Chapitre vingt-trois

MILO

Claire est là dans mes bras, contre mon torse. Dos à elle, je la sens trembler, secouée par les spasmes que les sanglots lui procurent. Les épaules voûtées ; elle se fait violence pour tenter de calmer sa respiration erratique, essaie de la calquer à la mienne. J'ai eu tellement peur en l'entendant hurler, en la retrouvant repliée sur elle-même en train de pleurer. Elle était terrorisée par un cauchemar, alors qu'elle avait les yeux ouverts. Sans doute un souvenir de son ancienne vie si tenace qu'elle n'arrivait pas à refaire surface tant elle était engluée dans cette douleur.

Les cauchemars, je sais ce que c'est, car j'en fais toutes les nuits. Et toutes les nuits, je subis à nouveau le viol, les brutalités, les mots tranchants tels des couteaux dans ma chair, les obscénités, les injures qui vous rabaissent et ce sentiment de mourir à chaque coup reçu, à chaque pénétration plus douloureuse encore que la précédente, à sa respiration hachée et forte de porc puant. Cette odeur de transpiration qui ne me quitte pas dès que je ferme les yeux. Ce sentiment de ne plus être un homme.

Même pas une bête.

Un déchet...

Voilà ce qu'il a fait de moi.

Est-ce pareil pour Claire ?

Je n'ose pas le lui demander ni lui poser des questions. Elle m'en parlera si elle le souhaite. J'ai réellement cru qu'elle allait sauter du balcon, si bien que j'en ai encore des sueurs froides. La peur me tenaille, même si elle me répète qu'elle a besoin d'air, qu'elle ne voulait rien d'autre que pouvoir respirer, juste ça. Pourtant, je n'arrive pas à me sortir cette image d'elle, fonçant vers la balustrade, paniquée. Poppy qui lui hurlait de s'arrêter. On a tous cru qu'elle voulait l'enjamber, pour en finir.

Elle n'arrêtait pas de répéter le prénom de Julien. Et au début, j'ai cru que Claire parlait de celui qui lui avait fait tant de mal. Jusqu'à ce qu'elle pose ses mains sur son ventre et là, j'ai compris. Mon Dieu. Claire appelait son bébé. Julien était son fils... Quel âge avait-il ? Mais peu importe son âge. La douleur de perdre un enfant doit être pire que tout. Je ne sais pas de quoi il est mort et je ne lui demanderai pas. Je ne veux la forcer à rien. Le jour où elle se sentira prête, elle se confiera à moi et je saurais être patient avec elle. Cette merveilleuse femme a assez souffert dans sa vie et même si je ne pouvais jamais effacer la perte de son bébé, je ferais tout mon possible pour l'entendre rire à nouveau.

Comme hier soir...

Mon nez dans ses cheveux, je respire son odeur, et elle se calme. Ses mains froides se posent sur les miennes brûlantes qui lui entourent les épaules.

— Milo ?

— Oui Claire, je suis là, réponds-je tout bas en resserrant mon étreinte.

— C'est bien toi ?

— Oui, c'est bien moi, la rassuré-je. Tu as fait un cauchemar et nous n'arrivions pas à t'en faire sortir.

— Oh non...

— Quoi ? demandé-je en la sentant trembler un peu plus. Qu'est-ce que tu as ?

— Milo. Est-ce que j'ai parlé ?

— Oui, lui confirmé-je en sachant à l'avance sa réaction.

Claire se raidit. Tous ses muscles se tendent à l'arrivée de ma réponse. Elle essaye de se dégager de mes bras mais sans lui faire mal, je veux lui faire comprendre que je ne la lâcherai pas. J'ai trop peur qu'elle s'effrite comme un château de sable trop sec si je desserre mes bras.

— Lâche-moi Milo.

— Claire...

Sa voix d'habitude si douce et mélodieuse n'est plus qu'indifférence et froideur.

— Je t'ai demandé de me lâcher, siffle-t-elle rageusement entre ses dents.

— Seulement si tu me promets de rentrer à l'intérieur ?

— Promis.

Je me retourne en la maintenant toujours dans mes bras et elle s'avance pour rentrer dans sa chambre. Je la libère et un vide immense vient se loger au fin fond de mes tripes. Mais je n'ai pas le temps d'essayer de comprendre pourquoi, que Claire nous ordonne :

— Dehors ! crache-t-elle. Tous les trois.

