XVIII

L.A, dans la soirée du 13 juin 2000.

[Dans ce paragraphe, Tom est le narrateur.]

-« Je vais aller auprès d'elle. » déclara Henry

Il commençait à se diriger vers la forêt, mais Edwige le retint sèchement par le bras, le forçant à faire volte face.

-« Laisse là. Elle a dit qu'elle avait besoin d'être seule. »

Le grand dadais soupira. Le même son rauque et agaçant qu'il laissait échapper à chaque fois que je daignais sortir une phrase. Le genre de réaction qui me laissait comprendre que lui et moi, on ne pourrait jamais s'entendre sur quoique ce soit. Cela tombait bien, je ne le portais absolument pas dans mon cœur. Bien trop hypocrite et confiant dans ses gestes. Un homme qui convenait parfaitement à Kerrie, en soit !

Henry croisa ses bras sur sa poitrine et déclara de manière irrité:

-« Écoutez, cette situation ressemble à toutes les autres. Et j'en ai marre de la vivre. À chaque fois, je suis dans une posture très délicate et je dois prendre sur moi pour ne pas exploser. Mais ma patience a des limites, vous savez ! »

Je levais les yeux au ciel, me semblant immédiatement visé par sa remarque. Tandis qu'Edwige nous fixait par alternance, à moitié concernée.

-« Comme si on le faisait exprès.

- Je vais finir par le croire, oui.

- Croyez-moi, ça ne m'amuse plus du tout. J'ai arrêté de jouer à ces jeux là. Je préférais me savoir à l'autre bout du pays qu'en votre compagnie, Kerrie incluse.

- Bon... Visiblement, personne ne s'aime beaucoup ici. Mais c'est mon anniversaire et je n'ai pas envie de me prendre la tête. Cette présentation est un échec cuisant et je m'y reprendrai à deux fois avant de recommencer. Mais que diriez-vous d'unir nos haines et d'aller boire un verre en compagnie des autres étudiants. J'ai vraiment besoin de me changer les idées. » intervint Edwige, exaspérée

Je me tournais vers la reine de la soirée qui me zieutait d'un air implorant, mettant tous ses espoirs de mon côté. Seulement, après le plan foireux de ce soir, je n'avais aucunement envie de faire le moindre effort pour quiconque. Ce n'était pas elle la plus à plaindre. Et j'avais beau regretter les damages encourus, je n'en étais pas moins prêt à vouloir essayer d'arranger les choses.
C'était peut être l'égoïsme légendaire dont faisait référence Kerrie.

Malheureusement, le grand bourge ne semblait pas de cet avis, et l'appel de l'alcool semblait plus urgent que nos différends actuel. Étais-je réellement le seul conscient de la réalité des événements ? Et depuis quand faisait-il les choses pour Edwige ? De ce que j'avais pu comprendre, il ne s'aimait pas beaucoup, également.

-« Merveilleuse idée ! J'ai bien besoin de noyer mon agacement dans un bon verre de scotch. »

La jeune femme acquiesça, à moitié satisfaite. Et bien que j'évitais son regard, je vis du coin de l'œil qu'elle s'était tournée vers moi, attendant une quelconque réaction de ma part. La réaction la plus importante pour elle, sûrement.

-« Tom, tu viens ?

- Avec lui là ? Plutôt crever ! » fis-je en désignant Henry d'un geste de menton.

Edwige fronça les sourcils, habitée par un sentiment de mécontentement soudain. Son discours sur l'ambiance festive et la tolérance d'autrui me revint soudainement en tête. Visiblement, il ne s'appliquait pas qu'à Kerrie.
Je respirais abondamment, et me tournai vers Edwige, en lui adressant mon sourire le plus radieux, qui devait retranscrire tout l'agacement qui se tramait en moi.

Avais-je véritablement le choix de toute façon ? J'étais parti pour faire la fête toute la soirée.

-« Très bien, je suis de la partie.

- Merci. » répondit-elle simplement

Elle posa furtivement ses lèvres sur les miennes, avant de nous entraîner vers la table mise à disposition pour les boissons, avec tout l'entrain qu'elle essayait de canaliser. Mais je voyais bien qu'aucun de nous ne semblait apte à festoyer. Et que tous les accès de gaieté que nous nous forcions à avoir étaient foncièrement niais et hypocrite. Personne n'avait envie de boire en compagnie des uns et des autres.

Et l'événement qui allait s'en suivre allait m'en dissuader complètement.

Je sentis soudainement mon téléphone portable vibrer dans la poche de mon jean.
Avec une certaine pointe de soulagement d'être dérangé dans un moment aussi fatidique, je l'extirpai de ma poche, et lu le message qui s'affichait sur l'écran du petit combiné. Mais très rapidement, ce soulagement se transforma en violente inquiétude.

Maman, aujourd'hui à 21h33: Tom, ne rentre surtout pas à la maison ce soir. Je t'ai loué une chambre au Rich Angeles Hotel pour la semaine. Ton père est au courant que tu es revenu à Los Angeles et il te cherche. Je sais que tu es à une soirée ce soir, alors restes y le plus longtemps possible (sans abuser des bonnes choses évidement). Et si par le plus grand des hasards, tu décidais de rentrer, ne passe pas par la maison, va directement à l'hôtel et demande ta chambre, réservée à ton nom. Sache qu'il est plus qu'urgent que tu saches où faire ton internat de chirurgie maintenant. Je ne vais pas pouvoir te cacher longtemps de ton père Tom, et s'il tombe sur toi, il va se mettre dans une colère noire. Alors je compte sur toi, prends les bonnes décisions à l'avenir. Je t'aime, appelle moi dès que possible.

J'avalais ma salive, relisant sans cesse le message de ma mère, dont la moindre syllabe me faisait frissonner.
Là, c'était fini les plaisanteries et les faux problèmes avec lesquels je m'amusais, je devais agir en conséquences.

