n'avait pas compris qu'il était un élément extérieur. Certes, un élément primordial et surement le plus important de tous. Mais extérieur.

Alors, décevoir sa famille était surement le pire des déshonneurs, peu importe la situation. Surtout pour lui.

Je n'osais pas imaginer l'impuissance et le désespoir qu'avait pu ressentir Erica en voyant sa propre famille, son lieu paisible, son cocon se déchirer au sens propre du terme alors qu'elle avait tout fait pour le préserver.

Je n'osais pas imaginer la douleur que devait ressentir Tyler, vu la couleur du poing de Tom. La haine et l'amour inconditionnel qu'il portait à son fils s'étaient dilués dans son esprit. Du moins, le semblant de distinction qu'il lui restait.

Mais j'imaginais aussi très bien dans quelle situation Tom pouvait se trouver. Vouloir réparer les pots cassés, parce qu'il se sentait coupable, depuis son accident. Parce qu'il pensait que c'était de sa faute si sa famille se déchirait. Il était coincé au milieu, ne sachant comment intervenir au mieux pour le bien de ses parents et du sien. Il était spectateur de choses qui le dépassaient mais qui le concernaient également. Il voulait faire ce qu'il pensait le plus juste, mais en prenant parti, il s'était condamné des deux côtés. Parce qu'il était tout ce qu'il leur restait en commun et leur vœu le plus cher aurait été qu'il n'ait jamais de choix à effectuer.

-« Tu te sens coupable ? »

Il voulait me répondre. Sa bouche s'entrouvrit plusieurs fois, mais aucun mot ne réussit à sortir. La fierté et la vérité était en train de mener un combat féroce à l'intérieur de lui pour essayer de le faire sentir le plus juste possible.

Mais il finit par lâcher la réponse. Qui ne sonna même pas faux.

-« Non. »

Si je ne le connaissais pas, j'aurais pu croire qu'il disait la vérité, tant il était convaincant. Il était vraiment le plus beau menteur que je n'avais jamais vu. Il s'était visiblement entraîné très dur pour en devenir le champion.

Seulement, la relation fusionnelle qu'il entretenait avec sa mère le trahissait. Il savait qu'il avait besoin d'elle et qu'elle avait besoin de lui pour traverser cette épreuve d'abandon paternel et marital. Mais pour lui, s'excuser auprès de sa mère revenait à affronter sa déception et aussi à s'excuser vis-à-vis de son père, chose qu'il pensait justement mérité. Et il préférait digérer lentement sa propre défaite, plutôt que d'encore trop précipiter les choses pour créer de nouveaux problèmes, au sein de son propre ego.

Il savait déjà qu'il avait foiré, c'était déjà pas mal pour lui. Il fallait juste l'entendre de vive-voix, désormais.

Mais je ne lui disais rien de tout ça. Je ne pouvais pas lui dire que je continuais de lire en lui comme dans un livre ouvert. J'étais devenue une mauvaise confidente, une mauvaise amie, désormais. Je n'avais plus les capacités de le remettre sur le droit chemin. Je me contentais seulement d'être une bonne épaule sur laquelle pleurer. Et de déceler ses failles. Puis, grand bien lui fasse de devoir réfléchir par lui-même, pour une fois.

-« Eh bien, tant mieux alors. La discussion est close. »

Il me fixait, légèrement déçu. Il savait que je savais. Il attendait juste que je l'interprète, que je lui dise quoi faire. Que je le pousse, que je le motive, comme au bon vieux temps.

Mais comment lui dire quand je me trouvais dans le même cas que lui et que je ne savais pas moi-même ? Que je n'avais pas de solution, parce que le bon vieux temps était derrière nous et que me mêler à nouveau des affaires des Questz était surement la dernière tâche que je m'étais promise d'effectuer. Surtout lorsqu'il attendait une réaction qu'il souhaitait que j'aie dans des moments qui l'arrangeaient seulement à lui.

Surement qu'après cette discussion, il n'allait plus se confier à moi de sitôt.

Il soupira et finit par décentraliser son regard, vaincu.

