XVI
L.A, 13 juin 2000
Plusieurs semaines ont passé. Et ma vie n'avait jamais été aussi comblée. Sur un laps de temps si grand.
A vrai dire, j'avais rarement connu ça. Quand il m'arrivait de penser à mon passé, seuls des fragments de ma vie antérieure arrivait à me redonner le sourire. Des fragments d'une durée tellement infime, qu'avec le temps, ils en devenaient presque insignifiants.
Surtout en ce moment. J'étais tellement heureuse que je n'avais pas besoin de me rattacher au peu de souvenirs heureux qu'il me restait pour vivre. Je vivais pleinement l'instant présent. Et ça ne m'était pas arrivé depuis un sacré bout de temps. Je le savais, car ce sentiment était tellement peu familier, que lorsqu'il m'arrivait, j'avais l'impression qu'il était deux fois plus amplifié.
Le bonheur amplifié. Rien que pour moi. Histoire de compenser plusieurs années d'isolement et de responsabilités imposées.
Henry était vraiment le petit ami rêvé. Il était attachant, serviable et faisait toujours passer mes intérêts avant les siens, bien que parfois je me sentais gênée, ayant l'impression de profiter de son amabilité. Mais son attitude gentleman n'avait jamais fait tâche avec l'éducation qu'il avait reçue dans son milieu.
Nous nous voyons essentiellement le soir, après qu'il ait terminé son travail, et moi, mes cours à la fac ou mon job de fleuriste, en fonction des jours. Ce après quoi, il m'emmenait dîner au centre-ville où nous discutions pendant de nombreuses minutes interminables, auxquelles je n'aurais jamais voulu mettre fin. Ce après quoi, il finissait par me ramener chez moi, tout en m'embrassant et en me souhaitant bonne nuit. Parfois, ce dernier baiser était une véritable source de frustration, lorsque je rejoignais mon lit, mais je me consolais rapidement en me disant que le lendemain serait une autre journée en sa compagnie, et que mon temps ne serait pas gâché.
Nous préférions faire les choses en douceur, dans notre couple. Apprendre à mieux nous connaître et établir une atmosphère de confiance totale, au lieu de tout précipiter. Non pas que je doutais de lui, mais mon caractère et son éducation nous poussait à prendre notre temps. Et ça n'avait pas l'air de nous déplaire, nous étions satisfaits tous les deux de cette méthode.
Mais je n'allais pas mentir : passer du temps avec Henry était devenu pour moi, un véritable besoin vital. Peut-être parce qu'il était la première personne à me faire me sentir importante depuis longtemps ? Et j'aimais ça. Être importante pour quelqu'un me redonnait confiance en moi. Une chose que j'avais perdue depuis pas mal d'année. Et que j'avais besoin de récupérer pour m'en sortir correctement dans la vie.
Et grâce à lui, ça fonctionnait. Ça se reformait lentement, mais sûrement. Je l'aimais.
Le fréquenter influait aussi sur mon humeur quotidienne et mes fréquentations. Notamment avec Edwige. Nos rapports s'étaient grandement améliorés depuis notre dernière altercation et chacune de nous avaient su faire des efforts pour palier à nos problèmes.
La bonne humeur se faisait ressentir avec nos clients, qui semblaient se faire plus nombreux, par rapport au mois dernier. Nous plaisantions beaucoup, et partagions beaucoup plus qu'avant. Parfois même, il nous arrivait de passer un après-midi ensemble, où nous ragotions sans nous arrêter, sur des sujets frivoles ou plus sérieux.
J'avais vraiment l'impression de découvrir mon amie. Une fille intéressante, intelligente, concernée par son pays ou ce qui l'entourait, tout comme le futur et les nouvelles technologies qui faisaient leurs apparitions, ayant des réponses sur une multitude de sujet. Mais aussi sur des points banals et sans intérêts, comme certaines rumeurs de couloirs, à la faculté.
Des faces qu'elle ne m'avait jamais montrées jusqu'à maintenant.
C'était comme si notre ancienne relation était fondée sur la superficialité et qu'elle n'avait jamais vraiment existée. Mais comme nous partagions un job commun, il était difficile de faire comme si nous ne nous connaissions pas. Surtout qu'une mine réjouie et une ambiance radieuse était plus attractive qu'un teint maussade et grisâtre.
