XXIX
L.A, 02 juillet 2000.
[Dans cette partie, Tom est le narrateur.]
On toqua à la porte de ma chambre d'hôtel. Bien trop énergiquement pour un début de matinée. A moins que ça en soit la fin ? Je ne m'en souvenais plus très bien. Il y avait beaucoup de choses pour lesquelles les souvenirs étaient flous, depuis hier soir. Seule cette affreuse migraine qui surplombait ma tête me permettait de tisser un lien.
En revanche, j'allais être loin de pouvoir oublier le rêve que j'avais fait cette nuit.
Je décidais malgré tout de ne pas me rendormir ; je m'étirais furtivement en grommelant, avant de revêtir mon peignoir blanc et de me diriger vers la porte, tandis que la personne derrière se faisait de plus en plus insistante.
-« Oui, j'arrive ! » tempêtais-je
Je m'étirais une dernière fois avant d'aller ouvrir, tandis que les bruits cessèrent face à ma demande sous-entendue. Le plancher se mit alors à trembler légèrement, due à une certaine pression exercée par des pieds qui se contentaient de frôler le sol. Seulement, ma tête était trop encombrée pour me permettre de réfléchir plus longtemps à la nature de ces flexions continues.
Alors que j'avais la main sur la poignée, des bribes de mon rêve encore dans un coin de mon esprit, une tornade blonde surexcitée se jeta à mon cou, une fois la porte ouverte.
Encore un peu sonné, ma migraine plus présente que jamais, je refermais mon étreinte sur Edwige, qui me serrait du plus fort qu'elle le pouvait.
-« Ça y est, c'est le grand jour ! Je vais enfin savoir ! » s'exclama-t-elle
Elle finit par se détacher de moi, pour détailler mon visage encore endormi et sembla soudainement un peu gênée, en voyant qu'elle s'était montrée peut-être trop avenante et intrusive, d'un seul coup.
-« Oh, je t'ai réveillé n'est-ce pas ?
- A peine, ricanais-je.
- Désolée, vraiment ! Mais j'étais trop impatiente, je ne pouvais pas attendre. Et je n'osais pas appeler Kerrie, vu que de ce côté-là, on est en compétition !
- Attends... Mais tu parles de quoi là, en fait ?
- Eh bien ! Des résultats des partiels ! Savoir si on a réussi notre année ! Oh non, Tom, ne me dit pas que tu as oublié ! Je t'en parle depuis une semaine ! C'est super important pour moi !
- Ah oui... Mais il est à peine neuf heures, tu ne m'as pas dit que les résultats étaient affichés en fin de matinée ?
- Tu me connais voyons ! Tu sais que j'aime m'y prendre à l'avance. » fit-elle en m'adressant un clin d'œil
Non, il y avait certaines choses que je ne saisissais définitivement pas. Ou du moins, que je ne cherchais pas à comprendre.
A vrai dire, je ne savais toujours pas pourquoi Edwige ressentait ce besoin d'être en compétition avec Kerrie, au point d'en oublier de vivre, au sens où elle l'entendait. Toutes les deux étaient très intelligentes ; les meilleures de leur promotion et elles n'avaient rien à envier à quiconque.
Sauf à elles-mêmes, visiblement.
Depuis la conversation que j'avais surprise chez Edwige, il y a plusieurs jours, nos rendez-vous s'étaient faits plus rares. Surtout parce qu'elle avait allégé son emploi du temps, uniquement dans le but de le consacrer à ses révisions. J'en avais donc profité pour faire le vide dans mon esprit, continuant de me demander si je devais intervenir ou faire la sourde oreille.
J'avais finalement essayé de joindre Kerrie. Juste une fois. Le vingt-neuf du mois dernier. Je m'étais rendu chez elle. Je n'y étais pas allé depuis des lustres.
Et j'avais été soulagé, d'un certain côté, qu'elle ne m'ait pas ouvert. Je n'avais pas eu à rentrer dans cet appartement. A revoir ce damier noir et blanc, d'un peu trop près.
Je n'y étais pas retourné depuis.
Elle était sûrement sortie profiter de la vie. Elle n'avait pas dû être impactée, ou du moins, elle n'en avait pas encore eu le temps. Me rendant totalement impuissant.