Ma mère avait peur de mon père, inévitablement. Elle ne l'avait pas précisé, mais je savais qu'elle avait peur que tout lui retombe dessus. Et il était hors de question que ma mère en subisse les conséquences une nouvelle fois. C'était pour moi qu'ils avaient déménagé au Texas, à la suite de mon accident. Et c'était à cause de ça que leur couple ne tenait qu'à un fil. À mon tour de leur prouver que je savais prendre les choses en mains, pour sauver l'honneur familial.

Aussi, la première chose à laquelle je pensais lorsque j'eus finis de lire et relire le message, c'était d'appeler ma mère. Elle devait sûrement attendre un signe de vie de ma part, le cœur lourd. Et j'ignorais où elle pouvait être actuellement. Certainement très loin de mon père. Je me doutais bien que pour être rassurée ce soir, elle ne pouvait pas être dans la même pièce que lui.

Précipitamment, je commençais à pianoter sur mon téléphone, et appelai immédiatement ma mère, un sentiment de confusion se mêlant dans mon esprit. En attendant que ma mère décroche, je pris soin de regarder aux alentours si Edwige n'était pas là, et constatais qu'elle piaffait avec d'autres étudiants, son verre tant désiré à la main.

Je n'avais pas envie de m'étendre sur ma vie privée avec Edwige pour l'instant. Je l'appréciais, mais pas au point de la solliciter pour régler mes problèmes. J'avais toujours eu l'habitude qu'on les règle pour moi, et même si ce n'était pas dans son tempérament, je n'avais pas envie qu'elle s'y mette à son tour. À mon âge, ça en deviendrait presque humiliant.

-« Tom ? » demanda ma mère, paniquée

Elle avait décroché au bout de la seconde sonnerie. Essayant d'être rassurant, je pris une grande bouffée d'air frais, avant de lui déclarer d'un air serein, pour essayer de la calmer:

-« Tout va bien maman. Je suis loin de Los Angeles. Sois sans crainte, je dors sur place ce soir.

- Je ne t'entends pas très bien Tom...

- Oh... il doit y avoir trop de musique, je vais m'isoler un peu. »

Je commençais à me diriger vers le centre de la forêt, jusqu'à ce que la musique ne soit qu'un bruit sourd et lointain. Je reposai le petit combiné sur mes oreilles, prudemment:

-« Voilà tu m'entends maintenant ? »

Des chuintements me répondirent comme unique réponse.

-« Maman ? Maman ? » appelai-je en fronçant les sourcils

J'ôtai le téléphone de mon oreille, pour apercevoir que l'appareil ne daignait plus capter le réseau. Les grands arbres de la forêt devaient empêcher les ondes de passer.

-« Fais chier ! » marmonnai-je

Je reposai mon téléphone sur mon oreille, empli de frustration.

-« Maman, je n'ai plus de réseau. Je ne sais pas si tu m'entends, mais je vais essayer te rappeler plus tard, quand la musique se sera cal... »

Trop tard. Elle avait raccroché.

Je sentis la colère monter en moi. C'était puéril, car ma mère n'y était pas pour grand chose, mais me sentir impuissant face à ce genre de situation me frustrait au plus haut point. Je ne savais même pas si ma mère allait bien, et dans quel état émotionnel elle pouvait bien se trouver. Mais je redoutai le pire, surtout actuellement.

Encore une fois, je n'arrivais pas à rendre la pareille aux autres.

Incapable de trouver une autre solution dans mon état actuel, je me mis dans une colère noire, tout en jetant mon téléphone sur le sol de la forêt. Il fallait bien qu'Edwige ait l'idée fantastique de fêter son anniversaire en pleine nature !

-« Putain ! » hurlai-je

Mais c'était une très mauvaise idée. La nuit commençait à tomber, et il faisait trop noir pour apercevoir où j'avais fait tomber mon téléphone. Et la lumière venant de la fête était trop faible pour m'aider à y voir plus clair.

J'étais allé trop loin, visiblement.

Alors, en soupirant, je me baissai et commençais à chercher, à tâtons, mon téléphone dans la terre et les feuillage environnant.

Mais malheureusement, il ne m'était pas entré dans la tête que ce n'était pas que sur mon téléphone que je risquai de tomber.

Un bruit de feuillage retentit à quelques mètres de moi, signe que quelqu'un —ou quelque chose écartait les branches à côté de moi.

L'air aux aguets, je levais la tête en fronçant les sourcils, perplexe. Mais j'étais trop obnubilé par ma mère et l'envie de la rappeler, pour me préoccuper d'un quelconque danger.

-« Il y a quelqu'un ? »

Je ne reçus évidement aucune réponse. J'en déduisis qu'il s'agissait sûrement d'un animal sauvage, ou quelque chose dans le genre. Mais l'idée de me retrouver nez à nez avec une bestiole, me forçait à accélérer la cadence, quitte à évoquer l'idée de laisser mon téléphone sur le sol pour la nuit, et revenir le chercher le lendemain, quand il ferait jour.

En espérant que ma mère arriverait à patienter correctement jusque là.

-« C'est ça que tu cherches ? » me héla soudain une voix tremblante

Je me retournai, incapable de savoir d'où elle venait. Lorsque je distinguais une ombre sortant des buissons.
Il s'agissait d'une silhouette humaine, qui devait correspondre à la voix qui venait de m'aborder.

Elle s'approcha de moi, et me tendit un objet semblant correspondre proportionnellement à mon téléphone. Mais elle ne daignait toujours pas bouger de l'endroit où elle semblait s'être cachée.

-« Merci beaucoup. » répondis-je simplement

La personne en face ne répondit pas, se contentant de gesticuler dans le feuillage. Accompagné d'un reniflement discret.

-« Eh, vous pleurez ? » demandai-je, soudainement

Un ricanement retentit d'entre les buissons comme unique réponse. Ce geste brusque me fit froncer les sourcils. Je le trouvai extrêmement hautain, moi qui essayait de m'intéresser à sa personne. Cela m'apprendra à essayer d'être gentil avec les autres.