Mais cela restait un plaisir. Je n'aurais jamais cru qu'Edwige pouvait cacher une si belle personnalité sous ses airs légers. Je ne comprenais toujours pas pourquoi elle refusait de la montrer aux autres. Me trouvait-elle capable de voir son vrai visage ? Avait-elle confiance en moi plus qu'en ses amis ? Ou s'habituait-elle tout simplement à la personne qu'elle avait en face ? Dans tous les cas, j'étais persuadée que si elle décidait de me montrer sa vraie personnalité, je devais être également importante à ses yeux.
D'ailleurs, de son côté, elle semblait admirablement épanouie. Et pour cause ! Elle m'avait avouée à demi-mot que le garçon avec qui elle avait récemment eu une aventure l'avait recontactée et que depuis ils se voyaient tous les soirs. Et d'après elle, cela devenait plutôt sérieux. Mais j'avais beau exiger son nom et un portrait robot de cet homme, elle me susurrait toujours avec un sourire malicieux, tout en posant une main amicale sur mon épaule : « Je t'ai promis que tu serais la première au courant Kerrie, et ce sera le cas. Attends encore un peu, je prépare les choses en grand, tu me connais. » Au tout début, j'ai été légèrement blessée, mais notre amitié prenait une telle envergure, que je lui ai fait confiance, en me répétant qu'elle savait ce qu'elle faisait. J'avais donc fini par abandonner.
Et justement elle savait ce qu'elle faisait ; ce jour tant attendu était arrivé. Nous étions le treize juin, et c'était l'anniversaire d'Edwige. Elle fêtait ses vingt ans aujourd'hui. Et comme elle l'avait dit, elle préparait les choses en grand.
Aujourd'hui, je me levais tôt, le sourire aux lèvres. C'était une énième bonne journée qui s'annonçait et il ne fallait surtout pas que je perde mon temps !
J'enfilais un débardeur et un jean quelconque, tout en ajustant mon fin gilet sur mes bras encore fragiles, et me dirigeai vers la cuisine pour me préparer un bol de céréales, quand je remarquai que le paquet était vide. Patiente, je commençai alors à ouvrir tous les placards à la recherche d'un aliment sucré pour le petit déjeuner, lorsque je vis une boîte de céréale coincée derrière des casseroles. Je m'en emparai alors, intriguée qu'elle ne soit pas rangée à sa place, lorsque je remarquai qu'elle était déjà entamée. Et en effet, lorsque je vis la boîte en carton rouge ouverte, mon sourire s'affaissa directement.
C'était les céréales que j'avais l'habitude d'acheter à Nina et à Estéban...
Je m'assis alors sur la chaise, et commençai à détailler du regard chaque parcelles extérieures de la boîte, comme s'il s'agissait d'un vieux souvenir poussiéreux retrouvé au fond du grenier. A quelques détails près. Comme si la stupide abeille souriante dessinée sur la devanture du paquet allait réussir à me redonner le sourire directement avec ses couleurs trop vivifiantes et ses céréales alléchantes qui se trouvaient à l'intérieur.
Je n'aimais pas y penser mais ils me manquaient terriblement. Depuis leur départ, mon mode de vie avait violemment changé contre mon gré. Je m'en étais accommodée, certes, mais parfois lorsque je rentrais à la maison, le souvenir de leurs étreintes s'éloignait un peu plus. Et me revenait en tête leurs petits visages souriants, dès qu'ils me voyaient faire irruption dans la maison.
Je n'avais plus personne à qui parler ou à qui raconter ma journée. Personne qui m'attendait. Et je n'osais toujours pas aller dans leur chambre faire du rangement, de peur de me mettre lamentablement à pleurer comme une gamine.
Le minuscule appartement de ma mère était terriblement vide, silencieux et noir. Je n'y rentrais que pour dormir et le quittait le matin dès que je le pouvais. Même pour mes examens de fin d'année je préférai réviser à la bibliothèque. Car il était toujours aussi insalubre et même si la génitrice ne se servirait plus de l'argent pour ses pokers pendant un long moment, mes revenus ne restaient pas fameux pour me payer un nouvel appartement, qui ne me rappellerait pas les jumeaux, à chaque recoins. Car c'étaient eux les petits soleils de cet appartement maussade. Et de ma vie.
