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L.A, 15 mai 2000.
Après cette discussion de fond, Nina s'était empressée de s'habiller, nous faisant quitter l'appartement à peine dix minutes plus tard. Nous nous retrouvâmes rapidement dans le bus, en direction du métro qui nous amènerait dans le centre ville.
Nina s'était blottie contre moi, par automatisme. Peu habituée au contact des autres, son comportement me rappela qu'il s'agissait de sa première fois dans les transports en commun. En effet, je n'avais pas eu le temps de lui expliquer comment cela fonctionnait, puisque la situation ironique qui nous riait au visage ne l'avait pas vraiment préconisé, obligeant ainsi Nina à affronter sa peur de l'inconnu dans un moment inopportun.
A chaque freinage brusque, la petite fille dérapait et perdait l'équilibre. Elle fixait alors ses chaussures en prévention de chaque arrêt, pour essayer de rester debout sur ses deux pieds. L'une de ses mains était accrochée avec fougue à la barre du bus, tandis que les doigts de l'autre comprimaient mon bras.
Livrée à elle-même, je savais qu'elle ne montrait qu'une minuscule facette de son ressenti. Elle savait qu'elle ne pouvait pas se permettre de tout montrer, dissimulant le reste de sa douleur au plus profond d'elle. Le manque de son jumeau était une épreuve particulièrement éprouvante, puisqu'on lui avait enlevé une partie d'elle-même, qui avait pris l'habitude d'évoluer avec elle.
Perdre un membre de sa famille était douloureux, et je savais qu'Esteban avait été bien plus qu'un frère pour elle. Avoir accompagné ses derniers moments, tout en ayant assisté à sa chute, s'était avéré être insoutenable et la marquerait sans doute à jamais. D'autant plus que l'espoir qui lui avait permis de garder son sang froid l'avait tenue loin de la réalité, l'empêchant de lui faire des adieux concrets et de se souvenir des derniers mots qu'elle lui avait dits.
Je le savais, et je le ressentais ; Nina souffrait énormément. En pleine période de deuil, peu de chose était pour l'instant en mesure de l'aider à tourner la page. Et même si c'était un peu tôt pour le dire, peut-être qu'obtenir justice l'aiderait à se sentir un peu plus libérée.
Pour ma part, la perte de mon petit protégé m'avait encore plus fragilisée. Sa disparition de ma vie était une ultime épreuve, que j'essuyais malgré moi avec une facilité désarmante. L'encaissement des événements m'avait rendue, à force, presque froide, ne me permettant de ressentir qu'un puissant vide qui ne cessait de m'engloutir. C'était Nina qui m'avait fait réaliser à travers notre dispute qu'Esteban était réellement parti, et qu'il ne reviendrait jamais. Comme tout le reste.
Les ongles de Nina me rentraient désormais dans la peau, aussi ôtai-je ses doigts de mon bras pour la tenir par la main. La petite fille ne broncha pas le reste du trajet, allant même jusqu'à trouver son équilibre un peu avant la fin.
Nous finîmes par arriver quinze minutes plus tard devant la bouche de métro, déjà noire de monde. Des dizaines de personnes grouillaient dans les sous-sols, comme des petites fourmis qui ne semblaient vivre que pour atteindre un but précis. Et après avoir acheté nos tickets, nous ne tardions pas à devenir à notre tour fourmis parmi les fourmis.
Une fois dans le métro, Nina desserra sa veste et enleva son béret. Elle me jeta un dernier coup d'œil, avant de dissimuler son visage derrière sa main libre, slalomant entre les corps imposants que nous croisions. Je tenais fermement le bras de ma sœur, tandis que nous nous engouffrions dans l'un des wagons, après avoir validé nos tickets.
Il était midi, et c'était heure de pointe. Nous étions serrées contre les portes, ce qui obligea Nina à se glisser derrière mes jambes pour éviter de se faire toucher par un quelconque membre humain. Je tenais donc la barre de métro d'une main et les épaules de ma petite sœur de l'autre, tentant de garder mon calme et mon équilibre.
Nous sortîmes de la rame au bout d'une dizaine de station. Lorsque les portes automatiques s'ouvrirent enfin et que je faisais signe à Nina que notre voyage s'arrêtait ici, elle sembla retrouver son énergie ; elle se rua vers la sortie, quitte à bousculer les autres passagers qui réveillèrent leur brutalité. Cela créa un ralentissement, jusqu'au retentissement du signal sonore, à l'instant où je rejoignais ma sœur sur le quai, alertée par le bruit et le monde.
Légèrement chamboulée, elle ne tarda pas à me dévoiler son dégoût définitif :
- « Donc, c'est à ça que ressemble le métro ? Eh bien, sache que je ne veux plus jamais remonter là-dedans !
- Malheureusement, il va falloir faire le même chemin pour le retour.
- Ah oui, j'avais oublié... soupira-t-elle. Mais on a fait la moitié, c'est au moins ça. On va où ensuite ?
- On va essayer de remonter dans la ville, mais il faut que je regarde quelle sortie emprunter. Attends voir. »
Ce qui était difficile aux heures de pointe, outre le fait d'avoir l'impression de piétiner le sol et d'être emporté par l'affluence lorsque nous avions le malheur de nous immobiliser, c'était de ne pas voir plus loin que le bout de son nez. Nous étions ainsi compressés de tous les côtés, nous éloignant du quai, et potentiellement de la bonne sortie.
