VII

L.A, dimanche 7 mai 2000.

Un flot de panique vint soudainement me submerger.

Les faits étaient là. Henry avait vu mes hématomes.
Mais que pouvais-je faire de plus ? Je ne pouvais pas nier ; parce qu'il les avait déjà vus et ce serait mal perçu. En revanche, si je choisissais de lui en parler, je pouvais mettre en périple l'avenir des jumeaux, ainsi que le mien.

Ma mère avait déjà réduit le sien à néant, toute seule comme une grande.

Je connaissais seulement Henry depuis vingt-quatre heures. On avait beau, à l'instant, avoir échangé un peu sur nos vies, cela ne méritait pas de tout déballer en une seule nuit. Je trouvais même cela un peu expéditif.

Seulement, les preuves physiques empêchaient désormais toute tentative de fuite. Il m'était impossible de mentir, surtout lorsque qu'elles étaient évidentes.

Était-il réellement apte à entendre de lourds secrets douloureux qui me collaient à la peau depuis ma plus tendre enfance ?

Oh, sûrement. C'était toujours excitant d'entendre les faits macabres, propres à chacun. En revanche, personne ne semblait tenir compte des états d'âme du raconteur, le tenant immobile et coincé face à un mur, dans le simple but d'assouvir des désirs trop curieux.

En voyant mon indécision, Henry décida qu'il était temps de briser la glace.

- « Écoutez Kerrie, je comprends que vous ne vouliez pas m'en parler. Ne vous en sentez pas obligée. On ne se connait pas vraiment, c'est tout à fait compréhensible. Ce genre de sujet peut être difficile à aborder, et je ne veux surtout pas jeter de l'huile sur le feu. J'ai juste trouvé ça... alertant. Je pensais que vous aviez peut-être besoin d'aide. »

Je ne répondis pas, le regard rivé vers la moquette. Voilà qu'il essayait de me prendre par les sentiments, en s'imposant. Il n'avait pourtant pas été invité à observer ce genre de détail disgracieux, et j'avais un peu l'impression de m'être faite surprendre dans mon intimité.

Il sembla sceptique face à mon silence et esquissa une moue perturbée. Il finit tout de même par lâcher :

- « Je sens que je vous ai offensée. Je vais vous laisser dormir, je crois. Vous n'êtes pas dans votre assiette, et vous inciter à parler dans des moments pareils ne serait sûrement pas une bonne idée. Bonne nuit Kerrie, j'espère vous revoir demain matin. » déclara-t-il en se levant du lit.

M'inciter à parler.

Quelque chose commençait à m'échapper dans son attitude. Il s'était mis dans la tête qu'il ne repartirait pas les mains vides. Peu importe comment il obtiendrait les informations, le mieux serait de les avoir sans se dédommager.

Et là, les états d'âmes du raconteur étaient définitivement enterrés six pieds sous terre.

Le fait de me laisser seule en faisait partie. Le simple fait d'attendre que je le retienne, d'être séduisant et de le savoir, n'avait pas besoin de déduction supplémentaire.

Dans quel but cherchait-il à en savoir plus sur ma vie ? Qu'avait-elle de si important pour attirer les convoitises ? À part les jumeaux et anciennement Tom, personne ne savait ce qui m'arrivait. Est-ce que cela pouvait être un moyen de montrer qu'il s'intéressait à moi ? D'une bonne manière ?

J'étais perdue. Peut-être que la séduction y jouait beaucoup, mais personne n'avait jamais osé me poser la question. Certes, je l'avais toujours caché, mais je n'arrivais pas à le faire avec les preuves psychologiques. Les gens un minimum au courant et concernés, avaient quartier libre pour le comprendre.

Peut-être avaient-ils peur ? Peur de m'offenser ou de rentrer dans une sphère qui ne les concernait pas. Peur de se mettre en danger eux-mêmes. Peur d'aider. Les gens avaient peur d'aider de nos jours. Les gens avaient peur d'avoir peur. Aider était devenue une peur. Ils se contentaient de le faire de loin. D'avoir l'illusion de servir à quelque chose.

Et Henry avait peur. Il avait hésité avant de le demander. Il s'était senti bête en voyant que j'hésitais. Mais contrairement aux autres, il avait vaincu directement sa peur en pensant que le monde serait meilleur ensuite.

Et quelqu'un qui arrivait à vaincre sa peur, dans le but d'aider ne pouvait décidément pas être une mauvaise personne.

Je tendais alors mon bras vers lui.

- « Attendez une minute. S'il vous plait. »

Henry se retourna immédiatement.

- « Oui ? »

Je perçus une petite lueur d'espoir dans ses yeux bruns effacés. Mon hypothèse s'était avérée juste ; savoir lui tenait à cœur. Le tout, c'était d'en connaître vraiment le but.

- « Je peux savoir ce que vous essayez de faire avec moi ?

- Pardon ?

- Je ne suis pas dupe. J'ai développé de très bonnes capacités d'analyse, pour contrer ma naïveté. Mais parfois... Celle-ci perdure. »

Il m'écoutait avec un certain intérêt. Il ne prenait pas ça à la légère, c'était encourageant. Je pus continuer ma mise en garde, de plus en plus assurée. 

