Bonus
L.A, 27 août 2000
[Point de vue omniscient]
Il était tard, mais pas suffisamment pour que l'heure des visites soit terminée. Assez pour espérer que tout le monde soit rentré chez soi et ne vienne pas le déranger, cependant.
Il ressemblait à un malfrat, à agir comme ça. Un malfrat que personne ne soupçonnait, sous ses airs de médecin humble, à la réputation irréprochable. Mais tout de même un malfrat qui se faufilait dans un endroit où il n'était pas invité, dans le but d'arriver à ses fins.
Il n'avait pas trouvé d'autres solutions pour parler à son fils. Il savait qu'il devait le faire, et le contraire aurait été pire s'il avait décidé d'écouter son ex-femme. Certes, dans tous les cas, son fils continuerait de lui en vouloir, mais il n'avait pas envie d'être lâche.
Autant qu'il le déteste alors pour son culot.
Il déambulait, à la recherche de la chambre de son fils. Il aurait totalement pu demander où elle se trouvait, mais cela aurait pu faire suspect de ne pas connaître la chambre de son propre enfant, et ce n'était pas le moment de faire le moindre faux-pas. Autant qu'il continue à chercher par ses propres moyens, avec son comportement presque irréprochable.
Il se contentait de saluer le personnel soignant qu'il connaissait et en qui il avait confiance. Certains étaient des collègues avec qui il avait travaillé il y avait de cela plusieurs années ; d'autres étaient déjà là à l'époque de l'accident. Celui qui l'avait poussé à s'exiler et qui avait mis sa famille à feu et à sang, à cause de toutes les mauvaises décisions qu'il avait prises. Rien que ça ; il avait encore du mal à encaisser toutes les accusations à son encontre, alors que le reste de sa famille n'était pas au courant de la moitié de la situation.
Et s'ils avaient fini par le découvrir ? Il ne s'en remettrait jamais. Son objectif premier avait toujours été de les protéger. S'ils découvraient qu'il y avait autre chose derrière, ils risquaient de tout réinterpréter, et son départ ne serait pas suffisant.
Après vingt bonnes minutes de déambulation, il finit par trouver l'étage. Le nom des patients était inscrit sur leur porte, et il fut surpris de tomber sur celle de la petite Nina, avant celle de son fils.
Nina Ribeiro-Heckwood. Un nom et un visage qui continuait de le hanter. Il n'aurait jamais dû prendre la responsabilité de soigner son petit-frère, après tout ce qui s'était passé. Une petite voix lui avait murmuré qu'il allait forcément échouer, parce que le miracle ne se produisait pas deux fois. Et quand bien même sa rancune pour la famille Heckwood était profonde — voire irrécupérable, il n'était pas assez mauvais pour prendre le risque de tuer quelqu'un consciemment, et d'en plus rester insensible.
Et voilà qu'elle se retrouvait là, à son tour...
Il se souviendrait toujours du moment où il avait dû annoncer à Nina et Kerrie qu'il n'y avait plus rien à faire. Il y avait encore ces cris et ces visages vides d'espoir qui hantaient ses cauchemars les plus agressifs, et qu'il confondait avec ceux d'Erica lorsqu'on lui avait appris la nouvelle, cinq ans plus tôt. Toutes ces similitudes l'avaient amadoué, mais l'avait également fait courir à sa perte.
Cependant, pouvait-on vraiment parler de simple perte lorsque l'on évoquait la mort d'un enfant ? La mort d'un enfant qu'on avait vu naître, qui plus est.
Le médecin frissonna. Il ne souhaitait pas se rappeler de tout ça. C'était ce qui l'avait aidé à tenir jusqu'ici. Mettre la tête dans le trou. Il n'y avait que ça qui marchait, puisqu'en la relevant, il ne verrait qu'un amas de ruine de plus en plus étendu, sur tout ce territoire qu'il avait bâti de ses propres mains.