Je n'eus alors d'autre choix que de me mettre à brasser la foule, cherchant à me frayer un chemin entre ces corps discordants qui ne perdaient pas de vue leur objectif.
Seulement, j'étais devenue tellement obstinée à mon tour que je ne tardai pas à me fondre dans la masse, contractant ce virus de l'indifférence et de l'automatisme qui ne me donnait que l'impression de savoir ce que je faisais, sans avoir besoin de le voir, le laissant se répandre comme une traînée de poudre dans cette masse qui ne savait pas assurer ses arrières.
J'avais oublié où j'allais, où j'errais, où tout cela allait me mener...
- « Kerrie, attends-moi ! »
Je me retournais pour apercevoir Nina qui avait du mal à suivre la cadence, bien qu'elle ne lâche pas ma main. Je finis par m'immobiliser à nouveau, laissant la foule m'ensevelir.
Lorsque ma petite sœur arriva à ma hauteur, elle avait le visage troublé.
- « Tu vas trop vite pour moi ! geignit-elle. Elle est où cette satanée sortie ? »
Je tournai à nouveau la tête, avant d'apercevoir les escalators au fond de ce long quai bruyant. Un coup d'œil à la pancarte placardée sur le mur qui le longeait me rassura dans ma trouvaille, et rapidement, l'envie de continuer à piétiner le sol me passa complètement.
Je fis à nouveau volte-face vers ma petite sœur, lui désignant ainsi l'escalier d'un signe de tête. Et lorsqu'elle me dévoila un sourire rassuré, je fus contente de voir qu'il y avait encore un espoir pour lui remonter le moral.
* * *
Nous avions fini par remonter à la surface pour rejoindre le dernier bus, qui venait à l'instant de nous déposer devant une imposante bâtisse en marbre blanc. Et en effet, celle-ci était tellement grande que lorsque Nina leva la tête vers le toit pour l'admirer dans son entièreté, elle manqua d'en tomber à la renverse.
- « C'est là qu'on a rendez-vous ?
- Exact. C'est le palais de justice.
- C'est effrayant...
- Assez. Mais dis-toi que ce palais est là pour nous défendre, et non pour nous enfoncer.
- Ah, je vois ! Du coup, on a un joli palais rien que pour nous ? C'est plutôt cool ! »
L'innocence de la petite fille me décocha un sourire. J'espérais cependant ne pas me tromper.
- « On peut le voir comme ça, si tu veux. Mais dépêchons-nous, veux-tu ? L'avocat doit être en train de nous attendre ! »
Nina hocha la tête, avant de m'emboîter le pas. Et cette dernière ne tarda pas à s'émerveiller devant la majestuosité de l'architecture, comme moi lors de mes premiers pas en ces lieux quelques années auparavant, et qui m'avait motivée à faire des études de droit pour de mauvaises raisons.
Toute la luminosité passant par les vitres, donnait au grand hall une atmosphère dorée. D'énormes piliers vernis s'étalaient sur plusieurs mètres, se rejoignant en un arc voûté au niveau du plafond. Et d'entre ces imposants pylônes, sortaient des hommes en costume trois-pièces et des femmes qui faisaient claquer leurs talons aiguilles sur le carrelage marbré, illuminé par la lumière du soleil.
La beauté du lieu me faisait parfois oublier la raison de ma venue. Mais cette fois-ci, la présence de ma petite sœur m'avait rapidement rappelée à l'ordre.
Mes vieilles ballerines s'écrasaient désormais sur le sol, créant un bruit sourd autour de nous. Tout en continuant d'avancer, je cherchais vainement le numéro de salle que l'avocat m'avait indiqué au téléphone. Comme nous n'avions pas suffisamment d'argent pour nous payer les services d'un professionnel de notre choix, il nous en avait été attribué un d'office.
Je finis par apercevoir la salle où se déroulerait l'audience, et par rapidement faire le lien avec la minuscule pièce qui se trouvait à côté. La porte était d'ailleurs entrouverte.
- « Par là. » indiquai-je à Nina.
Nous finîmes par nous diriger vers l'annexe et par prendre les devants en tapant à la porte. Malheureusement, il n'eut pas de réponse, ce qui nous força à passer la tête dans l'entrebâillement de cette petite pièce vide sans fenêtre, et remplie de paperasse. Le reste de nos corps ne tarda d'ailleurs pas à dépasser la limite.
Visiblement, ce n'était pas nous qui avions du retard.
- « Tu es sûre que c'est ici ? » me demanda Nina, sceptique.
Je hochai la tête, pourtant sûre de moi. L'avocat qui allait défendre notre cause s'appelait Monsieur Andrews, et ce nom ne m'était pas inconnu. En effet, c'était lui qui s'était occupé de la famille Questz, et qui avait motivé la décision de nous placer en famille d'accueil. Voilà que notre sort se retrouvait à nouveau entre les mains de cet homme, qui risquait de nous diviser en se basant sur ce qu'il savait déjà de nous.
Quoique, cette fois-ci, il était censé être de notre côté.