-« Épargne moi ta pitié, Tom. Même quand je m'enfonce dans le cœur d'une forêt, tu trouves le moyen de me retrouver. C'est assez ironique n'est-ce pas ? »

Il ne me fallut pas longtemps pour comprendre que je venais de retrouver ma meilleure amie. Pour le meilleur et pour le pire, visiblement.

* * *

Je discernai, incrédule, le visage crispé de Tom dans la pénombre. Pour la première fois depuis bien longtemps, il était d'accord avec moi: nos retrouvailles bien trop nombreuses et hasardeuses à mon goût, commençaient à peser lourd dans la balance. Nous avions beau y mettre toute la bonne volonté du monde, nous finissions toujours par nous retrouver. Coûte que coûte.

Était-ce en rapport avec nos promesses enfantines, lorsque nous nous étions promis de nous retrouver s'il nous arrivait d'être séparé à nouveau ? Est-ce qu'indirectement, nous étions restés fidèles à nos rêves de gosses ? Ou que nous essayions tout simplement de rattraper ces cinq ans d'absence en se retrouvant dans tous les lieux possibles ?

En attendant, ces rêves s'étaient consumés jusqu'à s'éteindre définitivement, avec les souvenirs que j'avais de ce petit blond. Et le voir encore et encore, revenir sans cesse devant moi, n'arrivait pas à rallumer l'allumette déjà craquée.

Il était statistiquement impossible de la réutiliser.

J'entendis Tom soupirer, ce qui me provoqua un tremblement nerveux. Je n'attendais plus qu'il décide de faire demi-tour et qu'il reparte festoyer. Parce qu'avec lui à mes côtés, je n'arriverai pas à calmer ma frustration, et à profiter de mon amie pour son anniversaire.

Et pourtant. Il restait planté là. Ces quelques minutes de solitudes avaient paru suffisantes, mais Tom venait de tout foutre en l'air. Comme s'il savait que sa présence me rendait encore plus mal à l'aise, et qu'il venait profiter du spectacle, avec toute la malfaisance qui l'habitait, lui et ses préjugés.

Dire que j'étais enfin prête à y retourner, c'était raté à présent.

-« Evidement... Ca paraissait logique que tu sois là, Kerrie. » répondit machinalement Tom

Je ne répondis pas, me contentant de lâcher un soupir saccadé. Il me suffisait juste d'attendre qu'il s'en aille, désormais, pour pouvoir me calmer à nouveau. Mais malgré cette conversation quasi-inexistante, il ne semblait pas pouvoir partir pour autant.

-« Tu comptes rester ici encore longtemps ? » finis-je par demander, éreintée

Tom lâcha un petit rire circonspect. Ce petit rire habituel, qu'il aimait lâcher quand il se faisait "agresser" par quelqu'un, depuis qu'il était revenu. Surtout en ma présence, étrangement.

-« Et toi, tu comptes rester cachée derrière ces feuillages ? Je sais que tu me déteste, mais je n'ai pas la peste non plus. »

J'avalais ma salive, essayant de garder mon sang-froid. Ses remarques cinglantes avaient parfois le don de me faire perdre le contrôle de la situation, qu'il arrivait à tourner à son avantage. Je perdais la face, et il arrivait à m'enfoncer un peu plus à chaque fois.

Mais cette fois-ci, pas question de me laisser faire.

-« Oui, j'attends jusque que tu partes en fait. Ta présence me dérange, au cas où tu ne l'aurais pas remarqué.

- Oh excusez-moi, princesse Kerrie, je vous laisse vous amuser avec vos feuilles. Je retourne, moi, m'amuser à une vraie fête. Vous n'avez pas l'air de connaître ce genre de chose, vous.

- Dégage Tom. Par pitié, dégage avant que je vienne t'étrangler. » sifflai-je

Le petit blond continuait de rire, ravi de voir que je commençais à m'énerver. Notre relation avait souvent été basée sur l'humour noir et l'autodérision, mais quand nous l'utilisions en tant que presqu'inconnu, c'était une véritable arme destructrice. Pour moi, en tout cas. Parce qu'il était surement la personne qui connaissait le mieux mes faiblesses.

-« Très bien... Je te laisse pleurer en paix ! Merci pour mon téléphone, en tout cas. Et bonne soirée, tu salueras tes amis les arbres de ma part !

- Ouais c'est ça. Bonne soirée, et embrasse ton père de ma part. »

Alors que Tom m'avait tourné le dos et qu'il était déjà prêt à repartir, il se stoppa net dans son élan, et se tourna violemment vers moi. Il faisait trop sombre pour que je puisse le voir entièrement, mais j'étais prête à parier qu'il avait les dents serrées et le visage crispé, pour essayer de se canaliser. Un soupir rauque vint acquiescer mes propos.

J'avais frappé au bon endroit, on dirait.

-« Très bien Kerrie... Là j'arrête, je ne joue plus... Excuse-moi pour tout ce qui s'est passé récemment d'accord... Mais par pitié, laisse ma famille en dehors de cette histoire, si tu ne veux pas que je devienne vraiment méchant. Ca ne te regarde pas. Je n'ai pas envie de m'embarquer dans une histoire pareille avec toi.

- Ca ne me regarde plus, tu veux dire.

- Ouais... Peu importe. » murmura-t-il

Je sentais dans sa voix qu'il était profondément affecté par une situation qui semblait m'échapper. Il m'avait dit dernièrement que ses parents voulaient divorcer. Etait-ce cette histoire qui le troublait de la sorte ?

Je ne pus m'empêcher de culpabiliser en le voyant ainsi. Je savais que là, ma remarque l'avait touché. Elle avait été vraiment méchante, malgré le fait que je n'en sache pas la moindre information. Et même s'il l'avait mérité, cela ne faisait pas parti de mes principes de faire du mal aux autres.

Actuellement, j'avais presque envie de le prendre dans mes bras, et de lui dire que tout allait bien se passer, comme au bon vieux temps lorsque l'un de nous deux allait mal.

Mais évidement, le bon vieux temps, il était bien loin, déjà. Nous étions adultes, et nos relations avaient changé. Je ne pouvais pas faire ça. Je ne pouvais plus.

