IX
L.A, 15 mai 2000.
*Flash-back : 25 décembre 1993*
Nous étions le matin de Noël, et la famille Questz nous avait invité tous les quatre à venir partager le réveillon avec eux.
Du plus loin que je me souvienne, ce moment m'avait permis de souffler un peu. Lorsque ma mère était en présence d'Erica, je savais qu'elle n'osait pas trop tenter le diable. Ainsi, cette soirée avait fait partie de l'une des rares où elle avait été tellement sobre, qu'on aurait pu lui donner le bon dieu sans confession.
Ma mère était devenue ingérable. Il fallait toujours garder un œil sur elle, vérifiant qu'elle n'usait pas de ruses pour partir se détruire intérieurement de son plein gré. S'adapter également à ses humeurs changeantes, priant pour qu'elle ne soit pas trop en colère, au risque de le payer très cher.
Trois enfants à la maison avait dépassé la limite de la contrainte à ses yeux. Nina et Esteban étaient trop jeunes pour se prendre en main, ou même comprendre quoique ce soit. Ainsi, pour ne pas apeurer les enfants, tout en évitant de contrarier ma mère, il fallait quelqu'un pour faire le tampon. Quelqu'un au cœur des événements et capable d'avoir suffisamment de recul, pour permettre à tout ce stress de s'évacuer, en ne pouvant tout de même pas s'empêcher de se sentir coupable de la laisser descendre ses bouteilles, dans le seul et unique but d'éviter ses foudres et ses coups.
Elle n'en était plus à sa première fois, laissant la peur élire définitivement domicile en moi. Les Questz essayaient alors d'apaiser mon corps et mon âme, tandis que je faisais pression sur eux pour continuer d'entretenir le secret. Le foyer d'accueil tournoyait au dessus de ma tête comme une épée de Damoclès, et je ne voulais pas être séparée de Tom, qui était le seul mur porteur de mon taudis.
En voyant la détresse dans laquelle je me trouvais, Erica avait décidé de mettre les pieds dans le plat, afin d'être plus présente pour ma mère, quitte à parfois se battre à sa place. Elle essayait de la responsabiliser, de la sociabiliser ; de lui faire comprendre ce que représentait vraiment la vie d'adulte et que celle-ci n'était pas forcément emplie que de mauvais côtés.
Erica avait travaillé d'arrache-pied pour lui trouver un job de vendeuse, la préparant à passer un entretien correctement. Cela lui avait occupé l'esprit pendant un moment, au point qu'elle réussissait à contrôler ses colères et autres excès. Ce qui me rassurait un peu, me permettant de réaliser, ô combien j'avais de la chance d'être si bien entourée.
Et tout ça, je le devais à Tom. Il avait toujours été fidèle à sa parole, n'hésitant pas à se démener, quitte à impliquer ses parents. Parce qu'à défaut d'avoir une situation familiale médiocre, l'amicale ne s'était jamais aussi bien portée.
... Ah oui, mes sentiments. Voilà que je m'étais résignée à croire qu'il s'agissait juste d'une expérience qui n'avait aboutie à rien de concret. Il n'y avait jamais donné suite, et ce que j'avais pensé être un début de romance, n'était rien de plus qu'une idée qui avait germé, puis fané dans ma tête.
Ainsi, le semblant d'ambiguïté qui avait perduré pendant un temps s'était totalement estompé au fur et à mesure des mois et des années. A contrario, notre amitié s'était renforcée ― au plus grand bonheur de Tom, qui avait craint qu'elle n'ait été gâchée à la suite de ce baiser.
Du moins, c'était ce dont j'avais essayé de me convaincre depuis maintenant deux ans.
Il ne voulait pas de moi dans ce sens-là. Parce que les occasions n'avaient pas manquées pour aborder le sujet.
Déjà deux ans. Le temps passait, mais les souvenirs restaient toujours aussi proches. Pour moi, ils semblaient avoir de l'importance, mais ils ne pourraient jamais être exploités si les deux côtés n'arrivaient pas à trouver un terrain d'entente.
Nous n'en avions jamais reparlé, à mon plus grand regret, nous contentant de faire comme si de rien n'était. Nous avions donc repris le cours de notre vie, continuant de nous amuser ensemble, et parlant pendant des heures d'une tonne de sujet possible, afin de pouvoir nous aérer la tête de tous nos problèmes.
Et après avoir vu le temps s'écouler sans abîmer les souvenirs, j'avais fini par me convaincre que c'était peut-être mieux comme ça. Que certaines choses valaient mieux d'être gardées au chaud, dans notre mémoire ou notre jardin secret.
Nous en étions là ; le matin de Noël 1993. Tom et moi avions douze ans, et c'était le premier véritable Noël que nous passions ensemble. Bien que nous soyons dans le même collège, et que nous ayons pas mal de copains, nous aimions bien avoir nos petits moments privilégiés, que ce soit à l'intérieur ou à l'extérieur de l'école.
Comme ce matin là.
Nous nous étions levés en avance, même en sachant catégoriquement que nous n'avions pas le droit de toucher aux cadeaux avant que nos parents ne soient debout. Et même si l'envie de désobéir nous titillait violemment, nous avions décidé d'apaiser cette pulsion en partant nous préparer un chocolat chaud dans la cuisine, pour faire passer le temps.
Alors que Tom était en train d'essayer de deviner ce qui pourrait éventuellement l'attendre sous le sapin, je me surpris à me défiler mentalement de la conversation, me demandant si j'allais avoir quelque chose pour Noël, cette année.
En effet, le précédent réveillon me restait encore en travers de la gorge. Le seul cadeau auquel j'avais eu droit fût un petit moment privilégié mère-fille, que cette dernière avait probablement oublié, tout comme le reste de ses souvenirs de la soirée.