Un bruit étrange nous fit soudainement sursauter. Alors que nous fîmes volte-face, nous remarquâmes soudainement un homme faire irruption dans la pièce, dont le haut du corps était dissimulé derrière une énorme pile de dossiers.
- « Bonjour... Monsieur Andrews ? » osai-je.
Il ne nous répondit pas immédiatement, cherchant à se faire de la place sur le bureau déjà rempli. En voyant qu'il trimait, je finis par lui filer un coup de main, en balayant la surface plane de la table pour qu'il puisse déposer ses dossiers. Seulement, après m'avoir remercié discrètement, il ne désirait toujours pas nous faire face, visiblement très concentré.
Il finit par s'emparer du premier dossier en haut de la pile, où notre nom de famille facilement reconnaissable était écrit en lettre capitale sur le versant d'une feuille colorée, qui cachait une pile de papier assez volumineuse.
Il ouvrit la première page, la feuilleta en diagonale, et finit par déclarer d'une voix plus claire :
- « Monsieur Andrews a eu un empêchement, et il risque d'avoir du retard. Je suis chargé de vous faire patienter. Je suppose que vous êtes la famille Heckwood ?
- En effet. » acquiesçai-je, perplexe.
Je ne perdais pas de vue le dos de cet homme plongé dans ses pensées ; notamment parce que sa voix ne m'était pas inconnue. Mais étrangement, mes souvenirs me paraissaient lointains, se contentant de faire passer cette intonation pour un simple sentiment de déjà-vu.
Peut-être qu'il était difficile d'associer une voix familière à un personnage aussi peu aimable.
Seulement, l'heure était venue de nous faire face. Après tout, il ne pouvait pas se résoudre à nous tourner le dos indéfiniment. Ce serait sûrement un peu ironique de ne pas connaître la tête d'un potentiel client, pour une question de fierté ; surtout en s'introduisant de la sorte.
Et à ce moment-là, il aurait peut-être pu éviter de nous dévisager.
- « Je me présente ; Henry Texies. Je travaille ici, en tant que stagiaire judicaire. »
* * *
Je ne savais pas si la vie essayait de me faire passer un message, ni si tout ce que je tentais de préserver de mes responsabilités maudites finissait tout de même par s'y rattacher. Encore moins si ces moments de bonheur, dans ce long couloir noir et angoissant, n'étaient qu'à usage unique avant de sombrer à nouveau dans la fadeur.
J'aurais tellement, mais tellement apprécié préserver Henry de tout ça. Mais ce qu'il tenait actuellement dans ses mains n'aurait bientôt plus aucun secret pour lui, et il serait alors inutile de tenter quoique ce soit.
Peut-être bien que je préférais finalement qu'il reste de marbre, et qu'il ne continue pas à lire ce dossier.
Malheureusement, lorsque nos regards se croisèrent, l'ouverture de mes secrets se fit trop brusquement à mon goût. Les mots semblaient avoir retrouvé leurs sens lorsqu'il se mit à les parcourir, et la surprise se fit plus grande à chaque fois qu'il s'enfonçait dans sa lecture, égalant à peine la réaction qu'il avait eue en constatant que je me tenais face à lui.
Après quelques secondes, il déposa à nouveau le dossier sur la pile, sans prendre le risque de me perdre du regard.
- « Kerrie... Je... Je suis heureux de te revoir, bien que le moment n'y soit pas propice... ! »
Son intonation de voix venait de changer du tout au tout. Elle s'accordait encore mieux à mes souvenirs lointains, semblant leur enlever ce côté vague. A moins que son visage n'y soit pour quelque chose ?
Gênée, je rabattis derrière mon oreille l'une des mèches qui s'était échappée de mon chignon.
- « Henry, quelle surprise... J'ignorais que tu souhaitais devenir avocat.
- Attendez, vous vous connaissez déjà ? » intervint brusquement Nina.
Le temps d'une minute, j'avais oublié la présence de ma sœur à mes côtés. Je m'étais remémoré mes souvenirs lointains grâce au visage d'Henry, puis des conséquences de mon oubli en me retournant vers Nina.
Et le fond de ces dernières l'impacteraient grandement, si elle venait à savoir la vérité.
- « En effet... C'est un client du magasin.
- Ah, bon d'accord... »
Je jetai un coup d'œil à Henry, qui semblait soudainement confus. Les souvenirs n'avaient jamais cessé de vivre en lui, et voilà qu'il s'apprêtait à assister à la défense d'une noble cause, dans laquelle il devait sûrement se sentir impliqué. J'osais espérer qu'il ne pensait pas vraiment avoir une part de responsabilité, bien que cela lui permette d'avoir une vue d'ensemble sur un cas plutôt concret.
Quitte à connaître ma vie à présent, autant s'en servir à bon escient.
Pourtant, Nina paraissait sceptique. Elle ne m'avait jamais vue ramener qui que ce soit à la maison, ni parler familièrement avec quelqu'un, aussi se dépêcha-t-elle d'introduire ses introspections.
- « C'est drôle que le stagiaire de notre avocat soit le client de ma sœur...