Soit Edwige n'avait pas pu mettre son plan à exécution, soit le grand dadais était plus malin qu'il le laissait paraître. Alors, je n'avais pas insisté.
Elle n'avait pas besoin de moi.
Ça n'avait pas ôté la méfiance que je ressentais envers Edwige pour autant. Fort heureusement, elle avait tellement été concentrée sur ses examens qu'elle s'était interdit toute distraction jusqu'à ce qu'ils soient achevés. Et comme je l'avais dit, j'avais pu prendre du temps pour moi et trouver des idées pour mon externat. Puis évidemment, éviter la jeune femme, dans un soulagement général, qui me paraissait presque anormal.
Seulement, ce temps-là, à me retrouver seul m'avait plus angoissé qu'autre chose. Il m'avait forcé à trop réfléchir, jusqu'à ce que mon cerveau surchauffe. Et la plupart du temps, ce n'était pas pour ma recherche d'externat.
Les grandes vacances nous tendaient les bras. Elle allait sûrement vouloir que l'on parte quelque part. Et l'idée de me retrouver seule avec elle pendant des jours, voir des semaines entières, semblait pencher entre l'excitation et l'anxiété. Parce qu'elle était beaucoup trop avenante pour que l'on arrive à lui refuser quoique ce soit.
La preuve, elle débarquait dans ma chambre d'hôtel au petit matin, sans y avoir été invitée.
Edwige finit par m'embrasser, avant de soudainement détailler ma dégaine, d'un air alarmé, tandis que j'étais de plus en plus assommé, incapable de me débarrasser de cette fatigue qui me collait à la peau. Voilà ce que me procurait un réveil mal orchestré !
-« Tom... J'espère que tu feras un effort vestimentaire. Tu aurais pu te lever plus tôt, je t'avais dit que c'était aujourd'hui.
- Je ne suis pas sûr que l'on se soit mis d'accord sur l'horaire, Edwige. Et je t'avoue que je ne comprends pas pourquoi tu as besoin de moi pour pouvoir lire ton nom sur un panneau d'affichage. On ne va pas dîner à la maison blanche, non plus !
- Mais parce qu'on est un couple, voyons ! Tu es mon petit ami, tu es censé te réjouir pour moi et me féliciter, pour me faire me sentir importante ! Etre mon meilleur sponsor ! Du coup, on fait des activités de couple, comme des gens normaux, n'est-ce pas ? »
J'étais définitivement déboussolé. J'avais arrêté de compter les allusions au mot couple et à tout ce qui s'y rattachait. Ces sous-entendus.
C'était définitivement le pire réveil de la décennie.
-« Tu parles d'une activité. C'est carrément jouissif. Sérieusement, un coup de téléphone te paraissait de trop ?
- Bon, j'ai compris. On dirait que je vais encore devoir me débrouiller toute seule. Je ne te dérange pas plus. »
Elle me détailla, déçue, avant de reprendre son sac qu'elle avait posé à l'entrée, dans son élan et de rapidement tourner les talons.
Et pourtant ; je la rattrapai immédiatement par le poignet. Non pas que les scènes de culpabilité m'agaçaient, mais j'avouais avoir été un peu rustre avec elle.
Elle fit volte-face, déçue, me détaillant dédaigneusement. Je pris mon mal en patience, avant de déclarer d'une voix mal assurée :
-« Excuse-moi, Edwige. Tu as gagné, je viendrais à ta remise de diplôme. Avec du retard, peut-être. Mais je viendrai.
- Tu sais, je te trouve distant avec moi depuis quelque temps. Dès que tu as une occasion de te désister, tu le fais. Est-ce que tu es sûr que tout va bien ? » soupira-t-elle
Ah, les femmes ! Sages analyseuses qu'elles étaient. Peut-être parfois un peu trop paranoïaque sur les bords. On ne pouvait définitivement rien leur cacher. Elles devinaient tout à l'aide d'un rien. Elles devinaient trop.
Seulement, je me voyais mal lui expliquer que je l'évitais, parce que je n'aimais pas les magouilles dans lesquelles elle semblait tremper, auxquelles je ne voulais surtout pas être associé.
