IV
L.A, samedi 6 mai 2000.
Pourtant, après avoir donné mon accord, je sentis une pointe de regret germer instantanément au fond de moi. De quoi étais-je réellement capable, pour savoir l'identité d'un homme avec qui j'avais eu une infime connexion, le temps d'un instant ?
De beaucoup visiblement. Je n'étais tellement pas habituée à ce genre de situation, que je me mettais à idéaliser n'importe quel scénario dans ma tête, pour ma satisfaction personnelle et ma curiosité maladive.
Ma naïveté me perdrait, un jour.
Seule Edwige paraissait ravie, indifférente à mes états d'âme. Elle se frotta les mains, toute guillerette, soudainement incapable de tenir en place.
- « Oh fantastique, je suis vraiment contente ! Enfin ! Mais, rassure-moi... Tu ne vas pas sortir dans ces guenilles, sérieusement ? »
Pourquoi avais-je accepté, pourquoi, pourquoi...
- « À vrai dire, je n'ai pas de tenue soirée ; je n'en vois pas trop l'utilité. Mes autres vêtements ressemblent à ceux que je porte aujourd'hui.
- Bon, ce n'est pas un problème... On va aller faire un peu de shopping, cela me semble être une bonne alternative ! »
Je me pinçais la lèvre, de plus en plus confuse. Comment pouvais-je expliquer de manière détournée à Edwige que je n'avais pas d'argent et que le peu que j'avais, était réservé aux jumeaux ou pour le poker de la génitrice ?
J'étais coincée maintenant. Je devais faire face à mes mensonges et mes cachotteries ou me ridiculiser encore une fois, tel un robot programmé sur commande.
On dirait que j'avais rapidement fait mon choix.
- « Ma mère estime que les tenues que je possède sont suffisantes. Pour elle, l'argent, c'est sacré et elle est très économe. Elle me tuerait si je dépensais un prix exorbitant pour une simple soirée...
- Mais ma pauvre Kerrie, tu ne sais pas te faire plaisir de temps en temps ou quoi ? Tu as dix-neuf ans et tu ne sais pas t'habiller seule ?! »
Elle soupira. Je savais bien que mon attitude était exaspérante, mais je n'avais pas vraiment le choix pour le moment. Peut-être pouvais-je réfléchir par la suite à d'autres excuses moins encombrantes, pour continuer de tenir un moment, jusqu'à ce que la situation devienne moins critique ? Je n'avais que cette solution, pour le moment.
Edwige croisa ses bras sur sa poitrine, et me répondit, agacée :
- « Bon écoute, tu vas venir chez moi. Je vais te prêter une tenue adéquate pour ce genre de sortie. On a à peu près la même taille, ça devrait passer. Ta mère sera d'accord pour ça, au moins ? »
Je hochais la tête en silence. Edwige avait parfois le chic pour placer ses meilleures piques, dans les situations les moins avantageuses. Mais je mettais tout ça sur le coup de l'ignorance.
Les gens se contentaient du premier jet et ne daignaient pas continuer le travail, par flemmardise sûrement. Mais c'était souvent après entraînement que l'on pouvait être satisfait de notre performance.
Pour le caractère, c'était le même refrain. Ce jugement permanent sur notre côté extérieur, en contentait plus d'un. C'était sûrement pour ça que bon nombre d'entre nous repartaient bredouilles, après une chasse au trésor.
Edwige n'avait pas envie de creuser et de trouver de trésor. Edwige se contentait de gratter le haut de la terre du bout des ongles.
Edwige était une flemmarde. Comme beaucoup d'autres.
- « Kerrie ? Allô la terre ! »
Je reprenais mes esprits, des constatations et des analyses soudainement plein la tête. J'adorais comparer les gens, les situations ; les analyser. Creuser plus loin, pour trouver des trésors.
Mais le seul problème, c'était que je n'étais concentrée que sur cette conquête et sur rien d'autre à côté. Pour moi, c'était chaque chose en son temps ; ce qui n'était pas l'avis de la réalité.
- « Désolée Edwige. Tu disais ?
- On va la chercher chez moi cette tenue, oui ou non ?
- Euh... Oui, bien sûr. J'en serais ravie !