Je pouvais seulement m'excuser pour ce que j'avais dit.

Alors, je me contentais simplement de sortir de mon buisson, et de me diriger lentement vers lui, d'un pas très hésitant.

Il ne broncha pas en me voyant arriver, le regard rivé sur ses chaussures. Il ne voulait pas me regarder.

Alors, mettant tout mon orgueil et mes différends de côté, je posai ma main sur son épaule, en signe de soutien très furtif. Il frissonna au contact de ma peau sur la sienne. Et ce geste me fit frissonner également.

-« Navrée Tom... Je n'aurais pas dû. C'était déplacé. »

Soudain, il se dégagea violemment de cette « étreinte » très modérée, me faisant sursauter par la brutalité de son attitude.

-« Merci Kerrie. Mais je n'ai plus besoin de toi. »

J'avalais ma salive, brusquée par ses paroles. Et pourtant, même s'il avait tout à fait raison, et que c'était réciproque, je ne pus m'empêcher d'être touchée au plus profond de moi. De savoir qu'un jour, il trouverait quelqu'un qui ferait tout le travail que j'avais effectué durant quatorze année consécutives. Quelqu'un qui le ferait peut-être mieux. Quelqu'un comme Edwige.

-« Maintenant, si tu le veux bien... C'est plutôt toi qui ferais mieux de retourner à la fête. J'ai besoin d'être seul... Et voir si je ne peux pas trouver une stupide barre de réseau quelque part dans cette forêt. Merci de m'avoir rappelé le sens de mes priorités, pour une fois. »

Il passa précipitamment devant mon nez, et s'enfonça un peu plus dans la forêt intense et noire, disparaissant définitivement de mon champ de vision, sans se retourner.

Je sentais tous mes membres trembler tour à tour, d'un mélange de culpabilité et de pulsion. La pulsion habituelle de le suivre pour voir comment il allait. Continuer de faire ce que j'avais toujours fait, en somme.

Pendant un instant, j'avais oublié que nous n'étions plus rien l'un pour l'autre, et que s'il voulait rester seul, c'était son choix. Je m'étais simplement souvenu, que lorsqu'il allait mal, j'étais la seule qu'il tolérait à ses côtés. La seule qu'il n'envoyait pas gentiment bouler à l'autre bout de la pièce. Et j'étais la seule qui était capable de le faire se sentir mieux, presque instantanément, et parfois même, sur longue durée.

Je me demandais si maintenant, c'était possible que ce soir toujours le cas. Notre relation avait changé, mais j'étais toujours la même, j'avais toujours le même caractère, et lui aussi. J'étais surement toujours capable de trouver les mots justes pour le faire se sentir mieux.

Seulement maintenant, j'avais oublié que j'étais surement la fille qu'il avait le plus envie d'envoyer bouler à l'autre bout de la pièce.

Mais ma curiosité continuait de se faire plus grande. Ma culpabilité également. Je ne pouvais pas m'empêcher de vouloir le suivre, c'en était presque démangeant.

D'ailleurs, je ne pus pas m'en empêcher plus longtemps. Je n'arrivais pas à perdre cette habitude avec lui. Malgré tout.

Je me dépêchai de chercher à tâtons, dans mon sac, avec pour seule lumière, la lumière lointaine de la fête, la lampe torche que j'avais emporté, pour la nuit au cas où. Jamais je n'avais pensé qu'elle serait aussi utile. Et que garder mon sac sur le dos en partant dans la forêt le serait également.

Je l'allumai presque immédiatement, et me ruai dans la direction que le petit blond avait prise.

-« Tom ! » appelai-je

Évidement, il n'eut pas de réponse qui me parvint. Mais je n'abandonnai pas pour autant, obnubilée par le fait de le retrouver et d'assouvir ma curiosité.

-« Tom ! Tom ! Réponds-moi s'il te plaît ! » criai-je, plus fort

Je n'eus toujours pas de réponse, évidement. Je brandissais ma puissante lampe torche dans toute la forêt et ses alentours, mais je n'aperçus personne. Et j'hésitai à l'appeler une dernière fois.

Alors que je m'apprêtai à faire demi-tour, une masse sortit d'un côté sombre et se jeta sur moi, encerclant mon corps, de sa forte emprise, fourrant sa tête dans le creux de mon cou, les joues humides. Encore un peu sonnée, je lui tapotai le dos, doucement.

-« Kerrie... J'suis désolé. Je ne peux pas, je ne peux pas y arriver tout seul... »

J'encerclai son corps de mes deux bras, et posai ma tête sur son épaule, attristée. Lui aussi, avait été ramené à la réalité par ses habitudes. Et il avait besoin d'aide, parce qu'à chaque fois, nous résolvions nos problèmes tous les deux. Il était incapable de croire en ses capacités, parce que depuis qu'il avait quitté Watts, il n'avait plus eu aucun problème. Sans moi et ma satanée mère, la chance lui avait souri.

J'étais une habituée des problèmes, il était un habitué des solutions.

-« Aller Tom... Ça va aller... Comme d'habitude, tu vas t'en sortir. Toi et moi, on s'en est toujours sorti, tu le sais. » fis-je en lui tapotant maladroitement le dos

Soudainement, Tom se détacha quelque peu de mon emprise, et recula un peu, rivant à nouveau, son regard sur ses chaussures, tout en essuyant doucement ses joues. Je me pinçai les joues, confuse.

Je venais de me rendre compte que ces habitudes que nous avions ne faisaient plus parti de la réalité. Et lui aussi, visiblement. Nous nous en étions rendu compte en même temps. Nous n'étions plus capable de nous apporter quoique ce soit de réconfortant. Ses problèmes n'étaient plus les miens, je n'arrivais pas à être triste pour lui. J'étais simplement gênée.

J'avais désormais la réponse à ma question.

-« Désolé Kerrie, je ne sais pas ce qui m'a pris. Oublie tout ça, s'il te plait...