Parce qu'au fond, je n'avais pas envie de la laisser tomber. Je l'aimais bien. On avait bien appris à se connaître, en l'espace de quelques mois. Et j'aimais l'aura qu'elle dégageait.
Un bout de femme battante qui avait appris grâce aux petites expériences de la vie. Elle s'était frayé son chemin, entre ces hommes parfois un peu trop avides, en leur faisant prendre conscience qu'elle n'avait pas les deux pieds dans le même sabot. Elle en effrayait certain et en impressionnait d'autres. C'était une femme de son temps.
Je l'admirais pour ça. J'aimais les femmes avec du caractère, qui n'étaient pas faciles à comprendre. Imprévisibles mais fascinantes. J'aimais ces femmes qui mettaient du piment dans ma vie.
Parce que depuis Kerrie, je n'en avais pas rencontré.
Il fallait que je la rassure. Que je lui montre que je l'appréciais. Que j'appréciais même l'idée que nous soyons un couple ; qui m'effrayait moins que le mot en question. Parce qu'après tout, on avait appris à aller plus loin que le sexe. Juste que je n'osais pas mettre un nom sur ce que nous étions réellement. Encore plus depuis que je l'avais surprise, sur sa terrasse.
A dire vrai, j'y réfléchissais depuis un bout de temps. J'avais juste essayé temporairement d'arrêter, pour des raisons qui m'avaient paru évidentes. Mais je n'y étais pas arrivé et j'en avais marre de lutter.
Je savais très bien que je n'avais rien à voir avec tout ça. Elle était une tout autre personne en ma compagnie, qui semblait bien plus attentionnée et concernée, par mes états d'âme. Elle ne me ferait pas de mal ; elle semblait m'avoir suffisamment cerné pour savoir à qui elle avait à faire, si l'idée de retourner sa veste lui venait à l'esprit.
Un ami pouvait très vite devenir un ennemi, sans que l'on puisse s'en rendre compte. Et c'était assez triste d'en arriver à se méfier des gens que l'on aimait. Même des meilleurs.
-« Oui Edwige. Tout va bien. J'ai juste été débordé avec mon histoire d'externat.
- C'est l'idée du couple qui te dérange, n'est-ce pas ? J'ai aperçu ta tête tout à l'heure. Désolée d'avoir été un peu brusque, je ne savais pas que c'était trop tôt pour toi. J'ai juste voulu prendre les devants, je suis désolée, je... »
Je plaquais mes lèvres sur les siennes pour la faire taire. Elle se décontracta immédiatement, renforçant sa prise, ravie. Et une fois que je fus sûr qu'elle était convaincue, j'ôtai mon visage du sien, pour contempler l'Edwige que je connaissais bien. Et que j'appréciais particulièrement. Celle qui était sûre d'elle et de ce qu'elle voulait.
-« Petit changement de programme ; tu vas m'attendre sagement ici, le temps que j'aille me préparer pour me réveiller. Ensuite, je vais t'emmener prendre un petit-déjeuner, parce que je suis sûr que tu étais tellement excitée de venir ici que tu en as oublié de manger. Et enfin, on se rendra à ta faculté pour voir si tu as bien réussi ton année. Est-ce que cet emploi du temps vous convient, Mademoiselle Paige ? »
Les joues de la jeune blonde se mirent à rosir, tandis qu'elle se dandinait pour se faire désirer. Elle commença à jouer avec la ceinture de mon peignoir, s'amusant à soigneusement éviter mon regard pour faire mine de réfléchir. Avant de déclarer d'une voix joueuse et radieuse :
-« Cela me semble parfait, Monsieur Questz. »
Je lui adressais un sourire franc, avant de l'embrasser obligeamment sur la joue et de me diriger avec hâte vers la salle de bains, non soulagé de pouvoir enfin sentir l'eau brûlante couler sur ma peau, pour m'aider à stimuler mon cerveau. Parce qu'on avait beau être en été, j'étais définitivement le genre de personne qui ne pouvait pas sortir sans avoir pris sa douche brûlante le matin. Pour laisser la chaleur se diffuser lentement dans tout mon corps, au risque de la laisser se concentrer dans ma tête, craignant la surchauffe définitive.