- « J'ai appris que certaines choses ne méritaient pas d'être banalisées. Discerner le vrai du faux, les bonnes comme les mauvaises intentions... C'est assez difficile quand, dans le temps, on arrivait à avoir une confiance aveugle envers autrui. Du coup, c'est mon devoir de vérifier que mes propres informations ne se retourneront pas contre moi. Qu'un homme que je connais depuis seulement vingt-quatre heures est tout aussi digne de confiance qu'un ami de longue date. Et qu'une pièce d'ambiance intime, ne se transforme pas en lieu d'embuscade.

- Kerrie... Je suis désolé. Je suis parfois un peu dépassé, j'ai du mal à mesurer mes propos. J'aurais pu me douter de leur envergure, vu celle du sujet. Certes, je ne vais pas vous cacher qu'après avoir vu ça, ma curiosité va être difficile à rendormir si elle n'a pas été satisfaite. Mais je peux très bien utiliser la force pour la chasser. Je ne souhaitais pas faire resurgir votre passé, bien que cela semble plus récent que ça en a l'air. Je voulais juste m'assurer que vous alliez bien. Rien de plus.

- Vous avez des médecins dans votre entourage, Henry ? »

Il fronça les sourcils face à mon air un peu trop sarcastique.

- « Hum, pas que je sache.

- Vous semblez bien informé.

- J'ai été amené à être confronté à ce genre de cas, au cours de ma vie. »

Je hochais la tête, emmagasinant ses paroles. Il était évident qu'il n'y avait pas que les médecins pour comprendre ce genre de fléau. Tout le monde n'était pas destiné à le devenir, mais tous avaient pourtant la capacité de compréhension et d'action.

Il suffisait juste qu'ils daignent se faire entendre.

- « Ma mère est alcoolique. »

Ça semblait tellement évident. Je l'avais dit avec une telle neutralité que je m'étais étonnée moi-même. Pas une hésitation, pas un sursaut. La routine.

Je n'étais pas sûre que cette assurance malvenue ait surgi au bon moment. Elle s'amusait à ressortir en morceau quand elle le voulait, me faisant passer pour quelqu'un d'instable et d'insensible, qui n'arrivait pas à instaurer de limite.

Ce n'était définitivement pas le genre de chose qu'on laissait échapper dans une discussion banale. Et s'il ne souhaitait pas rentrer dans les détails, alors j'avais répondu à sa question. Pour le reste, le lien se ferait tout seul. Et j'espérais que ça ne porterait préjudice à personne.

Je rivais alors mon regard vers lui, afin de capter une réaction. Mais celui-ci était maintenant absent, distrait par ma couette à moitié défaite.

Ses yeux, déjà pas mal inexpressifs, semblaient totalement vides. Il assimilait doucement l'information et cherchait sûrement quelque chose à me sortir, qui ne paraîtrait pas trop osé ou maladroit.

Et lorsqu'il posa une de ses mains sur mon épaule, il devait être persuadé d'avoir trouvé.

- « Je suis désolé.

- Pourquoi ? Ce n'est pas vous qui en êtes la cause.

- Je suis désolé de ne pas y avoir pensé.

- Personne ne pense à tout ça directement.

- Sauf peut-être ceux qui ont trop d'imagination. »

Il essayait de sourire, et je l'encourageai en l'imitant. Le jour commençait à se lever et les rayons de l'aube éclairaient son visage rayonnant. Je profitais de ce moment soudainement ― et à ma grande surprise, devenu plus rassurant, pour ajouter :

- « C'est un peu bizarre.

- De quoi ?

- De l'avoir lâché aussi simplement. »

Il m'adressa un sourire malicieux.

- « C'est peut-être parce que vous vous sentez enfin en sécurité ? »

Qui sait ? Depuis cinq ans, cette sensation m'était devenue étrangère. Avec du recul, rester cloîtrée chez mon bourreau ne m'aidait certainement pas à me sentir mieux, psychologiquement parlant. Et à la fac, c'était la même rengaine. Ce n'était plus seulement une question de sécurité, mais également d'insuffisance.

Et d'argent. Toujours d'argent.

J'étais dans un nouveau repère. Nouvelle atmosphère, nouvelles têtes. Et avec mon a priori, je n'avais jamais pensé qu'il pouvait y avoir de bons côtés à la nouveauté.

- « Merci Henry. »

Le jeune brun fronça les sourcils devant mon visage béat, alors que je n'avais pas répondu à sa question. Pour l'instant, il avait respecté sa part du contrat, en ne quémandant pas plus de détails ; à moi de respecter la mienne en ne tentant pas le diable, pour mieux pouvoir protéger mes arrières et ceux de ma famille.

- « Eh bien... De rien ? Je suppose ? »

Je ne répondis rien. Cela lui éviterait sûrement de se faire sentir pousser des ailes. Si mon sort l'intéressait, il était certain que nous nous reverrions et que les choses se feraient naturellement. Puisque la patience n'avait pas l'air d'être son fort, je pouvais bien me dédommager en lui enseignant ce que j'avais appris au cours de ma vie, à ce niveau-là.

Nous nous regardions, désormais timides. Le soleil continuait de s'infiltrer entre les rainures des stores, soutenant nos regards. Nous avions fait le tour de la question, mais nous aurions aimé en trouver d'autres à poser, qui seraient, cette fois-ci, plus bon-enfant.