- Pourquoi donc ? Quand le commerce est bon, il attire le premier venu ! »
Henry m'adressa un sourire confiant, qui me fit rire jaune. Malheureusement, cela ne suffit pas à apaiser la curiosité de Nina, le nez désormais plissé. Encore plus lorsque Henry enchaîna, presque naturellement :
- « Mais dis-moi, cela t'ennuierais si je touchais quelques mots à ta grande sœur ? J'ai besoin, disons... d'aborder deux ou trois points concernant l'audience qui va se dérouler dans quelques instants.
- Pourquoi je ne pourrais pas venir ? Moi aussi je suis concernée, Kerrie a dit que j'étais un témoin clé ! »
L'indignation de ma petite sœur me fit descendre d'un étage. Si recroiser le chemin d'Henry relevait plus de la surprise que du ravissement, il m'était impossible d'oublier la raison de ma venue ici.
Et pourtant, la surprise avait rapidement pris le dessus.
- « Henry va sûrement m'expliquer des détails un peu technique, que tu risques de ne pas très bien comprendre.
- Tu parles ! Si c'est ton ami, vous allez sûrement parler d'autre chose ! Tu 'veux juste pas que j'entende, c'est tout. »
L'audace de la petite fille fit doucement rire Henry, ce qui enflamma instantanément mes pommettes. Heureusement, j'étais accroupie au niveau de ma sœur, et elle était désormais la seule à pouvoir interpréter les émotions qui se tramaient un peu trop facilement sur mon visage.
Encore fallait-il qu'elle les comprenne.
- « Et si je promets de tout t'expliquer après ?
- Hum. »
Elle fit mine de réfléchir, avant de hausser les épaules malicieusement.
- « Promis ? Tous les détails ?
- Juré, craché ! »
Nina sourit, avant de finalement me donner sa bénédiction en comprenant que c'était important pour moi. Rassurée, je me tournais vers un Henry satisfait, qui ouvrit alors la porte du bureau sur cet extérieur lumineux qui semblait me rappeler.
J'eus juste le temps d'apercevoir Nina prendre place sur l'une des chaises du bureau, avant que la porte ne se referme derrière moi, me confinant avec Henry dans une discussion dont la continuité et la finalité me paraissait incertaine.
- « Un client de ton magasin ? Surprenant mais vrai, n'est-ce pas ?
- Je ne savais pas trop comment t'introduire à ma sœur. Je me voyais mal lui expliquer que j'étais avec toi, au moment où notre frère était mal en point. »
Henry se mordit les lèvres, semblant reprendre son sérieux.
- « Oui, je comprends. Ne t'inquiète pas, je n'y ferai plus allusion. »
Rassurée, je finis par lui sourire. Il était compatissant, c'était plutôt agréable.
Un silence se glissa pourtant entre nous. Mais nous avions fini par comprendre que ce n'était plus de la gêne. Seulement un profond respect mutuel.
- « Navré de m'immiscer dans ta vie à ce point, Kerrie. Je sais que tu as du mal à en parler, et j'ai l'impression de te forcer la main.
- Oh, eh bien... C'est pour tes études, alors je suppose que c'est nécessaire ? Au moins, je sais que je ne mets pas ma vie entre les mains de n'importe qui. »
Il m'adressa un faible sourire, guère rassuré par mes paroles. La peur que j'avais qu'il se sente responsable de quoique ce soit venait de se concrétiser sous mes yeux.
- « C'est certain. Le secret professionnel m'oblige à prendre mes précautions.
- Je trouve pourtant cela assez étrange.
- Étrange ?
- Tout ce qu'il y a dans ce dossier est confidentiel, et pourtant, tu vas le voir être déballé devant toute une foule de gens, pour pouvoir nous aider. En d'autres termes, ma vie va t'être utile à mauvais escient. »
Henry ne trouva rien à redire, au point de baisser la tête quelques secondes. Il finit pourtant par la relever, avec une nouvelle idée à l'esprit.
- « On dirait que j'ai mal choisi mon orientation, n'est-ce pas ? Tu viens de remettre tout mon travail en question.
- Seulement parce que c'est toi. »
Il m'adressa un sourire amusé. J'hésitais à lui avouer que je faisais des études de droit, également. Cela lui aurait peut-être permis de moins culpabiliser.
- « D'ailleurs, enchaînai-je, pourquoi avocat ? Je pensais que tu reprendrais la grande entreprise familiale.
- Oh, non ! Je ne suis pas intéressé par le business de mon père. C'est trop de pression pour si peu, et je préfère de loin mettre tout ce stress dans quelque chose de bénéfique. Défendre les gens est bien plus forgeant et instructif, que de s'occuper d'une chaîne d'hôtel de luxe.
- Tu en es où dans tes études ?
- En troisième année universitaire. Mais là, je travaille directement avec les juges, pour me faire un peu d'expérience. C'est plutôt compliqué à obtenir, mais comme l'un d'entre eux connaît bien ma famille... Disons que j'ai eu de la chance !
- C'est plutôt un bon point. En espérant que mon cas t'aidera à t'instruire, et ne viendra pas te mettre de bâtons dans les roues.