J'eus un dernier regard pour Edwige, qui s'était assise promptement sur le lit en faisant papillonner son regard un peu partout ; signe qu'elle ne tarderait pas à fouiller ma chambre pour s'occuper, le temps que je me prépare, étant bien incapable de rester en place trop longtemps. Pour sûrement tomber sur mes recherches d'externat, que j'avais laissé traîner sur la table.
Et à vrai dire, je commençais même à me faire à l'idée qu'elle se mêle de mes affaires. Du moins, c'était ce que me disais le petit sourire conquis, qui naissait au coin de mes lèvres.
* * *
J'étais arrivée un peu en avance, pour être sûre de voir les résultats dans les premières et d'avoir accès au panneau facilement. Et ainsi pouvoir repartir rapidement, afin de passer l'après-midi avec Nina.
Mais en réalité, je voulais surtout éviter Edwige et sa joie de vivre qui s'était faite un peu trop intense, ces derniers temps. Je savais qu'elle trouverait une occasion de se vanter de ses résultats, si ceux-ci étaient mieux que les miens. Qui le seraient sûrement d'ailleurs, puisque je ne m'étais pas suffisamment concentrée pour être au meilleur de mes capacités, contrairement à elle qui avait pris ces examens très au sérieux.
Elle s'était mis dans l'idée que parier notre année était devenu une sorte de jeu,auquel je n'avais absolument pas pris goût. Mais je n'avais pourtant rien dit, tant elle paraissait à fond dans ses idées. Encore plus depuis que les partiels s'étaient achevés. Son acharnement était tel que j'avais fini par en prendre conscience, ayant décidé de ne pas gâcher ses plans et de tenir bon, en sachant que ça finirait par s'atténuer, lorsque nous aurions notre année comme convenu.
Parce qu'il n'y avait pas de raison que nous ne l'ayons pas, n'est-ce pas ?
Je me frayais un petit passage, entre les groupes d'étudiants qui s'étaient formés autour des grilles, tout en jetant un coup d'œil, espérant secrètement que les résultats puissent être déjà affichés.
Mais l'énorme tableau de liège était entièrement vide. Aussi haussais-je les épaules, décidant d'aller me mettre à l'écart, sur le bord d'un muret, avec une vue quasi prenante en ligne de mire, attendant une apparition.
Malheureusement, c'était aussi un incroyable panorama pour apercevoir une Edwige ravie qui semblait avoir eu la même idée que moi.
Accrochée au bras de Tom, elle remontait ses lunettes de soleil, pour loucher de loin sur des feuilles qui n'existaient pas encore. Elle mima rapidement la déception, sur ce qui m'avait semblé évident, avant de tourner la tête vers l'endroit où je me trouvais. Comme un automatisme.
Elle devait sûrement sentir ma présence, je ne voyais que cette option possible.
Lorsqu'elle me vit, son visage se fendit d'un sourire ravageur. Et il ne lui fallut pas longtemps pour se diriger vers moi, à grande enjambée, suivie de Tom, désorienté, qui mettait un certain temps à comprendre ce qui se passait.
Pourtant, lorsqu'il me vit, son visage se figea. Il fronça les sourcils, soudainement perplexe. Ce qui me força à calquer son air. Habituellement, c'était moi qui paraissais troublée lorsque je le voyais, à un point tel que je désirais ne pas rester près de lui trop longtemps, quand j'étais seule, au risque de devenir ridiculement hystérique.
Mais là, je ne comprenais décidément pas son comportement. Lui qui était toujours avenant et qui adorait exploiter chaque situation à son avantage ; je voyais bien qu'il n'était pas content d'être là. Et pourtant, il n'était jamais fâché de me voir, depuis l'épisode de la forêt. Au contraire ; il ne ratait jamais une occasion de me parler, juste pour le plaisir de me voir irritée.
Je n'eus pas le temps de me poser plus de questions. Edwige m'avait déjà sauté dessus, pour m'opprimer de ses étreintes un peu trop enjouées et précipitées.
-« Kerrie ! Comme on se retrouve ! Tu essayais d'obtenir tes résultats avant moi, n'est-ce pas ?