Mais visiblement, Henry avait déjà son idée derrière la tête.

- « Dîtes... J'aurais une petite faveur à vous demander.

- Laquelle ?

- Je crois que nous sommes à un stade suffisamment évolué dans notre relation pour nous tutoyer, maintenant, vous ne croyez pas ?

- Effectivement, je pense que tu as raison ! »

Nous ne pûmes nous empêcher de lâcher un petit rire enjoué. Ces moments chaleureux consolidaient les futurs liens que nous créerons peut-être dans l'avenir. Parce que j'avais l'impression qu'après ce que nous venions de vivre, ce soir-là, il serait impossible, par la suite, de faire comme si nous ne nous connaissions pas.

Qui sait... peut-être pourrions-nous devenir amis, dans le futur ?

Je me mis soudainement à bailler. J'avais une barre dans la tête, signe que la fatigue se faisait ressentir et que seul le sommeil pourrait remédier à cet effet secondaire.

Mais je n'avais pas envie de dormir. Secrètement, je désirais continuer de parler avec lui, jusqu'à ce que le sommeil ne m'emporte de force. Et peu importe les principes que j'avais établi, je n'arrivais pas à refouler cette émotion qui émanait de tout mon être.

Je ne voulais pas qu'il me laisse seule.

Malheureusement, mon bâillement m'avait trahie.

- « Tu es fatiguée ?

- Un peu. Mais en réalité, je ne vois pas l'intérêt de dormir, maintenant que le jour se lève. »

Il sourit. Il avait compris que ce n'était qu'une excuse.

Le ciel était maintenant orangé, et la lumière me brûlait les yeux.

- « Tu devrais dormir, sincèrement. Je ne partirai pas si c'est ça qui t'effraie. »

Je fis mine de réfléchir, même si mon côté enfantin semblait avoir repris le dessus. Mais ma fatigue semblait acquiescer ses propos, se plaçant au-dessus de tout. Elle ne tenait plus compte de l'aube, mais bien de mes paupières qui s'alourdissaient et des verres d'alcool que j'avais visiblement absorbé, il y a quelques heures.

Je n'opposais alors, pas plus de résistance et me laissai tomber mollement sur l'oreiller, sous le regard doucereux d'Henry. Le contact contre le tissu moelleux provoqua le déclic dans mon corps.

Alors que je luttais encore quelques secondes pour apercevoir Henry s'asseoir sur le bord du lit et poser sa main par-dessus la mienne, le sommeil finit par m'emporter, sans me laisser le temps de me poser de questions supplémentaires.

- « Fais de beaux rêves, Kerrie. » conclut-il délicieusement, tandis que je sombrais définitivement dans l'inconscience.

* * *

Une lumière blanchâtre vint éclairer mes paupières encore closes et explosées par la fatigue. L'aube avait disparu pour laisser place à une luminosité presque cadavérique, qui passait à travers les stores de toile de mes appartements.

Je me frottais péniblement les yeux pour me réveiller, avec la sordide impression de ne pas avoir savouré les quelques heures de sommeil qui m'avaient gracieusement été offertes. Au contraire, je me sentais encore plus fatiguée.

Mais je ne l'étais pas encore suffisamment, pour ne pas avoir remarqué l'élément manquant.

Je ne mis pas longtemps à balayer l'immense chambre du regard, pour m'apercevoir qu'Henry n'était plus là. Et même si je me doutais qu'il avait sûrement mieux à faire que de me regarder dormir, je sentis une boule se former dans ma gorge. Il m'avait dit qu'il ne partirait pas...

Ça n'aurait pas dû m'impacter autant. Pourquoi était-ce le cas ?

Je secouais la tête. C'était prévisible. Ma raison y avait cru depuis le début, mais mon envie avait visiblement pris le dessus durant mon sommeil. Et je préférais croire à l'illusion, plutôt que de penser au mensonge.

Je devais me changer les idées ; et mon premier réflexe une fois debout, fut donc d'écarter les lanières des stores, pour admirer le jour levé sous un nouvel et ultime angle.

A vue d'œil, il devait être aux abords de midi et le ciel n'avait jamais été aussi dégagé. Le soleil était à son zénith et le bruit des klaxons des voitures californiennes me stipulait catégoriquement que la sieste était terminée.

La nuit semblait m'avoir changée. J'avais beau être fatiguée et ne plus me souvenir d'une partie de celle-ci, j'étais prête à aborder la vie d'une autre façon. Après tout, cette soirée avait chamboulé mon quotidien et il serait impossible de revenir à mes habitudes, comme si rien ne s'était passé.

En réalité, je me percevais un peu comme une princesse Disney à qui l'on venait de faire un lavage de cerveau. Sans son prince. Et avec une gueule de bois. Mais ça semblait me convenir pour le moment.

Plus rien ne me retenait dans cette chambre, désormais. L'heure était venue de rentrer chez moi, pour retrouver les jumeaux. Et je n'en étais pas mécontente ; en réalité, je n'aimais pas être trop loin d'eux. Surtout qu'ils devaient se demander pourquoi je n'étais pas rentrée cette nuit.

Ils étaient pourtant les premiers à me pousser à sortir et à m'amuser. Et même s'il m'arrivait de culpabiliser vis-à-vis d'eux, je savais qu'ils étaient capables de se débrouiller seuls et de deviner la raison de mon absence.

