XIV

L.A, 21 mai 2000

[Dans cette partie, Tom est le narrateur]

Le vibreur cacophonique de mon téléphone me réveilla en sursaut. Rapidement, la lumière du jour passant à travers les quadrilles des stores ne tarda pas à m'agresser la vue, me confirmant avec tout autant de violence que la journée était déjà bien entamée.

Frottant mon visage pétri par la fatigue, je m'emparai mollement de mon cellulaire, sans prendre la peine de vérifier l'identité de mon interlocuteur. Encore une promesse d'abstinence de la boisson qui virait à l'échec.

« Allô... ? fis-je d'une voix pâteuse.

- Tom ? Tu viens de te réveiller ?

- Maman... Oh ouais, salut... répondis-je en me grattant l'arrière de la nuque. C'est à peu près ça.

- Tu sais que je t'attends depuis une heure ? Tu as sûrement oublié que l'on devait se voir... En tout cas, sache que plus tu prends ton temps pour répondre au bureau du secrétariat médical, plus ta chance de trouver une nouvelle université te passera sous le nez, et te fermera définitivement les portes de la faculté de médecine. »

​​​​​​Je me frottai un peu plus le visage, tentant d'outrepasser les remarques agaçantes de ma mère, de bon matin. C'était sûrement le coup de pouce dont j'avais besoin pour me remettre les idées en place, mais j'avouais que le timing n'était pas très bien choisi.

« Ouais, c'est vrai, le rendez-vous m'était sorti de la tête... Je suis désolé, maman. Accorde-moi une petite heure, et je te rejoins.

- Est-ce que tout va bien, Tom ?

​​​​​​​- Oui, oui. Pour être honnête, j'ai juste la gueule de bois...

- Oh, rien que ça ? Tu continues d'abuser, alors que tu n'as même pas l'âge d'en consommer légalement ! Je te fais confiance pour que tu sois responsable, et voilà ce qui se passe ! Surtout en sachant ce qui nous est arrivé ! »

​​​​​​​La voix criarde de ma mère chuintait dans mes tympans, additionnée aux grésillements du téléphone, dus à la mauvaise interférence. Un furtif souvenir me revint en mémoire, mais la somnolence m'empêcha heureusement de trop m'y attarder. Ma mère pensait sûrement que c'était suffisamment lointain pour désormais s'en servir comme sermon contre les diaboliques boissons.

« Tu peux me faire confiance. Je sais ce que je fais, soufflai-je, tentant de garder mon calme.

- Sûrement. Tout ce que je vois, c'est que tu n'es pas venu à notre rendez-vous.

- Bon, écoute, je vais me préparer, et je te rappelle quand je suis prêt. A toute à l'heure.

- Oui, et ne crois pas que j'en ai fini avec t... »

​​​​​​​J'avais déjà raccroché. J'avais beau aimer ma mère de tout mon cœur, je ne me faisais définitivement pas à ses agressions au réveil, simplement parce qu'elle était un peu trop protectrice.

En réalité, ça ne me dérangeait pas plus que ça, en temps normal. Ma mère jouait un rôle très important dans ma vie, et elle était sûrement ma plus grande supportrice. Ça me poussait toujours à me dépasser.

Là, je reconnaissais m'être un peu trop laissé aller.

Désormais bien réveillé – quoiqu'un peu sonné, je me forçai à sortir du lit, dans le but de quitter ma chambre le plus rapidement possible. Mes os craquèrent en rythme avec le vieux parquet en bois du dernier étage, au moment où je me ruais sur mes vêtements en boule au fond de la pièce, faisant abstraction de ma migraine naissante.

« C'était qui ? »

​​​​​​​Je me retournai soudainement vers Edwige, en équilibre sur une jambe pour tenter d'enfiler mon pantalon. J'étais idiot de croire que j'avais été discret.

« Ma mère. Navré de t'avoir réveillée... Je dois y aller, mais tu peux prendre ton temps pour partir.

- C'est gentil à toi, fit-elle avec un sourire endormi. Je serais bien restée au lit toute la journée...

- Et moi donc ! Mais le devoir m'appelle, malheureusement.

- Dis, Tom... On se reverra ? »

​​​​​​​Je m'immobilisai soudainement, mes doigts lâchant le bouton que je m'apprêtais à faire passer dans l'une des embouchures de ma chemise. Peut-être qu'Edwige m'avait fait une blague ; mais elle semblait être en attente de quelque chose de ma part. Une réponse qui me fit rire nerveusement.

Ma réaction la peina. Elle plissa les lèvres, puis me tourna le dos, rabattant les draps blancs de l'hôtel sur son corps nu. Me voilà désormais obligé de me justifier.

« Oh, Edwige ! Tu sais ce que c'est, une histoire d'un soir... Tous les deux, nous avions besoin de parler, et nous nous sommes fait du bien. Je te remercie de m'avoir remonté le moral, mais vois-tu... Je ne pense pas qu'il soit nécessaire d'aller plus loin. Nous n'avons pas l'air de vouloir la même chose. »

​​​​​​​La jeune femme osa un regard vers moi, me toisant sèchement de ses yeux bleus guère aussi avenant que les miens. Amplifiés par un sourire narquois, je commençais à comprendre ce que pouvait représenter le côté vipère, qu'elle avait évoqué hier soir d'un air beaucoup plus léger.