- Hum, à vrai dire, c'est un peu ça... » fis-je en riant jaune
Edwige interpréta malheureusement cette réplique véridique comme une blague cynique, puisqu'elle vint se joindre à mon rire, qui paraissait sincère. Un peu comme son engagement dans cette compétition qu'elle avait créé, avec elle seule en participante.
Elle finit par se détacher de moi, dans un soulagement général. Et mon attention se porta immédiatement sur le blond qui fixait le sol, dans un état second, qu'il semblait expressément provoquer.
En d'autres termes, il évitait toute confrontation avec moi.
-« Eh bien Tom, on ne dit pas bonjour ? » ricanais-je, bien trop heureuse d'avoir le dessus.
Il releva lentement la tête vers moi, se sentant désormais obligé de faire face à ses responsabilités. Il m'adressa un sourire crispé, avant de me tendre ses joues que j'embrassais furtivement, à tour de rôle, sous les regards alertés d'Edwige, sûrement intriguée du comportement soudain de Tom.
-« J'espère que tu tires cette tête parce que tu es inquiet pour les résultats d'Edwige !
- Très drôle, maugréa-t-il.
- Sérieusement, qu'est-ce que tu as ? Tu as l'air ravi d'être là.
- Il est un peu stressé en ce moment, il n'arrive pas à trouver d'externat, s'empressa d'affirmer Edwige. Du moins, j'espère que c'est pour ça. »
Elle le fusilla du regard, tandis qu'il haussait les épaules, indifférent à l'intérêt qu'on lui portait. Il ne s'opposa même pas à Edwige, habituellement agacé lorsqu'on s'exprimait à sa place, sur des sujets qu'il maîtrisait parfaitement.
C'était pour ça que son inaction m'avait alarmée.
Malheureusement, nous n'eûmes pas le temps de nous poser plus de questions. Et Edwige passa rapidement à autre chose.
L'attroupement d'étudiants s'était resserré de plus en plus autour du portail, étant également beaucoup plus influent. Lorsque l'on entendit un brouhaha de plus en plus distinctif, nous comprenions que les résultats étaient en train d'être affichés plus tôt que prévu.
Edwige ne tenait plus en place, désormais. Elle sautillait comme une petite fille, impatiente devant ses cadeaux de Noël. Si bien que nous décidions de ne pas la faire patienter plus longtemps. Non pas pour la soulager de cette frustration qui la submergeait depuis quelque temps, mais surtout pour avoir officiellement la paix.
-« Vous venez ? Les résultats sont enfin là ! » s'exclama-t-elle
Tom et moi lâchions un petit rire communicatif, lui certifiant que nous étions sur ses pas. Evidemment, Edwige ne put s'empêcher de se précipiter dans la foule, pour se frayer un passage, ne prenant même pas la peine de nous attendre et de s'assurer que nous la suivions.
Pourtant, je lui emboîtais bien le pas. Mais un poids m'empêcha soudainement d'avancer. Une main accrochée à mon poignet, qui m'ordonnait de m'arrêter et de me confronter.
Alors que je fis volte-face, m'apprêtant à sermonner Tom, j'eus la fâcheuse surprise d'avoir en face de moi, un homme brun à l'allure irréprochable, que je ne connaissais que trop bien.
-« Henry... » murmurais-je
Le jeune homme m'adressa un sourire maladroit tout en se grattant le cou, en guise de réponse. Bien que sa présence soit totalement imprévisible, je n'étais pas surprise, après réflexion, de le croiser ici. Je lui avais déjà communiqué la date et le lieu des résultats, lors d'un précédent échange qui devait dater de plusieurs semaines. Ce qui relevait du miracle, en revanche, c'était plutôt sa mémoire.
Il ne pouvait donc pas être là pour uniquement me regarder obtenir mon année.
Un regard me suffit pour m'apercevoir que Tom avait dévié sa trajectoire au dernier moment, pour rejoindre Edwige devant le tableau de liège, ayant sans doute laissé le champ libre à Henry en l'ayant vu arriver.
A vrai dire, j'avais soupçonné son engouement à vouloir une discussion avec moi, rien qu'avec les regards qu'il m'avait adressé. Mais en fin de compte, peut-être m'étais-je fait tout un film pour rien ?
-« Salut Kerrie... Comment vas-tu ? »
Je reportais mon attention sur mon petit ami, essayant de garder la face alors que les bribes de notre dernière entrevue que j'avais essayé d'oublier, me revinrent mécaniquement en tête.