- Ne t'en fais pas, je suis sûr que ça ne changera rien ! »
Nous finîmes par nous sourire franchement, tandis que je m'adossais contre le mur, un rictus doux sur les lèvres. Cette conversation prenait une tournure rassurante, avant une audience qui ne le serait pas. Le jugement de ma mère s'avérerait doublement éprouvant, en sachant que la culpabilité de l'avoir abandonnée continuerait de nous jouer des tours.
Mais le resterait-elle ?
- « En parlant de tout ça, enchaîna Henry, je suis passé à ton magasin dans la semaine... en espérant te revoir, avoua-t-il avec un sourire. Mais comme tu n'y étais pas, j'ai un peu parlé avec Edwige, et je crois qu'elle se fait du souci pour toi.
- Vraiment ? Pour une grippe ? C'est étonnant de sa part.
- Je vois, tu ne lui a rien dit, enchaîna Henry avec un sourire plus crispé. C'est compréhensible, d'un côté... Mais malheureusement, Edwige est loin d'être idiote. Je pense qu'elle a compris qu'il y avait un problème.
- Sûrement pas celui qu'elle croit. Mais j'ai été trop occupée dernièrement pour repenser à tout ce qui s'est passé entre nous.
- Qui sait, peut-être qu'elle a fini par se rendre compte qu'elle avait poussé le bouchon un peu loin ?
- Ou alors, c'est sûrement moi qui ai exagéré. »
Je baissai subitement la tête. Il était évident que ma timidité n'était pas une forme de pitié à prendre, chez Edwige ; et le fait d'avoir perdu mon frère n'y changerait rien. J'avais définitivement décidé de passer une mauvaise soirée de mon plein gré, alors que j'aurais pu être présente pour ma fratrie.
En voyant mon air confus, Henry finit par poser une main hésitante sur mon épaule. Il jeta un rapide coup d'œil en arrière, pour s'assurer que personne ne le voyait, et prit alors l'initiative de transformer son accolade en caresse.
Mon corps fut parcouru de frissons. Le geste avait réveillé en moi une douleur et un manque, qui n'arrivaient pas à s'entendre ; contrairement à ma peur d'être touchée qui venait étrangement de faire une trêve.
Peut-être parce que je savais inconsciemment qu'il était au courant pour mes cicatrices.
Il finit pourtant par s'éloigner de moi en entendant des talons claquer. Une femme passa à nos côtés, nous adressant un regard indifférent, tandis que Henry fixait ses chaussures avec un petit sourire gêné.
- « Je vais faire de mon mieux pour te rendre la vie moins difficile, Kerrie.
- Ne t'en fais pas, tu n'as rien à prouver. »
Son sourire se fit plus grand, lorsqu'il accepta de relever la tête vers moi. Ses lèvres finirent par bouger seules, signe qu'il tentait de me dire une dernière chose. Une chose sûrement importante, mais dont le délai venait nous narguer du contraire.
- « L'audience va commencer. » finit-il par articuler dans un soupir.
Un soupir que je partageai soudainement avec lui, lorsqu'il se mit à regarder sa montre avec insistance. Pas sûre en revanche que ce soit pour les mêmes raisons.
* * *
Monsieur Andrews avait fini par arriver et par s'entretenir brièvement avec nous, avant le début de l'audience. Nous nous étions ainsi placées à l'avant, aux côtés de Henry, désormais très concentré.
- « Faites entrer l'accusée. » déclara le juge, en faisant jouer son marteau.
J'aperçus ma mère pénétrer soudainement dans la salle, par une porte adjacente, encadrée par deux policiers. Revêtue d'une vieille combinaison orange, son teint cireux et abîmé par un alcoolisme croissant lui prêtait une dégaine effrayante.
Cela faisait un petit moment que nos chemins ne s'étaient pas croisés, alors qu'elle aurait sûrement préféré le contraire. Au final, la justice l'avait dégotée avant moi.
Je l'observais du coin de l'œil. Sa tête bougeait dans tous les sens, sûrement à la recherche d'un visage familier auquel se rattacher pour se rassurer. Je sus qu'elle nous avait trouvées lorsque Nina écrasa mes phalanges, et que Henry tourna sa tête vers moi pour vérifier que je me portais bien.
Je le serai si je ne croisais pas son regard.
- « Catherine Heckwood, vous êtes accusée d'avoir une responsabilité dans la mort de votre fils, Esteban Ribeiro-Heckwood, décédé à l'hôpital à la suite de blessures que vous lui avez causé, le soir du 6 mai dernier. Lors de l'altercation, votre taux d'alcoolémie était anormalement élevé. »
Les lèvres de ma mère tremblèrent de frustration. Elle savait qu'elle n'avait pas la parole, et qu'elle ne pourrait pas faire justice elle-même. Elle venait de prendre conscience qu'on parlerait dorénavant à sa place, malgré toutes les mises en gardes qu'elle avait refusé d'écouter.
Le juge en profita pour continuer d'énoncer le contexte :
- « Le cas d'Esteban est similaire à celui de Tom Questz, treize ans au moment des faits, que vous avez atteint de la même manière, le 15 février 1995. Lui a survécu à ses blessures, ce qui a motivé la famille à retirer sa plainte, vous faisant écoper de vingt ans de prison avec sursis, d'une amende de cinq-cents mille dollars de dédommagement et de l'éloignement de vos enfants dans une famille d'accueil. »
Le nom de mon meilleur ami me provoqua soudainement un frisson. Je repensais alors à ces souvenirs qui ne cessaient de me hanter, depuis que j'avais revu Tyler. Et même si je savais qu'un autre finirait par remonter, je devais tout faire pour rester concentrée sur l'audience actuelle.