Alors, il détourna la tête de la chambre de Nina Ribeiro-Heckwood. Ce n'était peut-être pas l'aînée, mais elle avait ce lien beaucoup trop évident pour ne pas faire le rapprochement. Et c'était ça qui effrayait le médecin, père de famille avant tout. Du moins, de ce qu'il en restait.
Il remarqua que la chambre de son fils était juste en face. Les trois petites lettres qui ornaient son prénom décoraient une pancarte blanche, ainsi que les raisons de son hospitalisation soudaine.
Donneur d'organe.
Ceci le bouleversa. Donner un organe était un geste qui demandait beaucoup de réflexion et de sacrifice pour le donneur, comme pour son entourage. Tellement de contraintes rentraient en jeu qu'on pouvait rapidement être découragé. Alors, comment diable son fils avait-il pu penser que tout ceci serait aussi facile, pour l'avant, le pendant et l'après ? Surtout pour un futur médecin, qui était censé connaître tous les risques encourus et qui était le mieux placé pour prendre toutes les précautions possibles, avant de se jeter dans le bain.
Et si dans sa tête, tout s'était fait simplement ? Etait-ce son tempérament d'enfant, ou son incroyable humanité qui avaient motivé son geste ? Ou était-ce l'amour qu'il portait au lien qui l'unissait à la famille Heckwood ? Peut-être un bon mélange des trois. Sûrement d'ailleurs. Son fils n'aurait pas été capable de repasser lui-même sous le bistouri, sans rechigner. Et dans ce cas-là, l'affection qu'il avait pour la famille Heckwood avait un petit côté inquiétant.
Il déglutit, avant de se décider à jeter un coup d'œil à travers la petite lucarne qui donnait vue sur la chambre. Elle était plongée dans l'obscurité du crépuscule, où il aperçut vaguement son fils recroquevillé dans le fond de son lit. Il semblait dormir, exténué par les visites qu'il avait reçues dans la journée – bien qu'il soit encore tôt pour espérer commencer sa nuit.
Le médecin ôta son visage de la lucarne, et hésita à rentrer à l'intérieur de la chambre. Rien que le fait de voir son fils dormir dans le fond de son lit d'hôpital réussissait à le faire douter. Pourquoi ne s'était-il pas contenté d'écouter les recommandations d'Erica ? Après tout, la dernière entrevue qu'il avait eue avec son fils s'était très mal passée et il était évident qu'il ne lui sauterait pas dans les bras. A quel moment avait-il pu penser le contraire ? Il abusait visiblement de son autorité et de ses droits pour prendre les mauvaises décisions.
Il soupira. C'était dommage qu'il s'en rende compte après avoir fait tout ce chemin, rien que pour le voir. Fallait-il réellement qu'il fasse demi-tour, alors que son fils dormait juste à côté et qu'il était encore sa raison de se battre dans la vie ? Fallait-il que les accusations de lâcheté dont il était la cible s'avère enfin vrai, pour qu'il arrive à contenter tous ceux qui lui avaient tourné le dos ? Peut-être qu'ils avaient raison, mais il avait encore assez de fierté pour ne pas leur donner satisfaction tout de suite.
L'homme prit alors son courage à deux mains ; il inspira profondément, puis ouvrit doucement la porte de la chambre de son fils. Celle-ci avait au moins le mérite de ne pas grincer comme les entrées de leur dernière maison à Fort Worth, aussi ce dernier ne lui tournerait pas le dos comme durant les moments où il venait lui souhaiter bonne nuit après sa dernière opération de la journée.
Il rentra dans la chambre sur la pointe des pieds, après avoir refermé la porte derrière lui pour empêcher l'éclairage du couloir de pénétrer plus longtemps à l'intérieur. Une vieille habitude de père, lorsque son fils rechignait au contact de la lumière avec ses yeux, alors qu'il commençait à s'habituer à l'obscurité du sommeil. Il espérait que ces petites routines lui donneraient un minimum de crédit.