En réalité, le Noël classique n'avait jamais signifié grand chose à mes yeux. Je n'avais d'ailleurs pas cru au père noël très longtemps ; en particulier lorsque j'avais pris conscience que mon père noël à moi était bien plus pauvre et indifférent que les autres, au point qu'il finisse par un jour transformer son jour en un jour banal et sans grand intérêt, avec ni surprise et ni magie à la clé.
Il n'y avait que lorsque je me rendais au marché de noël avec Tom, que mes rêves éteints de petite fille semblaient se rallumer. Nous passions ainsi le plus clair de notre temps à nous goinfrer de sablés, parcourant les étales décorées de guirlandes lumineuses, jusqu'à atteindre l'énorme sapin de la ville, où nous attachions nos vœux en papier pour l'année à venir. Parfois même, il neigeait, et nous ne pouvions pas résister à une bataille de boule de neige pour achever cette superbe journée.
Je n'arrivais pas à me souvenir d'autres définitions pour expliquer Noël. Mais celle que Tom me proposait chaque année semblait me convenir ; peu importe si mon vœu dans le sapin se réalisait, ou pas.
J'avais alors appris à ne plus me faire de fausse joie. J'y étais habituée, bien que passer Noël chez les Questz soit plutôt une bonne surprise en soi. Mais regarder mon meilleur ami déballer ses cadeaux avec son enthousiasme habituel suffirait sans aucun doute à me satisfaire.
- « En attendant, je me demande vraiment si je vais avoir ce que j'ai commandé ! s'exclama soudainement Tom.
- Ah, tu as commandé quelque chose en particulier ?
- Oui ! Et c'est une surprise !
- Sûrement ! ricanai-je. C'est bien pour ça qu'on appelle ça un cadeau, idiot !
- Oh, je ne le disais pas dans ce sens... ! »
J'avais cru capter un clin d'œil de sa part. Seulement, je m'étais promis de ne pas espérer quoique ce soit, aussi préférai-je croire sur le moment que j'avais mal vu.
Il remuait la tête, surexcité, faisant bouger ses mèches blondes en désordre sur son cuir chevelu et le haut de son front. Pour essayer d'oublier ce que je venais sans doute d'imaginer, je me concentrai sur une bouclette rebelle, qui rebiquait à côté de son oreille et lui donnait un air malicieux. Seulement, je captai rapidement un de ses regards curieux, aussi me recentrai-je rapidement sur ma tasse de chocolat.
Que pouvait signifier ce clin d'œil, dans une situation qui ne me concernait pas aux premiers abords ? Avait-il un cadeau pour moi ? J'avais beau me creuser la tête, je ne me souvenais pas lui avoir demandé quoi que ce soit. Pourtant, le simple fait d'avoir réussi à me trouver un cadeau me remplissait de culpabilité, parce que je n'avais rien d'autre à lui offrir que ma présence chez lui.
Oh, et puis... Ce n'était sûrement rien de plus qu'un clin d'œil !
Des pas se firent soudainement entendre dans les escaliers, dispersant mes dernières questions existentielles, et les sautillements de Tom. Ce dernier se redressa, tendant l'oreille pour savourer le plaisir d'écouter ses parents se rapprocher, sonnant désormais l'heure de l'ouverture des cadeaux.
En effet, Tyler et Erica finirent par apparaître dans l'encadrement de la porte avec chacun l'un des jumeaux dans leurs bras. Seulement, bien que la fatigue d'un réveil précipité ne perdure encore sur leurs visages, j'arrivais à deviner qu'elle n'était pas la seule raison de leur petite mine.
Mais c'était Noël, aujourd'hui. Personne n'avait le droit d'être triste, et surtout pas leur fils.
- « Bonjour les enfants ! Bien dormi ? demanda Tyler.
- Non, pas du tout ! On était trop excité, on n'en peut plus d'attendre ! On peut aller ouvrir les cadeaux, maintenant ? supplia Tom, en sautillant.
- Eh bien, je crois qu'on ne va pas te retenir plus longtemps mon chéri, s'exclama Erica. D'ailleurs, les jumeaux ont l'air tout aussi excités que vous ! Pas vrai les enfants ? »
Nina et Esteban se mirent à crier de joie lorsque les deux parents leur dévoilèrent un panorama complet sur le salon enrubanné, depuis l'encadrement de la porte de la cuisine. De plus, c'était presque si Tom ne s'était pas joint à leur hurlement d'enfant.
Il ne put même se retenir plus longtemps ; il se leva d'un bond et commença à m'entraîner avec lui, en direction du sapin clignotant. Seulement, au moment où je passais devant les parents du petit blond, je ne pus m'empêcher de me détacher de lui en voyant leur air devenir assez implorant.
Mon intuition s'était avérée juste.
- « Ta mère ne se sent pas bien, elle ne descendra pas immédiatement. » déclara brusquement Tyler, en mettant directement les pieds dans le plat.
Je me contentais de hocher la tête. J'aurais aimé que cette idée ne me traverse pas l'esprit, bien que je sache expressément que les bonnes choses étaient trop belles pour pouvoir durer.
- « On ne va pas dire que c'est l'habitude qui manque.
- Nous sommes vraiment désolés, Kerrie...
- Ce n'est pas de votre faute... On ne peut pas passer notre temps à surveiller le moindre de ses faits et gestes.
- Je t'assure que nous faisons tout ce qui est en notre pouvoir pour la sortir de ce cercle vicieux, mais il faut croire que c'est plus compliqué que prévu, soupira Erica.
- Ne vous en faites pas, vous faites déjà bien assez. Je peux difficilement vous demander plus, et je doute que cela fonctionne.