Après tout, on l'apprenait dès l'âge de dix ans, chez les Heckwood.

Rassurée, je passais directement par la salle de bain, attachant en une queue de cheval, ma tignasse bouclée. Je nettoyais mon visage avec l'eau du robinet, défroissais ma robe et me voilà partie récupérer mon sac, pour définitivement quitter les lieux.

Quelque part, j'étais déçue de ne pas avoir pu dire au revoir à Henry, mais j'avais la sordide impression que nos chemins allaient se recroiser. Sinon, il ne se serait pas envolé de la sorte.

Heureusement, l'hôtel familial de la famille Texies n'était qu'à une trentaine de minutes des quartiers de Watts. Après quoi, j'aurais juste à me jeter sur mon lit et dormir jusqu'à la fin de la journée, pour rattraper mes heures de sommeil manquées. Ou bien jouer avec les jumeaux ; j'étais persuadée que ça leur ferait plaisir, après cette soirée imprévue !

Ce fut sur ces pensées bienveillantes, que je m'empressais de prendre mon sac, que j'avais reposé hier soir, sur l'une des chaises de la chambre. Celui-ci n'avait pas bougé ; seulement un détail différait.

Je ne mis pas longtemps à comprendre que c'était le papier qui trônait à côté, et qui ― à mon humble souvenir, n'était pas là hier soir.

Je souris. Henry n'était pas reparti les mains dans les poches, visiblement.

Kerrie,

Je suis désolé de t'avoir laissé, mais le travail m'appelait. J'ai quand même voulu te laisser un mot, pour te prouver que je ne t'avais pas abandonnée et que je ne partais pas délibérément.

Je voulais également te dire que j'avais passé un excellent moment. Cela peut paraître un peu grossier, vu la situation de nos retrouvailles, mais je suis content que tout se soit bien fini pour toi. J'essaierai de passer à ton échoppe pour prendre de tes nouvelles.

Je t'ai également réservé un taxi pour que tu puisses rentrer chez toi rapidement. Il devrait t'attendre devant l'hôtel, entre midi et midi trois quart. Le chauffeur est l'un de mes amis, tu n'auras donc rien à payer. Dis-lui simplement où tu souhaites te rendre, et il t'y amènera sans aucun problème. Quant-à la note de ta chambre, cadeau de la maison ! Les membres de l'hôtel sont au courant, personne ne devrait t'embêter avec ça. Tu auras juste à préciser ton numéro de chambre !

Eh bien... À bientôt ? Du moins, je l'espère.

- Henry.

Mes yeux parcouraient doucement chaque mot, s'attardant parfois sur une phrase qui leur tenait à cœur. Mes pommettes n'avaient, parfois, pas pu s'empêcher de remonter, sous le coup de la flatterie, et due à la générosité de la syntaxe.

Je parcourus le papier du bout des doigts, totalement absorbée. Mais l'heure sur le cadran de la chambre me ramena à la réalité. Midi trente ; le chauffeur de taxi ne m'attendrait pas éternellement.

Je remis donc la lettre dans mon sac, satisfaite, avant de quitter définitivement la chambre, non sans un dernier regard nostalgique pour celle-ci.

Cette chambre avait été mon antre pendant la nuit, et quelque part, j'y laissais une part de moi, en sachant que je ne risquais pas d'y revenir. Une part de mes souvenirs et du début de mon aventure.

Et je fermais cette porte pour mieux en ouvrir d'autres.

* * *

Voilà bientôt plusieurs minutes que j'errais dans ce dédale immense, à la recherche de l'admission. Les couloirs étaient vides, et pourtant, j'avançais d'une démarche assurée. J'étais de bonne humeur, et j'étais ravie d'aborder cette journée, de monter dans mon taxi, et pourquoi pas faire la parlote pendant des minutes entières avec le chauffeur ?

Je finis par atteindre le point voulu. Je pointais à l'accueil, sous le regard dédaigneux des réceptionnistes. Et rapidement, mon assurance commença à s'estomper.

Pendant un moment, j'avais oublié que j'étais dans l'un des plus prestigieux hôtels de South Los Angeles, et que tout le monde ne réfléchissait pas comme moi. Qu'une jeune femme enjouée, aux allures un peu négligées, avait beau avoir toutes les bonnes excuses du monde, elle resterait pourtant incomprise de cet univers, dans lequel elle semblait s'être faite embarquée contre son gré.

Mal assurée, je fis part de mon numéro de chambre à l'une des réceptionnistes, qui releva mon nom pour s'assurer de mon identité. Le tout dans la sécheresse la plus totale.

Alors que je me demandais si la fin de mon calvaire était proche, une voix me héla soudainement comme secours à mes prières.

- « Hep, mademoiselle ! »

Je papillonnais des yeux un peu partout, à la recherche de cette voix qui venait de m'interpeller, et aperçus un homme un peu enrobé, vêtu d'une chemise blanche et d'un pantalon noir, me faire un signe de la main. Il finit par venir à ma rencontre, un gobelet tiède de café à la main.

Il me dévisagea soudainement d'un œil appuyé, avant de me sourire, sans me laisser le temps de dire quelque chose.