Ce serait porter atteinte à la mémoire d'Esteban.
- « Si je puis me permettre, Monsieur le juge. »
Un homme venait de prendre la parole, de l'autre côté de la salle. Il se leva pour s'introduire, et justifier les raisons de son intervention.
- « Monsieur Leigh, avocat de Catherine Heckwood ici présente. »
Bouleversée de voir qu'un avocat était capable de trouver des excuses à ma mère lorsque ses propres enfants n'avaient plus la force de la couvrir, je sentis soudainement mes lèvres trembler, notamment lorsque son regard tenta de croiser le mien. Je le détournai aussitôt, ne souhaitant pas rentrer dans son jeu.
- « Ma cliente mène une vie délicate. Elle élève seule ses trois enfants depuis dix-neuf ans, en sachant que les deux hommes qui les lui ont donné n'ont jamais assumé ses grossesses ; notamment celle des jumeaux, qui s'est passée dans des conditions déplorables et insoutenables. De plus, la famille Heckwood vit dans une situation précaire depuis plus de cinq ans, en sachant que personne ne souhaite embaucher l'accusée, à cause de ses antécédents. Ce genre de cercle vicieux ne l'aide pas à se sortir de la mouise, et personne n'est là pour lui tendre la main. Jusqu'où pourrons-nous aller si nous n'aidons pas les personnes qui se détruisent ? Combien d'Esteban continueront d'y passer, si avant de la considérer dangereuse pour les autres, on apprenait justement à la considérer un peu plus ?
- Objection, Monsieur le juge. »
Monsieur Andrews se leva pour s'introduire à son tour. D'un seul coup, j'avais peur qu'il ne réussisse pas à contrer l'avocat.
- « Monsieur Andrews, avocat de la famille Heckwood. La position délicate de Catherine Heckwood est certes consternante, mais nous dévoile bel et bien le fond du problème ; cela dure justement depuis trop longtemps, en sachant que l'accusée a déjà été admise deux fois en cure de désintoxication. Le résultat s'en est suivi d'un échec cuisant ; suite à ça, le meurtre et la tentative de meurtre de deux enfants, sur un espace latent de cinq ans. Vous savez tous très bien que l'accusée est alcoolique, mais tout le monde ici semble le négliger. L'alcoolisme n'est pas un gros mot ; c'est une maladie, et il ne suffit pas de poser un diagnostic sur un quelconque degré de dangerosité, lorsque l'on connaît tous les facteurs qui rentrent en jeu derrière. La difficulté pour la surpasser est, certes présente, mais n'excuse absolument rien dans les faits. Un enfant est mort. Un autre a failli y passer. Comptez-vous vraiment camoufler cela en accident une nouvelle fois, surtout lorsque l'on peut se demander s'il n'y a pas définitivement un problème de volonté de la part de la victime ?
- Taisez-vous ! Vous ne savez rien ! » hurla ma mère.
Nina écrasa à nouveau mes doigts. J'avais le souffle coupé face à l'intervention d'Andrews, qui usait de mots que je ne souhaitais même plus utiliser depuis des années, par peur de leur sens.
Le juge finit par faire taper sèchement son marteau sur le bord de son pupitre.
- « Vous n'avez pas la parole, Madame. Veuillez laisser Monsieur Andrews continuer.
- Je vous remercie, Monsieur le juge, reprit-il. L'alcoolisme peut donc être guéri, avec du soutien et une force de persuasion. Mais comment faire lorsque l'accusée ne souhaite pas s'en défaire ? Comment ose-t-elle continuer d'assumer ses enfants, en les exposant à un tel danger ? L'accusée sait déjà qu'elle peut nuire à elle-même et à autrui, pourquoi s'obstiner à la caresser dans le sens du poil ? C'est tout ce que j'ai à dire. »
L'avocat salua l'assemblée, et se rassit à mes côtés. Le juge hocha la tête, plutôt satisfait ; seulement, j'étais trop occupée à essayer de capter le d'Henry, dans le but de me rassurer, pour pouvoir le remarquer.
- « Merci pour cette intervention, Monsieur Andrews. La défense a quelque chose à ajouter ?
- En effet, intervint Monsieur Leigh. Est-ce que la fille aînée de l'accusée pourrait se rendre à la barre ? Je souhaiterais lui poser quelques questions. »
Un silence de mort lui répondit. Le reste de la salle retenait sa respiration pour moi, et Nina me fixait avec insistance, soudainement paniquée. Mais en tentant de me faire passer comme absente, je n'avais plus assez de force pour la rassurer.
- « Est-ce que la fille aînée des Heckwood pourrait se rendre à la barre ? » redemanda le juge.
Henry posa soudainement une main sur mon épaule. Le geste me fit me lever immédiatement, comme piquée à vif. Tous les regards étaient désormais braqués sur moi, seule personne debout au-dessus de ces marées de têtes. Et c'était en évitant le regard de ma mère, que je me rendis à la barre en prenant une grande inspiration.