- Parfait, suis le guide. »
Elle se dirigea vers la sortie, me faisant passer derrière elle, sans un mot, pour pouvoir verrouiller l'échoppe. Le tout dans une atmosphère légèrement glacée.
D'ailleurs le ton qu'elle venait d'utiliser récemment ne présageait pas de calme après la tempête. J'espérais alors que les essayages chez mon amie réussiraient à lui faire décocher un sourire. Pour ça, je pouvais bien lui faire une faveur et éviter d'être trop difficile.
* * *
Nous étions maintenant dans la voiture d'Edwige ; une petite smart blanche assez confortable et opulente. Je m'étais alors contentée de m'enfoncer dans le cuir du fauteuil, mal à l'aise.
Elle touchait à un luxe que je ne connaissais pas. Je ne savais pas si je devais être émerveillée de le découvrir, ou gênée d'en profiter.
Je n'avais ni permis, ni voiture. Beaucoup trop cher et même ma mère s'accordait pour le dire. Profiter de celles des autres paraissait beaucoup plus vivifiant, à ses yeux. C'était peut-être pour ça que j'évitais de monter dans la voiture d'une autre personne, préférant privilégier les transports en commun ou pédestre. Beaucoup plus économe et écologique. C'était ma bonne action de la journée et j'étais fière de participer à un projet bénéfique pour l'humanité, dans un pays où les hommes ne voyaient pas plus loin que le bout de leur nez.
C'était minime, certes. Mais au moins, j'avais l'illusion d'être utile, concernée et moins naïve. En plus d'adorer tous ces trajets intimes, où j'étais seule avec mes pensées.
Pendant le trajet, Edwige me vantait ses anecdotes sur son permis de conduire ; comment elle l'avait passé, ses premières erreurs de la route, sans évidemment oublier de mentionner dans la conversation, le design flambant neuf de sa voiture.
Vous savez, c'était ce nouveau modèle que tout le monde s'arrachait, pour donner envie au voisin, au bout de la rue. Et quand, par-dessus le marché, la personne au volant conduisait divinement bien, on pouvait s'attendre à voir un filet de bave perler au coin de la bouche de ce fameux voisin, qu'il ne prenait même pas la peine d'essuyer.
Bref, j'étais encore plus mal à l'aise.
Au bout de dix minutes de route, nous avions déjà dépassé les quartiers modestes, pour entrer dans les allées des résidences coûteuses.
Par centaines, ces résidences en forme de damiers, avec ses maisons qui se ressemblaient toutes ; grandes, imposantes, colorées, jardin personnel, peuplaient une certaine partie de Los Angeles. Et c'était évidemment dans l'une de ces maisons qu'Edwige vivait. Le contraire aurait paru indécent.
Elle tourna à plusieurs reprises dans ce labyrinthe doré, avant de se garer devant une maison en crépi à deux étages, avec balcon, jardin fleuri et entretenu. Et il me semblait même avoir aperçu une piscine creusée.
- « Voilà, bienvenue chez moi. Bon, je sais, ce n'est pas grand-chose et l'intérieur doit être encore plus désordonné, donc n'y fais pas trop attention, je te prie. »
Je lâchais un soupir discret. Je ne devais pas oublier que l'ignorance n'était pas forcément un signe de malveillance.
Je me demandais si elle avait déjà fait un tour du côté de Watts, ou qu'il puisse être possible qu'elle n'en connaisse pas l'existence. Peut-être arriverait-elle à comprendre que sa maison ressemblait à un inconditionnel château, perdu au milieu des plus riches quartiers de Los Angeles ?
Triste monde.
Devant mon silence, Edwige haussa les épaules et me fit signe de la suivre, me faisant enfin rentrer dans sa maison. Le premier contact avec l'édifice me parut décevant ; toute la maison était plongée dans l'obscurité, me permettant juste de discerner des ombres maladroites qui se reflétaient grâce à la lumière qui passait entre les rainures des volets.
J'essayais donc de dédramatiser la situation ; au moins, je n'avais rien de plus à lui envier.
Edwige monta avidement les escaliers, sans même avoir pris la peine d'allumer la lumière ou d'ouvrir les volets, pour laisser le beau soleil de mai faire irruption dans la pièce et éclairer notre chemin.