Elle ouvre la porte de sa chambre et nous montre la sortie avec sa main.

Lucas ne discute pas et sort, après lui avoir fait un bisou sur le front. Poppy essaye de lui parler, mais elle ne la regarde même pas. À son tour, elle va au salon en portant toute la tristesse pour son amie sur son dos. Claire me regarde, me fixe, mais je ne bouge pas et je ne baisse pas les yeux.

— Tu es sourd ?

— Non.

— Alors dégage ! hurle-t-elle.

— Non.

— Milo, je ne te le répéterais pas. Sors, me somme-t-elle en serrant les poings.

— Non.

— Putain mais c'est quoi ton problème ? s'énerve-t-elle. Tu crois que parce que tu as trouvé l'appartement de mes rêves, tout t'es permis.

— Non.

— Alors bouge ! s'agace-t-elle.

— Non.

— Mais ce n'est pas vrai, soupire-t-elle en se tapant le front de la main. Casse-toi ! Fou moi la paix. Je n'ai pas besoin de ta pitié Milo. C'est ça que tu veux voir ? La pauvre fille battue et violée par son mari qui a perdu son bébé. C'est bon tu es content ? C'est ce que tu voulais savoir ? ! me hurle-t-elle dessus, avant de s'effondrer, assise par terre.

Je fais un pas mais elle me stoppe tout de suite en tendant sa main devant elle.

— Milo, sanglote-t-elle, par pitié, non.

— Claire, laisse-moi t'aider, chuchoté-je en avançant d'un pas.

— J'ai dit non.

— Je ne peux pas te laisser. Pas après tout ce qui vient de se passer.

— Il ne sait rien passé.

— Claire...

— Rien. Tu entends. Il ne s'est rien passé. C'était juste un cauchemar.

— Ce n'était pas juste ça et tu le sais, Claire.

— Mais qu'est-ce que tu connais de moi ? siffle-t-elle. De ma vie ? Rien. Alors laisse tomber et dégage de chez moi.

— Je ne peux pas.

— Mais je n'en ai rien à faire de ce que tu peux ou pas. Je veux rester seule, tu comprends ?

— Je comprends, dis-je en m'asseyant face à elle.

— Tu comprends et pourtant tu restes là, à insister ?

— C'est ça.

— Tu m'emmerdes Milo.

— Je sais, souris-je.

Elle relève la tête pour me fusiller du regard. Elle souffle comme un buffle et essaye de desserrer ses poings. Elle penche sa tête de droite à gauche pour détendre sa nuque et faire craquer une vertèbre au passage. Claire se force à calmer sa respiration afin de me convaincre.

— Tu peux me laisser, c'est bon je me suis calmée.

Je réprime un rire. On dirait une enfant qui tente de calmer sa colère.

— Tant mieux, réponds-je en haussant les épaules.

— Mais tu ne veux pas partir ?

— Non, toujours pas.

Elle grogne, exaspérée.

— Tu es une vraie tête de mule.

— Je sais. Alors tu pourras dire ce que tu veux. Je ne partirai pas.

— Et bien alors c'est moi qui vais partir, annonce-t-elle en se levant.

— Claire, lui dis-je en l'attrapant par le bras. Pourquoi tu veux fuir ? Je ne veux que t'aider.

— Et moi je veux que tu me laisses tranquille.

Je me lève à mon tour, en ne la lâchant pas.

— Mais pourquoi ?

— Parce que je ne veux pas de ta pitié ! hurle-t-elle.

— Regarde-moi !

— Non. Je ne veux pas voir ça dans tes yeux. C'est au-dessus de mes forces.

Je lui soulève le visage pour qu'elle me regarde et qu'elle voit que ce que je ressens pour elle n'a rien à voir avec de la pitié.

— Tu vois de la pitié Claire ?

— Non...

— Tu vois quoi alors ?

Elle hésite. Elle scrute mes iris.

Vas-y Claire, dis le moi, pensé-je.

— De la détermination... Et... 

— Et ? insisté-je. 

— De la tendresse ?

Sans savoir pourquoi et sans le comprendre non plus, je dépose ma main sur sa joue en lui faisant un léger sourire.

— Milo, me souffle-t-elle, véritablement calmée cette fois.