- « Où étiez-vous, le soir du 6 mai ? me demanda Leigh, une fois installée.
- Une amie m'avait invitée à passer la soirée avec elle, dans un bar du centre-ville.
- Sortez-vous souvent, Mademoiselle ?
- Rarement. Je ne m'octroie pas vraiment ce droit, vu que j'avais pour habitude de rentrer m'occuper de mes frères et sœurs.
- Vers quelle heure êtes-vous rentrée chez vous ?
- Le lendemain, en début d'après-midi. Vers quatorze heures.
- Bien après les faits, donc. Pourquoi, en sachant que vos frères et sœurs étaient seuls et qu'ils pouvaient courir ce genre de danger, n'avez-vous pas pris la peine de rentrer plus tôt ?
- Je... Je n'étais pas en mesure de rentrer chez moi, avant cette heure-ci, fis-je en jetant un furtif coup d'œil à Henry. A aucun moment je n'aurais pu prévoir ce genre de situation.
- Pourtant, vous semblez protéger votre mère, tout en vous occupant du foyer. Si vous êtes la tête pensante de la maison, et que vous saviez que votre mère était capable de récidiver, pourquoi ne pas avoir pris de précautions pour l'empêcher de recommencer ?
- Parce que même en le faisant déjà, je ne peux pas réussir à la contrôler.
- Vous vous étiez dit la même chose, le 15 février 1995, lorsque vous avez assisté à la tentative d'assassinat de votre meilleur ami ? »
La salle fut plongée dans un silence glaçant. Seule la crispation de ma mâchoire résonna à l'intérieur. Je captai rapidement un regard ahuri de Nina, dont les questions de ce matin à propos de Tom me revenaient désormais en tête. Voilà que la réponse devait être un peu difficile à encaisser.
- « Objection ! C'est immoral, et totalement hors sujet, s'écria Andrews, frénétique.
- Objection accordée, déclara le juge. Veuillez ne pas dévier, Monsieur Leigh.»
L'avocat de ma mère fit la moue, mais resta droit. Au moins, j'allais pouvoir observer vers où il comptait mener sa barque, et pourquoi il cherchait à me faire porter le chapeau pour pouvoir sauver une énième fois les fesses de ma mère.
- « Mademoiselle Heckwood, pourquoi vous obstinez-vous à cacher dans un tiroir de votre chambre, plus de deux-cent dollars en liquide, si le sort de votre mère vous concerne tant ?
- Je vous demande pardon ?
- Pourquoi épargnez-vous de l'argent pour votre propre utilisation, alors que vous couvrez votre mère depuis des années, et que vous saviez très bien que ce genre de comportement risquait de la mettre dans un fâcheux état, notamment à cause de ses antécédents ? » reformula Leigh, plus agacé.
Je marquai une pose, soudainement sous le choc. Ma mère était partie fouiller dans mes affaires, et n'avait pas réagi au quart de tour parce qu'elle pensait que je lui avais volé de l'argent, mais bien parce qu'elle ne supportait pas l'idée que je la laisse seule. Les choses avaient ainsi dégénéré, et si j'avais pris le risque de le lui dire, les représailles auraient pu être pires encore ; Nina ne serait peut-être pas là, aujourd'hui. Moi non plus.
C'était de ma faute, je l'avais habituée à se reposer sur mes épaules.
- « En réalité, cet argent est à moi. Je l'ai gagné, parce que je travaille à côté de mes études. Je voulais économiser pour placer les jumeaux dans un internat, en sécurité, parce que j'ai fini par comprendre moi-même que la situation était devenue invivable. Mais on dirait que c'est trop tard, maintenant. »
Je luttai pour ne pas croiser le regard de ma mère, ni celui de son abominable avocat, qui n'avait rien trouvé de mieux que de continuer le travail laborieux de sa cliente, qui était de me faire porter le poids de toutes ses responsabilités que je ne respectais pas toujours, et dont je m'entichais pourtant à sa place, depuis tant d'années.
Pourquoi ? Sûrement parce qu'elle avait réussi à me faire croire que tout irait mieux un jour.
A ma grande surprise, Leigh ne trouva rien à redire. Il signifia au juge qu'il avait terminé, et se rassit aux côtés de ma mère, qui se tenait pourtant tout près de moi, et dont le regard brûlant arrivait à me faire esquisser un frisson.
- « Bien, déclara le juge en faisant taper son marteau. La séance est levée. Messieurs-dames les jurés, il est temps d'aller délibérer. »
Du haut de mon estrade dont je n'osai pas descendre, mon seul coup d'œil fut pour Nina, désormais au courant de son cadeau d'anniversaire. Le cœur battant la chamade, j'espérai que pour une fois, la décision serait en notre faveur.
* * *
Les délibérations furent rapides. Andrews et Henry avaient à peine eu le temps de discuter avec nous dans le hall, que nous étions de retour dans la salle pour écouter le verdict des jurés, dont la rapidité de la prise de décision pouvait tout faire basculer.
Une écrasante majorité jugeait ma mère coupable. Les jurés n'avaient pas décidé de renouveler ses chances, malgré le jeu de son avocat. Cela signifiait donc que Nina et moi étions désormais seules, livrées à nous-mêmes. Un peu comme avant, avec une peur au ventre en moins.