Parfois, j'avais l'impression d'entendre leurs voix et leurs petits rires, retentir. Mais je revenais rapidement à la réalité et me contentais de passer devant la porte fermée de leur chambre, comme s'ils étaient en train de dormir. Dormir pour toujours.
Passer du temps en compagnie d'Edwige et d'Henry me permettait d'oublier ma solitude extrême et le manque de mes petits protégés. Car je n'osais pas l'avouer, mais je n'étais pas prête à assumer le fait qu'ils étaient partis, et j'essayais en effet, de détourner tout objet leur ayant appartenu de ma vue, afin d'éviter de faire remonter des souvenirs non désirés. Par peur d'affronter ma solitude.
Ce que cette stupide boîte de céréale venait de faire...
Je secouai la tête, tout en m'apprêtant à le jeter, pour éviter de m'attarder plus longtemps sur ces souvenirs, lorsque je remarquai le sachet intérieur à moitié rempli de céréales sucrées. Et plus je regardai les petites boules de miel au fond du paquet, plus mon ventre gargouillait d'envie.
Je soupirai. Pourquoi continuer à penser au passé ? Ce n'était pas en pensant aux bons moments que nous avions partagés ensemble, en regardant un objet leur ayant appartenu, avec tristesse que j'allais finir par avancer. Parfois, crever l'abcès était primordial, et tout en évitant les difficultés, on finissait par les rendre plus redoutables, voir insurmontables. Je n'allais pas pouvoir éviter de penser à eux éternellement, c'était presque une insulte à leur souvenir ! Ils ne méritaient pas de mourir dans ma mémoire, mais plutôt d'y vivre éternellement.
Les larmes me vinrent aux yeux. Peut-être que le moment était venu de faire quelque chose ? Penser à eux était une bonne chose. Et pleurer n'était pas une honte. C'était une preuve qu'au fond, ils étaient toujours terrés là, quelque part dans mon esprit. Et que je les avais aimé.
Je refermai la poubelle en soupirant, et pris un bol dans le placard. Les yeux embués, je versai un peu de céréale à l'intérieur, que je noyais rapidement dans un peu de lait, avant d'en enfourner une pleine cuillère dans ma bouche.
Si seulement je pouvais faire pareil avec mes souvenirs. Et pas qu'avec les jumeaux... Avec tout.
Certes aujourd'hui, tout allait bien dans ma vie, parce que je bannissais le passé de mon esprit. Même ceux qui m'avaient aidé et soutenu pour en arriver là. Ils étaient minimes, mais ils avaient été là.
Seraient-ils fiers de moi aujourd'hui ? Je n'en savais rien. Ils avaient disparu. C'étaient grâce à eux que j'allais mieux, mais ils avaient disparu. Sans prendre la peine de voir le résultat. Et ça, je ne pouvais rien y faire. Sauf continuer d'avancer et d'être heureuse. Je le leur devais bien.
C'était sur ces pensées que j'essayais d'être motivantes que je finissais de déjeuner, dans un silence encore plus angoissant que d'habitude.
* * *
[Dans les deux paragraphes suivants, Edwige est la narratrice.]
Je terminais de dresser les derniers bouquets prêts à la vente, en coupant les tiges trop longues, avant de finir par les entourer d'un magnifique papier crépon violet, qui renforçait la couleur vive des roses blanches et jaune du bouquet.
J'avais vingt ans aujourd'hui. Pour moi, c'était un cap très important. Une dizaine de plus, cela allait de soi, mais j'étais à un an de la majorité américaine et j'avais toujours cru que cette dernière année en tant que « jeune fille » serait décisive. Un tournant avant le début officiel de ma vie d'adulte, ou un saut en douceur dans le bain des grands. Je l'avais toujours attendue. Et je ne comptais pas le prendre à la légère.