« Oui, je sais, tu as des vues sur quelqu'un d'autre. Mais si c'était réellement le cas, je ne serais pas là ce matin.

- C'est plus compliqué que ça, et je n'étais pas dans mon état no...

​​​​​​​- C'est bon, me coupa-t-elle en levant une main pour m'intimer l'ordre de me taire, ce n'est pas une excuse. Nous sommes tous plus ou moins bourrés de temps à autre, mais pas au point d'oublier ce qui nous est important. Et même si je ne suis visiblement pas ton premier choix, je n'aime pas être considérée comme la cinquième roue du carrosse, si tu vois ce que je veux dire. »

​​​​​​​Je regardai silencieusement la jeune blonde, n'osant pas la contredire. Il était vrai que j'avais toujours trouvé du réconfort sur le moment, sans jamais arriver à ressentir le plaisir sur le long terme. Ça m'empêchait de faire face à la réalité depuis tellement longtemps, que je n'étais pas sûr de savoir à quoi elle ressemblait, aujourd'hui. Ni si c'était une bonne chose.

L'entrevue que j'avais eue avec Kerrie, hier, m'avait rappelé qu'enfant, j'appréciais plus aisément les situations durables. Et bien que notre rencontre imprévue me bouleversait plus qu'elle ne me faisait réfléchir, je commençais à me dire que c'était sûrement le coup de pouce dont j'avais besoin, pour me rappeler que je n'avais jamais voulu vivre ma vie de cette manière.

Cependant, le confort avait été déjà trop chamboulé. Il faudra un certain nombre d'efforts, avant de lui rendre sa forme initiale.

Devant ma réflexion, Edwige ne put s'empêcher de sourire de satisfaction. Elle finit par se dépêtrer de ses draps pour s'asseoir sur le rebord du lit, ramassant ses vêtements sur le sol. Tandis que je l'observais rajuster son soutien-gorge, elle rajouta, un peu plus sûre d'elle :

« Moi, j'ai passé une excellente soirée, hier. J'ai été contente de te parler, même si... je fais bien office de second choix. Je sais ce qu'est un coup d'un soir, mais je n'ai pas envie que tu en sois un. Tu es quelqu'un qu'on ne peut définitivement pas laisser sur le côté, et je suis sûre qu'on peut s'apporter beaucoup plus que tu ne le crois. Sache que j'ai envie de t'aider. Réellement. Tu n'auras qu'à y gagner. »

​​​​​​​Je lui souris faiblement, avant de répondre avec franchise :

« Et moi, j'étais sérieux lorsque je t'ai dit que tu n'étais qu'un coup d'un soir. Mais si tu tiens vraiment à m'aider, peut-être pourrais-tu me donner une bonne raison d'arrêter les plans culs ? »

​​​​​​​Son visage s'illumina quelque peu. Elle se retourna entièrement vers moi, satisfaite de ma réponse, bien que remplie d'ironie.

« C'est déjà un bon début... »

​​​​​​​Son corps piqua vers le côté du lit ; à côté de la table de nuit. Je penchai la tête pour la voir fouiller dans son sac à main, et en sortir un petit bloc-notes, ainsi qu'un stylo bille. Elle le décapuchonna, coinçant le bouchon entre ses dents pendant qu'elle gribouillait sur l'une des pages.

Une fois ce petit cirque terminé, elle me tendit la feuille marquée, un sourire ravi sur les lèvres.

« Mon numéro de téléphone. Si tu as besoin de quoique ce soit. »

​​​​​​​Je parus hésitant quelques secondes, avant de hausser les épaules et de m'en emparer. La feuille finit rapidement pliée, au fond de l'une des poches de mon pantalon.

« Merci Edwige. »

​​​​​​​Je lui tendis ma main, qu'elle serra immédiatement d'une bonne poigne, ses ongles manucurés entrant en contact avec ma peau. Son sourire perdurait, et me laissait perplexe. Elle semblait trop sûre d'elle, pour quelqu'un qui n'avait pas obtenu ce qu'elle voulait.

« Je suis pressé, je dois y aller, enchaînai-je. Tu peux utiliser la salle de bains et rester un peu, si tu veux. Je peux te demander d'être partie avant ce soir ?

​​​​​​​- Ça devrait être dans mes cordes, répondit-elle simplement.

- Bien. Bonne continuation à toi, Edwige. »

​​​​​​​Je lâchai sa main, fermant les derniers boutons de ma chemise un peu froissée. Edwige n'attendit pas que je sois parti de la chambre pour s'enfermer dans la salle de bains. J'entendis l'eau de la douche, lorsque je claquai la porte de ma chambre – non sans grande hâte – direction le centre-ville de Los Angeles, là où ma mère m'avait initialement donné rendez-vous.

* * *

La cloche tinta à l'entrée, alors que j'étais en train de retailler certains bouquets dans la remise. Je passai la tête dans l'entrebâillement de la porte, m'attendant à voir un client. Mais ce n'était qu'Edwige, qui venait me rappeler qu'elle avait pris sa journée au dernier moment.