-« Oui. Je pense aussi. » conclut-il, dubitatif

Certains mots lui brûlaient les lèvres. C'était trop d'un coup, pour lui. Il avait le droit d'avoir ses moments de relâchements. Même si ce qu'il avait fait à son père me glaçait d'effroi.

Oh, bien sûr qu'il le méritait. Tyler était devenu mauvais et imbuvable ; bien incapable de gérer son stress et sa nervosité. Il n'avait jamais affronté la réalité et ses traumatismes depuis l'accident de son fils, contrairement à nous tous. De toutes les victimes directes ou indirectes, le père de Tom était surement le plus lâche.

Je savais ce qu'il pensait de moi. Que j'étais destinée à finir comme ma mère. Il me l'avait bien fait comprendre la dernière fois que je l'avais revu à l'hôpital, pour mon frère. Il était persuadé que je l'avais dans les gênes. Et il n'était toujours pas prêt à changer d'avis. Bien la preuve que les événements ne l'avaient pas rendu plus sage et plus mature, contrairement à l'idée qu'il véhiculait depuis le début.

D'un certain côté, il n'avait pas tort. Moi aussi, j'avais peur et c'était pour cela que je me mettais autant de barrière.
Mais j'étais persuadée que j'avais assez de recul sur la situation pour savoir que j'avais pris les bonnes décisions. Et que rien qu'en essayant de ne pas finir comme ma mère, je me démarquais d'elle. J'actais de la volonté, chose qu'elle ne connaissait pas. Et ça faisait de moi quelqu'un de totalement différent d'elle. L'opposé même.

J'étais tout aussi saine que lui. Mais je n'avais plus rien à lui prouver.

-« Sinon, tu n'avais pas un rendez-vous ? »

Cette fois-ci, ce fut Tom qui me sortit de mes songes. Prenant en compte l'importance de la situation, je commençais à chercher un endroit pour regarder l'heure, jusqu'à ce que Tom me mette son téléphone sous le nez : huit heures moins cinq.

-« Merde. J'ai rendez-vous à huit heures ! Je dois y aller, désolée !

- Au point où on en est... Je vais te déposer une dernière fois. Au moins, ton grand dadais n'aura pas à se poser de questions.

- Oh merci, tu m'ôtes une épine du pied ! Mais pas de coup foireux cette fois-ci ! »

Il tourna la clé dans le contact, faisant vrombir le moteur. Il actionna lentement la première, avant de se tourner vers moi et de m'adresser un sourire franc :

-« Promis ! »

Il démarra presque immédiatement, soudainement concerné par le temps.

J'étais étonné de voir à quel point l'atmosphère avait changé du tout au tout. Et à quel point Tom pouvait faire abstraction de ses émotions aussi facilement. C'était pire quand il grandissait. Il devenait d'un placide...

Mais pourtant, il demeurait en lui un côté enfant, attachant. Un semblant de sensibilité qu'il n'arrivait pas à ignorer complètement et qui l'empêchait d'être totalement indépendant. Et ces deux côtés contradictoires se battaient en lui férocement, le faisant douter de ses valeurs.

J'étais étonnée de voir à quel point il n'avait pas changé, durant ces cinq ans d'absence. On s'était séparé à une époque où nos âmes étaient encore malléables. Influençables. Là où on prenait conscience que le monde ne tournait pas autour de nous et que nous n'étions plus simplement les enfants de nos parents. Nous étions des personnes à part-entière qui avaient tout à prouver. Du coup, on faisait des expériences. On évoluait, en bien ou en mal. Mais notre vraie personnalité finissait toujours par se réveiller pour nous rappeler à l'ordre.

Mais il était vrai qu'entre nous, nous n'étions jamais passé par la case mensonge et découvertes. Tout était inné, parce que nous nous étions construits ensemble. Nous connaissions si bien la personnalité de l'autre que nous étions capable de savoir lorsqu'il essayait de bluffer. Ou de mentir

Et il n'y avait pas de doutes que c'était ce qui nous avait démarqué des autres amitiés de notre envergure.

* * *

J'avais indiqué la destination du Griddle Cafe à Tom, qui fut ponctuel. J'eus à peine le temps de me recoiffer en quatrième vitesse, de remercier chaudement Tom, de descendre du véhicule d'une traite et de me présenter devant un Henry flegmatique, qui semblait m'attendre à l'entrée du bâtiment.