-« Ça ira mieux quand j'aurai vu mes résultats. »
Je fixais intensément sa main qui continuait d'encercler mon poignet. Il l'ôta quasi immédiatement, en captant le sous-entendu de mes paroles.
Le voilà désormais bien mal à l'aise ; ses deux mains vinrent se joindre l'une à l'autre, ne cessant de gesticuler, tandis que le visage d'Henry ne finissait pas de s'empourprer.
-« Tu as quelque chose à me dire, n'est-ce pas ? C'est pour ça que tu es là.
- Je pars, Kerrie. »
Il avait au moins eu le mérite d'être clair et concis. Il n'avait pas eu besoin de passer par quatre chemins, de tâter le terrain dans le but de me préserver. Et je ne savais pas si je devais le respecter ou le détester pour ça.
Ce mélange d'émotion qui se tramait en moi aurait pu aboutir à un résultat assez neutre ; si je n'avais pas toutefois été affectée par ses paroles.
Je le regardais, interloquée, tandis qu'il actait toute la bonne volonté du monde à éviter mon regard.
-« Tu peux répéter ?
- Je crois que tu m'as bien entendu.
- Non. On pourrait croire que tu n'assumes pas trop ce que tu viens de dire. Je voulais juste en être sûre. »
Henry fut secoué par mes paroles et fut bien obligé de me regarder. A la vue de son air confus, j'avais réellement l'impression qu'il se forçait à partir. Depuis notre entrevue avec son père, j'avais encore un petit espoir que son travail soit au moins capable de le retenir ici. Mais j'avais visiblement douté de son côté influençable.
Il se gratta la tête, réellement embarrassé :
-« Je suis désolé. Vraiment. J'aurais aimé te le dire plus tôt, mais je ne savais pas comment.
- Pourquoi ? Quand pars-tu ?
- Ce soir. »
Je hochais la tête dans un état second. L'espèce de pause que nous avions décidé de prendre semblait se retourner contre nous. Elle nous avait permis de trop réfléchir, de trop nous remettre en question. De nous permettre de nous retrouver en tant qu'être indépendant.
De nous éloigner.
-« Tu pars au Mexique avec ton père, n'est-ce pas ?
- En quelque sorte, oui.
- Comment ça, en quelque sorte ? A quoi tu joues, Henry ?
- Un ami a besoin de moi. Je suis vraiment désolé, Kerrie. Je ne peux pas t'en dire plus. Il a vraiment de gros soucis et c'est personnel.
- Un ami, quel ami ? Attends ! Tu ne peux pas te pointer comme une fleur à ma remise de diplôme dans l'unique but de me sortir que tu t'en vas et en me faisant comprendre que ça ne me concerne pas. Mieux valait ne pas venir dans ce cas ! Alors bon voyage et amuse-toi bien au Mexique ! »
Lamentablement agacée, je tournais les talons, sentant la rupture imminente. Je n'avais pas éprouvé cette exaspération depuis des années, m'étant déjà demandé si je pourrai être réellement capable de la ressentir à nouveau un jour.
Mais en réalité, ma rage camouflait de la peur. La peur de le perdre, la peur de la distance, la peur de ne jamais le revoir. Qu'il ne revienne jamais.
Depuis l'épisode du café, j'avais l'impression que notre couple ne tenait qu'à un fil. Et je ne voulais pas me battre pour lui, si je n'étais pas sûre d'en valoir vraiment la peine. C'était une perte d'énergie assez humiliante que je n'étais pas prête à revivre.
Pourtant, je pensais que nous étions sur le bon chemin...
En partant et en me mentant, il me donnait vraiment l'impression de ne plus être concerné. J'aurais pu lui accorder le bénéfice du doute s'il n'avait pas changé d'avis subitement, en l'espace de quelques jours, le faisant désormais passer pour quelqu'un d'instable.
Alors que je me dirigeais pour rejoindre Edwige, prête à écouter ses jubilations, je fus retenue une énième fois de trop par le poignet. Pris de court à chaque fois, ne me laissant pas le choix que de me confronter à des choses qui n'avaient aucune solution. Plus d'importance.