- Kerrie, qu'est-ce que tu fabriques ? Dépêche-toi ! »
Tom était revenu dans notre champ de vision, trépignant d'impatience. Je savais que ce moment lui tenais à cœur, et j'avais définitivement besoin de le voir heureux pour réussir à chasser ces nouveaux coups d'anxiété qui venaient de naître dans mon estomac.
Je jetai un coup d'œil à ses parents, qui m'adressèrent un sourire qu'ils essayaient de rendre confiant, et qui stipulait que j'avais peut-être enfin le droit de prendre du temps pour moi, sans culpabiliser en retour.
Cela suffit à me rassurer, et je récupérai donc assez de force pour pouvoir me lancer aux trousses de mon meilleur ami.
Alors que je lui emboîtais le pas, celui-ci s'était déjà mis à genoux devant la quinzaine de paquets qui l'attendait sous le sapin. Ses parents ne tardèrent pas à nous rejoindre, tandis qu'il s'était déjà saisi d'un cadeau et commençait à en déchirer le papier.
Tyler et Erica rirent devant sa frénésie. Son comportement était apparemment le même à chaque Noël, et j'acceptais volontiers de le croire ; il avait tendance à être également aussi vif, au collège.
Alors que la quasi-totalité des paquets étaient pour Tom, celui-ci venait de mettre fin à sa frustration en inaugurant son premier cadeau, se retrouvant ainsi nez à nez avec une nouvelle Gameboy toute neuve.
- « Oh, trop cool, je la voulais absolument ! Merci beaucoup !
- On compte sur toi pour ne pas trop en abuser !
- T'inquiète ! »
Il ne s'arrêta pas dans sa lancée, s'emparant déjà d'un deuxième paquet. Ce petit manège dura près d'un quart d'heure, alors que la Gameboy avait laissé place à des cartouches de jeu, des baskets neuves, ou encore une nouvelle montre.
Tyler et Erica s'étaient également échangé réciproquement leurs cadeaux, pour se voir remettre en main propre un parfum de créateur, ainsi que le tout nouveau téléphone portable sorti quelques mois plus tôt.
J'avais fini par prendre place sur le canapé, sirotant silencieusement ma tasse de cacao, en les regardant être happés par leurs nouveaux présents. Je n'avais pas l'habitude de voir ce genre de spectacle, et j'étais ravie de constater que les Questz semblaient heureux avec pas grand chose, rêvant secrètement de pouvoir m'incruster dans leur petit rituel.
Pourtant, à chaque goulée de chocolat, le nombre de paquet diminuait avec ma bonne humeur. Surtout lorsque j'aperçus les jumeaux en déballer un qui leur était spécifiquement destiné, de la part d'un père noël bien trop généreux. Et lorsqu'ils en sortirent une nouvelle peluche chacun, non sans avoir trimé à déchirer le papier avec leurs doigts, mon cœur se serra à l'entente de leurs cris de surprise, accompagnés leurs petites mines hébétées qui ne comprenaient pas pourquoi ils recevaient un tel cadeau.
Il n'y avait pas l'air de rester quelque chose pour moi. Les dessous du sapin étaient quasiment déserts ; du moins, suffisamment pour avoir à nouveau éteint mes espoirs.
Je semblais me fondre dans le paysage. J'étais devenue aussi vide que ces papiers cadeaux déchirés, ou que le sapin clignotant, qui n'aurait maintenant plus aucune utilité avant le Noël prochain.
Tom était désormais absorbé par ses nouveaux jouets, et essayait déjà d'ouvrir ses cartouches de jeu, pour en insérer une dans sa Gameboy. Tyler et Erica étaient trop occupés à ne voir qu'eux, et les jumeaux étaient obnubilés par leur nouvelle peluche.
C'était toujours un peu difficile d'être évincée de ce genre d'activité ; de ne pas pouvoir comprendre, et de ne même pas en avoir eu l'opportunité. D'ailleurs, le simple fait de s'attendre à recevoir une quelconque surprise relevait de l'égocentrisme absolu, et mes désillusions m'avaient bien punie.
Foutu clin d'œil ! Je détestais encore plus Noël, maintenant.
Alors que je buvais la dernière gorgée de mon chocolat chaud, je constatais qu'il ne restait plus qu'un seul cadeau sous le sapin. A vue d'œil, le paquet semblait plutôt lourd ― de la forme d'une grande malle. Comme personne ne se jetait dessus pour l'ouvrir, il devait certainement être pour Tom, déjà parti lire la notice de jeu d'une de ses cartouches. Et j'étais maintenant songeuse de connaître son attrait pour un cadeau à la forme si atypique.
- « Il te reste encore un cadeau, mon chéri ! » finit par lui héler sa mère.
Tom tourna immédiatement la tête vers le sapin, puis se mit à sourire à la vue de ce paquet. Il s'était désormais totalement désintéressé de ses nouveaux jouets.
- « Ah oui ! Et je voudrais l'ouvrir avec Kerrie ! »
Je relevais lentement la tête, avant de m'apercevoir que les Questz n'avaient pas oublié mon existence. Ils m'adressaient désormais ce même sourire bienveillant, qui arrivait parfois à me faire reprendre espoir dans ces situations désespérées. Un peu comme tout à l'heure, lorsqu'ils m'avaient rappelé que tout irait bien ; que tout continuerait d'aller bien.
Cela ressemblait encore à un mensonge.
Tom me demanda de le rejoindre, et je me surpris à obéir presque trop facilement. N'étais-je pas censée lui en vouloir de m'avoir oubliée, dans ce moment qu'il disait pressé de partager avec moi ? Sûrement. Mais je savais aussi que je ne perdais pas espoir de vivre ce petit moment magique avec lui, que j'appelais communément Noël. Et que ce foutu clin d'œil serait la clé de ma nouvelle définition, m'empêchant de haïr définitivement cette fête.