Je soufflai discrètement, me concentrant à nouveau sur mes fleurs. Elle ne se gêna malheureusement pas pour rentrer dans l'arrière-boutique, se mettant de l'autre côté de la table pour s'imposer dans mon champ de vision. Je relevai lentement la tête, en voyant qu'elle avait l'air décidée.

« Il faut qu'on parle, Kerrie. »

​​​​​​​Mon regard avait du mal à dévier de son visage, mais je n'étais pas très animée. Se dégageait d'elle une très forte odeur de shampoing, comme si elle s'était amusée à en faire plusieurs à la suite, rendant ses cheveux lisses à cause de l'humidité. À côté, ses vêtements étaient froissés et son teint cireux, dénué de toute trace de maquillage. J'avais en face de moi une Edwige exténuée et naturelle, qu'un certain enthousiasme continuait de faire pétiller malgré tout.

Elle n'en perdait pas moins de son charisme.

Évacuant mes dernières pensées, je haussai les épaules comme unique réponse. À elle d'interpréter la situation et de se rendre compte ce qu'étaient devenues nos relations de travail.

Elle toussa discrètement, avant de s'éclaircir la voix.

« Je voulais m'excuser, en premier lieu, d'avoir pris ma journée de manière imprévue. Je suis plutôt... nauséeuse, je ne tiendrai pas debout longtemps.

- Gueule de bois ? »

​​​​​​​Ses lèvres se fendirent d'un faible sourire. Je ne comprenais toujours pas pourquoi elle était venue.

« Tu as raison Kerrie, enchaîna-t-elle. J'ai apprécié que tu me le dises. Je crois que tu as officiellement gagné mon respect.

- Ton... respect ? répétai-je mollement.

- J'ai sûrement dépassé les bornes avec toi. Je pensais t'avoir cernée, et je voulais t'aider en te forçant la main... Ce n'était pas une bonne idée. Du coup, à partir de maintenant, j'aimerais comprendre comment tu fonctionnes... mais à ta manière ! Si tu le veux bien. »

​​​​​​​J'étais plutôt surprise par le positivisme d'Edwige ; en réalité, je ne m'attendais pas à ce qu'elle réfléchisse de cette manière. Mon manque de confiance en moi m'avait fait regretter ces paroles, craignant plus des représailles que de l'avoir blessée. Maintenant, je n'étais plus certaine de savoir comment réagir.

En réalité, cette remise en question très sage ne me donnait pas de raison d'être rancunière. Au fond, je ne l'avais jamais vraiment été ; et actuellement, je regrettais même de ne pas avoir pris l'initiative d'arranger les choses devant cet enthousiasme démesuré.

J'avais visiblement le dernier mot ; la possibilité de choisir. Mais Edwige ne semblait pas vraiment me laisser le choix.

« Donc, si je récapitule, tu l'as bien pris ?

​​​​​​​- Peut-être pas au début, je t'avoue... Mais j'ai fait une rencontre cette nuit, qui m'a aidé à relativiser sur tout ça.

- Mhm, eh bien...

- Voyons, Kerrie ! Je te considère comme mon amie, même si je n'ai pas vraiment su te présenter comme telle. Je t'avoue que je ne sais pas trop comment me comporter avec toi, et ce que je dois faire pour gagner totalement ton estime, mais... sache que je te veux dans mon entourage. J'ai quand même parlé de toi à ma rencontre du soir, rends-toi en compte ! »

​​​​​​​Je souris faiblement devant sa maladresse. Elle s'était excusée à la façon Edwige, dira-t-on ; en tournant autour du pot, mais en mettant tellement de cœur à l'ouvrage qu'on ne pouvait pas lui en vouloir de ne pas arriver à exprimer ses ressentis avec des mots.

Les confessions de Henry sonnaient immédiatement plus faux, maintenant qu'il était parti. J'avais soudainement honte de m'être fiée à une expérience qui ne m'appartenait pas, pour me donner de bonnes raisons de justifier mon initiative.

Mais ça, elle n'avait pas besoin de le savoir.

« Très bien. Essayons de voir les choses à ma façon.

- Eh ! Ça veut dire que tu me pardonnes ?

​​​​​​​- Peut-être. Ça ne peut qu'être mieux pour l'ambiance du boulot. »

​​​​​​​Une Edwige un peu trop euphorique se jeta soudainement à mon cou, et m'étreignit, rassurée de voir que la situation était finalement tournée en sa faveur. Prise par surprise, je ne pouvais pas la repousser ; mon corps en fut rapidement électrifié, et je me retrouvais ainsi forcée de sourire, pour ne pas avoir à gâcher l'ambiance une seconde fois.

« Ah, je suis si contente que les choses s'arrangent entre nous ! Merci de me laisser une seconde chance, Kerrie !

​​​​​​​- C'est à la condition que tu arrêtes bien évidemment de me forcer la main.

- Pour sûr, fit-elle en claquant des doigts. Tu ne m'y reprendras pas, j'ai bien compris la leçon !