Je ne pouvais jamais fuir. J'étais toujours traquée par mes responsabilités. Elles étaient là pour me rappeler qu'elles avaient pris de trop grosses proportions ces dernières années pour pouvoir être ignorées, comme bon me le semblait. Et que si j'osais les défier, des catastrophes, ressemblant d'un peu trop près à la mort de mon petit frère, arriveraient en masse.
Alors, par question d'automatisme, je fis volte-face vers Henry, qui ne me laissa pas le temps d'en placer une. Ses lèvres s'étaient déjà scellées aux miennes, me faisant oublier toute ma réticence de l'instant.
Pendant un instant, j'avais oublié ce que c'était que de l'embrasser, comme si c'était un sentiment lointain, perdu dans l'inconscient. J'avais oublié ce que cela faisait de l'avoir à mes côtés, m'ôtant dangereusement les doutes que j'avais pu avoir sur lui, il y a quelques jours.
Ne me rappelant que ses bons côtés et le goût sucré de ses lèvres.
Il finit par se redresser, haletant, prenant mon visage dans ses mains et ancrant son regard dans mes prunelles fiévreuses. Il finit par me sourire, essuyant mes yeux d'un revers de pouce.
-« Je t'aime Kerrie. »
Mon corps se pétrifia. Mes yeux avaient arrêté de s'humidifier. Je sentais l'air s'engouffrer dans ma bouche ouverte. La fermer me semblait être un effort que je ne pouvais pas faire ; mes forces s'étaient toutes dépliées pour essayer de comprendre ce qu'il venait de me dire.
Il venait de me dire qu'il m'aimait...
En constatant mon inaction, Henry lâcha mon visage, m'adressa ensuite un sourire confus. Ses doigts frôlèrent doucement les miens, essayant de paraître rassurant. Alors que c'était lui qui aurait aimé avoir du soutien.
-« Prends bien soin de toi. On se revoit à la fin de l'été, j'espère... Je t'appelle quand je suis arrivé. »
Je ne fus capable que de hocher la tête, dans un état second. Il sembla s'en contenter, puisqu'il continuait de diffuser cet affreux sourire penaud à ma vue, qui laissait présager qu'il avait dit tout ce qu'il avait à dire.
Il m'embrassa sur le front tendrement, avant d'éloigner ses mains des miennes. D'éloigner son visage, son corps et de disparaître de mon champ de vision.
Je tremblais. J'étais secouée de spasmes d'émotions intenses. Tellement d'émotions que je ne savais plus quelle attitude adopter, me rendant parfaitement calme et immobile à l'extérieur. Mais je savais que si quelqu'un avait la malencontreuse idée de venir me parler, je devinerais immédiatement quelle émotion se démarquerait de toutes les autres.
Je pouvais déjà le deviner en voyant tous les gens autour de moi devenir des silhouettes silencieuses, de taille imposante, face à mes yeux embués. Qui me donnait le tournis, l'impression d'être sourde et seule sur cette place qui paraissait fréquentée.
Je ne savais plus où j'étais. J'étais incapable de penser à quoique ce soit. Surtout à ce que venait de me dire Henry. Au peu d'informations qu'il m'avait fourni et la manière dont il m'avait laissé là, en laissant tous mes sens aux aguets.
Je ne savais pas si c'était normal, si c'était bien. Et pour une fois, je n'avais pas envie de me poser plus de questions. Parce que je savais très bien que j'étais incapable d'y répondre actuellement. Il faudrait simplement faire confiance au temps. Et à mes jambes, qui semblaient être les seuls membres encore conscients dans mon corps. Suffisamment conscientes pour m'emmener vers l'arrêt de bus, qui me rapatrierait chez moi, sans passer par la case Nina.
Sans m'avoir permis de regarder mes résultats.
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Hello tout le monde !
Nouveau chapitre centré sur les deux couples, qui commencent à se concrétiser ! Qu'en pensez-vous ?
Ce chapitre m'a pris un temps considérable, j'ai bien cru que je ne le terminerais jamais... J'ose espérer que les autres me prendront moins de temps !
D'ici là, portez-vous bien et à très bientôt ! :-)
#C.
{Musique en média : Feel it still - Portugal. The Man}
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