-Oh... Non, c'est moi qui suis désolée. » lâchai-je, du tac au tac

La tension était au maximum. Elle me paraissait presque familière.

C'était face à ce genre de situation similaire, après une légère période de malaise, et une certaine hésitation, qu'habituellement, nous avions l'habitude de nous embrasser.

Mais là, ce n'était pas une situation familière. Nous n'avions juste plus rien à nous dire. Et nos pulsions habituelles s'étaient officiellement dissipées, laissant place à une atmosphère gênante et étouffante.

Pourtant, je rivai la lampe torche, vers nous, et aperçu furtivement que Tom m'avait examiné quelques secondes, au niveau du bas du visage. Avant de voir que je l'avais remarqué, pour qu'il replonge quasi instantanément, son regard sur le sol de la forêt.

Trouvant cette situation de plus en plus étourdissante, je décidais de briser ce silence pesant, amplifié par l'atmosphère guère rassurante de cette grande forêt noire. Il fallait absolument que je bouge d'ici.

-« Si on retournait à la fête ?

- Ouais bonne idée. »

J'hochai la tête, et rivai la lampe torche du côté opposé où nous nous trouvions. Mais c'était étrange... Rien ne ressemblait au chemin que nous venions d'emprunter. Nous étions bordés par des dizaines et des dizaines d'arbres imposants et de tailles vertigineuses, ainsi que d'un sol bien trop indiscernable pour voir ce qu'il y avait à nos pieds. Mais c'était tout. Il n'y avait aucun chemin à l'horizon, aucun sentier, pas même de marque sur les arbres qui pouvait nous permettre de retrouver notre chemin. Le sol était trop pentu, et les recoins presque infranchissables.

J'étais incapable de savoir par où nous étions arrivés, et par où l'on pouvait repartir. Tous les recoins se ressemblaient affreusement.

-« Il y a un problème ? » finit par me demander Tom, en fronçant les sourcils

Je me retournai soudainement vers lui, essayant de faire bonne figure. Mais malheureusement, il ne crut pas du tout à mon petit cirque.

-« Oui Tom, je crois qu'il y en a un...

- Laisse-moi deviner... On est perdu.

- Bingo !

- Tous les deux, c'est ça ?

- Tous les deux... Ouais. »

Tom soupira. Et pour une fois, j'aurais bien fait pareil que lui. Mais j'étais trop paniquée à l'idée de la suite des événements pour paraître énervée. En espérant que Tom était capable de trouver des solutions à ce genre de problème, parce que j'étais désormais hors jeu.

-« J'ai peut-être une idée... Eteins ta lampe torche, on va essayer de se repérer grâce à la lumière de la fête. On aura qu'à essayer de la rejoindre en suivant la lumière, non ?

- Ouais, ça paraît sensé ton truc... Bon, essayons. »

J'éteignais instantanément ma lampe torche, et attendit que mes yeux s'habituent à nouveau à l'obscurité. D'ailleurs, ils s'y habituèrent un peu trop, car il n'y avait aucune lumière à l'horizon.

Il n'y avait aucune lumière à l'horizon. C'était le signe qu'on s'était enfoncé trop profondément dans la forêt, et qu'on avait perdu la trace de la fête.

Comme dernier recours, je tendais l'oreille, histoire de voir si l'on n'entendait pas un bruit de musique, de cri ou de quoique ce soit d'humain et de festif, mais il n'y avait rien. Seulement le bruit des criquets et de ma respiration saccadée.

-« Bon Kerrie... Je pense qu'on peut officiellement dire qu'on est perdu. »

Un bruit de feuille retentit à côté de nous, me faisant pousser un petit cri strident. Et avant que je ne puisse faire quoique ce soit, Tom me prit la lampe torche des mains, et l'alluma immédiatement, en levant les yeux au ciel, l'air accablé. Il dirigea la lampe torche vers le sol, pour apercevoir un minuscule écureuil qui remonta immédiatement dans l'arbre à côté de lui, lorsqu'il fut au contact de la lumière.

Je sentais mon cœur battre à cent à l'heure, guère rassurée. Surtout lorsque je vis le faible sourire taquin de Tom, qui m'observait, presque moqueur, face à ma réaction.

-« Prête pour un peu de camping sauvage avec moi ? »

Ce fut ce moment que je choisis pour soupirer. Je pense que là, j'avais atteint mes limites, et que la situation ne pouvait pas être pire.

Le destin voulait définitivement nous isoler, Tom et moi, du reste du monde, pour rattraper le temps perdu. Et il avait réussi sans même sourciller.

Faible et naïve que j'étais.

* * *

[Dans ce paragraphe, Henry est le narrateur.]

La fête battait son plein, et les invités avaient fini par tous arriver. Maintenant, il y avait tellement de monde, qu'on voyait à peine plus loin que le bout de son nez. Si bien que je me demandais comment j'allais retrouver Kerrie dans toute cette cohue. Enfin, si elle daignait se montrer, ce qui commençait à prendre un certain temps... J'étais inquiet.

-« T'es toujours là, toi ? »

Edwige arriva à ma rencontre, un verre vide à la main. C'était au moins la troisième fois que je la voyais venir se resservir à boire, et repartir se frotter auprès d'autres adolescents rempli de testostérone. D'ailleurs, j'étais surpris qu'elle se soit rendu compte de ma présence. Non pas que je faisais tâche, mais j'avais passé l'âge pour les fêtes étudiantes.

-« Ouais, j'ai pas bougé depuis tout à l'heure, comme tu peux le voir.

- T'es pas obligé de rester, tu sais. Je vois bien que tu ne t'amuses pas ici. Ça doit bien faire une heure que tu es là, et tu n'as toujours pas fini ton verre.

- Merci Edwige, mais je ne peux pas laisser Kerrie ici, toute seule. Je vais attendre qu'elle revienne, et on avisera après.