​​​​​​​- Merci Edwige. »

​​​​​​​Elle finit par desserrer son étreinte, alors que mes bouquets semblaient m'appeler dans le fond de la réserve. Je m'apprêtai donc à lui fausser compagnie, sans trop savoir si je devais rajouter quelque chose, en la voyant toujours vissée au sol de l'échoppe, alors qu'elle était censée être en congé.

Mais vu le silence dans lequel je m'étais muré, face aux justifications de mon absentéisme précédent, je n'étais pas très bien placée pour lui faire une réflexion.

« Je vais peut-être y aller, fit-elle en voyant que je m'étais remise à travailler. Je m'excuse encore, s'il y a du boulot... Je suis exténuée, je n'ai presque pas dormi. Mon plan de cette nuit m'a bien retourné le cerveau !

​​​​​​​- Attends... T'es plus avec Mathieu ? » fis-je en fronçant les sourcils.

L'information venait juste de monter ; ce n'était pas comme si elle me tendait des perches, depuis tout à l'heure. Parler, pour elle, ça ne demandait pas énormément d'énergie.

« Comme tu vois, je me suis faîte cocufiée... déclara-t-elle en haussant les épaules. De toute façon, il fallait que l'on mette un terme à notre relation, bien que j'aurais apprécié le faire à l'amiable. Enfin, ne t'en fais pas pour moi, je me suis déjà consolée ailleurs !

- Ah, vraiment ? »

​​​​​​​De retour dans la remise, je m'étais emparée à nouveau de mon cutter, écoutant Edwige d'une oreille distraite. Cette dernière était revenue s'accouder à la table, la tête dans les mains, ses nausées étrangement loin derrière elle.

« Ouais ! Écoute, c'était la première fois que je me confiais à quelqu'un si sérieusement, avec l'impression d'être comprise. Il m'a mise à l'aise d'un seul coup ; toute la nuit. On a tellement de points communs, mais... il ne veut pas me revoir. Quel gâchis !

​​​​​​​- Oh, je suis navrée pour toi. Tu connais la raison ?

​​​​​​​- Apparemment, il aurait du mal à tourner la page avec une autre fille.

- Ah... Il ne veut pas que tu l'aides à y arriver ?

​​​​​​​- Non, visiblement, il ne veut pas être aidé, sauf pour arrêter les coups d'un soir, justement ! Je ne sais pas si c'est pour penser à elle à plein temps, ou si je lui ai fait réaliser qu'il voulait se poser... C'est bien dommage pour moi. Mais bon, je lui ai quand même filé mon numéro... en cas d'échec ! » rigola-t-elle soudainement.

Je souris timidement à Edwige. Ce genre de situation me mettait incroyablement mal à l'aise, parce que nous n'avions absolument pas la même vision des choses ; il m'était difficile d'être totalement objective dans mon jugement, lorsque je ne pouvais pas dire le fond de ma pensée. Il me restait le choix de forcer l'intérêt, pour qu'Edwige n'y voie que du feu.

« J'ose espérer qu'il t'a donné son nom !

​​​​​​​- Oh oui, fit-elle en hochant la tête, mais... ne nous emballons pas, d'accord ? Tu dois t'y perdre, avec tous ces noms que je te donne ! Je préfère te parler des gens qui ne sont pas de passage, et si un jour, il s'avère qu'il y ait plus, je te donnerai non seulement son nom, mais je te le présenterai !

​​​​​​​- Mhm... Très bien, ce deal me semble honnête.

- C'est la moindre des choses ! En plus, je lui ai parlé de toi ! D'après lui, vu ton caractère, tu t'entendrais bien avec son ex, ou son amoureuse... enfin, bref, cette fille ! J'ai trouvé ça super drôle, alors, je serai obligée de te le présenter !

​​​​​​​- Décidément... ! »

​​​​​​​Edwige s'était maintenant engagée dans une discussion sans fin, ses nausées ne semblant pas la gêner dans le fil conducteur de ses explications. Je m'étais un peu perdu dans mes pensées, lorsqu'elle avait mentionné l'idée que je ressemblais à cette fille, essayant de comprendre quel genre d'homme pouvait s'intéresser à Edwige et moi en même temps, alors que nous étions deux personnes opposées.

De ce qui en ressortait, ce n'était pas le genre de garçon qu'elle avait l'habitude de fréquenter ; et ce n'était peut-être pas si mal, au fond. Ses iris brillaient de malice, et elle parlait de lui comme si elle avait vécu dans le mensonge, pendant tout ce temps. J'avais presque envie qu'il la rappelle, pour voir quels changements il pouvait opérer sur Edwige, et observer à quel point elle semblait bien les accepter. Peut-être même serais-je enfin capable de l'aiguiller, sur des choix que je maîtrisais.

Cependant, elle ne semblait pas habituée à fréquenter des hommes inaccessibles, et la désillusion collait souvent au bonheur procuré par l'excitation que l'on se faisait de quelqu'un qui nous plaisait. Et une Edwige déçue, c'était nouveau, ça aussi ; je n'étais pas sûre d'avoir envie de voir à quoi ça ressemblait.

« Bon, et ta soirée avec Henry, sinon ? »

​​​​​​​La question me sortit de ma torpeur ; à moins que ce soit le prénom ? Pourtant, ce fût la conversation avec Tom dans le taxi qui me revint en premier, bien que les paroles de Henry souhaitaient s'y ajouter en musique de fond.

