Chapitre vingt-cinq
MILO
Après un trajet en voiture des plus silencieux, nous arrivons chez nous. Mais le silence reste de mise et je ne sais pas trop quoi faire pour le dissiper. Je file donc dans la douche de ma chambre pour essayer de remettre tous les événements de la soirée et de cette matinée en place pour tâcher de comprendre comment nous en sommes arrivés là.
Quand je sors de la chambre, je m'aperçois que Lucas en a fait autant, ses cheveux sont encore mouillés et peignés en arrière, comme j'aime. Il s'affaire en cuisine et d'habitude je me serais approché de lui, je me serais collé à son dos et je lui aurais ébouriffé les cheveux rien que pour le faire râler avant de l'embrasser dans le cou. J'aurai appuyé mon bassin contre son cul pour sentir ses fesses fermes. Mes mains auraient glissé sur ses pectoraux, seraient descendues sur ses abdos si bien dessinés avant de terminer ma descente dans son caleçon et, au lieu de manger, je l'aurais pris sauvagement sur le plan de travail.
Mais là, je le sens tendu alors j'essaye plutôt d'entamer la conversation.
— Qu'est-ce que tu nous prépares de bon ?
— Des tagliatelles au pesto et roquette fraîche, ça te va
— Tu veux que je découpe des tomates cerises ?
— Si tu veux Milo.
Pendant que je les découpe en deux, j'observe Lucas qui a l'air absent et perdu dans ses pensées. D'un œil vide, il regarde les pâtes cuire dans le grand faitout et les remues machinalement avec une cuillère en bois. Il sursaute quand le timer de la plaque sonne pour indiquer qu'elles sont cuites. Tel un robot, il va pour prendre le faitout...
— Arrête Lucas, tu vas finir par te brûler, va t'asseoir. Je vais le faire.
Il ne discute même pas et tire une chaise en frottant les pieds sur le sol en béton. J'ai horreur de ça, cela me fait grincer des dents et serrer les mâchoires tellement ce bruit strident est horrible pour mes oreilles sensibles.
— Lucas !
— Hum...
— Ta chaise, lui reproché-je.
— Oh oui, excuse-moi.
Il la soulève pour éviter à nouveau de racler le sol puis s'assoit. Il n'a même pas mis la table. Ça ne lui ressemble pas. Lucas a les coudes posés sur la table pour tenir sa tête appuyée sur ses mains jointes et il fixe la pendule en fer forgé accrochée au mur lui faisant face.
— Tu as un rendez-vous ?
— Non.
Je finis d'égoutter les pâtes, les verse dans le grand plat creux ou Lucas a déjà transvasé son pesto aux amandes. Je les mélange après avoir rajouté un demi-verre d'eau de cuisson des pâtes pour lier la sauce. Je sers notre repas dans les assiettes creuses puis disposes sur le dessus la roquette, les demi-tomates cerise, quelques copeaux de parmesan et un léger filet d'huile d'olive extra-vierge. J'aime quand les assiettes sont bien dressées et même pour des pâtes, je fais attention à la présentation. J'attrape deux fourchettes et deux grosses cuillères avant de déposer le tout sur la table. Deux verres à pied, une bonne bouteille de vin et le repas dominical sera parfait.
Lucas sort de sa torpeur quand je débouche la bouteille de vin. Je sens le bouchon pour vérifier que le vin n'est pas bouchonné et nous sers. Je m'installe enfin en ayant veillé à soulever ma chaise.
— Bon appétit Lucas.
— Merci, bon appétit à toi aussi.
Je le laisse manger tranquillement pour qu'il déguste les pâtes en paix et voir s'il va me parler de lui-même. Mais rien. Il n'a prononcé que très peu de mots depuis que nous sommes partis de chez Claire. Je ne sais pas pourquoi il nous impose ce silence. Il doit sans doute, comme moi, se poser des tas de questions sur Claire et sur Poppy. La fameuse stagiaire dont il s'est bien gardé de me parler. Je la trouve un peu jeune pour qu'elle lui plaise autant. Mais sinon, je comprends qu'il soit attiré par elle. Elle est très mignonne avec sa coupe à la garçonne qui fait ressortir ses très grands yeux verts en amandes sur son visage clair et angélique. Elle est assez grande et mince. Et en plus de ça, elle a de l'humour et de la repartie. Tout à fait le genre de femme pétillante qui fait craquer mon Lucas. Mais depuis qu'il a appris qu'elle habitait au foyer, son humeur a changé ainsi que sa façon de la regarder. Il est passé du désir à de la tendresse voilé par de la tristesse. Il ne tolère pas la violence de quelque sorte qu'elle soit et, de savoir que Poppy en a été victime tout comme Claire doit le toucher profondément.