- Quoi ? Elle n'est toujours pas revenue ? Mais ou est-elle ? »

J'haussai les épaules, en signe d'incertitude. Visiblement, le fait que Kerrie soit là ou pas n'empêchait pas Edwige de s'amuser. Dire que Kerrie était persuadée qu'Edwige et elle avait une relation privilégiée. Avec deux ou trois bons verres, et une relation d'une "telle envergure" était rapidement mise au placard.

-« Je ne sais pas... Justement je reste ici, dans l'espoir de la voir surgir.

- Je ne pense pas que tu la verras dans les parages... Tu sais bien que Kerrie ne boit pas.

- Je le sais bien. Mais bon, peut-être qu'elle pensera à me trouver ici lorsqu'elle reviendra.

- Oui peut-être. » conclut Edwige

Je voyais qu'elle était pressée de retourner s'amuser et profiter de sa soirée. Soit parler de Kerrie lui passait par-dessus la tête, soit elle lui en voulait de s'être volatilisée aussi longtemps et de l'avoir abandonnée le jour de son anniversaire. C'était plus ou moins compréhensible... Et si j'avais été à sa place, j'aurais peut-être réagi pareil.

D'ailleurs, je ne savais même pas pourquoi je continuais de l'attendre sagement alors que je pourrais prendre mon pied par ici, même si les soirées d'Edwige ne faisaient pas forcément parti de ma came. Mais pourtant, la jeune femme ne semblait pas apte à vouloir que je parte. Qu'elle en soit rassurée, tant que je n'avais pas retrouvé Kerrie, je ne pouvais pas bouger.

-« Bref, sinon tu t'amuses toi ? Tu danses avec Tom ?

- Ouais je m'amuse ça va. Tom n'a pas l'air d'être mauvais danseur, mais je le saurai mieux si je l'avais revu depuis le début de la soirée.

- Attends... Ne me dis pas qu'il a disparu aussi...

- Bah depuis que j'ai proposé qu'on aille prendre un verre tous les trois, il s'est volatilisé pour faire je ne sais quoi.

- Mais Edwige, ce n'est pas possible que tu sois aussi bête... Tu ne te doute absolument de l'endroit ou il peut être ? »

La jeune femme fit mine de réfléchir, avant d'avoir une soudaine révélation. L'alcool ne lui convenait décidément pas...

-« Oh ouais... Il est parti rejoindre Kerrie dans la forêt.

- Et dire que tu m'as empêché d'y aller, alors que lui il y est allé en douce... Je ne sais vraiment pas pourquoi je suis encore là, à attendre le retour de Kerrie, alors qu'il lui suffit de quelques minutes avec Tom pour qu'elle m'oublie complètement. Elle a beau m'assurer que c'est de l'histoire ancienne, je n'arrive pas à y croire ! »

Edwige leva les yeux au ciel, exaspérée. Son attitude m'étonnait, elle ne semblait pas pour le moins alarmée par la proximité des deux protagonistes. Elle ne semblait pas capter l'importance de leur relation d'antan lorsqu'elle les a « présenté ». Cette relation que je m'étais pris de plein fouet, parce que je m'étais mis en travers de quatorze année de relation bien imbriquée, qui avait réussi à voler en éclat, sans que je n'y puisse rien. Et voilà que Tom a réussi à se caser avec quelqu'un, et qu'il réussissait quand même à avoir ce qu'il voulait. Ce que je voulais...

S'il pensait que la blondeur de ses cheveux était un bon appât, il faisait erreur sur la marchandise. Il ne se doutait pas de quel bois je pouvais me chauffer. J'avais été gentil, courtois et gentleman jusqu'à là, mais si je ne défendais pas mon territoire, on me prendrait pour un faible. Et dans ma famille, être faible, c'était mal vu.

-« Détends-toi Henry. Qu'est-ce que tu croyais ? Que tu pourrais t'immiscer entre eux ? Kerrie t'a choisi, mais tu ne peux pas vouloir que Tom sorte de sa vie aussi facilement. C'est statistiquement impossible.

- Merci, j'avais remarqué. A chaque fois que je vais quelque part avec Kerrie, je le croise sur mon chemin. Et même si Kerrie m'assure qu'elle m'a choisie, je ne peux pas m'empêcher de m'inquiéter. Ils étaient amoureux, Edwige, je ne sais pas si tu le réalise. Ils ont tellement de point commun, tellement d'habitude que même quand ils se détestent, ils ne peuvent pas s'empêcher de se parler, de rester ensemble et de se retrouver. Et on en est ou aujourd'hui ? Les voilà seuls dans une forêt à faire je ne sais quoi !

- Je ne comprends pas pourquoi tu n'as pas plus confiance en Kerrie que ça. C'est une fille honnête et compréhensive, je suis persuadée que jamais elle ne te ferait un coup pareil.

- C'est vraiment toi qui me donne des conseils de la sorte ? Je te rappelle que quand on est sorti ensemble, t'étais pas vraiment ce genre de fille honnête et compréhensive et que tu t'es quand même tapé mon père hein.

- Chut pas si fort ! » chuchota-t-elle soudain

Ce fut à mon tour de lever les yeux au ciel. Edwige avait beau avoir les neurones grillées pour la soirée, je n'en restais pas moins de marbre face à la personne qu'elle était. Et le fait qu'elle ne s'inquiète pas pour Tom ne m'étonnait pas, ce n'était pas son genre, bien qu'elle avait l'air de tenir à lui, comme elle n'avait jamais tenu à quelqu'un depuis... moi.

Mais Edwige cachait bien son jeu. Elle se posait en victime, alors qu'en réalité, c'était elle qui la mettait à l'envers à ses partenaires. Je n'étais pas le premier, bien loin de là. Et Tom n'était qu'une énième victime de ses machineries sexuelles. Sauf que contrairement aux autres, son sort m'importait peu.

Ce n'était pas Edwige qui s'était faite trompée par Mathieu, mais bien le contraire. Et c'était à moi qu'elle venait raconter tout ça, parce que malgré tout ce qu'elle m'avait fait, j'étais toujours attaché à elle au plus profond de moi, et qu'il m'était impossible de couper les ponts avec elle. Et elle prenait un malin plaisir à en profiter.