Edwige croyait sûrement qu'elle s'était assez dédouanée, pour s'assurer que le plan qu'elle avait concocté avait abouti à quelque chose de concret. En toute impunité, naturellement.

« Excuse-moi, c'était personnel... commença Edwige.

- Oh non, ce n'est pas ça...

- Quoi ? C'était si terrible que ça ? plaisanta-t-elle.

- Plus que je ne l'aurais cru. J'ai été la cible d'un pari entre serveurs, et pour couronner le tout, je suis tombée sur... disons, une ancienne connaissance, qui séjournait à l'hôtel, et qui a fait la rencontre de Henry. Nous ne sommes malheureusement plus en bon terme, et il en a profité pour me le rappeler, et en faire profiter Henry au passage... qui est resté sceptique, et qui ne veut plus m'adresser la parole. »

​​​​​​​Surprise, Edwige me fixait d'un air absent, annonciateur de réflexion. Elle finit par poser une main sur mon épaule, que j'interprétai comme un signe de soutien, jusqu'à ce qu'elle déclare d'une voix claire :

« Fonce.

- Pardon ?

​​​​​​​- Ben, pourquoi tu lui laisses croire que ce qu'a dit cet imbécile est vrai ? Tu l'apprécies ?

​​​​​​​- Oui... ?

​​​​​​​- Dans ce cas, laisse-moi t'assurer que c'est réciproque ! Je ne porte pas spécialement Henry dans mon cœur, mais crois-moi que je ne me serais pas décarcassée pour vous, si je voyais qu'en face, il n'y avait rien d'emprunt aux sentiments. Alors, franchement, ne perds pas une minute de plus, et va lui prouver que ce que ton ancien ami a dit n'était que du vent ! »

​​​​​​​Mes pensées de la nuit dernière me revinrent en tête. J'avais malheureusement eu le temps de cogiter, et de penser à des solutions désespérées, que j'avais finalement décidé d'abandonner, les trouvant trop intrusives. Je m'étais mis à espérer que Henry revienne à l'échoppe, mais s'il n'appréciait pas Edwige, et qu'il ne souhaitait plus me parler, il n'y avait pas de raison qu'il repasse dans le coin. Des fleuristes à Los Angeles, il y en avait plein.

J'avais pensé à l'attendre à son lieu de travail, mais l'idée de sa réaction me rendait encore hésitante. Comment pouvais-je être sûre qu'il n'était pas définitivement froissé ? J'avais une chance sur deux de me tromper, et s'il le prenait mal, ce serait pour me faire remarquer mon intrusion grossière, et augmenter la gêne que je ressentais depuis hier.

« Je peux... peut-être aller le rejoindre ? Enfin, non... C'est sûrement une mauvaise idée.

- Hein ? Mais pas du tout, au contraire ! Vas-y maintenant, même ! Et tu sais quoi ? Je suis prête à prendre sur moi et à m'occuper du magasin, pendant ce temps-là !

- Tu n'es pas obligée de te donner autant de mal, Edwige...

- Attends, tu rigoles, ou quoi ? Henry Texies ? C'est un super bon parti, et c'est bien dommage que nous ayons des différends, lui et moi ! Puis toi, t'es la personne la plus douce que je connaisse ! Il n'y a pas meilleure harmonie ! Tu ne peux pas laisser passer ça, Kerrie, surtout s'il cherche à te faire réagir ! Si c'est vraiment ce que tu veux, fonce ! Je lui passe un coup de fil, pour lui improviser un faux rendez-vous professionnel au Griddle Coffee, et après... c'est à toi de jouer, avec tes meilleurs atouts, ma belle ! »

​​​​​​​Elle m'adressa un regard appuyé, qui finit par me faire sourire sincèrement. Je pris mon amie dans mes bras, contente de me rappeler qu'elle était également capable d'utiliser son extraversion pour faire le bien autour d'elle. Au fond, elle me rappelait que je n'agissais jamais, par crainte d'être jugée.

Et cette fois-ci, une excitation me submergeait. J'avais peur, mais j'avais envie de le faire, depuis qu'Edwige m'assurait que Henry pouvait réellement m'apprécier. C'était étrange, ce sentiment.

« Merci Edwige !

​​​​​​​- Ne me remercie pas encore, va ! Pars, c'est bientôt l'heure de sa pause déjeuner ! »

​​​​​​​Le temps que je revêtisse ma veste sur mon pull, et que je jette mon sac par-dessus mon épaule, Edwige me poussait déjà vers la sortie, manquant de me faire entrer en collision avec un client visiblement pressé. Elle s'excusa chaleureusement, semblant retrouver son énergie à travers mon histoire d'amour, puis partit s'occuper du client, définitivement sous le charme.

Quant-à moi, j'étais devenue insouciante, une fois dehors. Au diable les contraintes ; j'étais amoureuse, et j'allais le montrer.