- « Ouaip, aucun doute, tu ressembles bien à la Kerrie, qu'Henry m'a décrit tout à l'heure ! Je te pensais juste un peu moins...

- Négligée ? J'ai eu une soirée mouvementée.

- J'allais plutôt dire potiche, mais c'est vrai que tu sembles un peu vaseuse. Évite de dégueuler sur ma banquette, sinon je te ferai payer le nettoyage, ma p'tite dame !

- Ne vous inquiétez pas, je serais totalement capable de me retenir.

- Je te fais confiance. Les amis d'Henry sont mes amis ! Aller, on est parti ! »

Il me fit signe de sortir de l'hôtel, ce que je m'empressai aussitôt de faire, en prenant la peine de saluer les réceptionnistes qui m'avaient déjà tourné le dos.

Une fois dehors, il finit son gobelet d'une traite, puis se précipita sur son taxi, pour m'ouvrir la portière arrière. Je m'avançais, tandis qu'il m'adressait un sourire radieux, les yeux plissés par la lumière du soleil. Je montais dedans, et m'y installais confortablement, posant mon sac à mes côtés, tandis que le conducteur se réinstallait à sa place et tournait la clé dans le contact.

Le petit taxi vrombit, et finit par démarrer.

- « Au fait, mon petit nom à moi, c'est Yann. Pour te servir ! s'exclama-t-il soudain, une fois engagé.

- Enchantée de faire votre connaissance, Yann.

- Et où est-ce que je te dépose, alors ?

- Près de Crenshaw, ce serait parfait, merci.

- Ok ma p'tite dame ! Va pour Crenshaw ! » fit-il en appuyant sur le champignon.

Je ne tardai pas à me rendre compte que Yann conduisait assez vite, ce qui me provoqua rapidement quelques hauts le cœur.

Pour l'instant, je n'osais pas trop l'ouvrir puisque le chauffeur avait été très chaleureux, et qu'il m'avait ôté une épine du pied en me faisant sortir de cet hôtel. Sans compter l'hospitalité du trajet gratuit. Il était difficile de le reprendre sur sa manière de conduire.

Seulement, ça ne lui donnait pas tous les droits.

- « Dis donc, elle paraît bien pensive la p'tite ! C'est Henry qui te met dans tous tes états ?

- Vous êtes bien curieux. Vous devriez vous concentrer sur votre route.

- Oh t'inquiète, je conduis cette bagnole depuis des lustres, je connais les environs par cœur ! Y'a rien à craindre. Par contre, tu peux bien répondre à ma question, ça n'va pas t'tuer !

- Eh bien, je dois avouer que je l'apprécie, oui.

- Le p'tit Henry a sa côte avec les filles, il ne laisse personne indifférent ! Enfin, c'est plutôt la richesse et son nom, qui les attire comme des vautours ! Mais j'sais pas pourquoi, je sens que toi, c'n'est pas ça qui t'intéresse...

- Ah, si vous le dîtes...

- Vu les belles marques que t'as dans le cou, j'pense que t'as dû bien prendre ton pied ! D'après la rumeur, il n'est pas mauvais au lit. T'es pas tombé sur l'pire, tu m'diras !

- Yann !

- Oh désolé, ça n'm'r'garde pas...

- Ce n'est rien. »

Je rivais immédiatement la tête par la fenêtre, les joues brûlantes. Le défilement des buildings m'apaisa momentanément face aux remarques et à la conduite de Yann. Je me contentais de regarder les passants pressés marcher sur le trottoir. Et dans la foule, je m'amusais à chercher Henry, même en sachant très bien qu'il n'y serait pas.

Je me demandais vraiment comment Yann et lui étaient devenus amis. Ils semblaient vraiment venir de deux mondes différents, au point de se creuser la tête pour chercher les points communs qu'ils pourraient avoir.

Seulement, fouiller la vie privée des autres n'était décidément pas mon point fort. Mieux valait ne pas s'engager sur ce terrain-là.

Je retirais ce que j'avais dit ; visiblement, faire la parlote avec le chauffeur semblait un peu tiré par les cheveux.

Mais je devais avouer que ce qu'il avait laissé échapper à propos d'Henry, ne m'avait pas laissé de marbre. Voilà que j'étais comparée à une croqueuse de diamants, alors que rien de tout ça ne m'était jamais passé par la tête. Tout s'était fait dans le plus grand des hasards, sans que je ne sache rien et que je ne puisse rien contrôler.

"Je sens que toi, ce n'est pas ce qui t'intéresse". Ce fut la phrase qui me berça dans mes illusions. Si Yann était aussi ami avec Henry qu'ils le prétendaient tous les deux, je pouvais bien essayer de lui faire confiance. Et je n'avais plus qu'à attendre la venue d'Henry au magasin. Après tout, je n'avais plus rien à perdre.

La voiture freina d'un seul coup, et Yann éteignit le contact. J'étais arrivée au quartier de Crenshaw, là où se trouvaient ma faculté et mon échoppe de fleuriste. Je me réservais le trajet en bus jusqu'à Watts, pour avoir un tête à tête avec mes pensées. J'aimais bien ces moments, ils me permettaient de faire le point. Et après cette soirée, j'en avais bien besoin !

De plus, vu la conduite de Yann, je n'étais pas mécontente de monter dans les vieux bus de ville, pour terminer ma route.