C'est pour cela que je comptais sur Kerrie pour me la faire oublier une bonne fois pour toute. Je m'étais beaucoup attaché à elle, et je savais qu'elle avait la carrure nécessaire pour me faire tourner la page « Edwige » définitivement.

Elle finit par hausser les épaules et à lâcher un petit rire, pour essayer de détendre l'atmosphère. Bien évidement, c'eut l'effet inverse.

-« Aller Henry, c'est de l'histoire ancienne. On a réussi à trouver quelqu'un, toi et moi.

- Ouais, et ces deux personnes se connaissent mieux que quiconque.

- Oui, bon... D'accord, mais...

- Et tu sais bien que moi, je n'ai pas tourné la page. »

Edwige ne réagit pas à mes paroles, et se contenta de se diriger vers le buffet, presque vide. Elle sortit une sorte de minuscule caisse de dessous la table, et en brandit une bouteille qui n'était pas encore entamée. Elle revint à ma rencontre, et me la fourra sous le nez.

-« J'avais prévu cette bouteille au cas où ça se passerait mal... J'suis d'accord pour la partager avec toi, si ça te fait plaisir. »

Et avant que je ne puisse dire quoique ce soit, elle augmenta la dose de scotch dans mon verre, avant de s'en servir à son tour. Elle colla ses lèvres à la paroi du gobelet, et en bu quelques goulée, avant d'ajouter, soudainement énergique.

-« Tu sais Henry, à propos de Kerrie et Tom... je pense que tu ne devrais pas t'inquiéter.

- Ah, pourquoi ?

- Vois-tu, un de mes excellents camarades de fac était dans leur école primaire et collège. Et il m'a raconté que Kerrie et Tom étaient toujours fourrés ensemble, à chaque récréation, à chaque pause, à chaque cours et même en dehors. C'était connu de beaucoup d'élèves. Le duo Kerrie et Tom, c'était un peu comme Laurel et Hardy, comme Peter et Sloane, tout le monde les connaissait, et c'était carrément inimaginable de les imaginer l'un sans l'autre. Et évidement il y avait des rumeurs sur la proximité des deux protagonistes, comme quoi ils étaient deux frères et sœurs cachés, ou qu'ils étaient fous amoureux l'un de l'autre et qu'ils aimaient s'en cacher.

- Et comment tu veux que je sois rassuré après ce que tu me racontes ?

- Attends, laisse-moi finir ! Et un lundi matin, après les vacances de février, alors qu'ils étaient en troisième, Kerrie est venue au collège seule, jusqu'à la fin de l'année. Et personne n'a jamais revu Tom.

- Hein ? Mais pourquoi ?

- Il avait déménagé au Texas, pour fuir sa meilleure amie... Enfin, sa petite amie, devrais-je dire ?

- Je ne comprends plus rien... Pourquoi a-t-il fuit Kerrie s'ils s'aimaient tant ?

- Parce que la mère de Kerrie a faillit tuer Tom. »

Je manquai de recracher la gorgée que je venais de boire, sur le sol de la forêt. Si un seul jour de ma vie je m'étais douté de ça, à propos de Kerrie et de Tom, j'aurais réfléchi à mes paroles à deux fois.

Tout s'éclairait. Je comprenais mieux pourquoi ils avaient été si froids l'un envers l'autre, lors de leur retrouvaille improvisée à l'hôtel, mais en même temps, si proches... Je comprenais mieux pourquoi Tom était parti si longtemps, et pourquoi Kerrie n'aimait pas parler de ses problèmes et de sa mère alcoolique. Et évidement, avec une amie aussi fouineuse qu'Edwige, Kerrie ne pourrait pas garder ses secrets très longtemps.

Edwige, amusée de ma réaction, se resservit un autre verre, alors qu'elle venait à peine de finir le sien. Puis elle enchaina :

-« Les gens en ont été très étonné, puis au final, ils sont devenus indifférents. Et Kerrie s'est fondue dans la masse, et elle est devenue la petite mijaurée que nous connaissons tous actuellement. Sans Tom, elle est devenue complètement perdue, et elle était incapable de se débrouiller seule. Du coup, c'est bien que tu sois avec elle, je trouve.

- Attends, tu crois vraiment que je vais devenir son Tom ? Non, tu te mets le doigt dans l'œil, je n'en serais jamais capable... Surtout si ça doit se terminer de la sorte.

- Mais non imbécile. C'est bien que tu sois une manière pour elle de tourner la page. »

Elle me regardait avec insistance, et je savais que c'était un message à double tranchant, qui s'adressait indirectement à moi.

J'enchainai alors, soudainement gêné.

-« Mais... Est-ce que tu sais pourquoi la mère de Kerrie a voulu tuer Tom ? Comment ton ami a-t-il su tout ça d'ailleurs ? Ce sont sensé être des choses... personnelles non ? Ce que je veux dire, c'est que même Kerrie ne m'en a pas parlé... Comment peut-il être au courant ? »

Je sentis Edwige légèrement mal à l'aise d'un seul coup. Fouiner était une chose qu'elle savait bien faire, et sans aucun scrupule. Lui arrivait-il de parfois regretter de s'immiscer un peu trop dans la vie privée des autres ?

-« Pour l'histoire de la mère de Kerrie, c'est sorti dans les journaux... La famille de Tom lui a intenté un procès, et elle a tout perdu. Du coup, ce n'était pas difficile de faire le lien. Puis ça colle aux restes des événements... Du coup, c'est normal que mon ami soit au courant. Quand il a vu que je sortais avec Tom, et que j'étais amie avec Kerrie, il a préféré me prévenir. Et c'est tout ce que je sais. Je ne sais pas pourquoi la mère de Kerrie a fait ça, par contre.

- Et il te raconte la vie privée de Kerrie sans pression ?

- Ecoute Henry, je sais que tu veux protéger ta chérie, mais Kerrie a des secrets dont elle refuse de me parler, et si je peux avoir l'opportunité d'en savoir plus, je ne veux pas m'en gêner. C'est mon amie, et elle me cache des choses, je ne supporte pas ça. Et j'ai l'impression que de savoir tout ça va me mener sur la bonne voie. La voie de la vérité.