Je caresse de la pulpe de mon pouce sa joue. Sa peau est si douce. Elle ferme les yeux. Mon corps est parcouru de sensations que je n'ai jamais connues et je suis paumé. Je ne comprends pas comment une femme, ou plutôt comment cette femme si douce, si belle soit-elle, puisse me troubler autant.

Une femme ?

Moi qui suis et ai toujours été gay.

Comment est-ce possible ?

C'est impossible !

Mais la tendresse ressentie pour elle est réelle. Avec tout ce qu'elle a vécu et traversé avec son mari, avec son bébé perdu, et ses failles qui font d'elle ce qu'elle est aujourd'hui, elle me trouble. Mais elle est fragile et je n'ai pas le droit de lui laisser espérer quoi que ce soit entre nous, car je sais que ça n'arrivera jamais. Alors j'enlève à regret ma paume de son visage, et la pose sur son bras.

— Ça va mieux Claire ?

— Heu... Oui...

Ses joues sont roses, sa bouche entrouverte, et clairement, je me sens honteux de voir le désir briller dans ses yeux.

— C'est bon alors on peut rejoindre les autres ? demandé-je mal à l'aise en la relâchant.

— Je vais aller prendre une douche.

— On t'attend pour prendre le petit-déjeuner, dis-je en me passant nerveusement une main dans les cheveux. J'ai acheté des croissants et des chocolatines.

— D'accord, je fais vite. Merci Milo. Pour tout.

— Je serais toujours là Claire.

— C'est vraiment gentil. Je peux t'embrasser ?

Je n'ai pas le temps de répliquer qu'elle s'approche de moi et me fait un bisou sur la joue, ce qui m'arrache un petit rire.

— Merci.

— Heu... De rien, bafouillé-je.

Elle sort de la chambre et file dans la salle de bains, et moi, je souffle de soulagement... Ou de frustration ? Je ne sais pas. Je ne sais plus. J'ai cru qu'elle voulait vraiment m'embrasser et j'allais lui dire non. Alors que tout mon corps avait envie de crier oui. Quel goût peuvent bien avoir ses lèvres. Est-ce si différent d'embrasser une femme d'un homme ? Est-ce que sa langue serait plus sucrée ? Aimerais-je ?

Non mais qu'est-ce qui me prend de penser à ça. Lucas est dans l'autre pièce avec Poppy et moi je bataille pour ne pas embrasser Claire. Mais qu'est-ce qui ne tourne pas rond dans ma tête ? Qu'est-ce que cette femme est en train de me faire.

Je doute ?

Mais je n'ai jamais douté de ma vie. J'ai toujours su ce que je voulais. J'ai même perdu mes parents à cause de ma détermination. Est-ce que Lucas avait raison lorsqu'il disait que l'on aime ou que l'on est attiré par une personne et non par un sexe ?

Je lui ai toujours dit que c'était des conneries et qu'il se cachait derrière ça pour pouvoir se taper autant les mecs que les nanas.

Mais même si je ne comprends pas ce qu'il m'arrive, je sais que Claire m'attire et que si je ne m'étais pas fait violence, je l'aurai embrassée tout à l'heure.

Mais pour quelle raison ? Pour savoir si j'en ai vraiment envie ou juste pour répondre à une attirance purement physique ?

Elle est si fragile et vulnérable que j'ai envie de la protéger, de m'occuper d'elle, de prendre soin d'elle.

Voilà, je l'ai ma réponse.

Je sais à présent pourquoi j'ai été à deux doigts de l'embrasser. Juste par souci de protection. Voilà c'est ça.

Je souffle de soulagement et je peux à présent rejoindre les autres à la cuisine maintenant que ma conscience et moi sommes d'accord.

— Ça va mon ange ?

— Cali va mieux ?

— Elle va mieux, elle prend une douche et nous rejoint ensuite.

— Tu as su gérer comme un chef, m'indique Poppy.

— Pourtant j'ai bien cru que je n'y arriverai jamais.

— Ça faisait longtemps que je ne l'avais pas vu dans cet état.

— Elle a souvent de tels cauchemars ?

— Oui malheureusement... Tu dois le savoir Milo. Nos nuits ne sont plus jamais les mêmes après ce que nous avons subi.

— J'espérais juste qu'avec du temps ils seraient moins nombreux, avoué-je.