Depuis que j'avais atteint mes douze ans, j'avais toujours eu cette obsession à grandir plus vite afin d'être en avance sur les autres. Pour tout et n'importe quoi. On m'a toujours passé mes petits caprices, parce que ma mère en avait les moyens et parce que j'étais comme la prunelle de ses yeux. Et plus je grandissais, plus je me suis rendue compte de l'ampleur de la vie dehors, et qu'il fallait que j'apprenne à me débrouiller par moi-même, parce que le bonheur ne se gagnait pas dans la facilité. J'ai appris à obtenir les choses seule, et rares étaient les gens qui en étaient capables à notre âge. L'indépendance et l'autonomie n'était pas innée chez grands nombres d'entre nous. Si bien que beaucoup m'enviaient. Ce qu'ils ne savaient pas par contre, c'est qu'à l'opposé, je ne les enviais pas du tout. Je m'entourais seulement pour créer des contacts afin d'avoir plus d'opportunités pour ma vie future.
Une seule personne semblait apte à se débrouiller dans la vie, et partager une vision commune avec moi. Ne compter que sur soi-même, à défaut de ne pas savoir faire confiance aux autres.
Kerrie Heckwood.
En effet, depuis quelques temps, j'avais légèrement perdu mon objectif de vue, me laissant parfois aller en accordant ma confiance à des gens qui ne l'avaient pas méritée. Mais depuis que Kerrie et moi avions commencé à nous côtoyer sérieusement, son acharnement et son dévouement à la tâche afin de réussir dans la vie avait grandement suscité ma curiosité, et m'avait rappelé le sens de mes priorités.
Elle et moi, nous étions diamétralement opposées. Elle était on ne peut plus asociale et jamais je n'aurais cru pouvoir me rapprocher d'une fille comme ça. Mais sous ses airs maladroits et craintifs se cachaient de la souffrance et de la douleur. Quelque chose que l'on n'aurait jamais soupçonné lui arriver et qui se tramaient pourtant sous nos yeux.
Qu'une fille gentille et innocente ne semblait pas si angélique que ça.
Je m'étais toujours demandé comment elle faisait pour exceller dans tout ce qu'elle entreprenait. Les examens à la faculté, gérer notre échoppe et récemment avec les garçons. C'était là que j'avais commencé à me demander ce qui clochait chez moi pour ne pas réussir à arriver à mes fins aussi bien qu'elle. Ce qu'elle avait de plus que moi pour réussir tout ce qu'elle faisait alors qu'elle n'avait, à première vue, rien d'intéressant. Si, comme certaines personnes, elle attendait que tout lui tombe tout cuit dans la bouche. Mais quand je me suis aperçue du contraire, et constaté qu'elle avait des secrets douloureux, j'ai tout de suite pensé qu'exceller dans ce qu'elle faisait était un moyen de s'évader de ses problèmes, une échappatoire pour les quitter et s'en éloigner.
Cette haine qu'elle avait contre l'alcool, ce refus d'en consommer ne serait-ce qu'une goutte... Était-ce ce qui la rongeait intérieurement ? Elle semblait mieux le connaître que mes amis ou moi. Avait-elle commencé à boire à un âge indécent ? J'avais beau essayé de me créer toutes les hypothèses les plus sordides, je ne serai jamais mieux servie que par moi-même. Ce que je voulais dire par là, c'est que jamais, elle ne me le dirait. Ou du moins, pas avant un bon bout de temps. J'avais beau arrêter de demander de l'aide aux autres, je n'en étais pas moins impatiente. Quand je voulais impérativement quelque chose, j'aimais l'obtenir rapidement.
Pourquoi voulais-je le savoir à tout prix ? Je partais du principe que les secrets ne servaient à rien, sauf à se créer des problèmes supplémentaires. Tout garder pour soi était égoïste et reconnaitre que l'on était dans le mal n'était pas une faiblesse, mais une preuve honorable que l'être humain n'était pas invincible. Au contraire ! Garder tout le mal en nous, nous détruisait de l'intérieur, jusqu'à nous rendre insignifiant et vulnérable. Ce que faisait Kerrie la rendait aussi fragile qu'une fleur délicate. Déjà qu'elle n'était pas très coriace... Si elle osait me demander mon aide, je savais que j'avais les capacités de l'aider.