- « Voilà mademoiselle est arrivée à bon port !

- Merci Yann, ce fut un plaisir.

- Y'a pas d'problème la miss ! J'espère que j'aurais la chance de pouvoir te revoir bientôt !

- Pourquoi pas, au revoir ! Et merci. »

Je sortis de la voiture, en lui faisant un geste machinal de la main, en guise d'adieu. Sa voiture ne tarda pas à repartir, pétaradant jusqu'à disparaître au coin de la rue.

Ce Yann était un drôle de personnage. Assez avenant, extravagant ; trop dans le genre. Il semblait passer au-dessus de toutes les conventions sociales, ce que l'on pouvait admirer ou tout simplement détester.

Je souris. Peut-être que c'était ça le point commun qu'ils avaient avec Henry. Arriver à trouver du bonheur, dans un monde qui ne leur convenait pas. Et dans ce cas, je ne pouvais qu'admirer le personnage de Yann.

Ce fut avec ces pensées dans la tête que je me dirigeais vers l'arrêt de bus, pour enfin rentrer chez moi, avec les idées de me jeter sur mon lit ou de prendre une bonne douche qui ne me quittaient plus.

* * *

Trente minutes plus tard, me voilà arrivée à Watts. Il était treize heures trente lorsque je trouvais encore la force de monter les escaliers de mon immeuble, jusqu'au quatrième étage, mon lit comme seule motivation.

Je tournais la clé dans le verrou de la porte, et fis irruption dans l'appartement.

- « Les enfants ! Je suis rentrée ! » chantonnai-je.

Personne ne me répondit. Je fronçais subitement les sourcils, avant de m'attarder plus en détail sur le silence de mort qui régnait dans l'appartement. Bientôt, une étrange odeur de renfermé vint surplomber mes narines, aggravant l'ambiance macabre de cette pièce sombre, qui ne m'avait encore rien dévoilée.

La maison était plongée dans l'obscurité. Les volets étaient fermés et il n'y avait toujours aucun bruit, depuis que j'avais fait part de ma présence.

J'allumais alors la lumière du vestibule. Sa faible lueur éclaira simplement le pallier, mais je ne voyais toujours aucun signe de vie, dans le salon ou les chambres alentours.

Je commençais à m'inquiéter un peu.

- « Nina ? Esteban ? Vous êtes là ? »

Toujours rien. Je n'avais peut-être pas crié assez fort ? Habituellement, cela suffisait à faire accourir les jumeaux jusqu'à moi, tant ils détestaient rester ici, seuls et cloîtrés toute la journée. Ils étaient forcément ici, quelque part.

M'en voulaient-ils d'être sortie, le temps d'une soirée ?

- « Les enfants, c'est moi. Je suis désolée de ne pas avoir été là hier soir, promis, je vais tout vous expliquer !

- Kerrie... C'est vraiment toi ? »

Une réponse, enfin, dieux soit loué !

- « Nina ? Vous ne pouvez pas répondre quand je vous parle ? Je commençais à m'inquiéter ! Vous pouvez m'expliquer pourquoi vous êtes plongés dans le noir ? Vous n'avez pas ouvert les volets, depuis ce matin ?

- Tu es seule ?

- Oui, je suis seule. Pourquoi ?

- Tu me le promets ?

- Mais oui ! Qu'est-ce qui se passe ? »

Face à mon avènement, Nina alluma la lumière du salon, pour pouvoir me laisser admirer le triste spectacle.

Le salon était sans-dessus dessous. Tous les meubles faciles d'accès avaient été renversés. La table basse était détruite et l'un des carreaux de la fenêtre était brisé.

Nina se trouvait face à moi, calme et haletante. Elle avait des rougeurs au niveau du visage et des bleus sur l'épaule. Et elle paraissait en état de choc.

Quant-à Esteban, il n'y avait aucune trace de lui dans la pièce.

J'étais sans voix. J'étais vraiment loin de m'attendre à ça, en faisant irruption chez moi. Et les plans de me coucher dans mon lit, étaient désormais bien loin.

- « Nina... Mais qu'est-ce qui s'est passé ici... Et où est ton frère ?

- La génitrice... Elle te cherchait hier soir, sauf que tu n'es pas rentrée. Je ne l'avais jamais vue aussi énervée, on aurait dit qu'elle voulait te tuer. Esteban a voulu prendre ta défense, et... tout s'est très mal terminé. »

Elle fut incapable de dire un mot de plus ; elle commença à étouffer des sanglots, haletant de plus en plus, sans pouvoir s'arrêter. Je me dirigeais alors vers elle, et la prit dans mes bras. Comprenant la gravité de la situation, j'essayai de garder mon sang-froid pour ne pas l'alarmer davantage.

Mon geste la calma quelque peu, tandis qu'elle semblait reprendre sa respiration. Voilà qu'elle venait de vider toutes les émotions fortes qu'elle ressentait depuis hier soir, incapable d'avoir pu le faire plus tôt.

Maintenant que c'était fait, je pouvais donc espérer lui soutirer quelques informations, sans risquer de la brutaliser.

- « Maintenant, dis-moi. Est-ce qu'Esteban est... ? demandais-je en lui soutenant les épaules.