— C'est le cas après quelques années, mais il suffit d'un gros stress, de changements dans nos vies, de contrariétés comme elle a eu ces derniers jours et les angoisses reviennent. Mais ce qui m'a surprise c'est qu'elle était réveillée.

— Qu'est-ce qu'elle a eu alors ? demande Lucas.

— Une hallucination, intervient Claire d'une voix morne. Voilà ce que j'ai eu. J'ai entendu une respiration à mes côtés. J'ai fait une crise d'angoisse en pensant qu'il était à nouveau dans mon lit. On peut passer à autre chose maintenant ? J'ai une faim de loup.

— Je m'occupe du café, lance Lucas.

— Mais je n'ai toujours pas de cafetière, rétorque-t-elle un peu sèchement.

— Et bien maintenant tu en as une. Regarde je te l'ai mise en place tout à l'heure. J'espère qu'elle te plaît ? Et voici tout un assortiment de dosettes.

Claire écarquille les yeux, visiblement gênée et à la fois heureuse.

— Mais c'est beaucoup trop. Vous êtes fous tous les deux de m'avoir fait un si beau cadeau.

— Heureux que ça te plaise Claire. Mais c'est juste mon cadeau. Milo en a un autre pour toi.

Elle se retourne vers moi, curieuse, et ses cils se bordent de larmes.

— On verra ça tout à l'heure, la taquiné-je. Pour le moment tu dois reprendre des forces. Installez-vous mesdames, avec Lucas on va faire le service.

— Mais vous êtes mes invités !

— Il n'y a pas de "mais" qui tienne. Tiens choisi une dosette.

Lucas lui tend la jolie boîte en bois d'acajou que nous avons acheté chez un brocanteur pour qu'elle puisse y ranger ses dosettes à l'intérieur. Claire et Poppy roulent des yeux en voyant la boîte. Il faut dire qu'elle est magnifique avec ses différentes teintes de rouges et de marrons mêlées et ornée en son centre d'un soleil en cuivre doré. Elle n'ose même pas l'ouvrir. Claire passe plusieurs fois ses doigts sur les nervures du bois et termine par le soleil ciselé. Plus aucun mot ne sort de sa bouche tellement elle est émue.

— Alors tu as fait ton choix ? lui demande-t-il en finissant de laver les tasses vendues avec la machine à café. Et toi Poppy tu veux laquelle ?

— Je n'en ai jamais bu de cette marque. Tu me conseilles quoi, Lucas ?

— Tu aimes le café comment ? Fort, doux, fruité ?

— J'aime bien quand il est fort, surtout celui du matin, lui répond-elle en ajoutant un clin d'œil.

Si Poppy croit que je ne l'ai pas vu. C'est loupé. J'ai bien remarqué son petit jeu avec Lucas. Elle le veut et fait tout pour le lui faire comprendre et je ne saurais pas surpris qu'il en soit de même pour lui. Ses yeux pétillent à chaque regard que Lucas pose sur elle. Il s'approche d'elle en lui frôlant la main et lui désigne deux capsules.

— Alors choisis une de ces bleus.

— Celle-ci me plaît bien. Le bleu métallique est très beau, ajoute-t-elle sans lâcher son regard.

— Et toi Claire tu as fait ton choix ? lancé-je pour couper court à leurs échanges.

En rentrant on va devoir discuter de tout ça, sérieusement.

— Celui-là Milo, me dit-elle en me tendant une dosette marron foncée.

— Très bon choix. Allez c'est parti !

Pendant que Lucas fait couler les cafés. Je dispose les viennoiseries sur des petites assiettes. Ainsi qu'une bonne baguette de pain frais aux céréales avec du beurre et tout un assortiment de confitures que j'ai trouvé chez le boulanger séduit par le fait qu'elles sont faites maison.

Rien de tel qu'un bon petit-déjeuner pour refaire le plein d'énergie.

Pourvu que ça lui apporte un peu de réconfort...

*******

Milo se pose beaucoup de questions :

- Sur ce qu'a vécu Claire.

- Sur son attirance pour elle.

- Sur la différence entre être avec un homme ou une femme.

Autant de réponses qu'il va devoir trouver.

Arrivera-t-il à s'avouer son attirance pour Claire ?

Claire est troublée par la gentillesse et la douceur de Milo.

L'aurait-elle laissé faire si Milo l'avait embrassé ?

*******

Bisous les Loulous

Kty

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