Désormais derrière le sapin, je m'asseyais silencieusement en tailleur en face de Tom, qui peinait à installer le cadeau entre nous, visiblement très lourd. Je le regardais faire son transfert, avant de constater du coin de l'œil que tout le monde faisait mine de s'être trouvé une occupation, me confinant dans un moment intime avec mon meilleur ami.
Il finit par s'asseoir définitivement, tandis que se tenait entre nous cette grosse boîte rectangulaire, proprement enrubannée. Un présent qui aurait au moins dû attiser ma curiosité, mais qui n'en fit rien ; je me contentais de la regarder, sans réellement comprendre pourquoi je me trouvais derrière ce sapin, à l'abri des regards.
Un comportement qui ne passa pas inaperçu aux yeux de Tom, qui fut soudainement empli d'une pointe de culpabilité.
- « Désolé, je n'avais pas vu le temps passer... Mais je vais me rattraper, tu peux compter sur moi !
- Mouais. Là, j'ai plutôt l'impression que tu enfonces le couteau dans la plaie. »
Je désignais sèchement le paquet d'un coup de menton, qui commençait presque à devenir insignifiant. Peut-être bien que finalement, je n'avais pas été pleinement satisfaite de deviner quels cadeaux se cachaient sous les papiers. J'avais arrêté de compter depuis un certain moment, pour pouvoir me concentrer uniquement sur mon égocentrisme absolu.
Et Tom paraissait réellement attristé, à présent.
- « Je ne veux pas te narguer en ouvrant l'un de mes cadeaux devant toi. Disons que c'est toi qui m'a inspiré celui-ci, et que je veux que tu comprennes pourquoi. »
Je fronçais les sourcils, tandis qu'il me faisait signe de l'aider à déchirer le papier cadeau avec lui, pour avoir les réponses aux questions qui me venaient en tête. Pourtant, je finis tout de même par poser une mainhésitante sur le paquet.
A deux, le cadeau fut rapidement mis à nu, dévoilant à présent une sorte de mallette géante, qui ressemblait étroitement à celles que pouvaient posséder les futurs médecins.
Quoiqu'il en fût, ça n'avait en rien l'aspect d'un cadeau typique pour un enfant de douze ans. Et une fois ouverte, le contenu de la mallette était tout aussi étrange que sa forme sous le papier.
Je sentais le regard de Tom peser sur mes épaules. Il guettait mon avis imminent, mais ne tarda pas à s'inquiéter, en voyant que je tardais à réagir.
- « Alors... ça te plaît ? demanda-t-il, la voix pleine d'espoir.
- Hum... Je ne sais pas. C'est bien ce à quoi je pense ?
- Oui, c'est une mallette de médecin ! Normalement, elle est réservée aux adultes, mais j'ai fait pression sur mon père pour qu'il joue sur ses relations, et qu'il accepte de m'en rapporter une. Il avait l'air ravi que je m'intéresse à la médecine, alors je suis content de voir qu'il m'a fait cette faveur.
- Mais ça va te servir à quoi ? Je ne sais pas, on jouait au malade et au docteur quand on avait quoi... cinq ans ?
- Ce n'est pas un jeu Kerrie, je suis très sérieux... soupira-t-il.
- Et moi aussi ! C'est bien gentil de t'intéresser au travail de ton père, mais je ne vois pas ce que tu vas pouvoir en faire... Ni à quoi je sers dans ton plan bizarre !
- Je veux devenir médecin, Kerrie. »
Je levai un sourcil, soudainement étonnée. En voilà une nouvelle intéressante ; j'étais ravie de constater qu'il avait une idée pour son projet d'avenir. Et bien que je sois sa meilleure amie et qu'il partageait tout avec moi, je ne comprenais pas cet acharnement à vouloir m'associer à ce projet personnel, aussi soudain qu'ambitieux.
- « C'est plutôt cool, mais... je ne vois toujours pas où tuveux en venir. Quel est le rapport avec moi ?
- Pourtant, c'est plutôt simple... Je veux devenir médecin pour venir en aide aux gens comme toi. Tu souffres beaucoup, et je suis sûr que tu n'es pas la seule dans ce cas. Je veux aider ces personnes qui n'ont rien demandé, à part de vivre. D'autres gens les en empêchent, et ça me met en colère, parce que tout le monde mérite de vivre sa vie, en partant avec les mêmes chances que les autres. Du coup, 'faut que je m'entraîne, que j'apprenne les bases, que je lise des livres le plus tôt possible ! Heureusement, je pourrai demander de l'aide à mon père, comme ça, j'aurai des bases solides quand j'irai à l'université !
- Je... je ne sais pas trop quoi dire...
- Tu te rappelles tout à l'heure, quand je t'ai dit que j'avais commandé quelque chose ? Eh bien, c'était ça, et je n'étais pas du tout sûr de l'avoir ! J'y pense depuis plusieurs mois, et j'ai vraiment prié pour que mon père gobe le fait que je voulais le prendre comme exemple. Visiblement, ça a plutôt bien marché... »
Il m'adressa un petit sourire, avant d'enchaîner :
- « Tu es la première au courant de mes motivations, et je pense que c'était plutôt logique de base, puisque tout ceci te concerne, et que je n'aurais pas pu le faire sans ton accord. Parce que tu es ma meilleure amie, et que ton avis compte beaucoup pour moi. Je ne pourrais pas faire tout ça, si tu refusais mon soutien. Je me contenterai alors d'être présent pour toi, et de réaliser mon rêve de venir en aide à ceux qui l'accepteraient. Mais je me suis rendu compte que c'était vraiment ce que je voulais faire, et je sais que je peux briller là-dedans ! Je le sens, et j'espère qu'un jour, tu seras fier de moi ! »
Je poussais soudainement l'énorme mallette qui nous séparait, pour me jeter dans ses bras. La bouche tremblante, je le serrais fort contre moi, pensant soudainement au futur. Je l'imaginais chef d'un service ; homme humble et respecté de ses semblables, inaugurant de nouvelles avancées pour améliorer la vie d'autrui, repensant sans cesse à ce jour où il m'avait annoncé ce plan et où je ne l'avais pas pris au sérieux, avec son clin d'œil et cette mallette de médecin qui m'avait temporairement séparée de lui.