De sa fourchette, il fait tourner distraitement les pâtes dans son assiette, comme un enfant jouerait avec ses restes.
— Tu as fini de manger ?
— Oui. Je n'ai pas très faim.
— Tu veux un café ?
— Je veux bien !
— Va t'asseoir sur le canapé, je t'apporte ça.
Il se dirige vers le canapé en silence, s'y installe et je débarrasse, rangeant les assiettes dans le lave-vaisselle. Je passe un coup d'éponge sur la table et rebouche la bouteille de vin avant de la placer au frais, et nous fais couler nos deux expressos. J'apporte les deux tasses au salon et en donne une à Lucas qui est toujours aussi pensif.
— Je peux savoir à quoi est dû ton silence ?
— Il est sans doute dû à la même chose que le tien.
Nous buvons nos cafés sans que rien ne soit ajouté. Et puis, n'y tenant plus je lui demande :
— C'est à cause de Poppy et du foyer ?
— Quelle clairvoyance Milo, ironise-t-il.
— Je n'étais pas au courant pour Poppy vu que je ne la connaissais pas avant samedi soir.
— Par contre tu le savais pour Claire et tu ne m'as rien dit !
— Je l'ai appris la veille de mon agression. Excuse-moi de ne pas y avoir pensé, répliqué-je.
— Comment l'as-tu su ?
— Je l'ai suivie après la visite de l'appartement.
— J'ai bien entendu ? Tu l'as suivie ?
Son regard hébété ne me lâche pas.
— Laisse-moi t'expliquer avant de monter sur tes grands chevaux.
Il croise ses bras sur son torse et attend mes explications.
— À la fin de la visite, je lui ai proposé de la ramener chez elle vue que la nuit tombait. Elle a refusé en prétextant qu'elle devait d'abord passer à la boulangerie pour prendre ses affaires. Je l'ai déposée car elle m'avait assuré que sa collègue devait la ramener. Je suis donc parti mais sur le chemin quelque chose m'a paru bizarre et j'ai donc fait demi-tour et j'ai attendu qu'elle sorte de la boulangerie.
— Et tu l'as ramenée au foyer ?
— Non. Elle a pris un bus qui l'a déposée non loin du foyer. Au début j'ai cru qu'elle rendait visite à quelqu'un jusqu'à ce que je l'aperçoive traverser la cour et ouvrir une des chambres.
Le silence suivant ma révélation est pesant.
— Voilà tu sais tout !
— Claire était au courant que tu savais pour le foyer ?
— Non, je le lui ai appris samedi soir quand nous étions sur le balcon.
— D'ailleurs... En parlant du balcon ! Il s'est passé quelque chose avec Claire dont je devrais être au courant ?
— Je ne vois pas de quoi tu parles.
— Ah tu ne vois pas. Tu veux que je te fasse un dessin ?
— Franchement Lucas je ne comprends pas. Nous avons parlé, je l'ai consolée parce qu'elle pleurait et voilà tout.
— On avait dit plus de mensonge, Milo.
— Tu es gonflé de me dire ça alors que tu t'es bien gardé de me dire que la stagiaire était la meilleure amie de Claire. Et surtout, que Poppy était aussi jolie et qu'elle te plaisait.
— En effet Poppy est très jolie et elle me plaît beaucoup, tu es satisfait ?
— Satisfait, n'est pas le mot que j'aurais employé, dis-je en arquant un sourcil. Ce que je veux savoir c'est pourquoi tu ne m'as rien dit ?
— Parce que je pensais que ce n'était qu'une attirance physique.