Mais la fierté était le pire sentiment. Ce n'était ni une qualité, ni un défaut. Un simple trait de caractère qui détruisait les gens au fur et à mesure du temps. Un trait de caractère que je ne cautionnais pas et que je m'interdisais d'avoir.
Kerrie avait besoin d'aide, et en devenant son amie et en gagnant sa confiance, je continuais d'espérer qu'elle se confie à moi. Parce que d'un certain côté, nous avions une vision du monde et une manière d'arriver à nos fins communes. Et savoir ce qu'elle ressassait sans cesse dans sa tête arrêterait de me tarauder l'esprit lorsque je serais au courant.
Mais c'était tout. Pour tout le reste, nous étions trop différentes et ce qu'elle dégageait ne m'aurait jamais inspirée si elle n'avait pas été si mystérieuse. Nos caractères étaient bien trop opposés, et sa manière d'arriver à ses fins contrastait avec la mienne. Et ça me suffisait pour savoir que nous ne serions jamais les meilleures amies du monde. Sa compagnie me suffisait aujourd'hui et je m'en accommodais. On verrait comment se portera le monde plus tard.
C'était sur ces pensées profondes pour une journée festive, que j'entendis la clochette de l'entrée retentir, signe que ma collègue entrait dans le magasin. Je sortais de la réserve avec mes derniers bouquets dans les bras, et lui adressai mon sourire le plus éclatant.
Lorsqu'elle me vit, elle me sourit à son tour, et me déchargea aussitôt de quelques bouquets qu'elle posa sur des étagères vides. Et dès que nos bras furent libres de leurs fonctions, elle me prit dans ses bras en me chantonnant d'une voix festive :
-« Joyeux anniversaire Edwige !
- Haha merci Kerrie, ça me fait plaisir que tu t'en sois rappelé !
- Bah tu me l'as rappelé toute la semaine en même temps, je ne risquais pas de l'oublier.
- Hum bien vrai, mais je connais certaines personnes vraiment tête en l'air, du coup, je prends mes précautions...
- Qui peut oublier les vingt ans d'Edwige Paige, franchement ? »
Nous commencions à rire toutes les deux en chœur, tandis que je mettais de l'ordre sur les étagères et sur la présentation des bouquets.
Elle pouvait en être sûre, personne ne risquait d'oublier mon anniversaire après la fête que j'avais prévue ce soir. J'avais invité tous les élèves de première année et je ne serais absolument pas étonnée de savoir que le sujet faisait fureur en ce moment à la fac. Seule Kerrie semblait l'ignorer, mais vu qu'elle n'était pas très réceptive aux activités de l'université, et qu'elle était trop occupée à roucouler avec Henry, j'avais prévu de l'inviter au dernier moment, afin de faire durer l'effet de surprise. Et je savais qu'elle accepterait mon invitation. Pourquoi ?
Parce qu'elle savait très bien que j'inviterai mon nouvel amant à la soirée et que de savoir son identité tournait à l'obsession chez elle.
Ah... Tom. Entre lui et moi, c'était l'osmose. Nous nous voyions tous les soirs depuis quelques semaines et même si j'étais au courant qu'entre lui et moi, c'était principalement pour le sexe, nous avions commencé à parler plus en profondeur, lui et moi.
Il n'avait jamais voulu m'expliquer pourquoi il m'avait recontacté si vite. A chaque fois que j'essayais d'aborder le sujet, il passait directement à autre chose, quitte à remettre le couvert pour ne pas avoir à parler. Mais je me doutais bien que la fille qu'il aimait avait fait son choix. Et qu'il noyait sa peine avec moi.
J'en étais parfaitement consciente, et à la base, tout avait commencé par là. Mathieu qui m'avait trompé et lui qui revenait chez lui trop tard pour voir sa belle dans les bras d'un autre homme. Nous nous servions l'un de l'autre pour aller mieux, même si nous adorions tout de même prendre notre pied.
Mais depuis quelques jours, j'avais commencé à avoir une profonde empathie pour ce jeune homme. Une empathie que je n'avais pas connue depuis un certain moment. Je commençais à m'attacher, et je ne savais pas si c'était réciproque. Ce qui risquait de me perdre si je ne faisais pas attention... Il n'était pas du genre fleur bleue, ou beau parleur. Il se contentait de faire ce qu'on lui demandait, à condition que cela lui convienne.