Seulement il n'avait pas remarqué ma présence car il n'était pas seul.

Il discutait avec un homme assez âgé aux traits autoritaires et carrés, tiré à quatre épingles dans un smoking tout aussi strict et élégant que lui. D'ailleurs, après une analyse plus poussée, je m'aperçus qu'Henry essayait de faire bonne figure et qu'il ne semblait pas aussi naturel que d'habitude. Et qu'un air de famille survolait partiellement le visage des deux protagonistes.

Je semblais soudainement moins sûre de mes gestes, moi aussi. Et de moins en moins impatiente à chaque fois que j'effectuais un pas de plus dans sa direction.

D'ailleurs, au moment où il se retourna vers moi pour s'apercevoir de ma présence, c'était le moment que je pensais le mieux choisi pour prendre mes jambes à mon cou.

Je n'étais absolument pas prête à faire la connaissance du père d'Henry au bout d'un mois et demi de relation.

-« Ah Kerrie ! Pile à l'heure ! »

Le vieil homme se tourna alors vers moi et me toisa de la tête au pied, sans grande émotion. Il remonta ses lunettes sur son nez, dont les branches disparaissaient presque dans l'épaisseur de ses cheveux poivre et sel.

Henry m'attira contre lui, bien que je me sente extrêmement mal à l'aise. Il enroula l'une de ses mains contre ma hanche, alors que j'avais le regard fuyant. Du moins, j'essayais de fuir celui du père d'Henry. Mais il n'avait plus l'air de me regarder dans les yeux.

-« Vous vous êtes blessée, mademoiselle ? »

Je cachais instantanément mon poignet dans la manche de mon gilet, les joues cramoisies. Malheureusement, mes bras avaient été bien trop abîmés par ma mère pour que j'ose les proposer à l'infirmière. Mais un pansement sur la main était plus facile à camoufler que des bleus confus, qui ne daignaient pas partir sous le tissu de mon accoutrement.

-« Oui, en effet... Je me suis coupé avec une épine de rose, au travail.

- Kerrie est fleuriste à Crenshaw. » rajouta Henry, dans le but de m'épauler

Heureusement que je pouvais compter sur son soutien, pour m'aider à préserver mon secret. Lui seul était au courant des sévices que m'avait causé ma mère, bien que je ne lui avais jamais vraiment avoué. Je lui avais seulement laissé l'occasion de le deviner. Je faisais toujours ça, pour me permettre de me défendre dans le cas d'un retournement de veste soudain.

L'homme hocha la tête mécaniquement, comme si chaque information venait soigneusement s'imprégner dans son esprit pour qu'il puisse les analyser après coup.

-« Alors, je ne vois pas pourquoi vous cachez votre main dans votre manche. On pourrait croire que vous avez quelque chose à cacher. »

Je sortis instantanément ma main de mon gilet, le souffle coupé. Je venais de tomber sur un vieux singe savant, avec qui j'allais devoir surveiller mes moindres faits et gestes, si je voulais rester avec Henry et protéger mes secrets, de la même manière.

Pourtant, je n'avais pas envie de montrer que je n'étais pas dupe. Ce qui était bien avec ces hommes-là, c'était qu'ils n'étaient pas facilement impressionnables. Lorsqu'ils avaient une idée sur quelqu'un, il la gardait coûte que coûte, jusqu'à ce que cette personne lui prouve fermement le contrairement. Et c'était là que le spectacle pouvait clairement commencer puisqu'on assistait à la chute de l'estime d'un homme invincible.

D'un certain côté, il me rappelait Edwige, sans le côté froid et distant. Pas étonnant qu'ils se soient bien trouvés, ces deux-là.

-« Je ne crois pas savoir à qui j'ai à faire. »

Les yeux du vieil homme se mirent soudainement à s'animer. Comme s'il avait désormais analysé toutes les informations et qu'il s'était enfin fait son idée sur moi, rien qu'à la prononciation de ma phrase.

En espérant qu'elle n'ait pas été trop mauvaise.