- Non il n'est pas mort. Je me suis occupée de lui toute la nuit et il a tenu le coup. Mais on ne peut pas attendre plus longtemps. Il faut aller à l'hôpital.

- Où est-il ? »

Nina soupira, et me désigna du doigt la table renversée. Je me dirigeais vers celle-ci, et vit derrière, coincé, un petit corps en boule, inerte.

Mon sang se glaça instantanément.

Tout ceci avait un incroyable air de déjà-vu. Le cauchemar recommençait.

- « On est désolés Kerrie... Vraiment désolés, s'avança Nina. On a vraiment fait tout ce qu'on a pu. Mais elle a commencé à s'en prendre à Esteban, en voyant qu'il lui faisait barrière. Dès que j'ai vu ça, j'ai essayé de l'aider, mais elle m'a rapidement remise à ma place. Elle a fini par nous insulter, vis-à-vis de notre père, disant qu'elle n'avait jamais voulu de nous, et qu'elle ne nous avait jamais aimés. J'ai essayé de me raisonner en me disant qu'elle avait bu, mais je n'en pouvais plus d'entendre tout ça. Et les cris devenaient d'Esteban devenaient insupportables... »

Elle secoua la tête, les larmes perlant au coin de ses yeux, tandis qu'elle zyeutait la cuisine d'un air apeuré.

Je portais soudainement ma main à ma bouche, totalement abasourdie.

- « Non... Ne me dit pas que tu as fait ça.

- Je voulais juste qu'elle arrête... Je voulais juste qu'elle s'en aille et qu'elle laisse Esteban tranquille. Je savais très bien que je n'aurais pas été capable de quoique ce soit.

- Mais tu te rends compte dans quelle position tu t'es mise ? Tu sais comment elle peut réagir ! Toi tu ne l'aurais pas fait, mais elle oui. Elle en est totalement capable, lorsqu'elle n'est pas maîtresse de ses émotions, murmurai-je.

- Je sais, mais je crois que je ne regrette pas ce que j'ai fait. Elle s'en est prise à mon frère. Elle lui faisait du mal. Et c'était vraiment insoutenable. J'avais l'impression que ma tête allait exploser. »

Je soupirai. Voilà où nous en arrivions aujourd'hui. Des enfants, forcés de survivre dans leur propre maison. Des enfants, assurant leurs arrières, au lieu d'assumer leur joie de vivre. Des enfants hurlant, non pas pour leurs propres bêtises, mais parce qu'ils avaient déjà peur des difficultés de la vie.

A l'âge de dix ans, à l'heure du coucher, on apprenait à survivre à ce qui nous arriverait ensuite. Et pas pour le jour même ; des années et des années plus tard.

- « Je comprends totalement, Nina. »

Elle baissa la tête, dépitée.

- « Si ça peut te soulager, elle ne s'est pas laissée faire. Ces bleus sont plus vrais que nature. Mais elle a fini par partir. D'ailleurs, on devrait tous partir, et se mettre en sécurité. A l'hôpital.

- Mais avec quel argent, Nina ? Nous n'avons pas d'assurance et suffisamment d'argent pour pallier aux soins qu'il doit recevoir.

- Je pense qu'Esteban comprendra plus tard que sa vie est plus importante que de nous placer dans un internat.

- Attends... Quoi ?

- Je suis au courant, Kerrie. La génitrice n'avait que ce mot à la bouche. Cet argent caché, cet argent volé... J'ai rapidement compris.

- Je ne peux pas piocher dans cet argent ! Je suis encore très loin du compte, et si je donne tout, ce sera encore insuffisant si Esteban a besoin d'une quelconque opération. Vous ne pourrez pas aller en internat, la génitrice recommencera et je n'aurai plus d'argent ni pour l'hôpital, ni pour l'internat. Il doit forcément y avoir une autre solution...

- Une autre solution ? Laquelle ? Le laisser mourir derrière la table ?»

Elle me désigna le petit corps d'Esteban, toujours recroquevillé et inerte. J'esquissais un frisson d'horreur. Le temps pressait et l'argent manquait.

Mais Nina avait raison. Une vie valait bien tout l'or du monde. Surtout celle d'Esteban.

- « Ok, t'as raison ; on y va. On improvisera là-bas, en priant pour que ce soient des blessures superficielles. »

Elle hocha la tête, et essuya les larmes qui perlaient à ses yeux, légèrement rassurée. Je lui fis signe de venir m'aider à bouger la table, pour avoir une meilleure prise sur le corps d'Esteban, et le hisser sur nos épaules.

Tandis que nous l'écartions lentement, son bras retomba mollement sur le sol. J'en profitais pour river deux doigts contre son poignet, pour m'assurer qu'il y avait encore un espoir.

Mon soupir de soulagement rassura ma petite-sœur, à son tour.

- « Il y a un pouls ! »

Elle ne put s'empêcher de souffler de contentement, jusqu'à ce que je lui demande de m'aider à transporter notre frère. Nous finissions par hisser son corps inconscient, sur nos deux épaules, avant de visualiser le trajet ; dix minutes de marche nous séparaient désormais de l'hôpital.

Ça pouvait le faire. Il fallait que ça marche, de toute façon.

- « Et maintenant, on fait quoi ? demanda Nina.