Alors du coup, en se levant ce matin, j'ai été surprise lorsqu'il m'avait dit qu'il acceptait de venir à ma soirée d'anniversaire. Mais surtout lorsqu'il avait rajouté « qu'il n'avait jamais remarqué à quel point j'étais jolie. » Venant d'un garçon comme lui, je m'étais sentie flattée, et je sentais que nous étions sur la bonne voie dans notre relation.
Je me sentais prête à tenter plus s'il le désirait également. J'avais définitivement tourné la page avec Mathieu et il finirait bien par la tourner avec la fille qu'il aimait. Elle était casée, alors pourquoi ne pouvait-il pas le faire également ?
Tout serait bien mieux.
Tout en revenant à la réalité, je me tournais vers Kerrie, qui arrosait désormais les quelques pots de fleurs restant qui n'avaient pas été vendus la veille, prête à lui poser la question délicate.
-« Dis Kerrie... Je me demandais... Si tu avais des projets pour ce soir ? »
Elle se tourna vers moi en haussant un sourcil. Pourquoi jouait-elle l'innocente ? Je savais qu'elle s'attendait à quelque chose. C'était à peine si elle se retenait de sourire. Hm, oui peut-être qu'elle était au courant pour la soirée finalement.
-« Hum, j'avais prévu de voir Henry... Pourquoi ?
- En réalité, j'organise une fête pour mon anniversaire. Ce soir. J'aurai aimé compter sur ta présence. Tu peux venir accompagnée, il n'y a aucun souci.
- Oh euh ouais... Ce serait cool !
- Il y a de l'alcool, je ne te le cacherai pas. Mais tu n'es en aucun cas obligée d'en consommer, personne ne te forcera la main cette fois-ci. »
Kerrie m'adressa un sourire timide tout en hochant la tête.
-« Je m'en doute Edwige, et je n'y pensai même pas à vrai dire. Je suis tout à fait d'accord pour la soirée. Je préviendrai Henry que l'on change nos plans... Mais ça ne te gêne pas que je vienne avec lui ? Je veux dire... j'ai cru comprendre que vous n'étiez pas forcément en bons termes.
- T'inquiète, on se tolère. Il n'y aura pas que nous de toute façon, j'ai invité toute la section des premières années. Et je serai également accompagnée.
- Quoi ? Tu y vas avec le gars ?
- Oui Kerrie, je vais enfin te le présenter, c'est le moment.
- Ah cool, raison de plus pour que je sois là alors ! Mais euh... t'auras assez de place dans ta maison pour accueillir les élèves de notre promo ?
- Non, c'est pour ça que je l'ai organisé dans la forêt. Donc prévoie une tente et un sac de couchage.
- Dans la forêt ?
- A la lisière de la forêt nationale d'Angeles. Au nord de Los Angeles quoi...
- C'est un peu loin, non ?
- Une ou deux heures de voiture à tout casser, rien de bien insurmontable.
- Bon ok, ça me va. Tu veux que j'amène quelque chose ?
- A part des affaires pour la nuit, c'est comme tu sens ! Tu peux ramener de la bouffe, y'a aucun problème on sera jamais en pénurie haha !
- Bah d'accord, je partirai une heure plus tôt pour faire quelques courses !
- Nickel alors ! »
Et tandis que nous continuions de discuter des quelques préparatifs restant pour la soirée, j'ouvris le magasin aux clients qui attendaient dehors depuis déjà quelques minutes.
Elle ne tarda pas à me poser des questions sur l'horaire et sur les personnes présentes, sûrement étonnée que je sois amie avec la quasi-totalité de la promotion de notre faculté. Mais je savais bien que ce qui l'intéressait le plus, c'était l'homme avec qui je viendrais. Si elle n'était pas actuellement en couple avec Henry, j'aurais été presque alarmée qu'elle s'occupe autant de l'identité de Tom.
En attendant j'espérais qu'elle ne serait pas déçue. A moins que quelques surprises me soient réservées ? Avec Kerrie, on pouvait s'attendre à tout. Vraiment tout.