Il discernait sa silhouette recroquevillée dans le fond de son lit, qui lâchait un petit soupir à chaque expiration. L'homme resta quelques secondes à le contempler en le distinguant mal, mais le cœur pourtant repu. Le simple fait de le savoir paisible dans ce lit, sans toutes ces machines qui sonnaient autour de lui, réussit à le maintenir dans une réalité qui n'était plus aussi douloureuse qu'elle en avait l'air. Et cette vision avait un petit côté presque guérisseur.
Fallait-il qu'il le dérange dans son sommeil pour lui signaler sa présence ? Il n'en était pas certain. Et puis, à quel prix ? Mieux valait qu'il s'en aille avec cette image débonnaire en tête, qui lui rappellerait que son fils était quelqu'un de bien, malgré toutes ces horribles choses qui lui tombaient dessus et qu'il ne pouvait pas s'empêcher de provoquer.
Il avait le sentiment d'avoir vu ce qu'il y avait à voir, et de ne pas avoir fait ce chemin pour rien. Il de ne plus être un lâche, maintenant, et c'était l'essentiel. Il pouvait repartir d'ici, le cœur léger, sans avoir tenté le diable et en ayant respecté les attentes de tout le monde ; y compris les siennes.
Alors qu'il s'apprêtait à tourner les talons pour revenir dans la lumière, un chuchotement retentit dans la pénombre, le faisant sursauter :
- « Je sais que c'est toi, papa. »
Il déglutit. Devait-il se retourner ? Cette dernière image semblait tellement plus alléchante que la discussion qui se profilait. Son fils ne le ménagerait pas, opération ou pas. Comme le lui avait si bien rappelé son ex-femme, il n'avait plus treize ans. Il venait radicalement de donner son rein à quelqu'un pour lui sauver la vie, signe qu'il savait exactement où il allait.
Encore pour de mauvaises raisons, certes, mais il avait le mérite d'être lucide.
Le père se retourna pourtant, animé par ses anciens souvenirs. Des morales contradictoires se heurtaient à sa conscience, au point qu'il n'arrivait pas à répondre. Il entendit pourtant son fils se redresser dans son lit, et il devina dans la semi-pénombre son regard limpide indifférent – qu'il tenait de sa mère, le scruter avec tout le jugement qu'il pouvait dégager.
- « En réalité, je m'attendais à ce que tu viennes. C'est bien la seule chose pour laquelle t'es prêt à prendre des risques. »
Le choc de sa phrase fut accueilli par l'illumination de la pièce, après que son fils ait enlevé les doigts de l'interrupteur, et se soit définitivement redressé dans le fond de son lit, vêtu d'une blouse à moitié froissé, les cheveux en pagaille et ses yeux toujours bleus, à moitié secs.
Le père aurait voulu paraître ferme et strict, comme ces dernières années, mais il n'arrivait qu'à être bredouille. Tout ce qui se passait était fou, et rien n'était plus comme avant. Puis de toute façon, son fils n'avait jamais été réceptif à ce genre de comportement, dans le passé.
- « Je ne vais pas rester, si c'est ce que tu veux. Je voulais juste voir si tu allais bien.
- Ou alors, tu voulais plutôt t'assurer que je n'avais pas fait de conneries, et que j'avais encore toute ma tête, n'est-ce pas ? »
Il haussa les épaules. Il n'avait pas besoin de s'en assurer, il le savait déjà. Tout ceci était une énorme blague, dont il arrivait à faire abstraction, bien qu'elle soit irréaliste. Il était passé outre toutes les mauvaises décisions qu'il avait prises, parce que c'était son fils, et que c'était la manière du père de famille de se racheter de cet éloignement désormais inopérable qu'il y avait entre eux.