- On le porte, jusqu'à l'hôpital de Watts, pas le choix. Il sera en sécurité là-bas, et nous aussi. Je te le promets. »

Elle se contenta de hocher la tête, tandis que sortions du petit appartement, Esteban sur nos épaules. Après avoir descendu les quatre étages d'escaliers, non sans un petit halètement, nous respirions avidement.

J'étais déjà à bout de force, et je voyais bien que Nina prenait sur elle pour ne pas craquer. C'étaient simplement des gosses de dix ans à qui la vie avait déjà tout appris. Chaque jour, j'avais l'impression de redécouvrir avec eux, chaque épreuve que ma mère m'avait fait endurer à leur âge, tel un cercle vicieux.

Et plus j'avais grandi, plus ces épreuves étaient devenues éprouvantes, me forçant à acter des forces et des réactions que je ne pensais pas avoir un jour. Et tout ça dans l'unique but de survivre et ne pas voir le monde s'écrouler autour de moi.

Je ne voulais pas qu'ils vivent la même chose, mais que pouvais-je faire de plus ? J'étais devenu un dommage collatéral, une simple spectatrice, désormais.

J'aurais dû être là cette nuit. Les protéger, comme je l'avais toujours fait. Les protéger de ce qu'il ne fallait surtout pas qu'il connaisse.

Et au lieu de ça, je m'étais forcée à être quelqu'un que je n'étais pas, dans l'unique but de satisfaire une image qu'Edwige souhaitait voir, pour finir par me faire aider par un homme qui ne vivait pas dans le même univers que moi.

J'avais essayé de m'occuper de moi. Une seule fois. Je pensais avoir le droit d'être égoïste, mais j'étais visiblement impardonnable. Il existait visiblement des gens qui étaient nés pour ne jamais pouvoir se tourner les pouces, avec le devoir de savoir gérer ce trop-plein de chose dans leur tête. Et malheureusement, celle-ci ne suivait plus

Que devais-je faire ? Subir ce cercle vicieux toute ma vie ?

- « Kerrie, ça va ? T'es prête à repartir ?

- Oui... Allons-y. »

Nous continuâmes notre route, jusqu'à l'hôpital essayant de faire tout le chemin dans la foulée. Durant le trajet, nous n'avions pas beaucoup parlé. La situation ne le préconisait pas, mais je savais que Nina était encore sous le choc. Elle avait tout enchaîné, sans avoir la chance d'évacuer son stress, gardant la tête froide avec l'espoir comme seul appui. Et je pressentais que la retombée serait spectaculaire.

Je sentais soudainement une pointe de culpabilité m'envahir. En effet, nous n'avions pas l'habitude de nous retrouver toutes les deux. Esteban était beaucoup plus avenant et n'hésitait pas à me demander mon avis, dès qu'un sujet le turlupinait.

Nina était plus réservée, plus solitaire, bien qu'elle ne refusait jamais de participer aux activités. Mais elle préférait tout de même se faire sa propre idée avant de parler. Et généralement, j'avais du mal à savoir ce qu'elle pensait.

Visiblement, nos moments privilégiés commençaient là où l'on s'y attendait le moins.

Nous arrivions rapidement à l'hôpital de Watts. Nous fûmes pris en charge rapidement par une infirmière qui, en voyant l'état d'Esteban, nous attribua un lit d'emblée.

Pendant plusieurs minutes, elle lui nettoya ses plaies et lui fit quelques points de sutures. Elle en profita pour nettoyer Nina également, mais l'état de son jumeau était beaucoup plus critique. Et d'ailleurs, celle-ci ne se gênait pas pour le soulever à la moindre occasion.

- « Est-ce qu'il va se réveiller ?

- Nous allons lui faire des scanners pour savoir s'il n'y a rien de grave. Pour l'instant il est stable, mais j'ai peur qu'il ne le reste pas très longtemps. Pouvez-vous nous dire ce qu'il s'est passé, s'il vous plait ?

- Eh bien, je euh... Je n'étais pas présente, je pense que la petite le sait mieux que moi. Mais c'est un sujet assez délicat...

- Kerrie Heckwood ? »

A l'entente de mon nom, je me tournais immédiatement vers mon nouvel interlocuteur, à l'appel si familier.

Je marquais un temps d'arrêt, avant de regarder la personne qui venait de me parler, droit dans les yeux.

J'aurais donné cher pour ne jamais croiser ce regard, ou même ce personnage, qui n'avait pas tardé à me reconnaître, et qui n'en perdait pas une pour me juger sévèrement, à chacune de nos entrevues. Des entrevues qui ne plaidaient pas en ma faveur.

Oui, malgré tout, je restais debout. Et dieu sait à quel point j'avais envie de m'enfuir maintenant, comme je l'avais toujours fait. Mais là, j'avais trop marché pour pouvoir bouger.

* * *

Coucou tout le monde. *Regarde depuis combien de temps elle n'a pas écrit la suite, et se tire une balle* Quatre mois ? Huu, on va faire comme si de rien n'était... Désolée pour le retard. :-(

J'espère que ce chapitre vous aura plus, n'hésitez pas à me dire ce que vous en avez pensé en commentaire et qui est la personne dont les yeux de Kerrie ont croisé le regard. Celui qui trouve... Est très fort !

Aller bisous, et à bientôt pour un prochain chapitre !

#C.

{Musique en média : Wasting my young years - London Grammar}

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