Je finis donc par la suivre, un peu plus prudente, jusqu'à ce qui semblait être sa chambre.
Et c'était ce moment-là qu'elle avait choisi pour allumer la lumière.
Ce n'était pas une chambre, car il n'y avait pas de lit. Il y avait seulement un grand dressing qui prenait quasiment toute la longueur de la pièce.
- « Voici le dressing que je partage avec ma mère. Il devrait y avoir de quoi faire ton bonheur, là-dedans ! Mais si tu ne trouves vraiment rien, fais-moi signe, j'ai encore des vêtements dans ma chambre. »
Je hochais la tête et osais un pas devant l'imposante garde-robe, farfouillant maladroitement dans toutes les étagères, où attendaient patiemment une multitude de tissus colorés. Edwige s'était éclipsée quelques minutes pour me laisser tranquille avec mes essayages, pensant sûrement que je trouverai rapidement mon bonheur avec tout ce choix qui s'offrait à moi.
Mais à vrai dire, j'étais encore sonnée de cet amas de vêtements qui rengorgeait l'armoire, au point que je ne savais pas trop par où commencer. Ce geste hésitant pouvait être mal traduit si je ne me dépêchais pas de tirer sur un morceau de textile.
Finalement, elle aurait pu également laisser cette pièce plongée dans l'obscurité. Après tout, c'était comme ça que je choisissais mes vêtements habituellement.
Je me forçais à fouiller un peu dans toutes les étagères, en gardant dans un coin de ma tête le critère impératif des manches longues. Mais c'était bientôt l'été et Edwige avait étoffé son dressing avec des vêtements de saison. Du coup, les gilets et les pulls se faisaient plutôt rares.
Les tapements de mon amie à la porte me firent soudainement sursauter, me ramenant à la réalité :
- « Tu trouves, Kerrie ?
- Pas vraiment, il y a trop de choix ! Tu ne voudrais pas m'aider un peu ? Genre, me dégoter la perle rare, qui m'irait bien, selon toi ?
- Hum, si tu veux. Attends. »
Elle s'éloigna vers le côté gauche de la penderie, coinça ses doigts entre les morceaux de tissus, avant d'en sortir une robe d'un vert olive, qui avait l'air de m'arriver aux genoux.
Une robe avec les bras et les jambes nues.
Edwige la prit et la cala contre sa taille, pour m'en faire une démonstration, le sourire aux lèvres. Il ne lui avait fallu que quelques secondes pour trouver ce qui à ses yeux, rendrait le mieux sur moi. Je la soupçonnais même d'avoir visualisé la tenue, avant même que je me mette à chercher.
Sacré Edwige !Au moins, j'avais réussi à lui redonner le sourire en lui confiant des responsabilités.
- « Qu'en penses-tu ? Je suis sûre qu'elle t'irait à ravir !
- Elle est parfaite... !
- J'en étais sûre ! Va l'essayer dans la salle de bains, c'est juste la porte à côté !
- D'accord, merci. Dis, euh... Edwige ?
- Quoi ?
- Tu n'aurais pas un gilet et un collant à me prêter ? Je suis une fille assez frileuse.
- Frileuse en plein mois de mai ? C'est une blague ou quoi ? » gloussa-t-elle
Elle commença à s'approcher de moi, et à me palper le bras, comme si elle cherchait à vérifier ses dires. Mais prise d'un élan de panique soudain, je m'écartai violemment de son étreinte improvisée, tandis qu'elle me dévisageait, la mine déconfite.
Son sourire de l'instant s'était évaporé bien trop rapidement, comparé aux efforts que j'avais réunis pour le faire exister.
Elle semblait brusquée. Et après être restée statique quelques secondes, elle finit par reculer, battant en retraite. Puis elle haussa les épaules, me répondant d'un ton sec :
- « Ah ouais en effet. Tu as la peau sur les os.
- Ne le prends pas comme ça... Je ne suis juste pas très tactile, aux premiers abords. »
Elle ricana soudainement, avant d'enchaîner :
- « Tu sais, je me demande souvent ce que tu aimes vraiment dans la vie, Kerrie. Mais peut-être aurais-je dû me douter que tu puisses être aussi brusque ? Après tout, tu es si imprévisible.