En entendant le verdict, ma mère était restée statique. Ses yeux vides n'avaient plus la force de bouger, se contentant de choisir un point à fixer derrière ses cheveux noirs et emmêlés, jusqu'à ce que le juge ne dévoile la sentence officielle.
Le point qu'elle avait choisi, c'était moi.
- « Compte tenu de la récidive, l'accusée est condamnée à vingt ans de prison ferme, sans possibilité de liberté conditionnelle. En ce qui concerne l'avenir des filles, la plus jeune, qui est encore mineure, se verra officiellement placée en famille d'accueil à partir d'aujourd'hui. Une assistante sociale sera mise sur le coup, et viendra la prendre en garde jusqu'à son placement. Ce sera tout. »
Je n'entendis pas le dernier coup de marteau, ni la violente indignation de Nina, qui ne tarda pas à se transformer en sanglots. Je me contentai de suivre ma mère du regard, emmenée par les deux policiers, étant devenue aussi inerte qu'elle.
Lorsque la salle recommença à se vider, et que le juge descendait de son estrade, les bruits se firent soudainement insupportables. Les pas, les chuchotements, les pleurs de ma sœur et le regard hurlant de Henry, qui avait l'impression d'avoir échoué à la place d'Andrews.
Ce dernier vint d'ailleurs échanger quelques mots avec moi, pour me signifier à quel point la décision le touchait. Seulement, j'étais tellement dans un état second que je me contentais de lui répondre par de courtes phrases, qui montraient bien mon impuissance.
Je n'étais pas sûre d'avoir gagné quoique ce soit, ni que l'esprit d'Esteban ait été vengé. En réalité, j'avais l'impression que tout était pire maintenant. Certes, la génitrice était désormais hors d'état de nuire, mais je serai ainsi obligée de vivre avec le manque et la solitude jusqu'à la fin de ma vie. J'avais perdu mon frère, ma mère et ma sœur. Le tout, en une semaine.
J'avais perdu mon semblant de famille.
- « C'est tellement injuste, Kerrie ! s'écria Nina, au bord du désespoir.
- Je sais Nina... J'aurais aimé pouvoir faire quelque chose, mais je n'ai aucun pouvoir... »
Ni sur sa garde, ni sur tout le reste.
Les joues trempées, Nina posa sa tête contre mon épaule, exténuée par toutes les larmes qu'elle laissait couler. Je caressai doucement ses cheveux, le regard dans le vide, mes pensées loin de cette salle d'audience.
- « Je penserai à toi tous les jours, articulai-je avec difficulté.
- Pourquoi est-ce que tu me dis adieu maintenant ? Nous sommes encore là, par pitié !
- C'est vrai. Excuse-moi. »
Elle ne répondit pas, se contentant de renifler bruyamment. Mes pensées lui étaient désormais dédiées, notamment parce que demain, c'était son anniversaire. Et même si je sentais son petit corps s'appuyer contre mon épaule, je songeais déjà à elle et à comment elle le fêterait. Sans Esteban et moi, pas sûre qu'elle ne prenne la peine de s'en rappeler.
Une main se posa soudainement sur mon épaule. Je relevai la tête pour apercevoir le faible sourire rassurant d'Henry.
- « Je suis désolé. Sincèrement.
- Ce n'est rien. Merci beaucoup.
- J'ignore pourquoi tu me remercies, je n'ai rien pu faire pour t'aider... Néanmoins, je vais vous laisser de l'intimité, à présent. »
Alors qu'il nous saluait d'un signe de tête franc, prêt à repartir vers les portes, je finis par le retenir par le bras, après quelques secondes d'hésitation, forçant Nina à se redresser, perplexe.
- « Henry, attends ! »
Il se retourna, stupéfait. Je finis par me lever pour pouvoir le prendre dans mes bras, et terminer notre étreinte de toute à l'heure. D'abord surpris, il finit pourtant par raffermir ses bras autour de mon corps, me faisant définitivement oublier ma peur d'être touchée.
Je ne savais pas pourquoi j'avais fait ça. Peut-être parce que j'avais besoin d'être rassuré par quelqu'un, qui, pour la première fois depuis bien longtemps, m'avait réellement défendue, et qui semblait peut-être m'apprécier ? Parce que moi, je croyais être en train de l'apprécier.
J'avais notamment besoin de quelqu'un qui était capable de me rappeler ce sentiment que j'avais amèrement connu, de manière expéditive, et qui s'était évaporé si vite que je me demandais s'il avait pu être réel un jour.
Et permettre enfin à ce dernier souvenir de s'échapper.
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Bonjour tout le monde !
Ce chapitre vous a plu ? J'ai essayé de faire le scénario d'une audience. Je ne suis pas sûre que ça se déroule exactement comme ça, donc si vous avez des remarques à me faire sur la forme, je suis preneuse !
Dans le prochain chapitre, un flashback est prévu ! Sûrement un flashback qui va vous plaire héhé. En tout cas, moi, je vais m'enjailler à l'écrire !
A bientôt pour la suite, et merci de voter et de commenter, ça fait toujours plaisir !
#C.
{Musique en média : Pain - The War on Drugs}
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