Tom avait toujours eu plus d'un tour dans son sac, lorsqu'il était question de m'impressionner. Il aimait prendre son temps, faire les choses discrètement en pensant que je n'y verrai que du feu. Connaissant ma méfiance et ma curiosité, il était parfois difficile de me cacher des choses, lorsque celles-ci me concernaient.
Alors, lorsqu'il arrivait à me surprendre, nous tombions tous les deux des nues face à nos réactions respectives. Le bonheur mettait du temps à arriver, lorsque l'on essayait de se remettre de nos émotions, restant serrés l'un contre l'autre, comme si cette accolade représentait tout l'amour que nous étions pour l'instant capables de nous apporter.
Tom continuait de me serrer fort contre lui, nichant sa tête contre mon cou. Le visage caché derrière le sien, je ne vis, ni ne sentis ses doigts se glisser lentement dans la poche de ma robe de chambre, pour y lâcher un objet. Si bien que lorsqu'il se redressa, il prit un air faussement déconcerté, mais suffisamment crédible pour réussir encore à me faire tomber dans le panneau.
- « Dis... Je crois que ma gourmette s'est détachée...
- Mince ! Attends, je vais t'aider à la retrouver ! »
Nous nous mîmes donc à fouiller les alentours ― derrière le sapin, les coins de mur et le sol ; sans grand succès. En voyant que nos recherches étaient vaines, Tom me fit signe de vérifier mes poches, au cas où celle-ci serait malheureusement tombée dans l'une des nôtres, durant notre étreinte.
Si bien que dès que mes doigts furent en contact avec un semblant de bijou, je m'en saisi brusquement, soulagée d'avoir mis fin à cette investigation malencontreuse :
- « Ça y est ! Je l'ai retrouvée, elle était tombée dans... euh... Attends. Ça me semble un peu long pour être une gourmette. Tu es sûr que c'est ça ?
- Peut-être pas, finalement... Il me semble que c'est un collier, non ? Il y a un pendentif, tu ne veux pas y jeter un coup d'œil ? »
Suspicieuse, je finis pourtant par suivre ses conseils, et analyser le collier. C'était une belle chaîne en argent, agrémentée d'un pendentif en forme de cœur, de couleur identique. Un joli petit bijou qui aurait pu se contenter d'avoir une valeur esthétique, si l'inscription au dos du pendentif ne m'avait pas frappée ; la date du 05 août 1991 ne me laissa pas de marbre, ce qui sembla satisfaire le petit blond.
- « Joyeux noël, Kerrie ! Pardonne-moi, je ne suis pas très doué pour la comédie... J'espère que tu ne m'en veux pas trop ! »
Tom avança son bras, et y fit rouler sa gourmette qu'il avait caché sous la manche de sa robe de chambre, devant mon air ébahi. Décidément, je me laissais berner bien trop facilement aujourd'hui ! Ce clin d'œil me faisait filer droit, même lorsque je m'y attendais le moins ; un cadeau pouvait facilement en cacher un autre.
- « Une chaîne en argent ? Dis-moi que tu n'as pas déboursé une blinde pour moi...
- Non, j'en ai pris une que ma mère ne met plus. Mais par contre, c'est moi qui ai acheté et fait graver le cœur. Tu aimes bien ?
- Je... Oui, beaucoup. J'adore ! Pour être honnête, c'est le plus beau cadeau qu'on ne m'ait jamais offert. Seulement, il y a quelque chose qui me chiffonne...
- Ah bon ? demanda-t-il en fronçant les sourcils. Quoi donc ?
- Je pensais que tu avais oublié. »
Le sourire du blond se fit plus chancelant. On voyait qu'il entrait en terrain inconnu, et qu'il n'était plus du tout sûr de ce qu'il s'apprêtait à sortir, bien que tout ceci ait été prémédité, et redouté jusqu'au bout.
Peut-être bien qu'il était finalement plus doué pour aider les autres, que pour parler de lui.
- « Non, je n'ai pas oublié. On était encore petits, mais je pense que c'est une date importante, parce qu'elle a plusieurs sens. Tout d'abord, il y a eu notre première dispute, puis ton secret sur ton état physique... Et enfin, notre premier bisou. Tout ça, c'est un peu la base de la gradation de notre amitié.
- Ne va pas me dire que tu as gravé ce collier pour nous rappeler notre première dispute ! »
Il esquissa un petit gloussement. Je savais qu'il riait pour se remettre de tous les efforts qu'il était en train d'acter.
- « Évidemment que non ! Je ne savais juste pas trop comment aborder le sujet... Je m'étais déjà préparé pour le Noël dernier, mais tu n'es pas venue le passer à la maison. Du coup, ça a pris un peu plus de temps.
- Mais pourquoi avoir attendu aussi longtemps ? Noël n'était pourtant pas la seule occasion !
- Eh bien... Pour être honnête, j'avais peur. Puis j'ai oublié. Un peu. J'ai essayé, du moins. Puis c'est rapidement revenu, parce que ce n'est pas le genre de chose qui s'oublie. Même si je ne sais pas trop quoi en penser, je me suis dit que c'était une bonne chose de faire ce collier, pour une occasion spéciale. J'ai cru que ça me donnerait plus de courage, mais pas tellement, en fait... J'ai toujours peur, je crois.