- Excuse-moi. Mon but n'était pas de te froisser...
- Ecoute, je vais te laisser essayer ta robe tranquille, d'accord ? Je ne voudrais pas te déranger dans ton intimité. Si tu n'es pas satisfaite du résultat, tu sais quoi faire. Je t'attends au salon, viens m'y retrouver lorsque tu seras prête. Mais ne tarde pas trop, je n'aime pas être en retard. »
J'avais beau essayer d'être plus avenante à son encontre, pour essayer de me racheter, mais elle s'était reculée un peu plus, levant ses mains devant elle en signe d'agacement. Puis elle tourna les talons définitivement, sans même se retourner.
- « Du coup pour le gilet et... » m'écriais-je soudainement, alors qu'elle venait de passer l'encadrement de la porte
Je n'eus même pas le temps de finir ma phrase, que mon visage rentra en contact avec le gilet en laine blanche, qui traînait sur le côté du dressing. Le temps que je me défasse de son emprise et que je le revêtisse, Edwige avait disparu définitivement.
Je soupirais. Je n'étais pas sûre de pouvoir tenir comme ça encore longtemps. Edwige avait l'air d'avoir du mal à comprendre que je n'étais pas prête à être expansive sur ma vie.
Elle était habituée à ce que tout lui tombe tout cuit dans la bouche, sans obstacle, qu'elle ne se posait pas elle-même, du moins.
Je n'étais pas sûre d'apprécier ce fonctionnement. Mais qu'allais-je bien pouvoir faire ? Je devais réellement continuer de protéger mes secrets, coûte que coûte.
Mais je ne pouvais plus me comporter comme une petite mijaurée, au risque de me faire rejeter définitivement par les autres.
Je devais trouver une autre solution et vite. Mais en attendant, ce que je devais trouver, c'était une paire de collant pour aller avec ma robe.
* * *
[Dans cette partie, Esteban est le narrateur.]
Il était sept heures du soir. Cela devait bien faire une quinzaine de minutes que je faisais les cent pas dans notre semblant de salon, anxieux. Ma sœur Nina était assise sur le fauteuil, alternant son regard entre la fenêtre et moi, pensive.
Mais en voyant que je ne m'arrêterais pas de marcher, elle finit par déclarer, en m'adressant une moue complaisante :
- « Elle ne va pas tarder Esteban, ne t'inquiète pas.
- Je ne sais pas... J'ai l'impression qu'elle ne rentrera pas, ce soir. Elle est toujours à l'heure, elle se dépêche toujours de rentrer pour nous laisser seuls le moins longtemps possible.
- Tu sais petit frère, Kerrie est grande. Si elle veut rester avec ses amis, elle a le droit. Déjà qu'elle s'empêche de sortir juste pour nous... On ne doit pas être la chose qui la retient. Tu l'as dit toi-même, il n'y a pas si longtemps que ça. »
Je soupirais. Je savais que Nina avait raison, mais j'avais horreur de la solitude. Depuis ma plus tendre enfance, je me battais tous les jours pour affronter cette peur, étant enfermé toute la journée, dans cet appartement miteux.
Si je réussissais à y survivre, c'était grâce à ma jumelle et aussi à Kerrie qui était là dès qu'elle le pouvait. Quand ma grande sœur faisait irruption dans la pièce, le soir, ma vie reprenait un sens. Je me sentais en sécurité, avec une personne de confiance. Bien sûr, il y avait Nina aussi, mais elle, je la considérais plutôt comme mon bras droit et ma meilleure amie.
Il n'y avait que lorsque la génitrice ne rentrait pas que nous passions du temps tous les trois et que ces instants devenaient rapidement magiques. Sans mes deux sœurs, je ne savais pas comment je pouvais continuer de survivre dans l'atmosphère où j'avais été entraîné de force. Et ce qui était bien ― et mal en même temps, c'était que nous étions tous dans le même bateau. On se comprenait d'un simple coup d'œil, c'était tellement plus rassurant.
Je devais presque tout à Kerrie. Elle était surement mon meilleur modèle. Elle nous avait tout appris à Nina et moi.
Sauf à nous battre.