Ma journée d'anniversaire commençait bien, et avec la soirée que j'avais prévue, elle ne pouvait que se terminer en apothéose. Espérons que ce soit au sens propre.
* * *
Kerrie était maintenant partie depuis une bonne heure, pour faire quelques courses, et l'heure était venue pour moi de fermer la boutique.
Les clients avaient été adorables avec moi aujourd'hui, et certains m'avaient même offerts quelques cadeaux, comme des chocolats ou une petite bougie parfumée. J'avais vraiment été touchée par leur geste, et j'étais contente de savoir que j'étais appréciée dans le monde du business.
Alors que je descendais les stores, tout en récupérant les clés sur la porte, je reçus un soudain message inattendu.
De Tom, aujourd'hui à 17h56 : Je suis sur le départ pour ta fête. Je te récupère et je t'y amène ou tu as prévu d'y aller seule ?
Je sentis mon cœur battre la chamade à la vue de ces quelques mots, à tel point que je dû relire le message plusieurs fois pour en comprendre réellement le sens. Alors que je tapai le message suivant avec un sourire aux lèvres bien prononcés, je ne pu m'empêcher de penser qu'il tenait un minimum à moi. Non seulement pour avoir accepté de venir à la fête d'anniversaire d'une fille qu'il connaissait à peine, mais aussi pour se soucier de la manière dont je comptais arriver à ma propre soirée.
A Tom, aujourd'hui à 17h58 : Eh bien, tu peux venir me chercher chez moi si tu veux. Je serai ravie de faire le trajet avec toi. Tu te souviens de mon adresse ?
J'envoyais mon message avec une pointe d'appréhension. Ce garçon me rendait toute chose, ça ne me ressemblait pas. C'était bien la première fois qu'une personne, tout sexe confondu, arrivait à me donner l'illusion d'être quelqu'un d'unique. Je le savais déjà évidement, mais habituellement, les gens qui trainaient avec moi ne restaient qu'à mes côtés à cause de mon tempérament et parce que j'étais plutôt connue à la faculté. Ils ne me mettaient en rien en valeur. D'ailleurs, la moitié de mes invités ne savaient que très peu de choses sur moi. Mais être une fille superficielle faisait parti de l'une de mes faces cachées pour obtenir ce que je voulais. Si je le voulais, du jour au lendemain, je pouvais choisir quelqu'un à qui accorder ma confiance, alors qu'il ne le méritait pas forcément.
Comme Tom par exemple. Il ne savait rien de moi et pourtant je l'appréciai. Beaucoup.
Je secouai ma tête lorsque je sentis mon téléphone vibrer dans mes mains et mon cœur rebattre la chamade.
De Tom, aujourd'hui à 18h00 : Oui je m'en rappelle, ne t'en fais pas. Je suis là dans une quinzaine de minutes, à tout de suite. :)
Gagné ! Il se souvenait de mon adresse. Une nouvelle preuve de son intérêt qu'il portait envers moi ! Je m'armai à nouveau de mon téléphone pour lui répondre que je l'attendais impatiemment, un sourire béat et ineffaçable sur les lèvres. Satisfaite, je rangeai mon téléphone dans mon sac lorsque des cris attirèrent soudainement mon attention.
-« Mademoiselle Paige, attendez ! »
Je me retournai interloquée, pour m'apercevoir qu'il s'agissait de l'un de nos clients réguliers, Paul. Je fus surprise de voir qu'il passait à l'heure de la fermeture, alors que d'habitude il venait ici, tous les trois jours, dès l'ouverture. Y avait-il une raison pour qu'il choisisse cet horaire tardif, surtout lorsque je n'avais pas le temps ?
Il s'arrêta près de moi, essoufflé. Je fronçai les sourcils. Il n'était déjà plus tout jeune, alors s'il continuait de s'affoler de la sorte, il allait se provoquer un ulcère ou une crise cardiaque.
-« Eh... Ne vous inquiétez pas, il n'y a pas le feu, tout va bien. Reprenez votre respiration.
- Je... Je vois que vous avez fermé... J'arrive... trop tard... n'est-ce pas ?