- Tom, est-ce que tu m'aimes ? »
La bombe venait d'être lâchée. J'en avais assez de tourner autour du pot, et ce sujet que j'avais enterré malgré moi, venait soudainement de remonter à la surface. Si c'était là l'aube d'une deuxième chance, alors je ne voulais pas la gâcher avec de belles phrases, qui n'avaient de poétique que la forme, alors qu'un seul mot suffisait à donner un violent sens au fond.
Il eut un silence de mort, qui me permit d'entendre soudainement des claquements venir d'en haut. Je ne savais pas ce qu'étaient en train de faire les autres membres de cette maison, mais je n'avais pas envie de m'en occuper. Le visage du petit blond me rappelait que ce n'était pas forcément mal de s'occuper de soi, actuellement.
Ses prunelles brunes évitaient pourtant mon regard. Ses joues étaient rouges, et il se grattait l'arrière du cou, ravalant aussitôt les mots qu'il essayait de prononcer. Je le laissais digérer la question, patiente, évitant de le fixer pour le déstabiliser. Si bien que mon regard se posa furtivement sur l'une des branches du sapin ; l'une des plus hautes.
Et sur cette branche, coincée entre les boules dorées et la guirlande lumineuse, il y avait une feuille de gui. Du gui... A l'arrière du sapin, là où personne ne pouvait le voir.
Est-ce que tout était déjà calculé d'avance ?
- « Tu... commença-t-il, finalement.
- Oui ? soutenais-je, me retournant à nouveau vers lui.
- Tu as des moustaches de chocolat, Kerrie... »
Je soupirais. Ce détail n'avait pas eu l'air de le déranger, pendant son petit numéro. J'étais presque déçue de son manque d'originalité, pour gagner du temps. Après tout ce qu'il avait orchestré, je savais qu'il était bien plus doué qu'il le laissait actuellement paraître.
Je m'empressais pourtant de les frotter avec mon poignet, sans prendre le temps de vérifier la véracité de ses dires. Il voyait que sa réponse ne me convenait toujours pas. L'atmosphère n'avait plus besoin d'être détendue ; elle était désormais au maximum de son confort.
Lorsque mon visage fut à nouveau propre ― sans le moindre détail pouvant désormais nuire à cette ambiance que nous voulions pourtant tous les deux, je finis par le scruter. Cette fois-ci, je ne le quittais plus du regard, pour lui laisser le temps de trouver ses mots. Je savais qu'il les avait, parce qu'il jetait des coups d'œil à cette feuille de gui.
Plus personne n'osait parler. Une gêne avait fini par s'initier entre nous. Je commençais à la ressentir, parce que j'avais attendu trop longtemps. Je sentais mon cœur me brûler, battant la chamade. Je ressentais mes tempes tambouriner contre mon crâne, d'un rythme irrégulier. Et même si j'avais vécu des situations dix fois plus insoutenables, le silence dans lequel il s'emmurait, commençait à me faire froid dans le dos.
- « Est-ce que tu es amoureux de moi, Tom ? »
J'avais décidé de trouver les mots à sa place, pour lui donner un coup de main et le libérer de son fardeau. Le silence commençait à me faire croire qu'il ne voulait pas me décevoir. Mais par respect pour lui, je m'étais contenté de murmurer. Tellement bas, que je me demandais s'il avait entendu.
Je sus que ce fut le cas, lorsque je le vis se rapprocher silencieusement de moi. Je sus que ce fut le cas, parce que je me surpris à l'imiter. Je sus que ce fut le cas, parce que nos visages étaient à nouveau proche, et des sensations familièrement lointaines recommencèrent à me posséder.
Mes lèvres me brûlaient lorsque nos visages n'étaient plus qu'à quelques centimètres. Je sentais le chocolat qui sortait de son souffle, lorsqu'il essaya de se donner du courage. Nos doigts se touchaient, et nos lèvres n'allaient pas tarder à faire de même.
Un déclic allait avoir lieu, à présent. Je le ressentais dans tout mon corps ; ce qui se passerait par la suite allait changer ce qui existait déjà entre nous. Le métamorphoser, le briser, le faire disparaître... En bien ou en mal, je n'en savais rien. Mais rien n'était déjà plus comme avant, à cet instant précis.
- « Kerrie ! Où es-tu ? S'il te plaît, peux-tu venir ? C'est assez urgent... »
La voix haletante et paniquée d'Erica venait de retentir dans le corridor, m'obligeant à m'éloigner du visage de Tom. J'eus à peine le temps de discerner son air confus et rougeoyant, ainsi que la feuille de gui à nouveau à ma hauteur, lorsque je me remis sur mes deux jambes.
- « Je suis désolée Tom, vraiment désolée... »
J'étais sortie en trombe de derrière le sapin, ce nouveau Tom sur mes talons, désormais silencieux. Lorsque je croisais le regard d'Erica, effondrée sur le canapé, je compris que ma mère avait précipité notre dernière entrevue.
Les choses s'étaient métamorphosées, brisées... Dissipées. Un mal pour un bien ? Je ne savais toujours pas. Ce qui était sûr, c'était que ma mère avait pris un malin plaisir à faire traîner cette sale histoire, laissant le petit blond dans une frustration étouffante, pour un temps incertain, avec sa mallette et sa feuille de gui comme seuls témoins.
Quant-à moi, si j'avais su, j'aurais savouré ce moment.
* * *
Je sortis de la salle de bain, finalisant mon chignon, en prenant soin de ne laisser dépasser aucune boucle. J'avais revêtu la robe verte qu'Edwige m'avait prêtée, après maints et maints lavages, pour la purifier de l'odeur de cette satanée soirée.