De ce côté-là, j'avais encore l'impression d'être lâche et inutile. Mais je ne pouvais pas la blâmer. Ce n'était pas à elle de nous apprendre ça. Elle se contentait de nous donner la dose d'amour que nous aurions dû recevoir, de la part de notre mère. Le reste découlerait de nos expériences.
Parce que pour le moment, lorsque la génitrice s'en prenait à elle, je n'avais malheureusement que mes yeux pour pleurer. Je voulais l'aider, je voulais la défendre ; mais mon corps était aussi lâche que mon esprit.
Celui-ci se contentait de vouloir prier. C'était ironique, d'un certain côté, parce que je n'avais strictement aucune idée de ce qu'était réellement la religion pure et dure. Je ne sortais pas assez pour pouvoir me renseigner ou le réaliser par moi-même. Je n'avais entendu que les dires de Kerrie, que j'avais décidé de prendre comme base :
« Parfois, lorsque tu es triste, essaie de lever les yeux vers le ciel. Qu'il fasse nuit ou jour. Tu ne le verras peut-être pas, mais il se peut que quelqu'un te regarde là-haut. Une personne très puissante et remplie de bonté, qui veille sur toutes les gentilles personnes, à qui il arrive de mauvaises choses qu'elles ne méritent pas forcément. Si tu penses très fort à elle, il se peut qu'un jour, elle comprenne que tu as besoin d'une solution. Et elle te viendra peut-être en aide, d'une quelconque manière, pour te remettre sur le droit chemin. »
Je n'avais aucune idée de comment on priait. S'il fallait adopter une posture particulière pour amadouer cette personne, ou si elle attendait des mots distinctifs pour que l'impact soit plus important.
Alors, j'avais décidé de me contenter de le faire à ma manière ; d'être naturel. Je m'accoudais contre le rebord de ma fenêtre, je fermais les yeux, repliais mes deux poings sous mon menton, exerçant une forte pression sur mon visage pour éviter de pleurer.
Et chaque jour, je lui disais la même phrase, dans l'espoir que c'était ce qu'il souhaitait réellement entendre. Que le fait d'être suffisamment convaincant suffirait à susciter sa pitié.
« S'il te plaît personne dans le ciel, fait que ma grande sœur Kerrie soit heureuse. Elle le mérite tellement, tu sais ? Elle est gentille avec tout le monde, et personne ne semble réellement l'être avec elle. Je n'arrive pas à lui donner tout ce qu'elle mérite tout seul. J'ai besoin de l'aide de quelqu'un d'autre. Elle dit que tu es gentille et que tu sais aider les gens. Alors s'il te plaît, aide-la, c'est la fille qui en a le plus besoin sur cette planète. S'il te plaît personne dans le ciel. »
Mais j'avais beau prier de toutes mes forces, de toute mon âme, Kerrie était toujours malheureuse. Au début, je m'étais dit que je priais mal ; peut-être que je n'actais pas assez de volonté ou que j'étais un peu trop franc avec cette personne. Ou que tout simplement, j'étais quelqu'un de mauvais. Mais je m'étais rapidement rendu compte que ça ne relevait pas uniquement de mes compétences.
La génitrice était toujours méchante avec elle. Et tous ses amis l'avaient laissée tomber un par un.
Un seul en particulier semblait continuer de retenir son attention et donc la mienne. Un visage parsemé de mèche blonde rebelle revenait se dessiner parfois dans mon esprit, de manière vague, lorsque je cherchais la cause de son désespoir.
J'étais petit à l'époque, je ne me rappelais pas trop de lui. Tout ce dont je me souvenais, c'était qu'avant, il était souvent dans le coin. Il traînait souvent avec Kerrie. Je croyais même qu'ils s'aimaient beaucoup.
Et du jour au lendemain, il était parti aussi vite que les souvenirs que j'avais de lui.
De toutes les réflexions que j'avais pu me faire, pour trouver la cause de son malheur perpétuel, ce blond revenait sans cesse dans mes problématiques. Kerrie n'avait pas eu une enfance très heureuse, tout comme nous, mais elle avait eu le droit de sortir. D'aller dehors. De connaître du monde. De le connaître.