* * *

[Dans cette partie, Tom est le narrateur]

« Et que penses-tu de l'université de Chicago ? »

​​​​​​​Je regardais les mains de ma mère tripoter sa troisième tasse de café, l'écoutant d'une oreille distraite. L'odeur de la boisson chaude me soulevait l'estomac, me rappelant amèrement que mon organisme était encore imbibé de whisky. Tout ce qui se rapportait de près ou de loin à de la nourriture ou à du liquide autre que de l'eau finirait par avoir ma peau.

« Tom, tu m'écoutes ?

​​​​​​​- Oui, maman... Et non, je me suis renseigné sur Chicago avant de partir de New York, et les retours que j'ai eus sur l'enseignement ne sont pas fameux.

- Et Boston, dans ce cas ? Pendant un moment, tu hésitais à aller là-bas.

- Maman...

- Quoi ?

​​​​​​​- Pourquoi on avait rendez-vous ici, déjà ? »

​​​​​​​Ma question était idiote ; évidemment que je savais que nous étions là pour parler de mon avenir angoissant. Cependant, maintenant que j'étais épuisé mentalement et physiquement, je me rendais compte que ce rendez-vous à l'autre bout de Los Angeles, dans un endroit plutôt fréquenté et agité, pour parler d'un sujet sérieux qui préconisait une réflexion poussée, était plutôt étrange. J'aurais donné cher pour repartir du côté de Crenshaw, ou pour rester dans ma chambre d'hôtel, au risque de convaincre ma mère de me rejoindre.

Cette dernière m'adressa un sourire crispé, mais resta silencieuse. Ses yeux se noyèrent dans la liste que nous avions élaborée, à l'aide de prospectus divers que j'avais récupéré. J'avais désormais le cœur au bord des lèvres, à force de regarder les mots griffonnés au stylo noir. A moins que de penser à tout ce qui s'était passé depuis hier soir n'intensifie le tout ?

​​​​​​​En étouffant un haut-le-cœur, je compris que c'était effectivement le cas.

« Alors ? insistai-je.

- Parce que j'aime bien ce café, c'est tout. Ils font de bonnes pâtisseries.

- C'est la première fois qu'on vient ici.

- Pas moi. Maintenant, pourrais-tu te concentrer, s'il te plaît ? On parle de ton avenir, là !

​​​​​​​- On bosse dessus depuis une heure, tu 'voudrais pas faire une pause ? On 'avait pas fini de parler, pendant le trajet d'hier !

​​​​​​​- On le fera lorsque tu auras trouvé une nouvelle faculté !

​​​​​​​- Maman, j'ai besoin d'une pause s'il te plaît. »

​​​​​​​Je devais sûrement avoir été un peu rude avec ma mère, puisque celle-ci fondit soudainement en larmes, s'écroulant presque sur la table. Surpris de la voir s'effondrer aussi brusquement, je m'empressai de la prendre dans mes bras, commençant à faire le lien entre son état et ce café qu'elle semblait être la seule à connaître, bien qu'il ne soit pas désagréable à fréquenter.

« Je suis désolée, Tom...

- Papa n'est pas au courant que je suis là, n'est-ce pas ? »

​​​​​​​Elle releva la tête vers moi, essuyant ses larmes silencieusement en hochant la tête.

« Il était de garde cette nuit, il est donc rentré à la maison ce matin. Je voulais éviter que tu traînes près de Watts. Tu n'imagines pas dans quel état il se mettrait, s'il apprenait que je t'avais ramené ici.

- Oui maman, je le sais bien... soupirai-je. Et c'est tout ?

​​​​​​​- Non. Hier, j'ai trouvé une valise toute prête, sous le lit. Il va se barrer, Tom, il va partir sans rien dire et me laisser seule dans pas longtemps. Je n'aurais même pas le temps de me préparer ; tout ce que je suis capable de faire, c'est de l'imaginer coucher avec sa maîtresse.

- Non, non maman. Tu n'es pas seule, je suis là, t'en fais pas. »

​​​​​​​Elle m'adressa un sourire triste. Nous savions tous les deux que je ne pouvais pas rester ici trop longtemps, pour diverses raisons. Peut-être que maman pourrait me suivre, si elle arrivait à quitter mon père ; c'était toujours mieux que de rester seule à Los Angeles, avec le risque de le croiser. Mais malheureusement, elle s'accrochait encore à l'idée d'une discussion possible, qui pourrait le faire changer d'avis, et la conforter dans sa vie passée.

Je resserrai mon étreinte autour d'elle, à cette idée. Je repensais à mon père, à ce qu'il m'avait laissé comme souvenir, ces dernières années. Je ne l'avais pas vu depuis un an, et ça ne m'attristait plus de penser qu'il ne me manquait pas. Je m'étais résolu à croire que le père que j'avais connu, petit, avait disparu dans le déménagement ; déménagement qu'il avait choisi d'effectuer, ce qui le rendait responsable de son changement d'attitude.

Le contraste entre son personnage public et privé était impressionnant. Il était sûrement l'un des chirurgiens les plus respecté de l'hôpital où il travaillait, et personne n'arrivait à voir qu'il n'arrivait qu'à briller dans son travail. Avais-je été l'élément déclencheur ; celui qui lui avait permis de dévoiler sa véritable identité, de montrer que son mariage était voué à l'échec, depuis le début ? Le déménagement après mon accident était censé nous souder, non nous déchirer. Tout ça pour que ça n'aboutisse à rien de concret.