- Eh bien, je suis assez pressée, mais si vous avez besoin d'un bouquet particulier et que la transaction ne prend pas plus de deux minutes j'accepte de rouvrir le magasin pour vous !
- N-non... Je ne veux rien... Pas cette fois... Je veux juste savoir si votre collègue est là...
- Kerrie ?
- Oui voilà ! Elle vient de partir ? »
Je perçus dans ses yeux une lueur d'espoir profonde, comme si trouver Kerrie était le but ultime dans sa vie. Ca en paraissait presque effrayant d'un seul coup.
Quoiqu'il en fût, je secouai la tête, réellement navrée pour lui.
-« Non, elle est partie il y a une heure... Mais repassez après-demain, car demain nous serons fermés. Elle sera là, soyez en certain !
- Je ne pourrai pas revenir avant quelques temps, je suis très occupé... Il fallait absolument que je la vois, c'est urgent !
- Bah oui, mais je suis désolée... Je ne peux pas l'inventer. »
Et la soudainement, ses yeux s'assombrirent. Mais que voulait-il donc à Kerrie pour être aussi désespéré à ce point ? Surtout que Kerrie semblait éviter ce client comme la peste alors qu'il n'était pas désagréable. Qu'est-ce qui se tramait entre eux ? Même si ma curiosité prenait souvent le dessus habituellement, là, j'étais trop pressée pour m'attarder sur la question. Et si je ne partais pas maintenant, Tom allait s'impatienter devant le porche de ma maison. Et je ne voulais pas le froisser ou le faire attendre...
Avec toute la patience du monde, je posai alors ma main sur l'épaule du vieil homme, qui riva son pauvre regard vers moi, comme apeuré. Ou plein d'espoir. Vu l'ampleur de sa requête, il ne risquait pas de bouger tant que Kerrie n'avait pas pointé le bout de son nez. Et il était hors de question que je lui demande de venir ici, on perdrait un temps considérable !
-« Ecoutez Paul, je lui dirai que vous la cherchiez impérativement. Je ne sais pas ce que vous faites mais dès que vous avez l'occasion, passez ici, elle travaille trois jours par semaine. Je suis désolée, mais là je dois vraiment y aller, on m'attend...
- Je ne suis pas sûre qu'elle m'écoute, je pense qu'elle ne m'apprécie pas beaucoup. J'aurai préféré que vous soyez là, pour m'épauler.
- Mais sur ce point, je ne vais pas pouvoir y faire grand-chose... Croyez moi que si c'est aussi important que vous le prétendez, elle vous écoutera. Je la préviendrai, je vous promets et quant-à vous, repassez dès que vous le pouvez !
- Euh... Bon d'accord. Merci mademoiselle Paige.
- Pas de quoi. Bonne soirée Paul !
- Bonne soirée... »
J'enlevai ma main de son épaule, et tournai les talons, presque trop rapidement, tandis que Paul restait immobile à me regarder m'éloigner, l'air pensif. Si bien que j'accélérais le pas en direction de ma voiture, de moins en moins rassurée, comme si son regard allait me transpercer le corps.
Maintenant, je ne savais pas si je devais m'inquiéter pour Kerrie ou si Paul était le plus à plaindre dans l'histoire. Quoiqu'il en soit, ça semblait urgent, et pour la première fois, je n'avais vraiment pas envie d'en savoir plus. J'essayai donc de penser à Tom et à ma soirée pour me changer les idées et oublier cette entrevue de l'étrange.
C'était officiel, Kerrie aimait réellement s'attirer des problèmes avec tout le monde. Avec vraiment tout le monde. Et je ne voulais vraiment pas faire parti de ses plans.
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Coucou tout le monde, nouveau chapitre d'À portée de main ! Qu'en pensez-vous ?
- Kerrie
- Edwige
- La requête de Paul
On en apprend un peu plus sur les pensées d'Edwige, et j'espère que vous commencez à cerner le personnage ! ;)
N'hésitez pas à noter et à commenter, ça me permet de prendre en compte vos suggestions pour la suite et voir comment vous percevez l'histoire.
A bientôt pour un nouveau chapitre !
#C.
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