Il me regarde et ses yeux me donnent l'impression d'avoir face à moi un chien battu.
— Mais...
— Mais après cette soirée, les révélations de l'autre dragon et tout ce que Poppy m'a raconté de sa vie...
Sa voix se brise et il se prend la tête entre les mains tout en pleurant. Sa détresse fait écho à la mienne car tout ce qu'a vécu Claire doit être horrible aussi. Je me lève du fauteuil et m'assois à côté de mon compagnon en posant ma main sur sa cuisse.
— Je comprends Lucas... Tu sais c'est dur pour Claire aussi et je ne me voyais pas la laisser seule sur son balcon.
— Je sais, je suis con de réagir comme ça mais tout ceci m'a bouleversé et je n'arrive pas à comprendre qu'on puisse faire du mal comme ça... T'imagines que c'est son père qu'il lui a fait toutes ces choses horribles.
— Son père ?
— Tu ne savais pas ?
— Eh bien non, je pensais à un petit copain violent mais... Son père, comment est-ce possible de faire ça à son propre enfant ?
— T'imagines qu'elle n'avait que douze ans...
Il ne finit pas sa phrase et se précipite aux toilettes pour vomir. Ces deux femmes ont vécu des enfers différents mais tout aussi traumatisants et pourtant, elles font tout pour s'en sortir et c'est vraiment deux exemples à suivre pour moi. Je veux m'en sortir moi aussi. Je sais que ce sera long mais je sais à présent que c'est possible. Si elles y sont arrivées, il n'y a pas de raison que je n'y parvienne pas. Je vais devoir prendre en compte ce que m'a proposé la psy et trouver une réunion dans laquelle je pourrais me rendre pour en parler. J'aimerais tellement que Claire m'y accompagne. Mais après son éloignement et son retour au vouvoiement je ne sais plus où nous en sommes. Encore faudrait-il que moi-même je sache où j'en suis.
Lucas sort des toilettes, passe à la salle de bains et me rejoint à la cuisine où je bois un café. Ma tête est polluée par toutes ces questions et je me sens toujours aussi paumé. Je ne sais plus quoi penser. Et surtout je ne sais pas à qui en parler à part à Lucas. Il n'y a que lui qui peut me comprendre. Mais franchement, je me vois mal lui expliquer ce que j'ai ressenti pour Claire. Avant, ça ne m'aurait posé aucuns problèmes et d'ailleurs il est le seul à connaître toutes mes histoires de cul. Car il a toujours été l'ami sur lequel je pouvais compter mais maintenant...
— Arrête de te mettre le cerveau à l'envers et parle-moi Milo. Je suis ton meilleur ami, non ?
— Oui mais tu n'es pas que ça et tu le sais Lucas.
— Oui je le sais... Mais il y a des moments où il faut savoir mettre ses sentiments de côtés pour pouvoir aider son meilleur ami et ce moment est arrivé. Aussi bien pour toi, que pour moi.
— Tu es sûr de toi Lucas ? J'ai promis de ne plus te faire de mal et...
— Et moi aussi je vais avoir besoin de mon meilleur ami. Est-ce que tu vas en être capable et mettre ta jalousie de côté ?
— Je vais essayer mais je n'ai pas ta qualité d'écoute et je ne sais même pas si j'y arriverais... Mais je vais faire de mon mieux.
— Milo, nous sommes adultes et capables de faire la distinction entre ce que nous vivons et ce dont nous devons parler au sujet de Claire et Poppy.
— Tu te rends compte de ce que nous allons faire ?
— Oui je m'en rends compte. Ça ne va pas être simple mais, ça serait bien pire de ne rien se dire et de continuer à y penser chacun de notre côté, non ?
— Je te fais un café avant que nous parlions ?
— Merci mon ange.
*******
Les révélations sur Claire et Poppy ont des répercussions sur Milo et Lucas !
Même un bon plat de pâtes n'arrive pas à redonner la voix à Lucas...
Comprenez-vous le comportement de Lucas ?
Et celui de Milo ?
Pour vous est-ce une bonne idée la discussion qu'ils vont avoir ?
Vont-ils arriver à se parler entre amis et non en tant que couple ?
*******
Bisous les Loulous
Kty
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