Je n'avais pas revue mon amie depuis ce fameux jour, et aucune de nous n'avait pris les devants pour avoir des nouvelles de l'autre. Je lui avais simplement passé un coup de fil officiel, en lui stipulant que je couvais une vilaine grippe, et que je n'allais pas pouvoir venir travailler jusqu'à un rétablissement complet.
La conversation fut brève. Edwige se sentait mal à l'aise, et je ne voulais pas lui parler. Je savais que ça ne durerait pas, parce que je devais lui rendre cette robe, et retourner gagner de quoi vivre, comme si toute la semaine écoulée n'était rien de plus qu'un mauvais souvenir.
Je voulais alors profiter du peu de temps qui m'était imparti.
J'étais restée dans mon appartement toute la semaine, en me faisant passer pour malade, alors que je n'avais pas assez de fièvre pour oublier mon chagrin et ma culpabilité. Notamment envers ma petite sœur, dont j'espérais obtenir le pardon.
C'était donc avec cette idée derrière la tête, qui ne me quittait plus depuis plusieurs jours, que je me dirigeais vers la chambre de la petite fille.
Nina était assise sur le lit de son frère, encore en pyjama. Tournée vers la fenêtre, le dos droit, elle regardait la pluie dégouliner contre la vitre. Elle esquissa un mouvement d'épaule lorsqu'elle m'entendit entrer, mais ne se retourna pas pour autant.
Alors que je me creusais la tête pour trouver les bons mots à lui dire, elle leva subitement la main en l'air pour me sommer de ne pas aller plus loin.
- « Je sais pourquoi tu es là. Vas-y toute seule, tu n'as pas besoin de moi.
- J'aurais aimé, mais je ne peux pas. Je n'ai pas assisté à la scène, et tu es le seul témoin valable pour expliquer à la juge ce qui s'est réellement passé.
- Bizarrement, c'est à ce moment-là que je semble la plus utile. Il aura fallu attendre la mort de nôtre frère, pour que tu t'en rendes compte.
- Tu ne te résumes pas qu'à ça, Nina. L'audience est une bonne chose ; c'est fait pour apaiser les esprits... Obtenir justice, pour espérer aller de l'avant.
- Aller de l'avant ? Tu pensais à ça aussi, lorsque tu as laissé ce médecin tuer Esteban ?
- Ce n'est pas ça qui l'a tué, Nina. Et tu le sais.
- Peu importe. Il n'aurait pas dû y passer. Et pourtant, il y a toujours une zone d'ombre sur les événements de cette nuit-là. Pourquoi est-ce que tu n'étais pas là ? Pourquoi le plus faible d'entre nous n'a pas eu de protection, à ce moment-là ?
- Est-ce que j'avais même idée que la génitrice allait rentrer dans cet état ? Tu n'imagines pas à quel point je suis désolée pour tout ce qui s'est passé...
- Peut-être bien... Mais laisse tomber, veux-tu ? soupira Nina. Je n'irai pas à l'audience. Cela ne sert à rien, et juger ma mère ne permettra pas d'honorer l'âme de mon frère.
- Ça suffit Nina ! »
A bout de nerf, je venais de hurler, attirant définitivement l'attention de la petite fille. La surprise s'entrechoquait désormais sur son visage, coincée entre une rage grandissante et une tristesse immense, due à une incompréhension qu'elle n'arrivait même pas entièrement à évacuer sur moi.
- « Je crois que je connais mes torts. Je crois que j'ai fini par comprendre comment marchait cette famille, depuis pas mal d'années. Tu ne t'en rendais sûrement pas compte, mais lorsque j'avais ton âge, j'étais déjà une femme. Je faisais déjà toutes les tâches qu'un enfant de dix ans s'amuse normalement à faire sur ses poupées ou ses peluches, pour imiter ses parents. J'avais troqué mes jouets contre vous ; vous étiez devenus mes nouvelles occupations, mais je ne pouvais pas vous dénigrer, et me dire que le lendemain matin, votre mémoire en plastique allait sûrement oublier mon irresponsabilité. J'ai fait ce que maman ne faisait plus depuis trop longtemps. Même lorsqu'elle tentait de me freiner et de m'ôter le peu de bonheur que j'avais réussi à cumuler. Pourtant, après avoir réussi, j'ai pourtant continué ce que je savais si bien faire : m'occuper de vous, et vous protéger. Je m'étais promis d'abandonner ma vie à ce rôle, parce que c'était tout ce que je savais faire de bien. Je n'avais jamais rien tenté d'autre, et je me suis dit que c'était sûrement ce à quoi j'étais destinée. »
Je jetai un coup d'œil à Nina. Pour la première fois depuis ces derniers jours, elle osait enfin me regarder dans les yeux, sans détourner le regard. Pris d'un certain courage, je m'empressai d'enchaîner :
- « Même lorsque je travaille, ou que je vais en cours, mon esprit semble vous être dédié. Je pense à vous tout le temps, et à la génitrice aussi. Parfois, il m'arrive de sombrer dans la paranoïa. Qui sait, cela fait peut-être cinq ans que j'angoisse de rentrer pour retrouver la maison sans dessus dessous. Et le jour où je n'y pense pas ; le seul et unique jour où j'espérais que ça n'arriverait pas, les événements semblent m'avoir rappelé à l'ordre. Les gens pensent que je suis une petite mijaurée, apeurée par la vie. C'est peut-être vrai, j'ai sûrement peur de tout. Mais en vivant sous le même toit que sa mère alcoolique, je crois que certains côtés de nous se forgent, et d'autres se détruisent. Seulement, c'est compliqué à raconter, et je crois que je vais devoir me contenter d'être cataloguée comme la fille à secret. »
Je marquai une pause, hésitante, puis continuai :
- « Un soir, je pensais être capable de tout mettre de côté. Je me suis dit que ce serait facile, puisque tout le monde y arrivait. Au final, je savais que mes obligations m'attendraient demain matin, et qu'elles ne me feraient rien pour un peu de retard. Mais une erreur, c'est si vite arrivé, n'est-ce pas ? J'oublie parfois que je ne suis pas tout le monde, et que je n'ai pas le droit à l'erreur. Et lorsque j'en commets une, la vie ne me laisse pas le temps de l'arranger. C'est une leçon que j'apprends depuis le plus jeuneâge, et qui ont entraîné de grandes pertes qui continuent à se jouer de moi. Mais malheureusement, je ne suis pas une machine, et je ne peux pas réparer ce qui est brisé. J'ai fait une erreur, mais je n'en peux plus de me justifier. C'est mon frère aussi, et je veux me racheter, alors je voudrais que tu viennes avec moi à l'audience. J'ai besoin de toi pour me racheter, et je sais que c'est ce que tu veux aussi. Seulement, je n'y arriverai pas sans toi. On doit se serrer les coudes, et c'est sûrement ce qu'il aurait voulu.