« J'ai vu Kerrie Heckwood, hier soir. »

​​​​​​​Ma mère se redressa lentement de mes bras, et m'observai, choquée, comme si je venais de dire une énormité. Quoique, c'était possible que ce soit le cas.

« Quoi... ?

​​​​​​​- Je l'ai pas cherchée, d'accord ? temporisai-je aussitôt. Je rentrais dans ma chambre d'hôtel, et je l'ai croisée dans le couloir, par le plus grand des hasards.

- Mais qu'est-ce qu'elle faisait là ?

​​​​​​​- Elle avait un rendez-vous... Il s'est mal passé, et elle pleurait à l'abri des regards.

- Pourquoi ?

​​​​​​​- ... Je ne sais pas, mais, disons que je ne lui ai pas facilité la tâche, par la suite. »

​​​​​​​Elle me toisa encore quelques secondes, avant que l'idée qui s'échappait de mes mots ne lui fasse baisser la tête. Elle hocha la tête, évitant désormais mon regard pour ne pas se remettre à pleurer. Tant que ses larmes n'étaient plus destinées à mon père, c'était l'essentiel.

« Tu me déçois, Tom.

- Je n'étais pas fier non plus, ne t'en fais pas.

- Contrairement à ce que tu peux croire, j'ai toujours apprécié Kerrie. Je sais qu'entre vous, il y avait bien plus que de l'amitié, et que vous auriez pu tenter quelque chose de plus concret, si Catherine n'avait pas tout gâché. »

​​​​​​​Je déglutis à cette idée. J'étais étonné de voir que ma mère arrivait à en parler bien plus posément, depuis qu'elle était revenue à Los Angeles.

« Catherine était instable depuis bien longtemps. C'était prévisible.

- Seulement, il n'était pas prédit qu'elle s'en prenne à toi.

- ... Catherine est en prison.

- Pardon ?!

​​​​​​​- Elle a tué Esteban.

- Oh mon dieu...

- Et j'ai fini dans un taxi avec Kerrie.

- Tom, mais... attends, ne me déballe pas tout d'un coup ! Tu veux donner un ulcère à ta pauvre mère, ou quoi ? »

​​​​​​​Je secouai la tête, en souriant tristement, pendant que ma mère finissait définitivement d'éponger ses dernières larmes, déboussolées par mon flot d'informations. Elle se redressa dans le fond de sa chaise, se désintéressant également de sa maudite tasse de café.

« Catherine a tué Esteban, répéta ma mère, dans un état second.

- Comme ce soir-là, d'après les dires de Kerrie. »

​​​​​​​Je roulai des yeux, ayant soudainement une pensée pour ce petit garçon, que je n'avais jamais vraiment pris le temps d'observer. Lui et moi avions bien plus de points communs que je l'avais cru, et je regrettais de ne pas lui avoir dit de protéger ses arrières, avant de partir.

Il y avait un certain nombre de choses que j'aurais aimé dire, d'ailleurs, mais ça aussi, ça avait disparu dans le déménagement.

« Pauvre petit chose... Je le revois encore tout bébé, à Noël. J'ai dû mal à me dire que c'est vraiment arrivé.

- Ça ne devrait pas t'étonner, ça s'est déjà produit une fois. »

​​​​​​​Elle ne répondit rien à ce sujet.

« Et sa sœur Nina va bien ? demanda-t-elle, après un temps de pause.

- En foyer d'accueil, elle va bien. Elle est en sécurité, apparemment.

- Bon... c'est déjà bien...

- Oui.

- Et tu as fini dans un taxi avec Kerrie ?

​​​​​​​- Bah comme je te l'ai dit. »

​​​​​​​Ma mère me donna soudainement une tape sèche sur la tête.

« Eh, qu'est-ce qui te prends ? m'exclamai-je, interloqué.

- Tu as dit qu'elle avait rendez-vous avec un autre homme ! Comment cela se fait-il que tu finisses avec elle dans un taxi ?

​​​​​​​- Mais maman, il ne s'est absolument rien passé ! On a juste parlé !

​​​​​​​- Vraiment, tu vas me faire gober ça ?

​​​​​​​- J'y compte bien, maman. Et tu sais pourquoi ? Parce que tout le monde semble être passé à autre chose. Tu crois que ça ne m'a pas effleuré l'esprit de vouloir l'embrasser, en voyant qu'elle se sentait si mal ? Et c'est justement pour ça que je ne l'ai pas fait, d'ailleurs. Un autre homme a pris ma place pour la consoler et puis, de toute façon, avoir envie d'embrasser quelqu'un uniquement parce qu'il pleure, ce n'est pas très sain. Je suis parti il y a cinq ans ; elle pleurait. Je reviens ; elle pleure toujours autant. J'aimerais savoir qu'elle sera heureuse, un jour, mais j'ai du mal à me dire que j'aurais pu l'y aider, et que je dois désormais me résoudre à l'observer rester dans cet état. Je ne sais pas pourquoi elle pleure, et je ne crois pas qu'elle ait réussi à tourner la page, après tout ce qu'elle a vu et enduré ce soir-là. Ce genre de chose, ça ne s'oublie pas, n'est-ce pas ? Aucun de nous ne l'a oublié, alors pourquoi elle oui ? Tu sais quoi ? J'aurais dû la consoler, hier soir. J'aurais dû être là pour elle, comme elle l'a été, après mon accident. Elle est restée, et moi, j'ai fui sans rien dire, en pensant que j'étais légitime. Mais maintenant, je le sais, je ne le suis pas... Je méritais de me reconstruire, mais elle aussi. Elle pleure encore aujourd'hui maman, les choses ne vont pas mieux pour elle, et pour moi non plus. »