- T'es vraiment une sacré garce, tu le sais ça ?

- Oh oui t'inquiète, tous mes ex aiment me le dire. Surtout toi d'ailleurs ! »

Elle but la dernière gorgée de son verre, avec un sourire narquois sur les lèvres, tandis que j'essayais de garder mon calme. Elle posa une de ses mains pâles sur mon épaule, et vint se rapprocher de moi. Elle se pencha près de mon oreille, et me murmura quelque chose que je fis mine de ne pas comprendre à cause de la musique forte.

J'aurais bien aimé ne pas l'entendre.

-« En tout cas, merci de t'être rapproché de Kerrie pour moi... Je sais que tu n'étais pas obligé de le faire, mais au final, ça a l'air de plutôt bien marcher entre vous. Tant que tu la tiens le plus loin possible de Tom, je suis contente. Tu peux faire ça pour moi, Henry ? »

Je frissonnai en entendant ses mots résonner à l'intérieur de moi. Ces mots qui me rappelaient que j'étais vraiment prêt à tout pour cette fille ingrate et qui aimait user de ces charmes. Ces mots qui me rappelaient que je n'avais que l'air d'un gentleman, mais pas l'attitude.

-« Eh Edwige ! Tu viens avec nous ? » lança soudain une voix dans la foule

Edwige se détacha soudainement de moi, et adressa un signe de la main à son ami qui l'appelait.

-« Haha ouais j'arrive, deux minutes ! »

Puis elle se retourna vers moi, et m'adressa un sourire empli d'hypocrisie, qui me fit frissonner de plus belle.

-« Bien, je te laisse t'amuser. Tu peux finir la bouteille si tu veux, tu risques d'en avoir besoin. Tiens, cadeau ! »

Et elle me tendit la bouteille, que j'empoignai presque aussitôt, avant de se ruer dans la foule en hurlant, et de disparaître de mon champ de vision.

Je soupirai, et but le reste de mon verre, d'une traite. La soirée avait été riche en révélations, et je ne savais pas comment les interpréter.

Moi aussi, je mourrai d'envie de savoir les secrets de Kerrie. Et même si j'avais une certaine avance sur Edwige en sachant que sa mère était alcoolique, je n'étais pas fier de la façon dont j'avais su toutes ces choses sur sa vie privée, ainsi que sur celle de Tom. Parce que, malgré tout ce que m'avait dit Edwige, je m'étais vraiment attachée à cette fille, et je n'avais pas envie qu'elle souffre. Elle ne le méritait pas. Elle avait l'air d'avoir suffisamment souffert avant de me connaître.

Edwige pouvait bien essayer de semer le doute dans mon esprit, je savais que j'appréciais Kerrie. Peut-être pas de la manière dont elle l'entendait, c'est-à-dire, comme je l'avais aimé elle, mais je l'appréciais suffisamment pour être affecté s'il lui arrivait quelque chose.

Je commençais réellement à l'apprécier.

Je jalousais la relation passé de Tom et Kerrie. J'aurais aimé qu'Edwige soit ma Kerrie, et que je sois son Tom. Mais visiblement, ce n'était pas son attention lorsque je l'ai découvert au lit avec mon propre père. Elle avait beau m'avoir sorti toutes les excuses du monde, je savais bien que notre belle idylle n'avait été qu'une illusion et qu'elle venait brusquement de s'arrêter.

Pourtant, elle m'avait avoué qu'elle n'avait jamais aimé personne autant que moi... Pathétique.

Maintenant que j'avais trouvé Kerrie – la véritable Kerrie, je pouvais peut-être me poser des questions. Elle m'avait choisi face à Tom. Le Tom. Si ça, ce n'était pas une preuve de confiance, je pouvais dès maintenant jeter l'éponge. Mais malgré tout, j'étais toujours incapable d'oublier Edwige, et je ne pouvais pas m'empêcher de vouloir garder contact avec elle. Et d'être prêt à faire ce qu'elle me demandait pour garder un peu d'estime à ses yeux.

Garder de l'estime à ses yeux, alors que je n'en avais jamais eu pour elle. Alors que j'étais une conquête parmi d'autre. C'était purement ironique... Nos familles avaient beau se connaitre depuis notre plus tendre enfance, je n'en restais pas moins au même niveau que les autres.

En attendant, elle m'avait demandé de garder Kerrie loin de Tom. Cela risquait d'être assez difficile, sachant qu'ils étaient actuellement dans la forêt tous les deux. Je serais bien partir à sa recherche, mais je ne savais même pas ou elle se trouvait exactement. La forêt était bien trop dense et je risquais de me perdre. Et Kerrie n'avait pas de téléphone...

Non, je pense que si elle avait réellement envie de revenir, elle l'aurait fait depuis bien longtemps.

C'était donc sur ces pensées bien lugubres, que j'abandonnais mon verre sur le buffet, et bus de grandes goulées de scotch, à même la bouteille. J'étais bien parti pour une nuit blanche. Seul. Avec ma bouteille comme seule compagnie.

Heureusement, au moins, Kerrie n'était pas partie avec la tente.

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Hey ! Nouveau chapitre d'A portée de main ! Ca faisait longtemps je sais...

J'ai beaucoup aimé écrire ce chapitre, j'espère qu'il vous plaira. :) On en apprend un peu plus sur le point de vue d'Henry, qu'en pensez-vous ?

Que pensez-vous également de:

- Tom

- Kerrie

- Edwige

- La situation dans laquelle se trouve les deux "amis" ?

Ne vous inquiétez pas, je vais devenir beaucoup plus active à présent, c'était une simple absence dû au syndrome de la page blanche. :(

Donc du coup, je vous dis à bientôt pour la suite et je vous remercie d'avoir continué à lire malgré tout. (;

#C.

{Musique en média: Long Way Down - Tom Odell}





 

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