- Il a toujours été ton préféré Esteban, hein ? »
Ce fut tout ce qu'elle fut capable de lâcher. La bouche tremblante, et le visage comprimé par la tristesse, je vis pourtant que toute trace de rancune avait fini par disparaître dans son regard. Je ne savais pas si le message était bien passé, mais je voyais bien qu'elle avait pris conscience que rejeter la faute sur moi ne l'aidait pas à faire son deuil. C'était simplement ce qu'elle avait trouvé de plus facile.
Nina commença à essuyer des larmes silencieusement, tandis que la tristesse recommençait à me submerger. Avoir sorti tout ça m'avait bouleversée, et replongée dans des scénarios que j'aurais aimé oublier. Mais immédiatement, ma sœur avait besoin de moi et me concentrer sur son bien-être comme je l'avais toujours fait, me ferait passer l'envie de m'attarder sur mes pensées.
Sa tête se posa sur mon épaule, ses reniflements comme seul et unique bruit. Je me souvenais soudainement que Nina attendait une réponse à sa question.
- « Oui, c'était mon préféré. Mon frère préféré, comme toi tu es ma sœur préférée. »
Je sentis son visage s'étirer contre mon épaule, signe qu'elle essayait de sourire, entre deux sanglots.
- « Excuse-moi d'avoir été aussi injuste avec toi. Tu ne le méritais pas, et je sais que ce n'est pas à cause de toi qu'il est mort. Mais il me manque tellement, et je ne sais pas quoi faire... »
Je resserrai mon étreinte contre elle. Je ne savais pas trop quoi faire non plus. Je me reposais sur cette audience, en espérant qu'assister au jugement de ma mère m'aiderait à m'apaiser. Ils l'avaient retrouvée dans l'un des quartiers ouest de Los Angeles, après que la mort d'Esteban ait été officiellement prononcée.
Cela ne m'avait rien fait. Je n'étais pas ravie que ma mère ait été retrouvée dans cet état alarmant et presque quotidien, mais j'en étais arrivée à un point où je n'avais plus les capacités de la couvrir, malgré tout mon bon vouloir.
- « Il me manque aussi...
- Comme ton ami ?
- Mon ami ? demandai-je, en fronçant soudainement les sourcils.
- Le docteur. Tu m'as dit que c'était un vieil ami de la famille, et qu'il avait un fils. C'était ton ami, non ? »
Mon corps fut parcouru de frissons. Depuis que j'avais vu Tyler à l'hôpital, notre entrevue explosive m'avait rappelée pourquoi tout s'était mal passé. Les meilleurs souvenirs étaient malheureusement liés aux pires, aboutissant à un énorme nœud incompréhensible, qui m'empêchait de savoir ce que je pensais vraiment.
Je n'arrivais plus à savoir si c'étaient lui ou ses souvenirs qui me manquaient. Cela commençait à remonter à plusieurs années, et même si je repensais beaucoup à mon enfance, je lui en avais trop voulu pour pouvoir réellement espérer quelque chose de sa part. Ma rancune s'était atténuée au fur et à mesure, au point de me rendre indifférente.
Sans pour autant oublier.
- « Non, lui, il ne me manque pas.
- Je ne te crois pas.
- Eh bien tant pis ! C'est loin maintenant.
- Donc, c'était bien ton ami ?
- Écoute... Je t'en parlerai plus tard, d'accord ? J'aimerai que tu t'habilles, avant qu'on soit en retard pour l'audience. Nous devons nous entretenir avec l'avocat, avant d'assister au jugement.
- Et après, tout rentrera dans l'ordre, hein ? »
Je hochais la tête. Notre vie venait d'être bouleversée à jamais, et nousavait fait toucher le fond. Mais maintenant que c'était fait, nous ne pouvionsqu'arriver à remonter. Si la génitrice était loin de nous, j'étais même certaine que nous finirions par y arriver sans problème.
Encore fallait-il que ce soit le cas. L'heure était venue pour nous de vérifier si nousétions réellement aptes à voler de nos propres ailes.
Comme les filles que notre mère n'avait pas fini d'élever.
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Bonjour tout le monde ! :-)
Nouveau chapitre, j'espère qu'il vous plaira. Encore un flash-back, (haha je sais, vous allez en bouffer !)
Il y aura d'autres flash-backs normalement, mais pas dans le prochain chapitre (sorry not sorry).
Sinon, que pensez-vous de ce chapitre ? N'hésitez pas à laisser votre avis. :-)
Voilà, à bientôt pour le chapitre X.
#C.
{Musique en média : watch - Billie Eilish}
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