Et depuis son départ, c'était comme si elle s'était repliée sur elle-même. Qu'elle ne connaissait plus personne. Ou du moins, qu'elle ne le voulait pas. Parce qu'en réalité, elle ne connaissait que lui.
J'en étais donc arrivé à la conclusion qu'il devait énormément lui manquer et que son quotidien s'était beaucoup alourdi, depuis son départ.
Du coup, j'avais fini par comprendre que les choses ne s'arrangeraient pas uniquement avec de simples prières enfantines. Peut-être que cela pouvait aider, donner un coup de pouce. Mais pas sauver complètement.
J'aimais être passif, mais je rêvais secrètement d'être actif. Parce que je ne savais pas de quel côté, Kerrie se trouvait. Et comme je m'inspirais d'elle en partie, j'avais du mal à savoir si j'étais ignorant ou si j'avais peur.
J'esquissais un frisson en repensant à tous ces mauvais souvenirs. Entendre Kerrie pleurer quasiment tous les soirs et afficher son magnifique sourire dès le lendemain commençait à devenir ma hantise. Encore aujourd'hui, je ne savais pas comment elle faisait pour tenir bon face à tous les problèmes que lui avait engendrés la génitrice.
D'un côté, c'était pour ça que je voulais rester ignorant. Je ne préférais pas savoir ce qui se passait réellement dans la tête de Kerrie, de peur d'en être profondément affecté.
- « Eh Esteban, ça ne va pas ? »
Nina s'était levée de son fauteuil et avait posé sa main sur mon épaule. Au contact de nos deux corps, je me jetai soudainement dans les bras de ma jumelle, qui me tapota doucement le dos, déstabilisée.
Notre étreinte me rassura. Mais je sentais que ma jumelle était toute aussi bouleversée que moi.
- « Tu sais Nina, j'ai réalisé quelque chose.
- Quoi donc ?
- C'est Kerrie notre mère. Pas la génitrice.
- Légalement non. Mais sinon, oui.
- J'ai compris que je n'aimais pas être loin de ma mère trop longtemps. J'en ai besoin d'une. Et je n'aimerais pas apprendre qu'il lui est arrivé quelque chose.
- Ne t'en fais pas, je suis persuadée qu'elle va bien. Elle ne va pas tarder ; au pire des cas, elle s'amuse avec ses amis et elle rentrera demain matin. Mais je suis sûre qu'elle va bien. Qu'elle est en sécurité.
- Tu dois surement avoir raison Nina... Mais alors, pourquoi ai-je un mauvais pressentiment ? »
Elle se détacha de moi, et haussa les épaules, en signe d'ignorance.
Mais alors qu'elle s'apprêtait à me répondre, je nous surpris à sursauter lorsqu'on entendit brusquement la porte d'entrée claquer contre le mur du hall.
Les sons avaient été tellement soudains que nous n'avions même pas entendu à l'avance, ses pas rudoyés faire irruption dans le couloir de l'immeuble. Pourtant, on ne pouvait pas dire qu'ils manquaient de discrétion.
Mais maintenant, nous n'entendions que ça. Ils résonnaient dangereusement à nos oreilles. Ou alors, c'est parce qu'ils se rapprochaient réellement de nous ?
Une démarche familière et angoissante, qui laissait présager que la génitrice avait encore perdu au poker.
Alors que nous nous étions terrés au fond du salon, par automatisme, nous l'entendions soudainement hurler, de sa voix rauque et abîmée :
- « Kerrie Heckwood, viens ici immédiatement, je crois qu'on a deux mots à se dire, toi et moi ! »
Je sentis Nina frissonner d'horreur à côté de moi. Je lui pris la main pour la rassurer, soudainement pris d'un accès de colère qui ne me ressemblait pas. Mon mauvais pressentiment venait de prendre forme sous mes yeux et je ne voulais pas le laisser prendre l'avantage. Pas cette fois-ci.
Je ressentais aujourd'hui le besoin d'agir. De défendre mes droits, mes rêves et mes envies. De défendre mes deux sœurs qui ne méritaient pas ce qui leur arrivait.
Pour la première fois, ce soir, j'avais compris que je n'étais définitivement pas du côté des passifs. Et j'allais le prouver, pour défendre l'honneur du peu de famille qu'il me restait.
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{Musique en média : Naked - H-burns}
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