- « Je ne veux pas me disputer avec toi, Tom. J'ai vraiment eu peur lorsqu'on m'a prévenu que tu étais ici. Et ce, malgré notre dernière altercation. Les choses ont changé entre nous, mais pour ce genre de situation... Je ne vois que ta santé et ta vie, qui me rappellent jour après jour que j'ai failli perdre mon fils unique. »
Tom haussa les sourcils en voyant que son père avait la gorge nouée. Ce genre de refrain, il l'avait souvent entendu lorsqu'il avait eu le malheur de se rebeller contre son autorité, une fois rentré au lycée. Comme s'il lui devait la reconnaissance de lui avoir sauvé la vie, alors que ce n'était pas lui qui l'avait opéré, et qui avait encore moins ouvert les yeux une semaine plus tard.
Au contraire, les choses avaient changé aujourd'hui. Il avait l'impression de voir son père sous un autre jour. Sincère, vraiment touché par son sort. Et son refrain prenait alors un tout autre sens.
Malheureusement, il était trop tard pour eux.
- « Pourquoi tu ne montres de l'intérêt pour moi que lorsque je semble prêt à perdre la vie ? » chuchota soudainement le plus jeune.
Le regard que le père de famille avait porté sur le sol se recentra soudainement sur Tom. Il avait toujours redouté l'arrivée de cette conversation, parce qu'il savait que cela marquerait sa fin. Une fin nécessaire à la renaissance de son ex-femme et de son fils. Cependant, c'était toujours difficile de se retirer, et d'assumer publiquement que les choses ne marcheraient plus jamais grâce à lui, pour ensuite accepter d'être blessé.
Mais voilà, ce soir, il devait sortir la tête du trou.
- « Au moment où j'avais besoin de toi, continua Tom, tu as fait tout le contraire pour m'aider. Tu as dit être conscient de ce qui m'était arrivé, mais d'entre nous trois, tu es celui qui a fait le moins face au problème. L'idée de changer d'air n'était pas totalement mauvais, bien que je reste persuadé que les choses se seraient avérées plus facile si nous étions restés à Los Angeles, et si vous n'aviez pas retiré votre plainte contre Catherine. Mais voilà, papa, l'argent s'est mis en travers de ton chemin, et ton jugement a été falsifié. »
Le cœur du père rata un battement. Il avait peut-être mal compris ce que venait de lui sortir son fils, parce que ce n'était pas possible qu'il soit au courant. Il ne pouvait pas l'être, parce qu'il avait si bien caché son jeu, tout dissimulé de A à Z dans les meilleures conditions, avec les meilleurs contacts, dans le seul et unique but de leur octroyer la vie qu'ils méritaient, loin de Los Angeles. Erica elle-même n'était pas au courant, comment diable avait-il pu le savoir ?
- « Qu'est-ce que tu as dit ? souffla-t-il.
- Tu ne nies pas. Bien.
- Ta mère le sait ?
- Non, je ne lui en ai pas parlé. Et je ne le ferai pas, pour la préserver.
- Bien. C'est bien. » répéta-t-il, dans un état second.
Tom ricana, en secouant la tête.
- « C'est bien ? Tu trouves ça bien ? Tu t'es mis toute ta famille à dos, et tu trouves que tout va bien ? Tu te rends compte de ce que tu as fait ?
- Comment tu as su, Tom ?
- Les enfants qui n'en sont plus ont des oreilles, papa. Surtout la nuit, lorsqu'ils ne dorment pas et qu'un simple bisou ne réussit pas à les apaiser. »
Le médecin tressaillit. Il se rendait compte au fur et à mesure que son fils n'avait plus treize ans, depuis qu'Erica le lui avait violemment rappelé. Et plus il en prenait conscience, plus il se rendait compte à quel point son fils avait changé ; il ressemblait à un adulte, prêt à gravir des montagnes pour réaliser ses objectifs. Tout se ressentait dans ses traits, jusque dans son regard froid et impartial, qui n'avait plus rien d'enfantin et d'aimant – voir de reconnaissant.