-« Naturellement, je n'ai pas été très poli, et mon fils non plus. Je suis Sabri Texies, le père d'Henry. Mais je suppose que vous l'aviez deviné, n'est-ce pas ? »

Il me tendit l'une de ses mains ridées et remplies de tâche brunes, dans un but tout à fait cordial.

Je regardais sa main, quelque peu méfiante. Il était malin. Très malin. Et très observateur ; un peu comme moi. Ce qui pouvait en faire quelqu'un de très dangereux, si ce don tombait entre les mains d'hommes ou de femmes à tendances manipulatrices.

Henry était resté statique à côté de moi. Il n'avait pas trop moufté depuis que je m'étais confronté à son père. Il n'était pas d'un naturel bavard, mais il s'écrasait totalement devant lui. Surtout que la remarque de son père sur son éducation, n'avait pas l'air de l'avoir laissé de marbre. On aurait pu croire qu'il s'agissait d'une remarque totalement banale, mais il semblait y être un peu trop habitué, puisque je l'avais senti se raidir à côté de moi.

Alors, je lui tendis tout de même ma main. Après tout, serrer une main n'avait rien d'un engagement. Simplement un signe de politesse, puisqu'il semblait tant y tenir.

-« En effet. La ressemblance est frappante.

- Et à qui ai-je l'honneur ?

- Kerrie Heckwood. Je suis la petite amie de votre fils. »

C'était la première fois que je prononçais ces mots. Et c'était avec Sabri que j'ouvrais le bal, ce qui les fit sonner faux à mes oreilles. Je trouvais que tout allait un peu trop vite et qu'Henry était légèrement trop docile à mon goût. Cela cachait surement une suite d'événement qui n'allait pas m'enchanter, tant la situation semblait tendue et continuellement hypocrite.

A moins que je sois à nouveau le dindon de la farce ? Comme quoi, il n'y avait pas que moi qui avais quelque chose à cacher...

Sabri desserra sa main de mon emprise, avant de me répondre calmement, en se grattant le menton.

-« Oui, Henry m'a fait part de sa rencontre avec vous, il y a peu. Je suis ravi de vous rencontrer, bien que je ressente fortement votre malaise.

- Il n'y a pas de mal, je n'avais simplement pas prévu de me retrouver face à un homme de votre envergure de sitôt. »

Sabri parut presque flatté. Mais il était difficile de savoir s'il faisait partie de cette catégorie d'homme d'influence qui détestait que l'on flatte leur ego ou non. Certain trouvait ça un tantinet hypocrite. Et ils avaient bien raison.

-« Vous semblez être une perle mademoiselle Heckwood. Je suppose que vous ne voyez pas trop d'inconvénient à ce que je me joigne à vous pour ce soir ? Je dois m'entretenir avec mon fils sur une affaire importante, d'où ma venue quelque peu prématurée. Mais je pense que le fin mot de l'histoire peut vous concerner,, d'où l'importance de votre présence ici. »

Je déglutis subitement et je sentis le regard d'Henry se faire pesant sur moi. Je ne savais pas si c'était pour me forcer à dire non ou au contraire à accepter.

Mais de toute façon, avais-je le choix ? Je ne pouvais décidément rien lui refuser et le motif du tête à tête privé avec mon amoureux ne faisait pas le poids face à un homme de son envergure, auquel on ne pouvait rien refuser. Surtout qu'il avait retourné la situation à son avantage, en me stipulant que c'était MA présence qui était tolérée.

J'aurais pu être la première à lui accorder cette faveur, mais il m'avait prise au dépourvu. Et si je voulais en tirer profit comme il venait de me le stipuler, alors c'était certain que je ne pouvais pas faire demi-tour.

En fuyant, on n'arrivait jamais à ses fins, c'était certain. A moi de trouver l'occasion d'acquiescer ou de lui faire changer la vision qu'il avait de moi.

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Hello ! Un chapitre simple qui promet de nombreuse complication... Ou pas ?

Qu'en avez-vous pensé ?

- La relation Tom/Kerrie ?

- Le père d'Henry ?

- La situation qui se profile ?

La suite très bientôt !

D'ici là, je vous souhaite de bonne fêtes avec votre famille et vos amis puisque je ne pense pas avoir le temps de trop écrire dans les jours à suivre ! :-(

Joyeux Noël !

#C.

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