​​​​​​​Je marquai une pause, voyant que ma mère était pendue à mes lèvres. C'était sûrement la première fois que je déballais tout ça, à propos de Kerrie. Même lorsque nous étions encore amis, je ne lui avais jamais parlé d'elle, en ces mots.

« Je me souviens à peine de la dernière fois où je l'ai embrassée ; ce devait sûrement être à l'hôpital, à la volée, en pensant qu'on aurait le temps de recommencer. J'ai longtemps voulu me rappeler de cette sensation, de cette alchimie qu'il y avait entre nous depuis longtemps, et qui semblait s'estomper avec le temps, alors que j'étais persuadé qu'elle ne disparaîtrait jamais, à cause de cette proximité que nous avions toujours eue. En réalité, je me rends compte que tout ça est encore là... Seulement chez moi. Kerrie ne m'a pas attendue ; elle a sûrement eu raison. Peut-être que si je lui avais dit au revoir, les choses se seraient passées autrement. Peut-être que si je ne l'avais pas vue au bras d'un autre homme, j'aurais trouvé le courage de lui faire les adieux que je me répète en boucle, depuis cinq ans. J'aurais peut-être eu le courage de lui glisser que je l'aimerai toujours, et qu'une part d'elle résidera toujours en moi ; dans mes choix, mes envies. Mes forces. Mais elle ne veut pas de moi, alors, c'est différent. Ça ne sort pas, maintenant que son état d'esprit a changé. Et ça ne sortira jamais. »

​​​​​​​Ma mère lâcha un soufflement rauque, signe qu'elle avait retenu sa respiration pendant toute la durée de ma tirade. Je déglutis, mal à l'aise d'avoir sorti à ma mère que tout ce temps qu'ils avaient pris pour me prier de tourner la page avec Kerrie avait finalement renforcé cette rage injuste qui sommeillait en moi.

La revoir n'avait fait que me réaliser qu'elle était la réponse que je cherchais pour expliquer ce sentiment flottant, que je n'arrivais plus à décrire depuis quelques temps.

« Eh bien, fit finalement ma mère, après quelques secondes de silence, si j'avais su ça plus tôt...

- Si j'avais pensé un jour être capable de te le sortir, soufflai-je.

- Et maintenant ?

​​​​​​​- Maintenant, je ravale ma fierté, et je la laisse continuer sa vie. Mais, ce sera difficile, maintenant que je l'ai revue.

- Sage décision. Si, au passage, ça pouvait arrêter de te faire boire...

- Tu ne changeras jamais, maman, lâchai-je avec un petit sourire.

- Toi aussi, mon fils, me répondit-elle avec le même entrain. Je suis désolée que ça n'ait pas eu le temps d'évoluer, entre Kerrie et toi. Je sais que vous aviez des liens très forts ; ils étaient remarquables. Je vous ai vu, lors du matin de Noël 93.

- Ah oui ? m'étonnai-je.

- Je me rappelle lorsque vous vous êtes dit au revoir. J'ai compris que les absences vous séparaient tellement, qu'elles finissaient par vous unir un peu plus. Mais la dernière fût sûrement celle de trop, parce que ce n'était pas elle qui partait, pour une fois. »

​​​​​​​La dernière phrase me fit frissonner. Je pris à nouveau ma mère dans mes bras, alors qu'elle ne pleurait plus. Elle me rendit volontiers mon étreinte.

« En tout cas, vu la difficulté avec laquelle tu viens de me sortir tout ça, j'ai bien compris qu'il ne fallait pas que j'en parle. De toute façon, je n'ai plus la force de contredire ton père.

- Merci maman. Puis, t'en 'fais pas pour papa. Au fond, c'est peut-être mieux comme ça. »

​​​​​​​J'embrassai ma mère sur la joue, en lui adressant un faible sourire confiant ; qui fana aussitôt, à la vue de ce qui venait d'apparaître derrière son dos.

Tout de suite, les paroles que je venais de débiter sonnaient immédiatement plus vraies, lorsqu'elles avaient pour objectif d'être immédiatement mises en pratique.

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Bonjour tout le monde !

Nouveau chapitre d'A portée de main ! Qu'en pensez-vous ?

Qui avez-vous envie de voir ensemble ? :-) N'hésitez pas à vous exprimer.

La suite mettra plus ou moins de temps à arriver, mais promis, j'essaierai de la faire rapidement !

A bientôt,

#C.

{Musique en média : J't'emmène au vent - Louise Attaque}


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