Et pendant qu'il était trop occupé à maîtriser un empire qu'il s'illusionnait d'avoir bâti tout seul, de peur de tout perdre et de se retrouver sur la paille, il avait cru qu'un bisou sur le front le soir d'une journée qui lui avait semblée banale lui donnerait l'impression d'être un bon père, qui se tuait à la tâche.
Au lieu de ça, il n'avait même pas vu son fils grandir et savoir. Et ce qu'il avait cru être des actes d'insolence et de rébellion, n'étaient qu'en fait des appels à l'aide sur ce dont il avait réellement besoin pour guérir.
Pendant qu'il le réalisait, Tom observait silencieusement son père prendre conscience de l'ampleur de tout ce qu'il avait perdu. Il aurait pu être impacté, parce que c'était un moment historique pour la famille Questz. Mais voilà, il n'arrivait qu'à culpabiliser de ne pas avoir une once d'empathie.
- « Ce n'est pas bien. Mais je n'avais pas le choix. Cet argent, c'était pour un nouveau départ et pour te permettre de faire tes études de médecine. »
Tom secoua la tête, nerveusement.
- « C'est de l'argent sale, je n'en veux pas. J'ai eu une bourse au lycée, tu as oublié ?
- Ta bourse ne sera pas éternelle.
- Alors je trouverai un emploi. Mais je ne veux pas avoir de lien avec tes magouilles. Les choses finiront par te retomber sur la tête, et la chute sera douloureuse. »
Le médecin se mit étrangement à sourire. Cette fin tragique, il l'avait souvent anticipée et avait nourri ses cauchemars les plus violents. Et maintenant que son fils la mettait à plat devant lui, il avait l'impression qu'elle était moins dramatique que prévu.
- « J'ai déjà perdu ma femme et mon fils. Qu'est-ce qui pourrait m'arriver de pire ? »
Tom fronça les sourcils. A ses yeux, la prison et le désistement de ses fonctions ne semblaient pas être une option agréable ; toutefois, il prenait conscience que les intentions initiales de son père n'étaient peut-être pas pourries jusqu'à la moelle. Sa descente aux enfers l'avait transformé et influencé. Il y avait encore une chance qu'il change le cours de l'histoire.
En voyant l'air sceptique de son fils, le médecin jugea bon de tourner les talons sur cette conclusion. Tom était au courant, mais il ne tenait pas à savoir l'amplitude de son savoir ; il posait trop de questions, et si la chute s'avérait être douloureuse, il ne tenait pas à ce qu'il tombe avec lui.
Cependant, la petite voix fatiguée de son fils le rappela à l'ordre une dernière fois.
- « Tu comptes le rendre, cet argent ? »
Le simple fait de penser à cette issue lui provoqua une sueur froide. Elle était encore plus compliquée que le pétrin dans lequel il s'était fourré, et le cercle vicieux dont il ne pouvait plus s'échapper.
- « Même si j'en avais envie, je ne pourrais pas. Il est trop tard.
- Oh, dommage, déclara machinalement Tom en hochant la tête. T'aurais pu faire une bonne action, mais c'est déjà pas mal que t'ai pris conscience de tes erreurs.
- Une bonne action ? demanda le père en fronçant les sourcils.
- Ouais, comme par exemple t'asseoir sur cet argent qui aurait dû revenir à Kerrie Heckwood. »
Le médecin tenta de garder la tête froide. En réalité, tout le problème venait de là. C'était la seule faute qu'il avait conscience d'avoir commise depuis le début, et qui le hantait depuis cinq longues années. La seule qu'il n'avait plus la force d'assumer, car voilà que trop de temps s'était écoulé. La bêtise aurait dû être réparée avant son départ au Texas ; mais voilà, il avait été aveuglé par le bien-être de son fils pour espérer prendre en compte celui d'une gamine qu'il avait vu naître et grandir au mauvais endroit et au mauvais moment.
Alors, il se cachait derrière des explications fallacieuses. Une haine glaçante, qui le confortait dans sa décision. C'était tellement plus facile de se chercher des excuses et de rejeter la faute sur les autres, pour se conforter dans ses décisions ! On finissait par croire à son propre mensonge, et par vraiment se sentir mieux, en sachant que l'autre option était culottée pour oser l'envisager et qu'on avait tout à gagner, à part un égo.
Et encore, pas sur le long terme...
Aujourd'hui, l'idée de haine s'était réalisée. Il avait réussi à la haïr cette gamine, mais il ne savait plus vraiment pourquoi. Tout ce qu'il savait, c'est que c'était la seule chose qu'il pouvait faire maintenant. Il ne savait rien faire d'autre. Et sa famille le lui avait bien rendu.
- « Je ne peux pas, c'est trop tard. » répéta-t-il simplement.
L'air dégoûté que lui adressa Tom clôtura leur discussion et une douloureuse relation père-fils vouée à l'échec. Il avait vu briller ses yeux quelques secondes, dans l'espoir qu'il redevienne celui qu'il avait connu, plus jeune. Mais toutes ces épreuves aussi l'avaient marqué. C'était sûrement assez osé de le blâmer pour ne pas s'en être rendu compte.
- « J'ai démissionné à l'hôpital, ce matin. Je vais repartir à Forth Worth. J'aimais bien cette ville.
- Tu y vas avec quelqu'un ?
- Non, tout seul. C'est sûrement mieux comme ça. »
Tom hocha la tête. Il venait de comprendre que son père n'avait pas trompé sa mère.
Ce dernier lui adressa un petit sourire gêné. Il ne savait pas vraiment si c'était approprié, mais il était content que cette discussion se termine calmement. Son fils était au courant de son secret le plus inavouable, il venait de se rendre compte qu'il avait tout perdu, mais il se consolait en réalisant qu'il venait de retrouver quelque chose qu'il n'avait pas vu depuis très longtemps.
Sa dignité.
- « Au revoir, Tom. J'espère que je te recroiserai à l'occasion, lorsque nous aurons pris du recul tous les deux. Je suis content de voir que tu vas bien. C'est tout ce que je voulais savoir.
- Si tu reviens à Los Angeles, qui sait... ? Je serai sûrement devenu le meilleur chirurgien de la ville. »
Il secoua la tête, déjà charmé par cette idée. C'était tout ce qu'il pouvait lui souhaiter maintenant qu'il était officiellement parti.
Du moins, jusqu'à ce que la voix de son fils le rappelle à l'ordre, au moment où il tournait les talons, la main sur la poignée de la porte.
- « Eh, Tyler. »
Il se retourna, de mauvaise grâce. Son fils était toujours dans cette position assise, ses yeux bleus brillant désormais d'une lueur presque taquine, malgré la fatigue qui le submergeait. Cela faisait bien longtemps qu'il ne l'avait pas vu comme ça.
- « Je suis content que tu ais pris la peine de venir. »
Les joues de Tyler luisaient de contentement. Heureusement, son fils ne le voyait pas à cause de la pénombre. Peut-être un peu plus lorsqu'il referma la porte derrière lui, après avoir adressé un signe de tête sincère à Tom.
Désormais transformé, il faisait le chemin inverse, le cœur plus léger. Il savait que lorsqu'il irait récupérer ses bagages et son billet d'avion dans son ancien appartement, il ne serait plus le même homme, dont les remords avait fini de le façonner comme quelqu'un de médiocre.
Il venait d'obtenir le demi-pardon de son fils. Malgré ce qu'il avait fait à sa meilleure amie, malgré ce qu'il avait fait à leur famille. Malgré ce qu'il lui avait fait.
Et pour la première fois, il venait de réaliser qu'il avait fait le bon choix.
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{Musique en média : Aladdin - Future Islands} --> Malheureusement j'ai pas trouvé la version studio, mais la version live est pas trop mal quand même !
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